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Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Anayel
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Sam 17 Avr - 22:09

Bonjour @Sofoyal,

Je suis heureuse si cet épisode t'a plu ! Et je le suis plus encore s'il a parlé à ton coeur et qu'il te montre tout l'Amour que Jésus a pour les tiens Wink

Il est grand, notre Sauveur, et il a aimé tous les hommes, de toute origine.

C'est encore plus doux quand on trouve un passage où Jésus nous parle particulièrement, comme si cet extrait avait été écrit pour nous.

Plusieurs fois, il m'est arrivé de me dire : "Ce n'est pas possible, Jésus a dit ça en pensant à moi" et on bénit toujours davantage le Seigneur pour sa Providence et sa Miséricorde.

Et après, on dit, comme les disciples d'Emmanüs : "Notre coeur n'était-il pas brûlant pendant qu'il nous expliquait les Ecritures ?"

Et on reconnaît le Maître qui passe...

Fraternellement,
Anayel
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Sam 17 Avr - 22:19

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28
 
564. L'homme de Jabnia et la fin d'Hermastée. Reproche aux Samaritains qui manquent de charité
 
Ancienne édition : Tome 8, chapitre 25.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 564.
 
Le vendredi 7 février 1947.
 
Vendredi 1er mars 30
Kafr Mélik


564.1 Il s’est passé plusieurs jours. Je dis cela, car je vois que les blés, qui dans les dernières visions mesuraient à peine un empan, ont beaucoup grandi après les dernières pluies et le beau soleil qui leur a succédé, et se préparent à former des grains. Une légère brise fait onduler les tiges encore tendres des épis. Le vent joue avec les nouvelles frondaisons des arbres fruitiers les plus précoces : à peine leurs fleurs tombées, alors que des pétales voltigent et tombent encore, leurs petites feuilles d’émeraude s’ouvrent, claires, tendres, brillantes, belles comme tout ce qui est vierge et nouveau. Plus tardives, les vignes sont encore nues et noueuses, mais sur les sarments enchevêtrés, d’un cep à l’autre, les bourgeons ont déjà rompu la sombre enveloppe qui les enserrait et, encore clos, ils laissent déjà apparaître le duvet gris argent, nid des pampres et des vrilles à venir. Les festons ligneux et serpentins des vignobles semblent s’assouplir et prendre une grâce nouvelle.

Le soleil, déjà chaud, commence son travail de coloriste et de distillateur des arômes végétaux ; et pendant qu’il peint de teintes plus vives ce qui, hier encore, était pâle, sa chaleur permet de libérer les mille nuances des senteurs des sillons, des prés en fleurs, des champs de céréales, des jardins et des vergers, des bosquets, des murs, du linge étendu à sécher, pour en faire une unique symphonie olfactive qui durera tout l’été, avant de s’éteindre en une violente odeur de moût dans les cuves où les raisins pressés se changent en vin [1].

On entend tout un concert de chants d’oiseaux dans les feuillages, des agneaux et des brebis qui bêlent doucement dans les troupeaux, mais aussi des chansons d’hommes sur les pentes, les rires des enfants et la verve des femmes. C’est le printemps. La nature aime, et l’homme se réjouit de l’amour de la nature qui, demain, le rendra plus riche, tout comme de ses propres amours qui s’enflamment avec une vivacité nouvelle dans ce réveil serein. Son épouse lui paraît plus aimable, l’homme paraît plus protecteur à sa compagne et les enfants sont plus chers à tous les deux qui, aujourd’hui sourire et travail, seront demain dans leur vieillesse, sourire encore et déclin.

564.2 Jésus passe à travers les champs, qui montent et descendent en suivant les dénivellations de la montagne. Il est seul. Il s’est habillé de lin, puisqu’il a donné à Samuel son dernier vêtement de laine, mais il porte un léger manteau d’un bleu plutôt vif, jeté sur une seule épaule, puis mollement enroulé autour du corps et qu’il retient avec son bras sur la poitrine. Le pan jeté sur le bras se balance légèrement sous la brise très légère qui parcourt la terre, et sur sa tête ondule sa chevelure, qui brille au soleil. Là où il rencontre des enfants, il se penche pour caresser leurs petites têtes innocentes, écouter leurs confidences et admirer ce qu’ils viennent lui montrer comme si c’était un trésor.

Une fillette qui trébuche encore en courant, tant elle est petite, et s’empêtre dans une robe trop longue pour elle, qu’elle a peut-être héritée d’un frère un peu plus âgé, arrive. Un sourire illumine ses yeux et découvre ses petites incisives entre ses lèvres rosées. Elle a dans les mains un bouquet de marguerites [2], autant qu’elle peut en tenir, et elle lève son trophée en disant :

« Tiens ! C’est pour toi. Pour maman, ce sera après. Un baiser, ici ! »

Et de ses menottes, désormais libérées du bouquet que Jésus a pris avec des exclamations d’admiration et de remerciements, elle se frappe la bouche. Elle se tient, la tête renversée, se tendant sur ses pieds déchaussés jusqu’à en perdre presque l’équilibre, dans la vaine tentative d’allonger sa minuscule personne jusqu’au visage de Jésus. Il la prend dans ses bras en riant et s’avance avec elle, qui est accroupie là-haut comme un oiseau sur un grand arbre, vers un groupe de femmes en train de laver des toiles neuves dans les eaux limpides d’un ruisseau avant de les étendre pour qu’elles blanchissent au soleil.

Les femmes penchées sur l’eau se redressent pour saluer, et l’une d’elles dit en souriant :

« Tamar t’a dérangé… Mais elle est là depuis l’aurore à cueillir des fleurs avec l’espoir secret de te voir passer. Elle ne m’en a pas donné une seule, car elle voulait d’abord te les offrir.

– Elles me sont plus chères que les trésors des rois, car elles sont innocentes comme les petits et données par une enfant innocente comme les fleurs. »

Il donne un baiser à la fillette en la déposant par terre et lui sourit :

« Que vienne à toi la grâce du Seigneur. »

Il salue les femmes et continue son chemin en saluant les agriculteurs ou les bergers, qui y répondent à partir des champs ou des prés.

564.3 Il semble descendre du côté qui mène vers Jéricho, mais il revient en arrière pour prendre un autre sentier qui s’élève de nouveau vers les montagnes au nord d’Ephraïm. Ici le sol, bien exposé et à l’abri des vents du nord, porte des moissons plus belles. Le sentier entre les deux champs longe d’un côté des arbres fruitiers à des distances presque régulières, et les bourgeons des prochains fruits sont déjà comme autant de perles le long des branches.

Une route qui descend du nord vers le midi coupe le chemin. Il doit s’agir d’une route assez importante car, au croisement, on voit l’une de ces bornes milliaires dont les Romains se servent, avec une inscription sur la face septentrionale : “ Neapolis ” [3] — gravée en grand avec les caractères lapidaires des Latins, forts comme eux-mêmes — et sous ce nom, en caractères beaucoup plus petits à peine marqués dans le granit : “ Sichem ”; sur la face occidentale : “ Silo-Jérusalem ”; et sur le côté tourné vers le midi : “ Jéricho ”. Du côté du levant, il n’y a aucune indication.

Mais on pourrait dire que, s’il n’y a pas de nom de ville, il y a l’indication d’un malheur humain. En effet, par terre, entre la borne milliaire et le fossé qui longe la route — comme sur toutes les voies entretenues par les Romains, un fossé est creusé pour l’écoulement des eaux en temps de pluies —, git un homme recroquevillé, un paquet de haillons et d’os, peut-être mort.

564.4 Quand il le découvre au milieu des herbes du bord de la route que les ondées de printemps ont rendues luxuriantes, Jésus s’incline sur lui, le touche et l’appelle :

« Homme, qu’as-tu ? »

Un gémissement lui répond. Mais le tas de haillons remue, se retourne, et un visage squelettique, qui pourrait être celui d’un mort, apparaît. Deux yeux au regard fatigué et souffrant observent avec étonnement celui qui se penche sur sa misère. Il tente de s’asseoir en prenant appui sur le sol de ses mains décharnées, mais il est dans un état si lamentable que, sans l’aide de Jésus, il n’y parviendrait pas.

Jésus l’appuie contre la borne milliaire et lui demande :

« Qu’as-tu donc ? Es-tu malade ?

– Oui. »

C’est un oui très faible.

« Mais comment as-tu pu te mettre en voyage, tout seul, dans cet état ? N’as-tu personne ? »

L’homme fait signe que si, mais il est trop affaibli pour répondre.

Jésus regarde autour de lui. Il n’y a personne dans les champs, c’est un endroit vraiment désert. Au nord, presque au sommet d’une colline, se trouvent une poignée de maisons ; à l’ouest, dans la verdure de la pente qui, en gravissant d’autres mamelons, se change de champs en prairies et bosquets, quelques bergers font paître un troupeau de chèvres agitées. Jésus baisse de nouveau les yeux sur l’homme. Il lui demande :

« Si je t’aidais, te sentirais-tu capable de marcher jusqu’à ce village ? »

L’homme secoue la tête et deux larmes coulent sur ses joues si flétries qu’elles en paraissent rugueuses comme s’il était âgé, alors que sa barbe noire montre qu’il est jeune encore. Il rassemble ses forces pour dire :

« Ils m’ont chassé… Peur de la lèpre… Je ne suis pas… Et je meurs… de faim. »

Il meurt de faiblesse. Il se met un doigt dans la bouche et en sort une bouillie verdâtre :

« Regarde… J’ai mastiqué du grain… mais il est encore en herbe.

– Je vais trouver ce berger. Je vais t’apporter du lait tiède. J’aurai vite fait. »

Et au pas de course, il se dirige là où se trouve le troupeau, à environ deux cents mètres au-dessus de la route.

Il rejoint le berger, lui parle, lui indique où se trouve l’homme. Le berger se tourne pour regarder, l’air indécis, se demandant s’il doit écouter la demande de Jésus. Puis il se décide. Il détache le gobelet de bois qu’il porte à sa ceinture comme tous les bergers, et trait une chèvre pour remettre une tasse pleine à Jésus, qui descend avec précaution la pente. Un enfant qui était avec le berger le suit.

564.5 Le voici de retour auprès de l’affamé. Il se met à genoux à ses côtés, lui passe un bras derrière les épaules pour le soutenir et approche le bol, où le lait écume encore, de ses lèvres. Il lui fait boire de petites gorgées, puis il pose le récipient sur le sol en disant :

« Pour l’instant, c’est assez. Tout avaler en une seule fois te ferait du mal. Laisse ton estomac se ranimer en absorbant le lait que je t’ai donné. »

L’homme ne proteste pas. Il ferme les yeux et se tait, observé par le pastoureau, tout ému.

Après un moment, Jésus lui présente de nouveau le gobelet pour qu’il boive plus longuement, et il fait ainsi avec des pauses de plus en plus courtes, jusqu’à ce que le lait soit fini. Il rend le bol à l’enfant et le remercie.

L’homme se ranime lentement. Il cherche avec des mouvements encore incertains à se rendre présentable. Il a un sourire de reconnaissance en regardant Jésus, qui s’est assis sur l’herbe près de lui, mais il s’excuse :

« Je te fais perdre du temps.

– Ne te désole pas ! Le temps employé à aimer ses frères n’est jamais perdu. Quand tu iras mieux, nous parlerons.

– Je vais déjà mieux. La chaleur revient dans mes membres, ainsi que la vue… J’ai bien cru que j’allais mourir ici… Mes pauvres enfants ! J’avais perdu tout espoir… Et jusqu’à présent, j’en avais eu tant !… Si tu n’étais pas venu, je serais mort… comme ça… au bord d’une route …

– Cela aurait été très triste, c’est vrai. Mais le Très-Haut a regardé son fils et l’a secouru. Repose-toi un peu. »

L’homme obéit un moment, puis il rouvre les yeux et dit :

« Je me sens revivre. Ah ! si je pouvais me rendre à Ephraïm !

– Pourquoi ? Quelqu’un t’y attend ? Es-tu de là-bas ?

– Non. 564.6 Je suis des campagnes de Jabnia, près de la Grande Mer, mais j’ai pris le chemin de la Galilée, en longeant le rivage jusqu’à Césarée. Je suis allé ensuite à Nazareth, car je souffre ici (il se frappe l’estomac) d’une maladie que personne n’a su guérir et qui m’empêche de travailler la terre. En outre, je suis veuf avec cinq enfants… Quelqu’un de nos régions — car je suis originaire de Gaza, né d’un père philistin et d’une mère syro-phénicienne —, l’un des nôtres donc, qui suivait le Rabbi de Galilée, est venu avec un autre parmi nous, pour nous parler de ce Rabbi. Je l’ai entendu moi aussi et, quand je me suis senti si mal en point, j’ai pensé :

“ Je suis syrien et philistin, une ordure pour Israël. Mais Hermastée disait que le Rabbi de Galilée est aussi bon que pui­ssant ; je le crois et je vais le trouver. ”

Ainsi, à peine venu un meilleur temps, j’ai laissé les enfants à ma belle-mère, j’ai rassemblé le peu de ressources que je pos­sédais — car la maladie en avait englouti beaucoup — et je suis parti chercher le Rabbi. Mais l’argent s’épuise vite en voyage, surtout quand on ne peut pas manger de tout… et il me fallait séjourner dans les auberges quand les douleurs m’empêchaient de marcher. A Séphoris, j’ai vendu mon âne, car je n’avais plus d’argent pour moi et pour donner au Rabbi ce qui lui est dû. Je pensais qu’une fois guéri, j’allais pouvoir manger de tout en route, revenir bientôt à la maison et là, en travaillant dans mes champs et dans ceux d’autres personnes, rétablir ma situation… Mais le Rabbi ne se trouve ni à Nazareth, ni à Capharnaüm. C’est sa Mère qui me l’a appris. Elle m’a dit :

“ Il est en Judée. Cherche-le chez Joseph de Séphoris à Bézéta, ou à Gethsémani. Ils sauront t’indiquer où il est. ”

Je suis revenu sur mes pas. Le mal grandissait et l’argent diminuait. A Jérusalem, où l’on m’avait envoyé, j’ai trouvé des hommes mais pas le Rabbi. Ils m’ont répondu :

“ Oh ! il a été chassé depuis longtemps. Il est maudit par le Sanhédrin. Il s’est enfui, nous ne savons où. ” Je me suis senti mourir… comme aujourd’hui, et même davantage. J’ai questionné des centaines de gens à travers la ville et dans les campagnes. Personne ne savait. Certains pleuraient avec moi. Plusieurs m’ont frappé. Puis, un jour où je m’étais mis à mendier en dehors des murs du Temple, j’ai entendu deux pharisiens dire :

“ Maintenant que l’on sait que Jésus de Nazareth se trouve à Ephraïm… ”

Je n’ai pas perdu de temps et, en dépit de ma faiblesse, je suis arrivé jusqu’ici en mendiant mon pain, de plus en plus déchiré et de plus en plus malade. Dans mon ignorance, je me suis trompé de route… Aujourd’hui, je viens d’ici, de ce village. Il y avait deux jours que je ne mangeais que du fenouil sauvage [4] et que je mâchonnais de la chicorée [5] ainsi que du blé en herbe. On m’a cru lépreux à cause de ma pâleur et on m’a chassé à coups de pierres. Moi, je ne demandais que du pain et je désirais que l’on m’indique la route d’Ephraïm… Je suis tombé ici… Mais je voudrais me rendre à Ephraïm. Je suis si près du but ! Peut-il se faire que je ne l’atteigne pas ? Je crois au Rabbi. Je ne suis pas israélite, mais Hermastée ne l’était pas non plus, et Jésus l’aimait pareillement. Est-il possible que le Dieu d’Israël appesantisse sa main sur moi pour se venger des fautes de ceux qui m’ont engendré ?

– Le Dieu vrai est le Père des hommes, il est juste, mais bon. Il récompense celui qui a la foi et ne fait pas payer aux innocents des fautes qui ne sont pas les leurs. 564.7 Mais pourquoi as-tu dit que, lorsque tu as appris que la demeure du Rabbi était inconnue, tu t’es davantage senti mourir qu’aujourd’hui ?

– Voilà ce que j’ai pensé : “ Je l’ai perdu avant même de l’avoir trouvé. ”

– Ah ! à cause de ta santé !

– Non, pas pour cette seule raison. Mais parce que, d’après les dires d’Hermastée, il me semblait que si je l’avais connu, je n’aurais plus été une ordure.

– Tu crois donc qu’il est le Messie ?

– Oui. Je ne sais pas bien ce qu’est le Messie, mais je crois que le Rabbi de Nazareth est le Fils de Dieu. »

Avec un sourire lumineux, Jésus demande :

« Et es-tu certain que, s’il l’est, il va t’exaucer, toi un incir­concis ?

– J’en suis certain, car Hermastée le disait. Il affirmait : “ Il est le Sauveur de tous. Pour lui, il n’est pas question de juifs ou d’idolâtres, mais seulement de créatures à sauver, car le Seigneur Dieu l’a envoyé pour cela. ” Plusieurs ricanaient. Moi, j’y ai cru. Si je peux lui dire : “ Jésus, aie pitié de moi ”, il m’exaucera. Ah ! si tu es d’Ephraïm, conduis-moi à lui. Peut-être es-tu l’un de ses disciples… »

564.8 Jésus sourit toujours plus et lui conseille :

« Essaie de me demander, à moi, de te guérir…

– Tu es bon, homme. Près de toi, il y a tant de paix ! Oui, tu es bon comme… comme le Rabbi lui-même. Il t’aura sûrement accordé le pouvoir de faire des miracles, car, pour être bon comme tu l’es, tu ne peux qu’être l’un de ses disciples. Ceux qui ont dit l’être m’ont tous paru bons. Mais ne le prends pas mal, si je te dis que tu pourrais bien guérir les corps, mais pas les âmes. Or je souhaiterais que la mienne soit guérie, comme c’est arrivé à Hermastée. Devenir un juste… Et cela, seul le Rabbi peut le faire. Je suis non seulement malade, mais aussi pécheur. Je ne veux pas voir mon corps guéri pour le voir mourir un jour, et l’âme avec lui. Je veux vivre. Hermastée affirmait que le Rabbi est la vie de l’âme, et que l’âme qui croit en lui vivra pour toujours dans le Royaume de Dieu. Conduis-moi au Rabbi. Sois bon ! Pourquoi souris-tu ? Peut-être penses-tu que je suis audacieux de vouloir la guérison sans avoir les moyens d’offrir une obole ? Mais, une fois guéri, je pourrai encore cultiver la terre. J’ai de très beaux fruits. Que le Rabbi vienne à la saison des fruits et je le paierai en lui accordant l’hospitalité aussi longtemps qu’il le voudra.

– Qui t’a dit que le Rabbi demande de l’argent ? Hermastée ?

– Non. Au contraire, lui disait que le Rabbi a pitié des pauvres et qu’il les secourt les premiers. Mais c’est ainsi que l’on agit d’habitude avec tous les médecins et… et avec tous, en somme.

– Mais pas avec lui, je t’assure. Et je t’affirme que, si tu sais élever ta foi jusqu’à demander ici ce miracle, et à le croire possible, tu l’obtiendras.

– Tu dis la vérité ?… En es-tu certain ? Bien sûr, si tu es un de ses disciples, tu ne peux mentir ni te tromper. Et, bien que je regrette de ne pas voir le Rabbi… je veux t’obéir… Probablement, persécuté comme il l’est… il ne veut pas qu’on le voie… il ne se fie plus à personne. Il a raison, néanmoins sa ruine ne viendra pas de nous, mais de vrais Hébreux… Pourtant, voilà. Je dis ici (il se met à genoux avec beaucoup de peine) : “ Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! ”

– Eh bien ! qu’il te soit fait comme ta foi le mérite » répond Jésus en faisant son geste de commandement sur les maladies.

564.9 L’homme a une sorte d’éblouissement, c’est-à-dire une lumière imprévue. Il comprend — je ne sais si c’est par ouverture de son intelligence ou par une sensation physique, ou par les deux — il comprend qui est celui qui se tient devant lui, et il pousse un cri si aigu que le petit berger, descendu vers la route — peut-être pour voir — hâte le pas.

L’homme est par terre, le visage dans l’herbe, et le pastoureau demande, en le montrant de sa houlette :

« Il est mort ? Il faut autre chose que du lait quand quelqu’un approche de sa fin ! »

Et il hoche la tête.

L’homme entend et il se met sur ses pieds, fort, en bonne santé. Il s’écrie :

« Mort ? Mais je suis guéri ! Je suis ressuscité ! C’est lui qui l’a fait. Je ne souffre plus de la faim, ni des douleurs de la maladie. Je suis comme au jour de mes noces ! Oh ! Jésus béni ! Comment ne t’ai-je pas reconnu plus tôt ? Ta pitié aurait dû me dire ton nom, tout comme la paix que je sentais près de toi ! J’ai été aveugle. Pardonne à ton pauvre serviteur ! »

Et il se jette de nouveau par terre en adoration.

Le berger abandonne ses chèvres pour partir en courant et en sautant vers le hameau.

564.10 Jésus s’assied à côté de l’homme guéri et lui dit :

« Tu m’as parlé d’Hermastée comme d’un mort. Tu connais donc sa fin. Je ne veux qu’une chose de toi : que tu m’accompagnes à Ephraïm et que tu racontes son décès à un homme qui est avec moi. Puis je t’enverrai à Jéricho, chez une femme disciple, afin qu’elle te vienne en aide pour ton voyage de retour.

– Je t’accompagnerai si tu le désires, mais maintenant que je suis en bonne santé, je n’ai plus peur de mourir en route. Même l’herbe suffit à me nourrir et je n’ai pas honte de tendre la main, car ce n’est pas d’une manière crapuleuse, mais dans une intention juste que j’ai dépensé mes biens.

– Je le désire. Tu lui rapporteras que tu m’as vu et que je l’attends ici, que désormais elle peut venir et que personne ne l’importunera. Sauras-tu dire cela ?

– Je le saurai. Ah ! pourquoi te haïssent-ils, toi qui es si bon ?

– Parce que beaucoup d’entre eux ont en eux un esprit qui les y pousse. Allons. »

Jésus se met en route pour Ephraïm, et l’homme le suit avec assurance. Seule sa grande maigreur rappelle sa maladie et ses privations passées.

Pendant ce temps, du petit village descendent beaucoup de personnes qui crient et gesticulent. Elles appellent Jésus, lui demandent de s’arrêter. Mais au lieu de les écouter, Jésus hâte le pas, et elles le suivent…

Le voilà de nouveau dans le voisinage d’Ephraïm. Les cultivateurs qui se préparent à rentrer chez eux, car le soleil va se coucher, le saluent en observant l’homme qui l’accompagne.

564.11 D’un sentier débouche Judas. Surpris, il sursaute à la vue du Maître. Mais Jésus ne manifeste aucun étonnement. Il se contente de s’adresser à l’homme de Jabnia.

« Voici l’un de mes disciples. Parle-lui d’Hermastée.

– Eh ! c’est vite dit. Il était infatigable pour annoncer le Christ, même après qu’il voulut se séparer de son compagnon pour rester chez nous. Il déclarait que nous avions plus que tous besoin de te connaître, Rabbi ; il voulait t’annoncer dans sa patrie, et serait retourné à toi quand il aurait proclamé ton nom dans les moindres hameaux. Il vivait comme un pénitent. Si par pitié une personne lui donnait un pain, il la bénissait en ton nom. Si on lui jetait des pierres, il se retirait en bénissant tout autant. Il se nourrissait de fruits sauvages et de mollusques marins qu’il arrachait aux rochers ou tirait du sable. Plusieurs le traitaient de “ fou ” mais, au fond, personne ne lui voulait du mal. Tout au plus le chassait-on comme s’il était un oiseau de mauvais augure. Un beau jour, on l’a trouvé mort sur le chemin, tout près de mon village, sur la route qui entre en Judée, presque à la frontière. On n’a jamais su de quoi il est mort, mais on raconte tout bas qu’il a été tué par quelqu’un qui ne voulait pas que l’on annonce le Messie. Il avait une profonde blessure à la tête. On a supposé qu’il a été renversé par un cheval, mais je n’y crois pas. Il souriait, étendu dans la poussière. Oui, il paraissait sourire aux dernières étoiles de la plus sereine nuit d’Elul [6] et aux premiers rayons de soleil du matin. Il fut trouvé au point du jour par des jardiniers qui allaient en ville avec leurs légumes, et ils me l’ont appris quand ils sont passés pour prendre mes concombres. J’ai couru voir : il était dans une grande paix.

– Tu as entendu ? demande Jésus à Judas [7].

– J’ai entendu. Mais ne lui avais-tu pas annoncé qu’il allait te servir et aurait une longue vie ?

– Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. Le temps qui s’est passé assombrit tes souvenirs. Mais ne m’a-t-il pas servi en évangélisant en pays de mission, et n’a-t-il pas eu une longue vie ? Quelle vie pourrait être plus longue que lorsqu’elle est conquise par un homme qui meurt au service de Dieu ? Elle est non seulement longue, mais glorieuse aussi. »

Judas émet ce petit rire étrange qui me choque tellement, et il ne réplique rien.

564.12 Pendant ce temps, le groupe qui vient du hameau a rejoint des habitants d’Ephraïm et tous discutent en montrant Jésus.

Jésus ordonne à Judas :

« Accompagne cet homme à la maison et finis de le restaurer. Il partira après le sabbat, qui commence déjà. »

Judas obéit. Resté seul, Jésus marche lentement en se penchant pour observer les tiges des blés qui commencent à former des épis.

Des habitants d’Ephraïm lui disent :

« Il est beau, ce blé, n’est-ce pas ?

– Oui, mais pas différent de celui des autres régions.

– Certainement, Maître : c’est toujours du blé ! Et il doit forcément être pareil.

– C’est ce que vous pensez ? Alors le blé est meilleur que les hommes. En effet, pourvu qu’il soit semé comme il faut, il produit le même fruit ici qu’en Judée ou en Galilée, ou, disons, dans les plaines au bord de la Grande Mer. Les hommes, au contraire, ne donnent pas le même fruit. La terre aussi est meilleure que les hommes : quand on lui confie une semence, elle la fait germer, sans faire de différence selon que la graine vient de Samarie ou de Judée.

– C’est vrai. Mais pourquoi dis-tu que la terre et le blé sont meilleurs que les hommes ?

– Pourquoi ?… 564.13 Tout à l’heure, un homme a quémandé un pain, par pitié, aux portes d’un village. Il en a été chassé, car les gens l’ont cru judéen. Il a été chassé à coups de pierres et au cri de “ lépreux ”, qu’on lui attribuait à cause de sa maigreur, mais qui était due à sa maladie. Le malheureux a failli mourir de faim sur la route. Donc les gens de ce village, ces gens-là qui vous ont envoyés pour m’interroger et qui voudraient venir à la maison où je réside pour voir le miraculé, sont plus mauvais que le blé et la terre, parce qu’ils n’ont pas su — bien que je les travaille depuis longtemps — produire le même fruit que cet homme. Or celui-ci n’est ni juif, ni samaritain, il ne m’avait jamais vu ni entendu, mais il a accueilli les paroles d’un de mes disciples et a cru en moi sans me connaître. Mais ces gens sont plus mauvais que ces terres, puisqu’ils ont repoussé l’homme comme étant d’une autre semence. Et maintenant, ils voudraient venir pour satisfaire leur curiosité dévorante, eux qui n’ont pas su satisfaire la faim d’un homme à la dernière extrémité ! Dites-leur que le Maître ne satisfera pas cette vaine curiosité. Et apprenez tous la grande loi de l’amour, sans laquelle vous ne pourriez jamais me suivre. Ce n’est pas l’amour pour moi, ce n’est pas cela seulement qui sauvera vos âmes, mais l’amour de ma doctrine. Or ma doctrine enseigne l’amour fraternel sans distinction de race ni de fortune. Qu’ils s’en aillent donc, ces gens au cœur dur qui ont affligé mon cœur, et qu’ils se repentent s’ils veulent que je les aime. Car, souvenez-vous en tous, si je suis bon, je suis juste aussi ; si je ne fais pas de distinctions et si je vous aime autant que les autres hommes de Galilée et de Judée, cela ne doit pas vous rendre sottement orgueilleux d’être des préférés, ni vous permettre de mal agir, sous prétexte que vous n’auriez pas à craindre de reproches de ma part. Je fais des éloges ou des reproches, selon que la justice le veut, à mes parents et à mes apôtres comme à toute autre personne, et sous mes reproches il y a de l’amour. J’agis ainsi parce que je veux que la justice habite les cœurs, pour pouvoir récompenser un jour celui qui l’a pratiquée. Allez-le-leur rapporter, et que cette leçon produise du fruit en tous. »

Jésus s’enveloppe dans son manteau et se dirige rapidement vers Ephraïm en laissant ses interlocuteurs qui, l’air penaud, vont répéter les paroles du Maître aux habitants du petit village qui n’ont pas eu pitié.




[1] À noter que Maria Valtorta sent aussi les odeurs. Les visions sont en effet obtenues, à l’initiative de Dieu, par extension des cinq sens.

[2] Fleurs attestées en Palestine.

[3] Selon Maria Valtorta, Sichem serait donc déjà rebaptisée "Neapolis" (Nouvelle ville) avant sa destruction puis sa reconstruction en 72.

[4] Le fenouil sauvage abondant dans ces régions, a des particularités sédatives, mais aussi diurétique et laxative qui ont du accentuer la maigreur de l'homme de Jabnia.

[5] Il peut s'agir de deux sortes de chicorée : la chicorée épineuse (Cichorium spinosum), plutôt maritime ou la chicorée sauvage (Cichorium intybus)

[6] Eloul = Août pour l'année 29.

[7] Judas avait remis en cause la fidélité d'Hermastée : EMV 556.3.
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par sofoyal Sam 17 Avr - 22:29

Anayel a écrit:Bonjour @Sofoyal,

Je suis heureuse si cet épisode t'a plu ! Et je le suis plus encore s'il a parlé à ton coeur et qu'il te montre tout l'Amour que Jésus a pour les tiens Wink

Il est grand, notre Sauveur, et il a aimé tous les hommes, de toute origine.

C'est encore plus doux quand on trouve un passage où Jésus nous parle particulièrement, comme si cet extrait avait été écrit pour nous.

Plusieurs fois, il m'est arrivé de me dire : "Ce n'est pas possible, Jésus a dit ça en pensant à moi" et on bénit toujours davantage le Seigneur pour sa Providence et sa Miséricorde.

Et après, on dit, comme les disciples d'Emmanüs : "Notre coeur n'était-il pas brûlant pendant qu'il nous expliquait les Ecritures ?"

Et on reconnaît le Maître qui passe...

Fraternellement,
Anayel
Bonsoir Anayel!
Ton commentaire est parfaitement vrai.
L'esprit Saint, l'Esprit de Jésus qui a inspiré ces récits,
se tient bien près des âmes qui lisent et ont soif de Jésus 
et les atteint là ou ils se trouvent par différents moyens merveilleux de cette œuvre.
Nous pouvons vraiment rendre grâce à Dieu! sunny sunny sunny 

Je laisse mon dernier mot au vieux Salomon, guéri de la cécité par Jésus,
répondant à André qui l'interroge sur la plus grand qualité de Jésus. 
(La puissance ou la sainteté?) 



"Vieux père, écoute. D'après toi, de quoi a besoin Israël pour être grand, d'un roi ou d'un saint ?" demande André.




"C'est de Dieu qu'il a besoin. 
De ce Dieu qui là, à l'intérieur, prie et médite. 
Ah ! fils, fils ! Soyez bons, vous qui le suivez ! Soyez bons, bons, bons ! 
Ah ! quel don vous a fait le Seigneur ! Quel don ! Quel don !" 
et il s'en va, en levant les bras vers le ciel et en murmurant: 
"Quel don ! Quel don !"...          

Bon dimanche @Anayell!


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Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Signat10
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Dim 18 Avr - 21:04

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28
 
565. Samuel est troublé par Judas, qui ne comprend pas la nature de la souffrance salvifique. Les abeilles, modèle des ouvriers de Dieu
 
Ancienne édition : Tome 8, chapitre 26.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 565.
 
Le 10 février 1947.
 
Jeudi 7 mars 30
Ephraïm


565.1 Je vois encore Jésus avancer lentement dans l’épaisse forêt, à l’ouest d’Ephraïm. Il est seul et plongé dans ses pensées. Du torrent monte le gargouillis de l’eau, et des arbres proviennent des chants d’oiseaux. La vive lumière du soleil printanier répand sa douceur sous l’enchevêtrement des branches, et la marche est silencieuse sur le tapis d’herbes luxuriantes. Les rayons du soleil dessinent un tableau mobile de disques ou de rayures dorées sur la verdure de l’herbe, et quelque fleur encore couverte de rosée, frappée en plein fouet par un disque de lumière alors que l’ombre règne tout autour, resplendit comme si ses pétales étaient des pierres précieuses.

Jésus monte vers un escarpement qui s’avance comme un bal­con au-dessus du vide. Il s’y dresse un chêne colossal. Des branches flexibles de mûrier sauvage ou d’églantier, de lierre et de chèvrefeuille [1] manquant de place et de point d’appui sur cette plateforme trop resserrée pour leur exubérante vitalité, se renversent dans le vide comme une chevelure ébouriffée et dénouée, et se tendent dans l’espoir de pouvoir s’accrocher à quelque tuteur.

Voilà Jésus parvenu à la hauteur de l’escarpement. Il se dirige vers la pointe la plus avancée, en écartant l’enchevêtrement des buissons. Une bande d’oiseaux s’enfuit dans un froufrou d’ailes et avec des cris effrayés.

565.2 Jésus s’arrête pour observer l’homme qui l’a précédé là-haut : à plat ventre sur l’herbe, presque au bord du précipice, et, les coudes appuyés au sol, le visage posé sur les mains, il regarde dans le vide, vers Jérusalem. C’est Samuel, l’ancien élève de Jonathas ben Uziel. Il est pensif, il soupire, il hoche la tête…

Jésus secoue des branches pour attirer son attention et, comme sa tentative est vaine, il ramasse dans l’herbe un gros caillou et le fait rouler en bas du sentier.

Le bruit de la pierre, qui rebondit sur la pente, fait sursauter le jeune homme, qui se retourne, l’air supris :

« Qui est là ?

– Moi, Samuel. Tu m’as précédé à l’un de mes endroits préférés de prière, dit Jésus en apparaissant de derrière le tronc puissant du chêne placé à la limite du sentier, et il le fait comme s’il venait d’arriver là.

– Oh ! Maître ! J’en suis désolé… Mais je vais te laisser tout de suite la place ! »

Samuel se lève en hâte et ramasse son manteau, qu’il avait enlevé pour l’étendre sous lui.

« Non, pourquoi ? Il y a de la place pour deux. L’endroit est si beau, ainsi isolé, solitaire, suspendu au-dessus du vide, avec tant de lumière et l’horizon par devant ! Pourquoi veux-tu le quitter ?

– Mais… pour te laisser prier…

– Et ne pouvons-nous pas le faire ensemble, ou même méditer, en parlant, en élevant notre esprit vers Dieu et, sans plus tenir compte des hommes et de leurs défauts, en pensant à Dieu notre Père et le bon Père de tous ceux qui le cherchent et l’aiment avec bonne volonté ? »

Samuel fait un geste de surprise quand Jésus dit : “ sans plus tenir compte des hommes et de leurs défauts… ” mais il ne réplique pas, et retourne à sa place.

565.3 Jésus s’assied à côté de lui sur l’herbe et reprend :

« Installe-toi ici et restons ensemble. Vois comme l’horizon est limpide aujourd’hui. Si nous avions des yeux d’aigles, nous pourrions voir les villages sur les sommets des monts qui entourent comme une couronne Jérusalem. Peut-être même verrions-nous un point resplendissant dans l’air comme une pierre précieuse qui ferait battre notre cœur : les dômes dorés de la Maison de Dieu… Regarde : là se trouve Béthel. On distingue ses maisons blanches, et là-bas, au-delà de Béthel, se trouve Bérot. Quelle fourberie subtile est celle des anciens habitants de l’endroit et de ses environs ! Mais la tromperie a beau n’être jamais une bonne arme, il en est résulté du bien, puisqu’elle les a mis au service du vrai Dieu. Il faut toujours abandonner les honneurs humains pour acquérir la proximité du divin, même si les honneurs humains étaient nombreux et de grande valeur, et la proximité du divin humble et inconnue. N’est-ce pas ?

– Oui, Maître, tu parles bien. C’est exactement ce qui m’est arrivé.

– Mais tu es triste, alors que ton changement devrait te réjouir. Tu es triste, tu souffres, tu t’isoles, tu regardes vers les lieux que tu as quittés. Tu as l’air d’un oiseau prisonnier qui, serré contre les barreaux de sa prison, regarde avec regret le lieu qu’il a aimé. Je ne te dis pas de ne pas le faire : tu es libre. Tu peux t’en aller et…

– Seigneur, Judas t’a peut-être parlé en mal de moi pour que tu t’adresses à moi de cette façon ?

– Non. Judas ne m’a rien dit. Ce n’est pas à moi qu’il a parlé, mais à toi. Et c’est la raison pour laquelle tu es triste et tu t’isoles, pris par le découragement.

– Seigneur, si tu connais cela sans que personne te l’ait relaté, tu sauras aussi que, si je suis triste, ce n’est pas par désir de te quitter, par repentir de m’être converti, par nostalgie du passé… et pas davantage par peur des hommes, cette peur de leurs châtiments que l’on voudrait m’insinuer. 565.4 Je regardais dans cette direction, c’est vrai. Je regardais vers Jérusalem, mais pas poussé par quelque désir d’y retourner — d’y retourner comme j’étais auparavant. Y retourner comme tout israélite aime à entrer dans la Maison de Dieu et à adorer le Très-Haut, j’en ai certainement le désir, comme nous tous, et je ne crois pas que tu puisses me le reprocher.

– Je suis le le premier, dans ma double Nature, à désirer cet autel, et je voudrais le voir entouré de sainteté comme il convient. En tant que Fils de Dieu, tout ce qui lui rend honneur a pour moi une voix pleine de douceur, et en tant que Fils de l’homme, en tant qu’israélite, et par conséquent Fils de la Loi, je considère le Temple et l’autel comme le lieu le plus sacré d’Israël, celui où notre humanité peut s’approcher du Divin et se parfumer dans l’atmosphère qui entoure le trône de Dieu. Je ne supprime pas la Loi, Samuel. Elle m’est sacrée parce que donnée par mon Père. Je la perfectionne et j’y ajoute des parties nouvelles. Etant le Fils de Dieu, je puis le faire. C’est pour cela que le Père m’a envoyé. Je viens fonder le Temple spirituel de mon Eglise, et contre ce Temple ni hommes ni démons ne prévaudront [2]. Mais les tables de la Loi n’y auront pas qu’une place d’honneur, car elles sont éternelles, parfaites, intouchables. Le “ ne pas faire tel ou tel péché ” ordonné dans ces tables, qui contiennent dans leurs brièveté lapidaire tout ce qu’il faut pour être juste aux yeux de Dieu, n’est pas supprimé par ma parole. Au contraire, je vous répète moi aussi ces dix commandements. Seulement, je vous demande de les observer avec perfection, c’est-à-dire non pas par peur de la colère de Dieu contre ses transgresseurs, mais par amour pour votre Dieu qui est Père. Je viens mettre votre main de fils dans celle de votre Père. Depuis tant de siècles, ces mains sont séparées ! Le châtiment séparait et la Faute aussi. Une fois venu le Rédempteur, le péché va être annulé. Les barrières tombent, vous êtes de nouveau les enfants de Dieu.

– C’est vrai. Tu es bon et tu réconfortes, toujours. Et tu sais. Je ne te dirai donc pas mon angoisse. 565.5 Mais je te demande : pourquoi les hommes sont-ils si pervers, si fous, si stupides ? Comment, quels procédés ont-ils pour pouvoir si diaboliquement suggérer le mal ? Et nous, comment sommes-nous aveugles au point de ne pas voir la réalité et de croire à leurs mensonges ? Comment pouvons-nous devenir de tels démons, et le rester quand on est près de toi ? Je regardais là-bas, et je pensais… Oui, je pensais aux nombreux ruisseaux de poison qui sortent de là pour troubler les enfants d’Israël. Je me demandais comment la sagesse des rabbis peut s’allier à tant de perversité, qui altère la vérité pour induire en erreur. Je pensais, surtout cela, parce que… »

Samuel, qui avait parlé avec fougue, s’arrête et baisse la tête. Jésus termine la phrase :

« … parce que Judas, mon apôtre, est ce qu’il est ; il me peine, moi, mais aussi ceux qui m’entourent ou viennent à moi, comme tu es venu. Je le sais. Judas essaie de t’éloigner d’ici et t’adresse des insinuations et des railleries…

– Et pas qu’à moi ! Oui, il a empoisonné ma joie d’être entré dans la justice. Il me l’empoisonne avec un tel art que je pense être ici comme un traître pour toi et pour moi. Pour moi, parce que j’ai l’illusion d’être meilleur, alors que je serai cause de ta ruine. En effet, je ne me connais pas encore… et je pourrais, en rencontrant ceux du Temple, renoncer à ma résolution et être… Oh ! si je l’avais fait auparavant, j’aurais eu l’excuse de ne pas te connaître pour ce que tu es, car je savais de toi uniquement ce qu’on me rapportait, pour faire de moi un maudit. Mais si je le faisais maintenant ! Quelle sera la malédiction de celui qui trahira le Fils de Dieu ! C’est pourquoi j’étais ici… pensif, oui. Je me demandais où fuir pour me sauver de moi-même et d’eux. Je pensais fuir en quelque lieu lointain pour me joindre à la Diaspora… Au loin, au loin, pour empêcher le démon de me faire pécher… Il a raison, ton apôtre, de se méfier de moi. Lui me connaît, car il nous connaît tous, en connaissant les chefs… Et il a raison de douter de moi. Quand il insinue : “ Tu ignores donc qu’il nous annonce lui-même que nous serons faibles ? Réfléchis bien : il y a d’un côté nous, les apôtres, qui sommes avec lui depuis si longtemps. De l’autre côté toi, empoisonné comme tu l’es par le vieil Israël, qui viens juste d’arriver, et cela à un moment qui nous fait trembler, tu crois avoir la force de te garder juste ? ” Il a raison de dire cela. »

L’homme, découragé, baisse la tête.

565.6 « Que d’accablement les fils de l’homme savent se causer ! En vérité, Satan sait se servir de cette tendance pour les terroriser tout à fait et les séparer de la Joie qui vient à leur rencontre pour les sauver. Car la tristesse de l’esprit, la peur du lendemain, les préoccupations sont toujours des armes que l’homme remet entre la main de son adversaire. Celui-ci l’effraie avec les fantômes mêmes que l’homme se crée. Certains vont jusqu’à s’allier à Satan pour l’aider à épouvanter leurs frères. Mais, mon fils, n’y a-t-il donc pas un Père dans le Ciel ? Un Père qui pourvoit pour ce brin d’herbe dans cette fissure de la roche — cette fissure remplie de terreau, disposée de telle façon que l’humidité des rosées, en glissant sur la pierre lisse, se recueille dans ce petit sillon, pour que le brin puisse vivre et fleurir avec cette minuscule fleur, dont la beauté n’est pas moins admirable que celle du grand soleil qui resplendit là-haut : l’un et l’autre sont des œuvres parfaites du Créateur. Si donc le Père veille sur ce brin d’herbe poussé sur une roche, pourrait-il ne pas prendre soin de l’un de ses enfants qui veut fermement le servir ? Ah ! en vérité, Dieu ne déçoit pas les “ bons ” désirs de l’homme, car c’est lui-même qui les allume dans votre cœur. Dans sa prévoyance et sa sagesse, c’est lui qui crée les circonstances qui vont favoriser le désir de ses enfants, et non seulement cela, mais aussi redresser et perfectionner un désir de l’honorer qui a pris des voies imparfaites, pour l’amener à prendre le bon chemin. Tu étais parmi ceux-ci. Tu croyais, tu voulais, tu étais convaincu d’honorer Dieu en me persécutant. Le Père a vu que, dans ton cœur, il n’y avait pas de haine pour Dieu, mais une aspiration à lui rendre gloire en retirant du monde Celui que les membres du Sanhédrin t’avaient désigné comme l’ennemi de Dieu et le corrupteur des âmes. Il a donc suscité les circonstances favorables pour exaucer ton désir de rendre gloire à ton Seigneur. Et voilà que tu es parmi nous. Peux-tu imaginer que Dieu t’abandonne, maintenant qu’il t’a amené ici ? C’est seulement si, toi-même, tu l’abandonnes que la force du mal pourra te dominer.

– Je ne souhaite pas cela. Ma volonté est sincère ! proclame Samuel.

– Dans ce cas, de quoi te préoccupes-tu donc ? De la parole d’un homme ? Laisse-le parler. Il pense avec ce qu’il est, or une pensée humaine est toujours imparfaite. 565.7 Mais je vais y pourvoir.

– Je ne voudrais pas que tu lui fasses des reproches. Il me suffit que tu m’assures que je ne pécherai pas.

– Je te l’assure. Il ne t’arrivera rien, parce que tu refuses que cela t’arrive. Car, tu vois, mon fils, il ne te servirait à rien d’aller dans la Diaspora, et même au bout du monde, pour préserver ton âme de la haine envers le Christ et du châtiment mérité. Beaucoup en Israël ne se souilleront pas matériellement du Crime, mais ne seront pas moins coupables que ceux qui me condamneront et exécuteront la sentence. Avec toi, je puis parler de ces choses, car tu sais déjà que tout est disposé dans ce but. Tu connais le nom et la pensée des plus acharnés contre moi. Tu l’as dit : “ Judas nous connaît tous, car il connaît tous les chefs. ” Mais si lui vous connaît, même vous, qui jouez un moindre rôle — vous êtes comme de petites étoiles en face des planètes de grande taille —, vous savez tout autant ce que l’on prépare, comment on s’y prend, qui est à l’œuvre, quels complots on mijote, quels moyens on étudie… Je peux donc parler avec toi. Cela me serait impossible avec les autres… Les autres ne savent pas souffrir et compatir comme moi…

– Maître, mais comment peux-tu, le sachant, être ainsi… 565.8 Mais qui monte par le sentier ? »

Samuel se lève pour regarder. Il s’écrie :

« Judas !

– Oui, c’est moi. On m’a dit que le Maître s'est dirigé par ici, mais c’est toi que je trouve ! Je retourne donc sur mes pas pour te laisser à tes pensées. »

Et il émet son petit rire, plus lugubre que la plainte d’une chouette, tant il manque de sincérité.

« Moi aussi, je suis là. On me demande au village ? dit Jésus en apparaissant derrière Samuel.

– Toi ! Tu étais en bonne compagnie, Samuel ! Et toi aussi, Maître…

– Oui, la compagnie d’une personne qui embrasse la justice est toujours bonne. Tu me cherchais pour rester avec moi ? Alors viens. Il y a de la place pour toi, comme pour Jean s’il était avec toi.

– Il est en bas, occupé avec d’autres pèlerins.

– S’il y a des pèlerins, il va me falloir rentrer.

– Non, ils restent toute la journée de demain. Jean est en train de les installer dans nos lits pour leur séjour. 565.9 Il est heureux de le faire. D’ailleurs, tout le réjouit. Vous vous ressemblez vraiment, et je ne sais pas comment vous faites pour être toujours heureux, même pour ce qu’il y a de plus… affligeant.

– C’est cette question que j’allais poser quand tu es arrivé ! s’écrie Samuel.

– Ah oui ! Toi aussi, alors, tu ne te sens pas heureux, et tu t’étonnes que d’autres, dans des conditions encore plus… difficiles que les nôtres, puissent l’être.

– Je ne suis pas malheureux, je ne parle pas pour moi. Mais je me demande de quelle source vient la sérénité du Maître, qui n’ignore pas son avenir, et que pourtant rien ne trouble.

– Mais d’une source céleste ! C’est naturel ! Il est Dieu ! Tu en doutes peut-être ? Un Dieu peut-il souffrir ? Il est au-dessus de la douleur. L’amour du Père est pour lui comme… comme un vin enivrant. Un vin enivrant est pour lui la conviction que ses actes… servent au salut du monde. D’ailleurs… peut-il avoir les réactions physiques que nous, humbles hommes, nous avons ? Cela est contraire au bon sens. Si Adam innocent ne connaissait aucune espèce de douleurs, et ne les aurait jamais connues s’il était resté innocent, Jésus le… super-innocent, la créature… je ne sais comment la qualifier : incréée puisqu’elle est Dieu, ou créée puisqu’elle a des parents… oh ! que de “ questions ” insolubles pour les hommes à venir, mon Maître ! Si Adam fut exempt de la douleur en raison de son innocence, peut-on imaginer que Jésus ait à souffrir ? »

Jésus garde la tête penchée. Il s’est assis de nouveau sur l’herbe. Ses cheveux voilent son visage. Je ne vois donc pas son expression. Samuel et Judas, eux, sont debout et se font face.

Samuel réplique :

« Mais s’il doit être le Rédempteur, il doit réellement souffrir. Tu ne te rappelles pas David et Isaïe ?

– Je me les rappelle, évidemment ! Mais eux, tout en reconnaissant la figure du Rédempteur, ne voyaient pas le secours immatériel que le Rédempteur allait obtenir pour être… disons : torturé, sans ressentir de douleur.

– Et quel secours ? Une créature pourra aimer la souffrance, ou la subir avec résignation, selon sa perfection de justice. Mais elle la sentira toujours. Autrement… si on n’éprouvait rien… ce ne serait pas une souffrance.

– Jésus est Fils de Dieu.

– Mais ce n’est pas un fantôme ! C’est une vraie chair ! La chair souffre si elle est torturée. C’est un homme véritable ! La pensée de l’homme souffre s’il est offensé et si on fait de lui un objet de mépris.

– Son union avec Dieu estompe en lui les sensations humaines. »

565.10 Jésus relève la tête et prend la parole :

« En vérité je te dis, Judas, que je souffre et souffrirai comme tout homme, et plus que tout homme. Mais je peux être heureux malgré cela, de la sainte félicité spirituelle de ceux qui ont obtenu la libération des tristesses de la terre pour avoir embrassé la volonté de Dieu comme leur unique épouse. Si je le peux, c’est parce que j’ai dépassé le concept humain du bonheur, la quête inquiète du bonheur, tel que les hommes se le représentent. Je ne recherche pas ce qui, selon l’homme, constitue le bonheur ; mais je mets ma joie en ce qui est précisément à l’opposé de ce que l’homme poursuit. Ce que l’homme fuit et méprise, parce qu’il le considère comme un fardeau et un mal, représente pour moi ce qu’il y a de plus doux. Je ne regarde pas l’heure, mais les conséquences que l’heure peut créer dans l’éternité. Mon épisode cesse, mais son fruit dure. Ma souffrance a une fin, mais les mérites de cette souffrance n’ont pas de fin. Du reste, que ferais-je d’un moment de “ bonheur ” tel qu’on le considère sur la terre, un moment atteint après une poursuite de plusieurs années, si ensuite ce moment ne peut m’accompagner dans l’éternité en tant que joie, et quand j’aurais dû en profiter pour moi seul, sans en faire part à ceux que j’aime ?

– Mais si tu triomphais, une partie de ta félicité nous reviendrait, à nous qui te suivons ! s’écrie Judas.

– Vous ? Qu’êtes vous en comparaison des multitudes passées, présentes et à venir, auxquelles ma souffrance procurera la joie ? Je vois bien au-delà de la félicité terrestre. Je plonge mon regard au-delà, dans le surnaturel. Je vois ma douleur se changer en joie éternelle pour une foule de créatures. Et j’embrasse la souffrance comme la plus grande force pour atteindre la félicité parfaite, qui est celle d’aimer le prochain jusqu’à souffrir pour lui donner la joie. Jusqu’à mourir pour lui.

– Je ne comprends pas cette félicité, déclare Judas.

– Tu n’es pas encore sage, autrement tu la comprendrais.

– Et Jean l’est ? Il est plus ignorant que moi !

– Humainement, oui. Mais il possède la science de l’amour.

– D’accord. Mais je ne crois pas que l’amour empêche les bâtons d’être des bâtons et les pierres d’être des pierres et de faire souffrir les chairs qu’ils frappent. Tu dis toujours que la douleur t’est chère, parce qu’elle est pour toi amour. Mais quand tu seras réellement pris et torturé, si toutefois c’est possible, je ne sais pas si tu auras le même avis. Pense à cela pendant que tu peux fuir la souffrance. Elle sera terrible, tu sais ? Si les hommes peuvent te capturer… ils n’auront pas d’égards pour toi ! »

Jésus le regarde. Il est très pâle. Ses yeux bien ouverts semblent voir, au-delà du visage de Judas, tous les supplices qui l’attendent, et pourtant, malgré leur tristesse, ils restent pleins de douceur et surtout de sérénité : ce sont les yeux limpides d’un innocent en paix. Il répond :

« Je le sais. Je sais même ce que tu ignores. Mais j’espère en la miséricorde de Dieu. Lui, qui est miséricordieux envers les pécheurs, fera preuve de miséricorde à mon égard aussi. Je ne lui demande pas de ne pas souffrir, mais de savoir souffrir. 565.11 Et maintenant, partons. Samuel, précède-nous un peu et avertis Jean que nous serons bientôt au village. »

Samuel s’incline et s’éloigne rapidement.

Jésus commence à descendre. Le sentier est si étroit qu’ils doivent avancer l’un derrière l’autre, mais cela n’empêche pas Judas de parler :

« Tu te fies trop à cet homme, Maître. Je t’ai dit ce qu’il est : des disciples de Jonathas, c’est le plus exalté et le plus facile à rendre exalté. De toutes façons, maintenant, c’est trop tard. Tu t’es livré entre ses mains. C’est un espion près de toi. Et toi, qui plus d’une fois et les autres plus que toi, avez pensé que moi j’en étais un ! Moi, je ne suis pas un espion. »

Jésus s’arrête et se retourne. La douleur et la majesté se fondent dans son visage et dans son regard qui dévisage l’apôtre. Il dit :

« Non, tu n’es pas un espion : tu es un démon. Tu as dérobé au Serpent sa prérogative de séduire et de tromper pour détacher de Dieu. Ton comportement n’est ni pierre ni bâton, mais il me blesse davantage qu’un coup de pierre ou de bâton. Ah ! rien ne contribuera autant à mon atroce souffrance, que ton comportement pour faire subir le martyre au Martyr. »

Jésus se couvre le visage de ses mains, comme pour se cacher l’horreur, puis descend au pas de course le sentier.

Judas crie derrière lui :

« Maître ! Maître ! Pourquoi me fais-tu de la peine ? Cet homme faux t’a certainement raconté des calomnies… Ecoute-moi, Maître ! »

Mais Jésus ne l’écoute pas. Il court, il vole dans la descente. Il passe sans s’arrêter à côté des bûcherons ou des bergers qui le saluent. Il passe, salue, mais ne s’arrête pas. Judas se résigne à se taire…

565.12 Ils sont presque en bas quand ils croisent Jean qui, avec son visage limpide, qu’éclaire son paisible sourire, est en train de monter à leur rencontre. Il tient par la main un petit enfant qui babille en suçant un rayon de miel.

« Maître, me voici ! Ce sont des gens de Césarée de Philippe. Ils ont appris ta présence ici, et ils sont venus. Comme c’est étrange ! Personne n’a parlé, et tout le monde sait où tu es ! Maintenant, ils se reposent. Ils sont très fatigués. Je suis allé me faire donner par Dina du lait et du miel, car il y a un malade. Je l’ai mis dans mon lit. Je n’ai pas peur. Et le petit Hanne a voulu venir avec moi. Ne le touche pas, Maître, il est tout poissé de miel. »

Et le bon Jean rit, lui qui a sur ses vêtements de nombreuses gouttes de miel et des marques de doigts tachés. Il rit en cherchant à retenir le bambin, qui voudrait aller offrir à Jésus son rayon de miel à moitié sucé et qui crie :

« Viens. Il y en a des quantités pour toi !

– Oui. On est en train d’enlever les rayons chez Dina. Je le savais. Ses abeilles ont essaimé depuis peu » explique Jean.

565.13 Ils se remettent en route pour arriver à la première maison où retentit encore le tam-tam dont se servent les apiculteurs, je ne sais pas exactement pour quelle raison. Des grappes d’abeilles — on croirait voir de grosses pignes d’un drôle de raisin — pendent à certaines branches, et des hommes les recueillent pour les porter aux nouvelles ruches. Plus loin, des abeilles qui bourdonnent inlassablement sortent des ruches déjà installées et y rentrent.

Des hommes saluent, et une femme accourt avec de très beaux rayons qu’elle offre à Jésus.

« Pourquoi t’en priver ? Tu en as déjà donné à Jean…

– Mes abeilles ont produit une récolte abondante. Cela ne me gêne pas d’en offrir. Mais bénis les nouveaux essaims. Regarde : ils sont en train de recueillir le dernier. Cette année, nous avons eu deux fois plus de ruches. »

Jésus se dirige vers les minuscules cités des abeilles et les bénit une par une, en levant la main au milieu du bourdonnement des ouvrières qui n’arrêtent pas leur travail.

« Elles sont en fête, et bien agitées. C’est pour elles une demeure nouvelle… remarque un homme.

– Et de nouvelles noces. On dirait vraiment des femmes qui préparent la fête nuptiale, dit un autre.

– Oui, mais les femmes jacassent plus qu’elles ne travaillent. Celles-ci, au contraire, œuvrent en silence, et même les jours de festin de noces. Elles sont sans cesse à la peine pour établir leur royaume et y accumuler leurs richesses, répond un troisième.

– Travailler toujours pour la vertu, c’est permis, c’est même un devoir. Travailler sans arrêt pour le seul profit, non. Ne peuvent le faire que ceux qui ignorent qu’il y a un Dieu, et qu’il faut l’honorer un jour par semaine. Travailler en silence, c’est un mérite que tout le monde devrait apprendre des abeilles, car c’est la condition qui permet d’accomplir une œuvre sainte. Soyez donc comme vos abeilles dans la justice : inlassables et silencieux. Dieu voit. Dieu récompense. Paix à vous » dit Jésus.

565.14 Une fois seul avec ses apôtres, il ajoute :

« Et c’est spécialement aux ouvriers de Dieu que je propose les abeilles comme modèles. Elles déposent dans le secret de la ruche le miel formé en elles par un travail infatigable sur des corolles saines. Leur fatigue n’est même pas visible, tant elles travaillent avec bonne volonté, en voletant de fleur en fleur telles des points d’or, avant d’entrer, chargées de sucs, pour élaborer leur miel dans l’intimité des cellules. Il faudrait savoir les imiter. Choisir les enseignements, les doctrines, les amitiés saines, capables de produire des sucs d’une vertu véritable, et puis savoir s’isoler pour élaborer, à partir de ce que l’on a récolté avec entrain, la vertu, la justice — qui est comme le miel extrait de nombreux éléments sains —, sans oublier la bonne volonté sans laquelle les sucs pris çà et là ne servent à rien. Savoir méditer humblement, dans le fond de notre cœur, sur ce que nous avons vu et entendu de bon, sans être envieux si, à côté des abeilles ouvrières, il y a la reine, c’est-à-dire quelqu’un de plus juste que ne l’est celui qui médite. Toutes les abeilles sont nécessaires dans la ruche, aussi bien les ouvrières que les reines. Malheur si toutes étaient des reines, malheur si toutes étaient des ouvrières. Elles mourraient aussi bien les unes que les autres. Car les reines n’auraient pas de nourriture pour procréer s’il n’y avait pas d’ouvrières, et les ouvrières cesseraient d’exister si les reines ne procréaient pas. N’envions pas les reines. Elles aussi ont leur fatigue et leur pénitence. Elles ne voient le soleil qu’une seule fois, dans l’unique vol nuptial. Avant et après, elles butent sans cesse contre la clôture entre les parois ambrées de la ruche. A chacun son devoir ; or chaque devoir est un choix, et tout choix est une charge en plus d’un honneur. Les ouvrières ne perdent pas leur temps à des vols inutiles ou dangereux sur des fleurs malades et vénéneuses. Elles ne tentent pas l’aventure, elles ne désobéissent pas à leur mission, elles ne se révoltent pas contre la fin pour laquelle elles ont été créées. Quels admirables petits êtres ! Que d’enseignements pour les hommes !… »

Jésus se tait, perdu dans sa méditation.

565.15 Judas se souvient tout à coup qu’il doit aller je ne sais où, et il part en courant. Il reste Jésus et Jean. Sans se faire remarquer, Jean porte sur Jésus un regard attentif, affectueusement angoissé. Jésus lève la tête et se tourne un peu pour rencontrer le regard du Préféré qui le scrute. Son visage s’éclaire alors qu’il l’attire à lui.

Jean, ainsi enlacé, demande tout en marchant :

« Judas t’a encore fait souffrir, n’est-ce pas ? Et il doit avoir troublé aussi Samuel.

– Pourquoi ? Samuel t’en a-t-il parlé ?

– Non. Mais j’ai compris. Il a dit seulement : “ Généralement, en vivant près de quelqu’un qui est vraiment bon, on devient bon. Mais Judas ne l’est pas, bien qu’il vive avec le Maître depuis trois ans. Il est profondément corrompu et la bonté du Christ ne pénètre pas en lui, tant il est rempli de perversité. ” Je n’ai su que dire… car c’est vrai… 565.16 Mais pourquoi Judas est-il ainsi ? Est-il possible qu’il ne change jamais ? Et pourtant… nous avons tous les mêmes enseignements… et quand il est venu parmi nous, il n’était pas pire que nous…

– Mon Jean ! Mon doux enfant ! »

Jésus dépose un baiser sur son front découvert et si pur, et lui murmure dans les cheveux qui se soulèvent blonds et légers :

«Certaines personnes semblent vivre pour détruire le bien qui est en elles. Tu es pêcheur, et tu sais comment réagit la voile quand le tourbillon la presse. Elle s’incline tellement vers l’eau qu’elle pourrait renverser la barque et devenir dangereuse pour elle, de sorte qu’il faut parfois l’abaisser et se passer d’aile pour aller au nid. Car la voile, prise par le tourbillon, n’est plus une aile, mais du lest qui l’entraine au fond, à la mort, au lieu de l’amener à terme. Mais si le souffle féroce du tourbillon s’apaise, ne serait-ce que de courts instants, la voile redevient aussitôt une aile et court rapidement vers le port pour conduire au salut. Il en est ainsi de beaucoup d’âmes. Il suffit que le tourbillon des passions s’apaise pour que l’âme abaissée, et pour ainsi dire submergée par… par ce qui n’est pas bon, recommence à avoir des aspirations vers le Bien.

– Oui, Maître. Mais avec cela… dis-moi… est-ce que Judas arrivera jamais à ton port ?

– Ne me fais pas regarder l’avenir de l’un de mes plus chers apôtres ! J’ai devant moi l’avenir de millions d’âmes pour lesquelles mes souffrances seront vaines… J’ai devant moi toutes les souillures du monde… La nausée me bouleverse. La nausée de tout ce bouillonnement d’abjections qui, à la manière d’un fleuve, couvre la terre et la couvrira, sous des aspects divers, mais toujours horribles pour la Perfection, jusqu’à la fin des siècles. Ne me fais pas regarder cela ! Laisse-moi me désaltérer et me réconforter à une source qui ignore la corruption, afin que j’oublie la pourriture d’un trop grand nombre, en te regardant toi seul, toi qui es ma paix ! »

Et, les yeux dans les yeux, son regard plongé dans les yeux limpides de l’apôtre vierge et affectueux, il lui donne encore un baiser…

565.17 Ils entrent dans la maison. Dans la cuisine se trouve Samuel, qui casse du bois pour épargner à la vieille Marie la fatigue d’allumer le feu.

Jésus s’adresse à la femme :

« Les pèlerins dorment-ils ?

– Je crois que oui. Je n’entends aucun bruit. Je vais maintenant porter de l’eau à leurs montures. Elles sont sous le hangar.

– Je m’en charge, mère. Va plutôt chez Rachel. Elle m’a promis du fromage frais. Dis-lui que je la paierai le jour du sabbat » dit Jean, en empoignant les deux récipients pleins d’eau.

Resté seul avec Samuel, Jésus s’approche de l’homme qui, penché sur le feu, souffle pour allumer la flamme, et il lui pose la main sur l’épaule :

« Judas nous a interrompus là-haut… Je veux te dire que je t’enverrai avec les apôtres le lendemain du sabbat. Peut-être préfères-tu cela…

– Merci, Maître. Je regrette de m’éloigner de toi, mais chez tes apôtres je te retrouve encore ; effectivement, j’aime mieux rester loin de Judas. Je n’osais pas te le demander…

– Parfait, c’est décidé. Et, comme moi, aie pitié de lui. N’en parle ni à Pierre ni à qui que ce soit d’autre…

– Je sais me taire, Maître.

– Plus tard arriveront les disciples, au nombre desquels Hermas et Etienne ainsi qu’Isaac — ce sont deux sages et un juste —, et beaucoup d’autres. Tu te trouveras bien, parmi de vrais frères.

– Oui, Maître. Tu comprends et tu secours. Tu es vraiment le bon Maître. »

Et il se penche pour baiser la main de Jésus.




[1] La présence de ces plantes est attestée en Palestine.

[2] Matthieu 16,18 : Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle..
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Lun 19 Avr - 21:07

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28
 
[justify]566. A Ephraïm, le jour de l'arrivée de Marie avec Lazare et les femmes disciples. Le caractère de Pilate
 
Ancienne édition : Tome 8, chapitre 27.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 566.
 
Le 12 février 1947.
 
Samedi 9 mars 30
Ephraïm


      566.1 Tout le monde est déjà debout dans la maison de Marie, femme de Jacob, bien que le jour se lève à peine. Je suppose que c’est un jour de sabbat, car je vois les apôtres, habituellement en mission. Les uns et les autres s’activent à faire de grands préparatifs de feu et d’eau chaude, à tamiser la farine ou à pétrir le pain pour aider Marie. La vieille femme est très agitée, d’une agitation de fillette, et, tout en travaillant énergiquement, elle demande à l’un ou l’autre :

      « C’est vraiment pour aujourd’hui ? Est-ce que les autres pièces sont prêtes ? Vous êtes sûrs qu’elles ne sont pas plus de sept ? »

      Pierre, qui est en train d’écorcher un agneau pour le préparer à la cuisson, lui répond pour tous :

      « Elles devaient être ici avant le sabbat, mais peut-être que les femmes n’étaient pas encore prêtes et ont ainsi pris du retard. Mais elles vont sûrement arriver aujourd’hui. J’en suis bien content ! Le Maître est sorti ? Il est peut-être allé à leur rencontre…

      – Oui, il est sorti avec Jean et Samuel en direction de la route de la Samarie centrale, répond Barthélemy, qui sort avec un broc rempli d’eau bouillante.

      – Dans ce cas, nous pouvons être certains qu’elles approchent. Lui, il sait toujours tout, déclare André.

      – Je voudrais savoir pourquoi tu ris ainsi : qu’est-ce qu’il y a de risible dans ce que dit mon frère ? demande Pierre, qui a remarqué le ricanement de Judas, inoccupé dans son coin.

      – Ce n’est pas ton frère qui me fait rire. Vous êtes tous heureux, et je peux bien l’être moi aussi, et rire même sans raison. [1] »

      Pierre le regarde en montrant clairement ce qu’il en pense, mais il retourne s’occuper de son travail.

      « Voilà ! J’ai réussi à trouver une branche fleurie, même si ce n’est pas de l’amandier, comme je l’aurais souhaité. Mais à l’époque où l’amandier n’a pas de fleurs, Marie elle-même prend d’autres branches, et elle se contentera de la mienne » dit Jude qui rentre, dégoulinant de rosée comme s’il était allé dans les bois, une gerbe de branches fleuries dans les bras.

      C’est un miracle de blancheur humide de rosée qui paraît éclairer et embellir la cuisine.

      « Qu’elles sont belles ! Où les as-tu trouvées ?

      – Chez Noémie. Je savais que son verger est tardif, à cause de la tramontane qui ralentit son développement, et je suis monté là-haut.

      – C’est pour cela que tu ressembles à un arbre des forêts. Les gouttes de rosée brillent dans tes cheveux et ont trempé tes vêtements.

      – Le sentier était humide comme s’il avait plu. Ce sont déjà les rosées abondantes des plus beaux mois. »

      Jude s’éloigne avec ses fleurs et, quelque temps plus tard, appelle son frère pour qu’il l’aide à les disposer.

      « Je viens. Moi, je m’y connais. Femme, n’as-tu pas quelque am­phore au col élancé, si possible en terre rouge ? demande Thomas.

      – J’ai ce que tu cherches, et aussi d’autres vases… Ceux qui servaient les jours de fêtes… pour les noces de mes enfants ou à quelque autre occasion importante. Si tu attends que je mette ces fouaces au four, un instant, je viens t’ouvrir le coffre où se trouvent mes plus beaux objets… Ah ! il y en a peu désormais, après tant de malheurs ! Mais j’en ai gardé quelques-uns pour… me rappeler… et souffrir, car si ce sont aussi des souvenirs joyeux, maintenant ils font pleurer car ils font revivre ce qui est fini.

      – Alors il aurait mieux valu que personne ne les réclame. Je ne voudrais pas que ce soit comme à Nobé. Tant de préparatifs pour rien… dit Judas.

      – Je te dis qu’un groupe de disciples nous a avertis ! Veux-tu qu’ils aient rêvé ? Ils ont parlé avec Lazare. Il les a envoyés en avant exprès. Ils venaient ici pour prévenir qu’avant le sabbat la Mère de Jésus allait arriver avec Lazare, son char, et les femmes disciples.

      – En attendant, elles ne sont toujours pas là…

      566.2 – Vous qui avez vu cet homme, dites-moi : est-ce qu’il ne fait pas peur ? demande la vieille femme en s’essuyant les mains à son tablier après avoir confié ses fouaces à Jacques, fils de Zébédée, et à André pour qu’ils les portent au four.

      – Peur ? Pourquoi ?

      – Eh ! un homme qui revient de chez les morts ! »

      Elle est bouleversée.

      « Sois tranquille, mère. Il est en tout comme nous, répond Jacques, fils d’Alphée, pour la réconforter.

      – Veille plutôt à ne pas bavarder avec les autres femmes : que tout Ephraïm ne vienne pas nous ennuyer, lance impérieusement Judas.

      – Je n’ai jamais parlé imprudemment depuis que vous êtes ici, ni aux habitants de la ville ni aux pèlerins. J’ai préféré passer pour une sotte plutôt que me montrer savante et déranger le Maître ou lui causer du tort. Et je saurai me taire aujourd’hui encore. Viens, Thomas… »

      Et elle sort pour aller prendre ses trésors cachés.

      « La vieille est épouvantée à l’idée qu’elle va voir un ressuscité, ricane Judas.

      – Ce n’est pas la seule. Les disciples m’ont dit qu’à Nazareth les gens étaient tout agités, et de même à Cana et à Tibériade. Quelqu’un qui revient de la mort, après quatre jours de tombeau, ne se rencontre pas aussi facilement que des marguerites au printemps. Nous aussi, nous étions bien pâles quand il est sorti du tombeau ! Mais ne pourrais-tu pas travailler au lieu de rester planté là à faire des commentaires ? Tout le monde est affairé, et il y a encore tant de choses à préparer… Puisqu’on peut le faire aujourd’hui, va au marché, et achète ce qu’il faut. Ce que nous avons pris n’est pas suffisant maintenant qu’elles viennent, et nous n’avions pas le temps de retourner faire des courses en ville. Nous aurions été bloqués là où nous étions par le coucher du soleil. »

      Judas appelle Matthieu qui rentre dans la cuisine bien rangée, et ils sortent ensemble.

      566.3 Simon le Zélote, bien habillé, pénètre à son tour dans la pièce et s’exclame :

      « Ce Thomas ! C’est vraiment un artiste ! Avec un rien, il a orné la salle comme pour un repas de noces. Allez voir. »

      Tout le monde, excepté Pierre qui est en train de finir son travail, court pour aller admirer. Pierre dit :

      « J’ai hâte qu’elles soient ici. Marziam sera peut-être avec elles. Dans un mois, c’est la Pâque, donc il sera sûrement déjà parti de Capharnaüm ou de Bethsaïde.

      – Je me réjouis de la venue de Marie, à cause du Maître. Elle le réconfortera mieux que n’importe qui, et il en a besoin, lui répond Simon.

      – Oh oui ! Mais as-tu remarqué comme Jean, lui aussi, est triste ? Je l’ai questionné, mais en vain. Malgré sa douceur, il est plus ferme que nous tous, et s’il ne veut rien dire, rien ne le fera parler. Mais je suis sûr qu’il sait quelque chose. On dirait l’ombre du Maître, il le suit toujours, il ne le quitte pas des yeux. Et il répond à ton regard par un sourire qui ferait fondre un tigre. Mais quand il ne se sent pas observé, son visage devient tout triste. Essaie de le questionner, toi. Il t’aime beaucoup, et il te sait plus prudent que moi…

      – Ne crois pas cela ! Tu es devenu pour tous un exemple de prudence. On ne reconnaît plus en toi le vieux Simon. Tu es vraiment la pierre qui, par sa robustesse et sa carrure compacte, nous soutient tous.

      – Mais tais-toi donc ! Je suis un pauvre homme. Bien sûr… à rester tant d’années avec Lui, on devient un peu comme Lui. Un peu… très peu, mais nous sommes déjà très différents de ce que nous étions. Et cela vaut pour tous… non, ce n’est pas exact, malheureusement. 566.4 Judas est toujours le même, ici comme à “ La Belle Eau ”[2] …

      – Dieu veuille qu’il soit toujours le même !

      – Quoi ? Qu’est-ce que tu entends par là ?

      – Tout et rien, Simon, fils de Jonas. Si le Maître m’entendait, il me dirait : “ Ne juge pas. ” Mais ce n’est pas juger, c’est craindre. Je crains que Judas ne devienne pire qu’à “ La Belle Eau ”.

      – Il est certain qu’il a empiré, bien qu’il soit toujours le même. Il devrait en effet avoir changé, avoir grandi en justice, mais il est toujours pareil. Il a donc sur le cœur le péché de paresse spirituelle, qu’alors il ne l’avait pas. Les premiers temps… il était fou, oui, mais plein de bonne volonté… Mais, dis-moi : à ton avis, que signifie la décision du Maître d’envoyer Samuel avec nous et de rassembler tous les disciples, autant que faire se peut à Jéricho, pour la néoménie de Nisan [3] ? Il avait d’abord annoncé que Samuel resterait ici… il avait aussi défendu de révéler où il se trouvait, lui. Je soupçonne quelque chose…

      – Non, j’y reconnais une logique, pour moi c’est clair. Désormais, on ne sait par qui ni comment, la nouvelle de la présence du Maître ici est connue de toute la Palestine. Tu vois que des pèlerins et des disciples sont venus de Cédés à Engaddi, de Joppé à Bozra [4]. Il est, par conséquent, inutile de garder plus longtemps le secret. En outre, la Pâque approche et il est certain que le Maître veut avoir les disciples avec lui, pour son retour à Jérusalem. Le Sanhédrin prétend, tu l’as entendu, qu’il est un vaincu et qu’il a perdu tous ses disciples. Et il lui répond en entrant en ville à leur tête…

      – J’ai peur, Simon, terriblement peur… Tu as entendu, n’est-ce pas ? Tous, même les hérodiens, se sont unis contre lui…

      – Eh oui ! Que Dieu nous aide !

      – Et pourquoi envoie-t-il Samuel avec nous ?

      – Sûrement pour le préparer à sa mission. Je ne vois pas de raison de s’agiter… 566.5 On frappe ! Ce sont certainement les femmes disciples ! »

      Pierre se débarrasse de son tablier taché de sang et il suit, en courant, Simon le Zélote, qui s’est précipité à la porte de la maison. Tous ceux qui se trouvent dans la maison débouchent de partout en criant :

      « Les voilà ! Les voilà ! »

      Mais, une fois la porte ouverte, leur déception à la vue d’Elise et de Nikê est si manifeste que les deux disciples demandent :

      « Il est arrivé quelque chose ?

      – Non ! Non ! Mais nous croyions que… c’étaient Marie et les femmes disciples de Galilée… répond Pierre.

      – Ah ! et vous voilà contrariés ! Nous, en revanche, nous sommes très heureuses de vous voir et d’apprendre que Marie ne va pas tarder à arriver, dit Elise.

      – Contrariés, non… Déçus, voilà ! Mais venez ! Entrez ! Paix à nos bonnes sœurs ! »

      Jude les salue au nom de tous.

      « A vous aussi. Le Maître n’est pas là ?

      – Il est parti avec Jean à la rencontre de Marie. On sait qu’elle arrive par la route de Sichem, sur le char de Lazare » explique Simon le Zélote.

      Elles entrent dans la maison, pendant qu’André s’occupe de l’ânon d’Elise. Nikê est venue à pied. Elles parlent des événements de Jérusalem, demandent des nouvelles des amis et des disciples… d’Annalia, de Marie et de Marthe, du vieux Jean de Nobé, de Joseph, de Nicodème, de tant d’autres… 566.6 L’absence de Judas permet de parler en paix et librement.

      Elise, en femme âgée et expérimentée qui, au temps de Nobé, a été en contact avec Judas et le connaît donc bien — elle avoue même ouvertement “ ne l’aimer que pour l’amour de Dieu ” —, s’informe pour savoir s’il est à la maison, séparé des autres par quelque caprice, et c’est seulement quand elle est sûre qu’il est sorti pour faire les courses, qu’elle parle de ce qu’elle sait. Elle raconte “ qu’à Jérusalem, tout semble calme, qu’on n’interroge même plus les disciples connus, et qu’on murmure tout bas cette raison : Pilate aurait donné de la voix contre les membres du Sanhédrin, pour leur rappeler que c’est lui seul qui est chargé de rendre la justice en Palestine, et qu’ils doivent mettre fin à leurs agissements ”.

      Et Nikê ajoute :

      « Pourtant, on dit aussi — notamment Manahen mais aussi d’autres avec lui, et surtout une femme, Valéria — que Pilate a beau être las de ces soulèvements qui tiennent le pays dans l’agitation et peuvent lui valoir des ennuis, il est néanmoins impressionné par l’insistance avec laquelle les juifs lui insinuent que Jésus vise à se proclamer roi [5]. On ajoute que, s’il n’y avait pas les rapports concordants et favorables des centurions et surtout l’influence de sa femme, il finirait par punir le Christ, peut-être par l’exil, pour ne plus avoir d’ennuis.

      – Il ne manquerait plus que cela ! Il serait bien capable de le faire ! C’est pour les Romains la peine la plus légère, et la plus employée après la flagellation. Imaginez-vous : Jésus seul, je ne sais où, et nous dispersés çà et là… s’exclame Simon le Zélote.

      – Dispersés… c’est toi qui le dis ! Moi, on ne me disperse pas ! Je marche à sa suite… s’écrie Pierre.

      – Oh ! Simon ! Peux-tu avoir l’illusion qu’ils te laisseraient faire ? Ils t’attachent comme un galérien et t’emmènent là où ça leur plaît, sur les galères ou dans une de leurs prisons, et toi, tu ne peux plus suivre ton Maître » lui dit Barthélemy.

      Pierre s’entortille les cheveux, perplexe, découragé.

      « Nous allons en parler à Lazare. Lazare se rendra ouvertement chez Pilate. Pilate le verra sûrement avec plaisir, car les païens aiment voir les êtres extraordinaires… préconise Simon le Zélote.

      – Il y est certainement allé avant son départ, et Pilate n’aura plus envie de le voir ! répond Pierre d’un air abattu.

      – Alors il s’y rendra en tant que fils de Théophile, ou bien il accompagnera sa sœur Marie chez les dames. Elles étaient amies quand… bref, quand Marie était pécheresse…

      566.7 – Savez-vous que Valéria est devenue prosélyte après le divorce de son mari ? Je parle sérieusement ! Elle mène une vie de juste qui est un exemple pour beaucoup d’entre nous. Elle a affranchi ses esclaves et les instruit tous dans le vrai Dieu. Elle avait pris une maison dans Sion. Mais maintenant que Claudia est venue, elle est retournée chez elle…

      – Alors !…

      – Non, dit Nikê. Elle m’a déclaré : “ Quand Jeanne vient, je l’accompagne. Mais maintenant je veux convaincre Claudia ”… Il semble que Claudia n’arrive pas à dépasser les limites de sa croyance dans le Christ. Pour elle, c’est un sage, rien de plus… Il paraît même que, avant d’arriver en ville, elle a été quelque peu troublée par les bruits qu’on a fait courir et qu’elle a dit, l’air sceptique : “ C’est un homme comme nos philosophes, et pas des meilleurs, car sa parole ne correspond pas à sa vie ”, et qu’elle a eu des… des… en somme, elle s’est permis des mots qu’elle n’aurait pas dits, auparavant.

      – Il fallait s’y attendre ! Des âmes païennes ! Ouais ! Il peut y en avoir une bonne… Mais les autres !… Elles ne valent rien, c’est de l’ordure ! s’exclame sentencieusement Barthélemy.

      – Et Joseph ? demande Jude.

      – Lequel ? Celui de Séphoris ? Il a une peur ! Ah ! Il y a eu votre frère Joseph. A peine arrivé, il est reparti, en passant toutefois par Béthanie, pour conseiller aux sœurs d’empêcher à tout prix le Maître d’entrer en ville et d’y séjourner. J’étais là, et j’ai entendu. C’est ainsi que j’ai appris que Joseph de Séphoris a eu beaucoup d’ennuis, et qu’il a très peur. Votre frère l’a chargé de se tenir au courant de ce qu’on complote au Temple. Joseph peut le savoir par l’intermédiaire de ce parent qui est marié, je ne sais si c’est avec la sœur ou la nièce de sa femme, et qui est employé au Temple, dit Elise.

      566.8 – Que de peurs ! Désormais, quand nous monterons à Jérusalem, j’enverrai mon frère chez Hanne. Je pourrais y aller, moi aussi, car je connais bien ce vieux renard. Mais Jean sait mieux s’y prendre. Et Hanne l’aimait bien autrefois, quand on écoutait les paroles de ce vieux loup, en le prenant pour un agneau ! J’enverrai Jean. Lui saura supporter même des insultes sans réagir. Moi… s’il me déclarait anathème du Maître, ou même seulement que je suis anathème parce que je l’aime, je sauterais sur ce vieil enflé, je l’attrapperais par le cou et le tordrais comme on essore un filet. Je lui ferais rendre l’âme sournoise qui l’habite ! Même s’il était entouré de tous les soldats du Temple et des prêtres !

      – Oh ! si le Maître t’entendait parler ainsi ! s’exclame André, scandalisé.

      – C’est bien parce qu’il n’est pas là que je le dis !

      – Tu as raison ! Tu n’es pas seul à le vouloir. Je le veux moi aussi, déclare Pierre.

      – Moi aussi, et je ne parle pas seulement d’Hanne, affirme Jude.

      – Ah ! pour cela, moi j’en… servirais plusieurs. J’ai une longue liste… Ces trois carcasses de Capharnaüm [6] — j’exclus Simon le pharisien, qui me paraît passablement bon —, ces deux loups d’Esdrelon [7], ce vieux sac d’os qu’est Chanania, et puis… un mas­sacre, je vous dis, un massacre à Jérusalem, et en tête de tous Elchias. Je n’en peux plus de voir toutes ces vipères aux aguets ! »

      Pierre bouillonne de colère.

      Jude prend la parole avec un calme glacial encore plus impressionnant que s’il était furieux comme Pierre :

      « Et moi, je t’aiderais. Mais… je commencerais peut-être par enlever les vipères qui se trouvent à côté de nous.

      – Qui ? Samuel ?

      – Non, non ! Samuel n’est pas le seul à être près de nous. Il y en a tant qui montrent un certain visage mais ont une âme différente de ce qu’ils laissent paraître ! Je ne les perds pas de vue, jamais. Je veux être sûr avant d’agir. Mais quand je le serai… Le sang de David est chaud, et celui de Galilée aussi. Je les ai en moi, tous les deux, en lignée paternelle et maternelle.

      – Il suffit que tu me le dises, et je t’aide… déclare Pierre.

      – Non. La vengeance du sang regarde les parents, c’est donc moi qui suis concerné. »

      566.9 Soudain, Elise, qui pleurait doucement depuis quelque temps, intervient :

      « Mes enfants ! Mes enfants ! Ne parlez pas ainsi ! Ce n’est pas ce qu’enseigne le Maître ! Vous ressemblez à des lionceaux furieux au lieu d’être les agneaux de l’Agneau ! Abandonnez cet esprit de vengeance. L’époque de David est passée depuis longtemps ! Les lois du sang et du talion sont supprimées par le Christ. Il conserve les dix commandements immuables, mais les autres dures lois mosaïques, il les abroge. De Moïse restent les commandements de pitié, d’humanité et de justice, résumés et perfectionnés par notre Jésus dans son plus grand commandement : “ Aimer Dieu de tout son être, aimer le prochain comme soi-même, pardonner à ceux qui nous offensent, aimer nos ennemis. ” Ah ! pardonnez-moi, si moi, qui suis une femme, j’ai osé enseigner à mes frères, et vous êtes plus grands que moi ! Mais je suis une vieille mère, et une mère peut toujours parler. Croyez-moi, mes enfants ! Si vous appelez Satan en vous avec, dans votre cœur, de la haine pour les ennemis, avec un désir de vengeance, il entrera en vous pour vous corrompre. Satan n’est pas une force, soyez-en sûr. La force, c’est Dieu. Satan est faiblesse, il est fardeau, il est torpeur. Vous ne saurez plus remuer un doigt, non contre les ennemis, mais pas même pour faire une caresse à notre Jésus tellement affligé, si la haine et la vengeance vous tiennent dans leurs chaînes. Oui, mes enfants, tous mes enfants ! Même vous qui avez mon âge, et davantage peut-être. Vous êtes tous des enfants pour une femme qui vous aime, pour une mère qui a retrouvé la joie de pouvoir l’être en vous aimant tous comme des fils. Ne me donnez pas l’angoisse de perdre une nouvelle fois des fils chéris, et pour toujours ; car si vous mourez dans la haine ou dans le crime, vous êtes morts pour l’éternité et nous ne pourrons plus nous réunir là-haut, dans la joie, autour de notre commun amour : Jésus. Promettez-moi ici, maintenant, à moi qui vous en supplie, à une pauvre femme, à une pauvre mère, de ne plus jamais avoir de telles pensées. Ah ! c’est jusqu’à votre visage qui est défiguré. Vous me paraissez des inconnus, vous n’êtes plus les mêmes ! Comme la haine vous enlaidit ! Vous étiez si doux ! Mais qu’arrive-t-il donc ? Ecoutez-moi ! Marie vous dirait les mêmes paroles, avec plus de puissance, car c’est Marie ; mais il vaut mieux qu’elle ne connaisse pas toute la douleur… Oh ! pauvre Mère ! Mais qu’arrive-t-il ? Dois-je donc vraiment croire que déjà se lève l’heure des ténèbres, l’heure qui engloutira tout, l’heure où Satan sera le roi en tous, sauf chez le Saint, et dévoiera même les saints, même vous, en vous rendant lâches, parjures, cruels comme il l’est ? Ah ! jusqu’à présent, j’ai toujours espéré ! J’ai toujours dit : “ Les hommes ne triompheront pas contre le Christ. ” Mais maintenant… maintenant je crains et je tremble pour la première fois ! Sur ce ciel serein d’Adar, je vois s’allonger et envahir la grande Ténèbre dont le nom est Lucifer, je la vois vous plonger tous dans la nuit et faire pleuvoir des poisons qui vous rendent malades. Oh ! j’ai peur ! »

      Elise s’abandonne alors, la tête sur la table près de laquelle elle est assise, et elle sanglote douloureusement.

      566.10 Les apôtres se regardent d’un air affligé, puis ils s’efforcent de la réconforter. Mais elle ne veut pas de leur réconfort et le leur fait savoir :

      « Une seule chose a de la valeur à mes yeux : votre promesse. C’est pour votre bien ! Pour qu’aux souffrances de Jésus ne s’ajoute pas la plus grande : celle de vous voir damnés, vous, ses bien-aimés.

      – Mais oui, Elise. Si tu le veux ! Ne pleure pas, femme ! Nous te le promettons. Ecoute : nous ne lèverons pas le petit doigt sur qui que ce soit. Nous ne regarderons même pas, pour ne pas voir. Ne pleure pas ! Ne pleure pas ! Nous pardonnerons à ceux qui nous offensent. Nous aimerons ceux qui nous haïssent ! Allons ! Ne pleure pas. »

      Elise lève son visage ridé où brillent des larmes, et elle dit :

      « Souvenez-vous-en. Vous me l’avez promis ! Répétez votre promesse !

      – Nous te le promettons, femme.

      – Mes chers fils ! Maintenant, vous me plaisez ! Je vous retrouve bons. Maintenant que mon angoisse est apaisée, et que vous êtes redevenus purs, après cet amer levain, préparons-nous à recevoir Marie. Qu’est-ce qu’il reste à faire ? demande-t-elle en finissant de sécher ses yeux.

      – Vraiment… Nous avions veillé à tout, à la manière des hommes. Mais Marie, femme de Jacob, nous a aidés. C’est une Samaritaine, mais elle est très bonne. Tu vas la voir. Elle est au four en train de surveiller le pain. Elle est seule. Ses enfants sont morts ou oublieux, ses richesses évanouies, et pourtant elle n’a pas de rancune…

      – Ah ! vous voyez ! Vous voyez qu’il y en a qui savent pardonner, même chez les païens, les Samaritains ? Et ce doit être terrible, sachez-le, de devoir pardonner à un fils !… Mieux vaut être mort que pécheur !… 566.11 Etes-vous sûrs que Judas n’est pas là ?

      – A moins d’être devenu un oiseau, c’est impossible, car les fe­nêtres sont ouvertes, mais les portes sont fermées, excepté celle-ci.

      – Alors… La mère de Judas s’est rendue à Jérusalem, avec quelqu’un de sa parenté. Elle est allée offrir des sacrifices au Temple, puis elle est venue chez nous. On dirait une martyre. Elle est d’une tristesse… ! Elle m’a demandé, elle nous a demandé à toutes, si nous ne savions rien de son fils : s’il était avec le Maître, s’il y était toujours resté avec lui…

      – Qu’a-t-elle, cette femme ? s’étonne André.

      – Elle a son fils. Tu ne penses pas que cela suffit ? répond Jude.

      – Je l’ai réconfortée. Elle a voulu retourner au Temple avec nous. Nous y sommes allées toutes ensemble pour prier… Puis elle est repartie, toujours aussi angoissée. Je lui ai dit : “ Si tu restes avec nous, nous allons bientôt trouver le Maître. Ton fils est auprès de lui. ” Elle savait déjà que Jésus est ici. Cela s’est su jusqu’aux confins de la Palestine. Elle m’a répondu : “ Non, non ! Le Maître m’a recommandé de ne pas être à Jérusalem au printemps. J’obéis, mais j’ai voulu, avant l’époque de son retour, monter au Temple. J’ai un tel besoin de Dieu ! ” Et elle a ajouté une étrange parole : “ Je suis innocente, mais j’ai l’enfer en moi, et il me torture ”… Nous l’avons longuement interrogée, mais elle n’a pas voulu en dire davantage, ni sur ses tortures, ni sur la raison de l’interdiction de Jésus. Elle nous a prié de ne parler de tout cela ni à Jésus ni à Judas.

      – Pauvre femme ! Elle ne sera donc pas ici à la Pâque ? demande Thomas.

      – Non.

      – Si Jésus le lui a imposé, c’est qu’il a ses raisons… Vous avez entendu, hein ! On sait vraiment partout que Jésus est ici ! s’exclame Pierre.

      – Oui. L’homme qui le révélait appelait au rassemblement en son nom pour se soulever “ contre les tyrans ”, aux dires de certains. D’autres prétendaient que le Maître est ici parce qu’il se sait démasqué…

      – Toujours les mêmes raisons ! Ils doivent avoir dépensé tout l’or du Temple pour envoyer partout leurs émissaires » remarque André.

      566.12 On frappe à la porte.

      « Les voici ! » s’écrient-ils en courant ouvrir.

      Mais c’est Judas qui revient avec ses achats, suivi de Matthieu. A la vue d’Elise et Nikê, Judas les salue en demandant :

      « Etes-vous seules ?

      – Seules. Marie n’est pas encore arrivée.

      – Elle ne vient pas des régions du midi, donc elle ne peut avoir fait route avec vous. Je voulais savoir si Anastasica était venue.

      – Non. Elle est restée à Bet-Çur [8].

      – Pourquoi ? Elle aussi est disciple. Ignores-tu donc que c’est d’ici que nous partirons à Jérusalem pour la Pâque ? Elle devrait être ici. Si les femmes disciples et les fidèles ne sont pas parfaits, qui le sera ? Qui escortera le Maître, pour détruire la légende que tous l’ont abandonné ?

      – S’il s’agit de cela, ce ne sera pas une pauvre femme qui comblera les vides ! Les roses sont à leur place parmi les épines et dans les jardins clos. Je lui sers de mère et je le lui ai imposé.

      – Alors, elle sera absente pour la Pâque ?

      – Effectivement.

      – Et de deux ! s’écrie Pierre.

      – Que dis-tu ? Qui sont ces deux ? demande Judas, toujours soupçonneux.

      – Rien, rien ! Un calcul. On peut compter tant de choses, n’est-ce pas ? Même les… mouches, par exemple, qui se posent sur mon agneau écorché. »

      Marie, femme de Jacob, rentre, suivie de Samuel et de Jean qui portent les pains sortis du four. Elise salue la femme et Nikê l’imite. Elise a une douce parole pour mettre tout de suite la femme à son aise :

      « Nous sommes sœurs dans la douleur, Marie. Moi aussi, je suis seule, car j’ai perdu mon époux et mes fils, et Nikê est veuve. Nous nous aimerons donc, car il faut avoir pleuré pour comprendre. »

      566.13 Pendant ce temps, Pierre interroge Jean :

      « Comment donc es-tu ici ? Et le Maître ?

      – Sur le char, avec sa Mère.

      – Et tu ne le disais pas ?

      – Tu ne m’en as pas donné le temps ! Elles sont toutes là, mais vous verrez comme Marie de Nazareth est changée ! Elle semble avoir pris des années. Lazare m’a rapporté que la nouvelle que Jésus était réfugié ici l’avait remplie d’angoisse.

      – Pourquoi le lui a-t-il dit, cet imbécile ? Avant de mourir, il était intelligent. Mais peut-être que dans le tombeau son cerveau s’est écrabouillé et ne s’est pas reconstruit. On ne reste pas mort impunément !… ironise Judas sur un ton méprisant.

      – Mais non ! Pour parler, attends de savoir ! Lazare de Béthanie l’a appris à Marie quand déjà ils étaient en route, car elle s’étonnait de le voir prendre cette route, intervient sévèrement Samuel.

      – Oui. A son premier passage à Nazareth, il a seulement dit : “ Je te conduirai chez ton Fils d’ici un mois. ” Il ne lui a même pas révélé : “ Nous allons à Ephraïm ” au moment de partir… ajoute Jean.

      – Tout le monde sait que Jésus se trouve ici. Elle était donc la seule à l’ignorer ? demande toujours impoliment Judas en interrompant son compagnon.

      – Marie le savait. Elle l’avait entendu dire, mais comme un fleuve de toutes sortes de mensonges coulait en charriant de la boue à travers la Palestine, elle ne tenait aucune nouvelle pour vraie. Elle se consumait en silence, dans la prière. Mais une fois qu’ils furent en voyage, Lazare avait pris le chemin qui longe le fleuve pour désorienter les Nazaréens et tous les habitants de Cana, de Sephoris, de Bethléem de Galilée…

      – Ah ! il y a aussi Noémie avec Myrta et Aurea ? demande Thomas.

      – Non, elles en ont eu l’interdiction de la part de Jésus. C’est Isaac qui leur a porté cet ordre à son retour en Galilée.

      – Alors… ces femmes, elles aussi, ne seront pas avec nous comme l’an passé.

      – En effet.

      – Et de trois !

      – Ni nos femmes ni nos filles. Le Maître le leur a ordonné avant de quitter la Galilée, ou plutôt il l’a répété. Car ma fille Marianne m’a rapporté que Jésus l’avait dit dès la dernière Pâque.

      – Mais… très bien ! Il y a au moins Jeanne ? Salomé ? Marie, femme d’Alphée ?

      – Oui, et Suzanne aussi.

      – Et certainement Marziam… 566.14 Mais qu’est-ce que ce tapage ?

      – Les chars ! Les chars ! Et tous les Nazaréens qui ne se sont pas donnés pour battus et ont suivi Lazare… et ceux de Cana… » répond Jean, qui s’éloigne en courant avec les autres.

      Par la porte ouverte, un spectacle tumultueux s’offre à la vue. Il y a là Marie, assise auprès de son Fils, les femmes disciples, Lazare, Jeanne qui est sur son char avec Marie et Mathias, Esther et d’autres serviteurs ainsi que le fidèle Jonathas, mais aussi une foule de gens : des visages connus, d’autres inconnus, de Nazareth, de Cana, de Tibériade, de Naïm, d’En-Dor. Et des Samaritains de tous les villages situés sur le parcours et d’autres localités voisines. Ils se précipitent devant les chars, obstruant le passage de ceux qui veulent sortir comme de ceux qui veulent entrer.

      « Mais que désirent ces gens ? Pourquoi sont-ils venus ? Com­ment ont-ils su ?

      – Eh ! ceux de Nazareth étaient aux aguets. Quand ils ont vu Lazare arriver le soir pour repartir au matin, ils ont couru pendant la nuit dans les villes voisines ; ceux de Cana en ont fait autant, car Lazare était passé pour prendre Suzanne et rencontrer Jeanne, et ils l’ont suivi et précédé pour voir Jésus et Lazare. De même, quand les Samaritains l’ont appris, ils les ont rejoints. Et les voilà tous !… explique Jean.

      – Dis-moi, toi qui avais peur que le Maître n’ait pas d’escorte, celle-là te paraît-elle suffisante ? demande Philippe à Judas.

      – Ils sont venus pour Lazare…

      – Ils auraient pu repartir après l’avoir vu, mais ils sont restés jusqu’ici. C’est signe qu’il y en a encore qui viennent pour le Maître.

      – Bien. Ne faisons pas de discours inutiles. Cherchons plutôt à leur faire place pour leur permettre d’entrer. Allons, mes garçons ! Il faut nous remettre à l’exercice ! Il y a longtemps que nous n’avions pas joué des coudes pour frayer la route au Maître ! »

      Et Pierre est le premier à tenter d’ouvrir un passage à travers la foule qui crie des hosannas, curieuse, dévouée, bavarde selon les cas. Cela fait, avec l’aide des autres et de disciples nombreux qui, disséminés dans la foule, cherchent à se joindre aux apôtres, il maintient vide un espace pour que les femmes puissent se réfugier dans la maison ainsi que Jésus et Lazare. Une fois entré en dernier, il bloque la porte avec des verrous et des barres, et envoie les autres fermer du côté du jardin.

      566.15 « Ouf ! La paix soit avec toi, Marie bénie ! Je te revois enfin ! Maintenant tout est beau, puisque tu es parmi nous ! » s’exclame Pierre, qui la salue en se courbant jusqu’à terre.

      Marie a le visage triste, pâle et fatigué, déjà le visage de l’Affligée.

      « Oui, tout maintenant est moins douloureux puisque je suis auprès de Jésus.

      – Je t’avais assuré que je ne te disais que la vérité ! déclare Lazare.

      – Tu as raison… Mais le soleil s’est obscurci pour moi, et toute paix a disparu quand j’ai su que mon Fils était ici… J’ai compris… Ah ! »

      D’autres larmes coulent sur ses joues pâles.

      « Ne pleure pas, Maman ! Ne pleure pas ! J’étais ici parmi ces braves gens, près d’une autre Marie qui est une mère… »

      Jésus la conduit vers une pièce qui ouvre sur le jardin tranquille. Tous les suivent.

      Lazare s’excuse :

      « J’ai été obligé de la renseigner, car elle connaissait la route et ne comprenait pas pourquoi je faisais ce détour. Elle le croyait chez moi à Béthanie… En outre, à Sichem un homme a crié : “ Allons nous aussi à Ephraïm, chez le Maître. ” Aucune excuse ne me fut plus possible… J’espérais prendre les devants sur cette foule en partant de nuit par des chemins. Mais pas moyen ! Ils montaient partout la garde, et pendant qu’un groupe me suivait, un autre allait dans les environs pour prévenir. »

      566.16 Marie, femme de Jacob, apporte du lait, du miel, du beurre et du pain frais et les offre à Marie pour commencer. Elle regarde Lazare par en dessous, un peu curieuse, un peu craintive, et sa main a une secousse quand, en donnant du lait à Lazare, elle l’effleure ; elle ne peut retenir un cri de surprise quand elle le voit manger sa fouace comme tous les autres.

      Lazare est le premier à en rire en disant, sur un ton affable, distingué et plein d’assurance, comme tous les hommes de grande naissance :

      « Oui, femme, je mange tout comme toi, et j’aime ton pain et ton lait. Et ton lit me plaira certainement, car je sens la lassitude comme je sens la faim. »

      Il se tourne vers les autres pour ajouter :

      « Beaucoup de gens me touchent sans prétexte pour sentir si je suis en chair et en os, si j’ai de la chaleur et si je respire. C’est un peu ennuyeux, et une fois ma mission finie, je me retirerai à Béthanie. Si je restais près de toi, Maître, je susciterais trop de distractions. J’ai brillé, j’ai témoigné de ta puissance jusqu’en Syrie. Maintenant, je m’éclipse. Toi seul dois resplendir dans le ciel du miracle, dans le ciel de Dieu, et en présence des hommes. »

      Marie, pendant ce temps, s’adresse à la vieille mère :

      « Mon Fils m’a dit à quel point tu as été bonne pour lui. Per­mets-moi de t’embrasser pour te montrer que je t’en suis recon­naissante. Je n’ai rien pour te récompenser, excepté mon amour. Je suis pauvre, moi aussi… et je puis même dire que je n’ai plus de Fils, car c’est à Dieu et à sa mission qu’il appartient… Je souhaite d’ailleurs qu’il en soit toujours ainsi, car tout ce que Dieu veut est saint et juste. »

      Marie est douce, mais comme elle est déjà brisée… Tous les apôtres la regardent avec pitié, jusqu’à en oublier de penser à tous ceux qui manifestent dehors et de demander des nouvelles de leurs parents qui habitent au loin.

      Mais Jésus intervient :

      « Je monte sur la terrasse pour congédier les gens et les bénir. »

      566.17 Alors Pierre se réveille :

      « Mais où est Marziam ? J’ai vu tous les disciples, sauf lui.

      – Il n’est pas là, répond Marie Salomé, la mère de Jacques et de Jean.

      – Il n’est pas là ? Pourquoi ? Il est malade ?

      – Non. Il va bien, et ta femme aussi va bien. Mais Porphyrée ne l’a pas laissé venir.

      – Quelle femme stupide ! Dans un mois, c’est la Pâque, et il lui faudra bien venir pour la Pâque ! Elle pouvait le lui permettre dès maintenant, et faire cette joie à Marziam et à moi. Mais elle est plus lente à comprendre qu’une brebis et…

      – Jean et Simon-Pierre, et toi aussi Lazare avec Simon le Zélote, venez avec moi. Quant aux autres, restez là où vous êtes, jusqu’à ce que j’aie congédié les gens et mis les disciples à part » ordonne Jésus.

      Après être sorti avec les quatre hommes, il ferme la porte, traverse le couloir et la cuisine et arrive dans le jardin, suivi de Pierre, qui bougonne, et des autres. Mais avant de poser le pied sur la terrasse, il s’arrête dans l’escalier, et se tourne pour poser une main sur l’épaule de Pierre, qui lève la tête d’un air mécontent.

      « Ecoute-moi bien, Simon-Pierre, et cesse d’accuser Porphyrée et de lui faire des reproches. Elle est innocente. Elle obéit à un ordre de moi. C’est moi qui lui ai commandé, avant les Tabernacles, de ne pas faire venir Marziam en Judée [9]…

      – Mais la Pâque, Seigneur ?

      – Je suis le Seigneur, comme tu le dis bien. Et en tant que tel, je peux demander ce que je veux, car tout ordre de moi est juste. Par conséquent, ne te laisse pas troubler par des scrupules. Te souviens-tu de ce qui est écrit dans les Nombres ? “ Si quelqu’un dans votre nation se trouve impur du fait d’un mort, ou est en voyage au loin, il célébrera la Pâque du Seigneur le quatorzième jour du second mois, vers le soir. ” [10]

      – Mais Marziam n’est pas impur, j’espère du moins que Porphyrée ne songe pas à mourir justement maintenant, et il n’est pas en voyage… objecte Pierre.

      – Peu importe. C’est ma volonté. Certaines choses rendent plus impur qu’un mort. Marziam… je ne veux pas qu’il se contamine. Laisse-moi faire, Pierre. Je sais. Sois capable d’obéir, comme ton épouse et Marziam lui-même. Nous ferons avec lui la seconde Pâque, au quatorzième jour du second mois. Et nous serons très heureux alors. Je te le promets. » [11]

      Pierre fait un geste comme pour dire : “ Résignons-nous ”, mais il ne répond rien.

      566.18 Simon le Zélote remarque :

      « II vaut mieux que tu cesses de compter ceux qui seront absents à la Pâque en ville !

      – Je n’ai plus envie de compter. Tout cela me fait… froid… Les autres peuvent-ils savoir ?

      – Non. C’est exprès que je vous ai pris à part.

      – Alors… j’ai aussi quelque chose à dire en particulier à Lazare.

      – Parle. Si je le peux, je te répondrai, dit Lazare.

      – Même si tu ne me réponds pas, peu m’importe. Il me suffit que tu ailles trouver Pilate — l’idée est de ton ami Simon — et que, en parlant de choses et d’autres, tu lui fasses révéler ses intentions au sujet de Jésus, en bien ou en mal… Tu sais… adroitement… Car on colporte tant d’histoires !…

      – Je le ferai, dès mon arrivée à Jérusalem. Je passerai par Béthel et Rama plutôt que par Jéricho sur ma route vers Béthanie, je séjournerai dans mon palais de Sion, et j’irai chez Pilate. Sois tranquille, Pierre, car je serai adroit et sincère.

      – Et tu perdras du temps pour rien, mon ami », intervient Jésus, « Car Pilate — tu le connais comme homme, moi je le connais comme Dieu — n’est qu’un roseau qui ploie sous le vent, en essayant d’y échapper. Il ne manque jamais de sincérité, car il est toujours convaincu qu’il veut agir, et il fait ce qu’il dit à ce moment-là. Mais peu après, sous l’effet d’un vent contraire, il oublie — oh ! ce n’est pas qu’il manque à ses promesses et à sa volonté — il oublie tout simplement ce qu’il voulait auparavant. Le cri d’une volonté plus forte que la sienne lui enlève, comme en soufflant dessus, le souvenir des idées qu’un autre cri y avait mises, et lui en inspire d’autres. Il doit aussi tenir compte de son épouse, qui menace de se séparer de lui s’il ne fait pas ses quatre volontés — or une fois séparé d’elle, adieu toute sa force, toute protection auprès du “ divin ” César, comme ils disent, même s’ils sont convaincus que ce César est plus abject qu’eux… Mais, en l’homme, ils savent reconnaître l’Idée, or l’Idée surpasse l’homme qui la représente, et on ne peut dire d’elle qu’elle est impure : il est juste que, comme tout citoyen, il aime sa patrie, qu’il veuille son triomphe… Or César, c’est la Patrie… et voilà comment un misérable est… un grand homme, grâce à ce qu’il représente…

      Mais je ne voulais pas parler de César, mais de Pilate ! Car, au-dessus de toutes ces voix, depuis celle de son épouse jusqu’à celle des foules, il y a son moi. Le petit ego d’un petit homme, l’ego avide de l’homme avide, l’ego orgueilleux de l’homme orgueilleux. Cette petitesse, cette avidité, cet orgueil veulent régner pour être grands, avoir beaucoup d’argent et dominer une foule de sujets que l’obéissance fait plier. La haine couve par dessous, mais notre petit César appelé Pilate ne s’en rend pas compte… Il ne voit que les dos courbés qui feignent d’obéir et de trembler devant lui, ou qui le font réellement. Et à cause de cette voix tempétueuse de son ego, il est prêt à tout. Je dis bien : à tout, pourvu qu’il continue à être Ponce Pilate, le Proconsul, le serviteur de César, le Dominateur de l’une des nombreuses régions de l’Empire. Il s’ensuit que, même s’il est aujourd’hui mon défenseur, demain il sera mon juge… inexorable. La pensée de l’homme est toujours indécise, mais elle est souverainement indécise quand cet homme s’appelle Ponce Pilate. Mais toi, Lazare, tu peux satisfaire Pierre… Si cela doit le consoler…

      – Consoler non, mais… me calmer un peu, oui…

      – Alors fais ce plaisir à notre bon Pierre, et va voir Pilate.

      – J’irai, Maître. Mais tu as dépeint le Proconsul comme aucun historien ou philosophe n’aurait pu le faire. Le tableau est parfait !

      – Je pourrais aussi bien dépeindre tout homme avec sa véritable effigie : son caractère. 566.19 Mais allons trouver ces gens qui font beaucoup de bruit. »

      Il monte les dernières marches et se présente. Il lève les bras et dit d’une voix forte :

      « Hommes de Galilée et de Samarie, mes disciples et vous qui me suivez : votre amour, le désir de m’honorer et d’honorer ma Mère et mon ami, en escortant leur char, m’indique quel est votre état d’esprit. Je ne puis que vous bénir pour cela. Néanmoins, retournez à vos maisons, à vos affaires. Vous qui venez de Galilée, partez et dites à ceux qui sont restés là-bas que Jésus de Nazareth les bénit. Hommes de Galilée, nous nous verrons pour la Pâque à Jérusalem, où j’entrerai le lendemain du sabbat précédant la Pâque. Hommes de Samarie, partez vous aussi, et sachez ne pas borner votre amour pour moi à me suivre et me chercher sur les routes de la terre, mais sur celles de l’esprit. Allez, et que la Lumière brille en vous. Disciples du Maître, séparez-vous des fidèles en restant à Ephraïm pour recevoir mes instructions. Allez. Obéissez.

      – Il a raison ! Nous le dérangeons. Il veut rester avec sa Mère ! s’écrient les disciples et les Nazaréens.

      – Nous allons partir, mais auparavant, nous voulons qu’il nous promette de venir à Sichem avant la Pâque. A Sichem ! A Sichem !

      – J’y viendrai. Allez. Je viendrai avant de monter pour la Pâque à Jérusalem.

      – Non, n’y va pas ! Reste avec nous ! Avec nous ! Nous te défendrons ! Nous te ferons Roi et Pontife ! Eux te haïssent ! Nous, nous t’aimons ! A bas les juifs ! Vive Jésus !

      – Silence ! Arrêtez ce vacarme ! Ma Mère souffre de ces cris qui peuvent davantage me nuire qu’une voix qui me maudirait. Mon heure n’est pas encore venue. Partez. Je passerai par Sichem, mais enlevez de votre cœur la pensée que je puisse, par quelque basse lâcheté humaine et par une révolte sacrilège contre la volonté de mon Père, ne pas accomplir mon devoir d’israélite, en adorant le vrai Dieu dans l’unique Temple où l’on puisse l’adorer, et de Messie, en prenant la couronne ailleurs qu’à Jérusalem, où je serai oint Roi universel selon la parole et la vérité vue par les grands prophètes.

      – A bas ! Il n’y a pas d’autre prophète après Moïse ! Tu es un rêveur.

      – Et vous aussi. Etes-vous libres, peut-être ? Non. Comment s’appelle Sichem ? Quel est son nouveau nom ? Car il en est d’elle comme de beaucoup d’autres villes de Samarie, de Judée ou de Ga­lilée — le mangonneau romain nous met tous au même niveau. S’appelle-t-elle donc Sichem ? Non, mais Neapolis [12], comme Bet-Shéan s’appelle Scythopolis [13] et comme beaucoup d’autres villes, par la volonté des Romains ou celle de leurs vassaux flatteurs, ont pris le nom imposé par la domination ou la flatterie. Et vous, chacun en particulier, vous voudriez être plus qu’une ville, plus que nos maîtres, plus que Dieu ? Non, rien ne peut changer ce qui a été fixé pour le salut de tous. Moi, je suis la voie droite. Suivez-moi, si vous voulez entrer avec moi dans le Royaume éternel. »

      566.20 Il est sur le point de se retirer, mais les Samaritains font un tel vacarme que les Galiléens réagissent ; et en même temps, ceux qui étaient à l’intérieur de la maison accourent dans le jardin, puis sur l’escalier et sur la terrasse. Le premier visage à apparaître derrière Jésus, c’est celui, pâle, triste et angoissé de Marie. Elle embrasse son Fils et le serre contre elle comme si elle voulait le défendre des injures qui montent d’en bas :

      « Tu nous as trahis ! Tu t’es réfugié chez nous pour nous faire croire que tu nous aimais, alors qu’ensuite tu nous méprises ! Méprisés, nous le serons encore davantage par ta faute ! »… et ainsi de suite.

      S’approchent aussi de Jésus les femmes disciples, les apôtres et en dernier, apeurée, Marie, femme de Jacob. Les cris d’en-bas expliquent l’origine du tumulte, origines lointaines, mais certaines :

      « Pourquoi nous as-tu envoyé tes disciples nous apprendre que tu es persécuté ?

      – Je n’ai envoyé personne. Voici là-bas ceux de Sichem. Qu’ils s’avancent. Que leur ai-je dit un jour sur la montagne ?

      – C’est vrai. Il nous a dit qu’il ne peut être qu’adorateur dans le Temple aussi longtemps que le temps nouveau ne sera pas venu pour tous. Maître, nous ne sommes pas coupables, crois-le bien. Ils ont été trompés par de faux envoyés.

      – Je le sais. Et maintenant, partez. Je viendrai quand même à Sichem. Je n’ai peur de personne. Mais allez-vous-en, pour ne pas vous nuire à vous-mêmes et à ceux de votre sang. Voyez-vous là-bas luire au soleil les cuirasses des légionnaires qui descendent la route ? Ils vous ont certainement suivis à distance à la vue d’une telle escorte. Ils sont restés dans les bois à attendre. Vos cris maintenant les attirent ici. Partez pour votre bien. »

      Effectivement, au loin, sur la grande route que l’on voit s’élever vers les montagnes, celle sur laquelle Jésus avait trouvé l’affamé, on voit briller des clartés mouvantes qui avancent. Les gens se dispersent lentement. Il reste ceux d’Ephraïm, les Galiléens, les disciples.

      « Vous aussi, habitants d’Ephraïm et de Galilée, rentrez chez vous. Obéissez à celui qui vous aime ! »

      Eux aussi s’en vont. 566.21Seuls restent les disciples que Jésus ordonne de faire entrer dans le jardin et dans la maison. Pierre et d’autres descendent ouvrir. Mais pas Judas. Il ricane :

      « Maintenant, tu vas voir comment les “ bons Samaritains ” vont te détester ! Pour construire le Royaume, tu disperses les pierres, et les pierres écartées d’une construction deviennent des armes pour frapper. Tu les as méprisés ! Ils ne l’oublieront pas.

      – Qu’ils me détestent. Ce n’est pas par peur de leur haine que j’éviterai d’accomplir mon devoir. Viens, Mère. Allons dire aux disciples ce qu’ils doivent faire avant que je ne les congédie. »

      Accompagné de Marie et de Lazare, il descend l’escalier pour entrer dans la maison où s’entassent les disciples venus à Ephraïm. Il leur donne l’ordre de s’éparpiller partout pour prévenir tous leurs compagnons qu’ils doivent être à Jéricho pour la néoménie de Nisan et attendre son arrivée. Il leur demande aussi d’avertir les habitants des endroits où ils passeront qu’il allait quitter Ephraïm et de leur dire qu’ils doivent le chercher à Jérusalem pour la Pâque.

      Puis il les répartit en groupes de trois et confie à Isaac, Hermas et Etienne, le nouveau disciple — Samuel — qu’Etienne salue ainsi :

      « La joie de te voir dans la lumière tempère mon angoisse de constater que tout devient pierre pour le Maître. »

      Et Hermas, de son côté, lui dit :

      « Tu as quitté un homme pour un Dieu. Désormais, Dieu est vraiment avec toi. »

      Humble et réservé, Isaac se contente de lui souhaiter :

      « Que la paix soit avec toi, mon frère. »

      Une fois consommés le pain et le lait que les habitants d’Ephraïm ont offerts, avec une bonne intention, les disciples aussi prennent la route. Voici enfin la paix…

      566.22 Mais pendant qu’on prépare l’agneau, Jésus est encore occupé. Il va trouver Lazare et lui dit :

      « Viens avec moi le long du torrent. »

      Lazare obéit avec sa promptitude habituelle.

      Ils s’éloignent de la maison d’environ deux cents mètres. Lazare se tait en attendant que Jésus parle. Et Jésus s’explique :

      « Voici ce dont je voulais te faire part : ma Mère est très abattue, tu le vois. Fais venir ici tes sœurs. Moi, en réalité, je vais pousser vers Sichem avec tous les apôtres et les femmes disciples. Mais je les enverrai ensuite en avant, à Béthanie, pendant que je m’arrêterai quelque temps à Jéricho. Je peux encore oser garder avec moi des femmes ici, en Samarie, mais pas ailleurs…

      – Maître ! Tu crains vraiment… Ah ! s’il en est ainsi, pourquoi m’as-tu ressuscité ?

      – Pour avoir un ami.

      – Oh ! si c’est pour cela, alors, me voici. Toute douleur n’est rien pour moi, si je puis te réconforter par mon amitié.

      – Je le sais. C’est pour cela que je me sers de toi et que je me servirai de toi comme du plus parfait ami.

      – Dois-je réellement aller trouver Pilate ?

      – Oui, si tu veux. Mais pour Pierre, pas pour moi.

      – Maître, je te tiendrai au courant… Quand quittes-tu cet endroit ?

      – D’ici huit jours. J’aurai à peine le temps d’aller où je veux, puis d’arriver chez toi avant la Pâque, pour refaire mes forces à cette oasis de paix qu’est Béthanie, avant de me plonger dans le tumulte de Jérusalem.

      – Tu sais, Maître, que le Sanhédrin est bien décidé à créer des accusations — étant donné qu’il n’y en a pas — pour t’obliger à fuir pour toujours ? Je le tiens de Jean, le membre du Sanhédrin, que j’ai rencontré par hasard à Ptolémaïs, heureux du nouvel enfant qui va bientôt naître. Il m’a dit : “ Je regrette cette décision du Sanhédrin. Car j’aurais voulu que le Maître soit présent à la circoncision du bébé, que j’espère être un garçon. Il doit naître dans les premiers jours de Tamuz. Mais le Maître sera-t-il encore parmi nous à cette époque ? Et j’aurais souhaité… qu’il puisse bénir le petit Emmanuel — et ce nom te dit ce que je pense — à son entrée dans le monde. Car mon fils — bienheureux sera-t-il — n’aura pas à lutter pour croire, comme nous le devons. Il grandira dans le temps messianique, et il lui sera facile d’en accepter l’idée. ” Jean est arrivé à croire que tu es le Promis.

      – Lui seul, parmi tant de personnes, me dédommage de ce que les autres ne font pas. Lazare, saluons-nous ici, dans la paix. Et merci pour tout, mon ami. Tu es un ami véritable. Avec dix hommes qui te ressembleraient, il serait encore doux de vivre au milieu de tant de haine…

      – Tu as maintenant ta Mère, mon Seigneur. Elle vaut cent Lazare. Mais rappelle-toi bien que je te procurerai tout ce dont tu peux avoir besoin, si cela m’est possible. Ordonne, et je serai ton serviteur, en toute chose. Je ne serai pas sage, ni saint comme d’autres qui t’aiment, mais tu ne trouveras personne de plus fidèle que moi, excepté Jean. Je ne crois pas être orgueilleux en disant cela. 566.23Et maintenant que nous avons parlé de toi, je dois t’entretenir de Syntica. Je l’ai vue. Elle est active et sage comme seule une Grecque, qui a pu venir à ta suite, peut l’être. Elle souffre d’être au loin, mais elle dit qu’elle est heureuse de préparer ton chemin. Elle espère te revoir avant de mourir.

      – Elle me reverra assurément. Je ne déçois jamais les espérances des justes.

      – Elle dirige une petite école très fréquentée par des fillettes de toutes provenances. Mais, le soir, elle prend avec elle quelque pauvre gamine de sang mêlé et n’appartenant donc à aucune religion, et elle les instruit sur toi. Je lui ai demandé : “ Pourquoi ne te fais-tu pas prosélyte ? Cela t’aiderait beaucoup. ” Elle m’a répondu : “ Parce que je ne veux pas me consacrer au peuple d’Israël, mais aux autels vides qui attendent un Dieu. Je les prépare à recevoir mon Seigneur. Puis, une fois son Règne établi, je rentrerai dans ma patrie et, sous le ciel de l’Hellade, je finirai ma vie en préparant les cœurs aux maîtres. C’est mon rêve. Mais si je meurs auparavant de maladie ou sous la persécution, je partirai tout aussi heureuse, car ce sera signe que j’ai accompli mon travail, et qu’il appelle à lui sa servante, qui l’a aimé dès la première rencontre. ”

      – C’est vrai. Syntica m’a réellement aimé dès la première rencontre.

      – Je voulais lui taire à quel point tu es tourmenté. Mais Antioche résonne comme un coquillage de toutes les rumeurs du vaste empire de Rome, donc de ce qui se passe ici. Par conséquent, Syntica n’ignore pas tes peines, et elle en souffre encore plus que d’être au loin. Elle voulait me donner de l’argent. J’ai refusé en lui conseillant de s’en servir pour les fillettes. Mais j’ai pris un couvre-chef qu’elle a tissé avec de la soie de deux grosseurs. C’est ta Mère qui l’a. Syntica a voulu dessiner avec le fil ton histoire, la sienne et celle de Jean d’En-Dor. Et sais-tu comment ? En tissant tout autour du carré une bordure représentant un agneau qui défend deux colombes contre une bande de hyènes. L’une d’elles a les ailes brisées et l’autre a rompu la chaîne qui la tenait attachée. Et l’histoire se poursuit en alternant, jusqu’au vol vers les hauteurs de la colombe aux ailes brisées, et la prison volontaire de l’autre aux pieds de l’agneau. On dirait une de ces histoires que les sculpteurs grecs retracent dans le marbre sur les festons des temples et sur les stèles de leurs morts, ou encore que les peintres peignent sur les vases. Elle voulait te l’envoyer par l’entremise d’un de mes serviteurs, mais je l’ai pris moi-même.

      – Je le porterai, parce qu’il vient d’une bonne disciple. Allons vers la maison. Quand comptes-tu partir ?

      – Demain à l’aurore, pour faire reposer les chevaux. Puis je ne m’arrêterai pas jusqu’à Jérusalem et j’irai trouver Pilate. Si je peux lui parler, je t’enverrai ses réponses par Marie. »

      Ils rentrent lentement dans la maison en parlant de sujets de moindre importance




[1] Judas s’est fait espion pour le compte du Temple et pense sans doute que Jésus ne sait pas cela, ce qui est faux.

[2] La Belle-Eau est le premier séjour des apôtres avec Jésus. Cette "retraite" a inauguré la vie apostolique.

[3] Néoménie : Nouvelle lune. Jésus mourra le 14 de ce mois de Nisan.

[4] Autrement dit, les pèlerins sont venus de toute la Palestine : du nord au sud et de l'ouest à l'est.

[5] À rapprocher de l'interrogation de Ponce Pilate, un mois plus tard, lors du procès de Jésus : "Es-tu le roi des juifs ?" (Jean 18,33).
[6] Les sanhédristes ÉliJoachim et Urie.

[7] Les sanhédristes Doras, fils de Doras et Yokhanan, (Giocana) Ben Zacchaï.

[8] Anastasica, une jeune femme répudiée, avait été éloignée de l'entourage de Judas, soupçonné d'esprit luxurieux (EMV 528.1).

[9] Cf. EMV 465.4.

[10] Nombres 9,10-11.

[11] Cf. ultérieurement EMV 636.

[12] Neapolis, Nouvelle ville en grec, est devenu Naples au temps des croisés puis Naplouse, nom qu'elle porte aujourd'hui. À noter que Maria Valtorta parle de Neapolis et non de Flavia Neapolis, nom que Neapolis (Sichem) ne tardera pas à porter en l'honneur de l'empereur romain Flavius Vespasien.

[13] Beth-Shean (maison de la sécurité) est une des villes de la Décapole rebaptisée Scythopolis (ville des scythes) en raison de la colonie qui s'y était implantée sous la dynastie des Ptolémées. Son tertre de 60 m est impressionnant et longtemps imprenable (Tell El-Hosn). La ville romaine qui existait à l'époque de Jésus, longtemps prospère, était ceinturée d'une muraille de 5 km.



SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-027.htm#_ftnref1
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/le-caractere-de-pilate.html


Dernière édition par Anayel le Lun 19 Avr - 21:13, édité 1 fois
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Lun 19 Avr - 21:09

Observations

Le mystérieux sabbat « second premier ».

Pour situer l’époque à laquelle se déroule l’épisode des « épis volés », saint Luc écrit : « Il arriva, un jour de sabbat appelé second-premier (?ν σαββ?τ? δευτεροπρ?τ? - deuteroprotos en grec), que Jésus traversait des champs de blé » (Lc 6,1). Certains Pères de l’Eglise ont supposé que cette expression sabbat second premier pouvait indiquer un moment de l'année liturgique, sans doute en relation avec la Pâque... Mais Théophylactus, saint Jean Chrysostome, saint Isidore, saint Epiphane ou saint Ambroise, pour n’en citer que quelques uns, donnèrent des explications assez confuses et contradictoires. Saint Jérôme rapporte même qu’ayant interrogé à ce sujet Grégoire de Naziance, celui-ci lui avoua « qu’il n’avait rien à répondre qui put le satisfaire ». Cette formule resta mystérieuse et continua donc à intriguer les biblistes pendant vingt siècles, au point que certains affirmèrent même qu’elle « ne veut rien dire du tout » (sic !). La plupart des versions bibliques modernes indiquent désormais simplement « un sabbat »…


Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Le-caractere-de-pilate
Les épis volés (Mt 12,1-8 ; Mc 2,23-28 ; Lc 6,1-5)



Maria Valtorta ne donne pas d’explication directe à la formule de saint Luc, mais la chronologie extrêmement précise de son récit semble apporter la solution oubliée depuis la chute du Temple ! D’après les descriptions de la mystique, cet épisode se déroule sans conteste deux semaines avant la Pentecôte (ou la fête des Moissons, aussi appelée fête des Semaines - Chavouoth), et donc cinq semaines après la Pâque. Or ce samedi se trouve être le premier sabbat après la seconde Pâque (1). L’interprétation s’impose donc ici d’évidence.

(1) La Pâque supplémentaire est prévue dans Nombres 9,10-11, et il en est longuement question en EMV 566.17.
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mar 20 Avr - 21:25

Bonjour à tous,

Ce chapitre sera divisé en deux parce qu'il est assez long Smile

Bonne lecture à tous !

Fraternellement,
Anayel

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28
 
567. Parabole de la pièce de tissu déchirée et miracle sur une femme en couches (partie 1)
 
Ancienne édition : Tome 8, chapitre 28.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 567.
 
Le 15 février 1947.
 
Mercredi 13 mars 30
Ephraïm


      567.1 Jésus se trouve, avec les femmes disciples et les deux apôtres, sur l’une des premières ondulations des montagnes qui s’élèvent derrière Ephraïm. Jeanne n’est pas accompagnée des enfants ni d’Esther. Je suppose qu’ils ont déjà été envoyés à Jérusalem, avec Jonathas. En plus de la Mère de Jésus, il y a seulement Marie, femme de Clopas, Marie Salomé, Jeanne, Elise, Nikê et Suzanne. Les deux sœurs de Lazare ne sont pas encore là.

      Elise et Nikê plient des vêtements, qui ont certainement été lavés au ruisseau qui scintille en contrebas, ou qui ont été apportés du torrent sur le plateau ensoleillé. Après en avoir regardé un, Nikê le porte à Marie, femme de Clopas :

      « Ton fils a décousu l’ourlet de celui-là aussi. »

      Marie, femme d’Alphée, prend le vêtement et le pose près des autres à côté d’elle, sur l’herbe.

      Toutes les disciples sont occupées à coudre, à réparer les déchirures qui se sont produites pendant les nombreux mois où les apôtres étaient seuls.

      Elise, qui s’approche avec d’autres habits secs, lance :

      « On voit bien que, depuis trois mois, vous n’avez pas eu avec vous une femme qui s’y connaisse ! Il n’y a pas un vêtement intact, excepté ceux du Maître, qui en revanche n’en a que deux : celui qu’il porte et celui qu’on a lavé aujourd’hui.

      – Il les a tous donnés. Il semblait pris par la frénésie de ne plus rien avoir. Il porte des vêtements de lin depuis déjà plusieurs jours, dit Judas.

      – Heureusement que ta Mère a pensé à en apporter des neufs. Celui qui est teint de pourpre est vraiment très beau. Il te fallait cela, Jésus, même si ça te va bien d’être ainsi vêtu de lin. Tu ressembles vraiment à un lys ! s’exclame Marie, femme d’Alphée.

      – Un très grand lys, Marie ! ironise Judas.

      – Mais pur comme tu ne l’es certainement pas, et pas même Jean. Toi aussi, tu portes du lin mais, sois-en sûr, tu n’as rien d’un lys ! rétorque franchement Marie, femme d’Alphée.

      – Moi, je suis brun de cheveux et de teint. C’est pour cette raison que je suis différent.

      – Non. Ce n’est pas dû à cela. C’est que toi, tu portes la candeur sur toi, mais lui l’a à l’intérieur. Elle rayonne par son regard, son sourire, sa parole. Voilà la vraie raison. Ah ! comme on est bien ici, avec mon Jésus. »

      Et la bonne Marie pose l’une de ses mains flétries de vieille femme et de travailleuse sur le genou de Jésus, qui la caresse.

      567.2 Marie Salomé, qui est en train d’examiner un vêtement, s’exclame :

      « Voilà qui est pire qu’une déchirure ! Oh ! mon fils ! Qui a bouché le trou de cette façon ? »

      Scandalisée, elle montre à ses compagnes une sorte de… nombril tout froncé en forme d’anneau qui ressort sur l’étoffe et que tiennent ensemble certains points capables d’horrifier une femme. Cette étrange réparation est l’épicentre d’une série de plis en éventail qui s’élargissent sur l’épaule du vêtement. Tout le monde rit, à commencer par Jean, l’auteur de la reprise, qui explique :

      « Je ne pouvais rester avec la déchirure… alors je l’ai bouchée !

      – Je le vois bien, pauvre de moi ! Je le vois bien ! Mais ne pouvais-tu pas le faire coudre par Marie, femme de Jacob ?

      – Elle est presque aveugle, la pauvre femme ! Et puis… le malheur, c’est que ce n’était pas une déchirure ! C’était un vrai trou. Mon habit est resté attaché au fagot que je portais sur l’épaule et, en voulant le déposer, le morceau d’étoffe est venu avec. Alors, j’ai fait cette réparation !

      – Tu l’as abîmé, mon fils. Il me faudrait… »

      Elle examine le vêtement, mais secoue la tête et dit :

      « J’espérais pouvoir enlever l’ourlet, mais il n’y en a plus…

      – C’est moi qui l’ai enlevé à Nobé, car le pli était coupé. Mais j’ai donné à ton fils la partie que j’avais retirée… explique Elise.

      – Oui, mais je m’en suis servi pour faire une corde à mon sac…

      – Nos pauvre enfants ! Comme il est nécessaire que nous soyons près d’eux ! soupire la Vierge Marie, qui répare le vêtement de je ne sais qui.

      – A cet endroit, il faut du tissu. Regardez : les points ont fini de déchirer tout autour, et d’un mal déjà grand en est venu un irréparable ; à moins que… l’on puisse trouver quelque chose qui remplace l’étoffe manquante. Alors… cela se verra encore… mais ce sera passable.

      – Tu m’as inspiré une parabole ! » dit Jésus.

      Judas intervient en même temps :

      « Je crois avoir au fond de mon sac une pièce d’étoffe de cette couleur. C’est le reste d’un vêtement qui était trop déteint pour que je le porte ; je l’ai donné à un homme qui était tellement plus petit que moi, que nous avons dû en couper presque deux palmes. Si tu attends un instant, je vais le chercher. Mais auparavant je voudrais entendre la parabole.

      – Que Dieu te bénisse. Ecoute donc. Pendant ce temps, je remets les cordons du vêtement de Jacques. Ils sont tout élimés.

      – Parle, Maître. Ensuite, je ferai ce plaisir à Marie Salomé.

      – Voici ma parabole : 567.3 je compare l’âme à une étoffe. Quand elle est infusée, elle est neuve, sans déchirure. Elle a seulement la tache originelle, mais elle n’a pas de blessures dans sa constitution, ni d’autres taches, ni de dégradation. Puis, avec le temps, et à cause des vices qu’elle accueille, elle s’use jusqu’à s’entailler, elle se tache par ses imprudences, elle se lacére par ses désordres. Alors, quand elle est déchirée, il ne faut pas la racommoder maladroitement — ce qui aggraverait les dégâts —, mais il faut de longues, patientes et parfaites reprises pour faire disparaître le plus possible les dommages. Et si l’étoffe est trop déchirée, peut-être même au point d’avoir perdu un morceau, on ne doit pas prétendre présomptueusement la réparer tout seul : il faut se tourner vers Celui dont on sait qu'il peut rendre l’âme à nouveau intègre, parce qu’il lui est permis de tout faire et parce que lui peut tout faire. Je parle de Dieu, mon Père, et du Sauveur que je suis. Mais l’orgueil de l’homme est tel que, plus grande est la ruine de son âme, plus il cherche à la rapiécer par des remèdes insuffisants qui créent une infirmité de plus en plus grande.

      Vous pourrez objecter qu’une déchirure se verra toujours. Marie Salomé vient de le dire. Oui, on verra toujours les blessures qu’une âme a subies, mais elle livre une bataille et il est normal qu’elle reçoive des coups, tant les ennemis qui la cernent sont nombreux. Mais à la vue d’un homme couvert de cicatrices, qui sont les signes d’autant de nombreuses blessures reçues en combattant pour obtenir la victoire, personne ne peut dire : “ Cet homme est impur. ” On affirmera au contraire : “ Voilà un héros. Ce sont les marques couleur de sang de sa valeur. ” Et jamais on ne verra un soldat éviter de se faire soigner par honte d’une glorieuse blessure ; il se rendra au contraire chez le médecin et lui dira avec un saint orgueil : “ Voilà, j’ai combattu et j’ai vaincu. Je ne me suis pas épargné, comme tu vois. Maintenant remets-moi sur pied, pour que je sois prêt à prendre part à d’autres batailles en vue d’autres victoires. ” Inversément, l’homme couvert des plaies de maladies impures, dues à des vices indignes, celui-là en a honte devant ses proches et ses amis, et même devant les médecins. Il est parfois tellement stupide qu’il les tient cachées jusqu’à ce que leur puanteur les révèle. Mais alors, il est trop tard pour le guérir.

      Les humbles sont toujours sincères ; ce sont même des valeu­reux qui n’ont pas à avoir honte des blessures reçues au combat. Les orgueilleux sont toujours menteurs et lâches. A cause de leur amour-propre, ils arrivent à la mort, faute de vouloir aller vers Celui qui peut les guérir et lui dire : “ Père, j’ai péché. Mais si tu veux, tu peux me guérir. ” Nombreuses sont les âmes qui, à cause de l’orgueil qui les empêche de confesser une faute initiale, arrivent à la mort. Il est alors trop tard pour elles aussi. Elles se refusent à croire que la miséricorde divine est plus puissante et plus large que toute gangrène, si profonde et si étendue qu’elle soit, et qu’elle peut tout guérir. Mais quand ces âmes des orgueilleux se rendent compte qu’elles ont méprisé tout moyen de salut, elles tombent dans le désespoir, puisqu’elles sont sans Dieu. Alors, en se disant qu’il est trop tard, elles se donnent la dernière mort, celle de la damnation. 567.4 Et maintenant, Judas, va chercher ton morceau de tissu…

      – J’y vais, mais cette parabole ne m’a pas plu. Je n’y ai rien com­pris.

      – Elle est pourtant si limpide ! Je l’ai comprise, moi qui suis une pauvre femme ! dit Marie Salomé.

      – Eh bien, pas moi ! Autrefois, tu en disais de plus belles. Maintenant… les abeilles… l’étoffe… les villes qui changent de nom… les âmes qui sont des barques… Des symboles si pauvres et si confus, qu’ils ne me plaisent plus et que je ne comprends pas… Mais je vais chercher le tissu : il est nécessaire, mais ce sera toujours un vêtement abîmé. »

      Judas se lève et s’éloigne.

      Marie a toujours plus incliné la tête sur son travail pendant que Judas parlait. Jeanne, au contraire, l’a levée en fixant l’imprudent d’un air indigné. Elise aussi l’a levée, mais ensuite elle a imité Marie, et de même Nikê. Stupéfaite, Suzanne a écarquillé ses grands yeux, et elle a observé Jésus au lieu de l’apôtre, comme si elle se demandait pourquoi il ne réagissait pas. Aucune n’a parlé ni bougé. Mais Marie Salomé et Marie, femme d’Alphée, plus populaires, se sont regardées en hochant la tête et, Judas à peine parti, Marie Salomé dit :

      « C’est lui qui a la tête à l’envers !

      – Oui, c’est pour cela qu’il ne comprend rien ! Je ne sais pas si même toi, Jésus, tu pourras la lui remettre en place. Si mon fils était ainsi, je la lui briserais complètement. Oui, comme je la lui ai faite pour qu’elle soit une tête de juste, je lui la briserais de la même façon. Il vaut mieux avoir le visage balafré que le cœur ! s’exclame Marie, femme d’Alphée.

      – Sois indulgente, Marie. Tu ne peux comparer tes enfants, qui ont grandi dans une famille honnête, dans une ville comme Nazareth, avec cet homme, intervient Jésus.

      – Sa mère est bonne. Son père n’était pas mauvais, à ce que j’ai entendu dire », répond Marie, femme d'Alphée.

      – Oui, mais son cœur ne manquait pas d’orgueil. C’est pour cela qu’il a éloigné son fils de sa mère trop tôt, et qu’il a contribué, lui aussi, à développer l’hérédité morale, qu’il avait donnée à son fils, en l’envoyant à Jérusalem. Il est douloureux de le reconnaître, mais le Temple n’est certainement pas un endroit où l’orgueil héréditaire soit susceptible de diminuer… dit Jésus.

      – Aucune place d’honneur à Jérusalem n’est indiquée pour abaisser l’orgueil et faire disparaître tout autre défaut » soupire Jeanne avant d’ajouter : « Et il en est de même de toute autre place d’honneur à Jéricho, à Césarée de Philippe, à Tibériade ou à l’autre Césarée… »

      Et elle coud rapidement en penchant son visage sur son travail plus qu’il n’est nécessaire.

      « Marie, sœur de Lazare, a de l’autorité, mais elle n’a pas d’orgueil, fait observer Nikê.

      – Maintenant ! Mais avant, elle était très fière, à l’opposé de ses parents qui ne le furent jamais, répond Jeanne.

      – Quand vont-elles arriver ? demande Marie Salomé.

      – Bientôt, si nous devons partir d’ici trois jours.

      – Travaillons rapidement, alors. Nous avons à peine le temps de tout finir, dit Marie, femme d’Alphée, pour les inciter à se presser.

      567.5 – Nous avons tardé à venir à cause de Lazare. Mais tant mieux, car cela a épargné beaucoup de fatigue à Marie, constate Suzanne.

      – Mais te sens-tu capable de faire tant de chemin ? Tu es si pâle et si lasse, Marie ! demande Marie, femme d’Alphée, en posant la main sur les genoux de la Vierge Marie et en la regardant avec peine.

      – Je ne suis pas malade, Marie, et je peux marcher, c’est certain.

      – Malade non, mais si affligée, Mère… Je donnerais dix ans de ma vie, j’accepterais n’importe quelle souffrance pour te revoir comme je t’ai vue la première fois, dit Jean, qui la regarde avec pitié.

      – Mais ton amour est déjà un remède, Jean. Je sens mon cœur se calmer en voyant combien vous aimez mon Fils. Car il n’y a pas d’autre cause à ma douleur que de voir qu’il n’est pas aimé. Ici, près de lui, et parmi vous, qui êtes si fidèles, je vais déjà mieux. Evidemment… ces derniers mois… seule à Nazareth… après l’avoir vu partir déjà si tourmenté, déjà si persécuté… et quand j’entendais toutes ces rumeurs… Ah ! quelle douleur ! Mais, près de lui, je vois, je dis : “ Au moins mon Jésus a sa Maman pour le consoler et pour lui dire des mots qui en couvrent d’autres ” ; je vois aussi que tout amour n’est pas mort en Israël. Et cela me rend la paix, un peu de paix. Pas beaucoup… car… »

      Marie n’en dit pas davantage. Elle baisse la tête, qu’elle avait levée pour parler à Jean, et on ne voit plus que le haut de son front que fait rougir une émotion muette… et puis deux larmes brillent sur le vêtement sombre qu’elle recoud.

      Jésus soupire et se lève de sa place pour aller s’asseoir à ses pieds. Là, il abandonne sa tête sur les genoux de sa Mère, il baise la main qui tient l’étoffe et reste ainsi, comme un enfant qui se repose. Marie retire l’aiguille de l’étoffe pour ne pas blesser son Fils, puis elle pose sa main droite sur la tête de Jésus penchée sur ses genoux et elle tourne son visage vers le ciel. Elle prie sûrement, bien que ses lèvres ne remuent pas ; toute son attitude montre qu’elle prie. Puis elle se penche pour déposer un baiser sur les cheveux de son Fils, près des tempes découvertes.

      567.6 Les autres gardent le silence jusqu’au moment où Marie Salomé dit :

      « Comme Judas tarde! Le soleil va se coucher ! Je n’y verrai plus clair !

      – Peut-être quelqu’un l’a-t-il arrêté », répond Jean, avant de demander à sa mère : « Veux-tu que j’aille lui dire de se dépêcher ?

      – Tu ferais bien. Car s’il ne trouve pas le même tissu, je vais raccourcir les manches, d’autant plus que l’été arrive ; et pour l’automne, je te préparerai un autre vêtement, car celui-là ne peut plus t’aller, et avec le morceau enlevé, je t’arrangerai ici. Il sera encore bon pour aller à la pêche, car je suppose que, après la Pentecôte, vous reviendrez en Galilée.

      – Dans ce cas, j’y vais » dit Jean.

      Aimable comme toujours, il demande aux autres femmes :

      « Avez-vous des vêtements déjà prêts, que je puisse emporter dans nos maisons ? Si oui, donnez-les-moi, vous serez moins char­gées au retour. »

      Les femmes rassemblent ce qu’elles ont déjà réparé et le remettent à Jean, qui fait demi-tour pour s’en aller, 567.7 mais s’arrête tout à coup en voyant arriver en courant Marie, femme de Jacob.

      La bonne petite vieille marche péniblement et se hâte autant que le lui le permettent ses nombreuses années, puis elle crie à Jean :

      « Est-ce que le Maître est ici ?

      – Oui, mère. Que veux-tu ? »

      La femme répond en continuant de courir :

      « Ada va mal… Son mari voudrait la soulager en appelant Jésus… Mais depuis que ces Samaritains ont été… si mauvais, il n’ose pas… Je lui ai dit : “ Tu ne le connais pas encore. Moi, j’y vais et… il ne… me dira pas non. ” »

      La vieille femme est tout essoufflée par la course et la montée.

      « Ne cours pas davantage. Je viens avec toi, ou plutôt je te pré­cède. Suis-nous tranquillement. Tu es trop âgée, mère, pour courir ainsi » lui dit Jésus. Puis il s’adresse à sa Mère et aux femmes disciples : « Je reste au village. Paix à vous. »

      Il prend Jean par le bras et descend rapidement avec lui. Marie, femme de Jacob, qui a repris son souffle, voudrait bien les suivre après avoir répondu aux femmes qui l’interrogent :

      « Hum ! Seul le Rabbi peut la sauver. Autrement, elle va mourir comme Rachel. Elle se refroidit, perd ses forces et se débat déjà dans les convulsions de la douleur. »

      Mais les femmes la retiennent :

      « Vous n’avez pas essayé de lui mettre des briques chaudes sous les reins ?

      – Non ! Mieux vaut l’envelopper dans de la laine imbibée de vin aromatisé, le plus chaud possible.

      – Ce qui m’a fait du bien, pour Jacques, ce furent les onctions d’huile puis les briques chaudes.

      – Faites-la boire beaucoup.

      – Si elle pouvait se tenir debout et faire quelques pas, et si pendant ce temps on lui frictionnait les reins fortement… »

      Les mères, c’est-à-dire toutes sauf Nikê et Suzanne, ainsi que la Vierge Marie qui n’a pas connu les douleurs de toute femme en mettant son Fils au jour, préconisent ceci ou cela.

      « On a tout essayé, tout ! Mais ses reins sont trop fatigués. C’est son onzième enfant ! Mais maintenant, j’y vais. J’ai repris mon souffle. Priez pour cette mère ! Que le Très-Haut la garde en vie jusqu’à l’arrivée du Rabbi. »

      Et la pauvre vieille femme, seule et bonne, s’éloigne en trottinant.

      567.8 Jésus, pendant ce temps, descend rapidement vers la ville que le soleil réchauffe. Il y entre par l’endroit opposé à celui où se trouve leur maison, c’est-à-dire par le nord-ouest d’Ephraïm alors que la maison de Marie, femme de Jacob, se trouve au sud-est. Il se hâte, sans s’arrêter pour parler avec ceux qui voudraient le retenir. Il se contente de les saluer et passe son chemin.

      Un homme remarque :

      « Il est fâché contre nous. Ceux des autres villages ont mal agi. Il a raison.

      – Non, il va chez Janoé. Sa femme se meurt à son onzième enfantement.

      – Pauvres enfants ! Et le Rabbi y va ? Il est trois fois bon : offensé, il comble de bienfaits.

      – Mais Janoé ne l’a pas offensé ! Aucun de nous ne l’a offensé !

      – Ce sont toujours des hommes de Samarie.

      – Le Rabbi est juste, et il sait faire la distinction. Allons voir le miracle.

      – Nous ne pourrons pas entrer. C’est une femme, et qui doit accoucher.

      – Mais nous entendrons pleurer l’enfant, et ce sera une voix de miracle. »

      Ils courent rejoindre Jésus, et d’autres se joignent à eux.

      567.9 Jésus arrive à la maison, désolée par l’imminent malheur. En larmes, les dix enfants — la plus grande est une fillette contre laquelle se serrent ses petits frères — restent dans un coin de l’entrée, près de la porte grande ouverte. Des femmes vont et viennent, on entend des murmures, des bruits de pieds nus qui courent sur le dallage.

      Une femme voit Jésus et pousse un cri :

      « Janoé ! Garde espoir ! Il est venu ! »

      Puis elle part au pas de course, un broc fumant dans les mains.

      Un homme accourt et se prosterne. Il ne fait qu’un geste, et dit en montrant ses enfants:

      « Je crois. Pitié pour eux.

      – Lève-toi et prends courage. Le Très-Haut aide l’homme qui a foi, et il a pitié de ses enfants affligés.

      – Oh ! viens, Maître, viens ! Elle est déjà noire, étranglée par les convulsions. Elle ne respire presque plus. Viens ! »

      L’homme, qui a déjà perdu la tête, la perd complètement en entendant une femme l’appeler :

      « Janoé, dépêche-toi ! Ada meurt ! »

      Il pousse, il tire Jésus pour le faire aller plus vite vers la chambre de la mourante, sourd aux paroles de Jésus qui répète :

      « Va, et aie foi ! »

      De la foi, il en a, le pauvre homme, mais ce qui lui manque, c’est de pouvoir comprendre le sens de ces paroles, le sens secret qui lui donne déjà la certitude du miracle. Et Jésus, poussé et tiré, monte l’escalier pour entrer dans la pièce où se trouve la femme. Il s’arrête sur le palier, à trois mètres environ de la porte ouverte qui laisse voir un visage exsangue, livide même, déjà marqué par l’agonie [1]. Les femmes ne tentent plus rien. Elles ont recouvert la femme jusqu’au menton et observent, pétrifiées dans l’attente du trépas.

      Jésus étend ses bras, s’écrie : “ Je veux ! ” et fait demi-tour pour partir.

      Le mari, les femmes, les curieux qui se sont rassemblés, restent déçus parce que, peut-être, ils espéraient que Jésus ferait quelque chose de plus extraordinaire, la naissance immédiate de l’enfant. Mais Jésus, en se frayant un passage, les regarde en face et leur dit :

      « Ne doutez pas. Ayez encore un peu de foi, juste un moment. La femme doit payer l’amer tribut de l’enfantement, mais elle va bien. »

      Puis il descend l’escalier, les laissant interdits.

      Au moment de sortir dans la rue, il dit aux dix enfant apeurés :

      « Ne craignez pas ! Votre mère est saine et sauve. »

      Ce faisant, il caresse de la main les petits visages craintifs. A ce moment, un hurlement retentit dans la maison et parvient même dans la rue, où arrive Marie, femme de Jacob, qui crie : “ Miséricorde ! ” en croyant que c’est l’annonce de la mort.

      « N’aie pas peur, Marie, et dépêche-toi ! Tu vas voir le bébé naître. Les forces sont revenues avec les douleurs, mais bientôt ce sera la joie. »

      567.10 Il s’éloigne avec Jean. Personne ne le suit, car tout le monde veut voir si le miracle s’accomplit ; d’autres accourent même vers la maison, car la nouvelle s’est répandue que le Rabbi est allé sauver Ada.

A suivre...


[1] La loi interdisait d’entrer pendant l’accouchement. Des samaritains l’ont évoquée plus haut. Lors du procès de Jésus, on l’accusera d’avoir transgressé cette loi en pénétrant dans la chambre.



SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-028.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/discours-a-judas-supris-a-voler.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par sofoyal Mar 20 Avr - 23:56

Et voila!
A la fin de cet épisode, Comme souvent, on souffle apaisés et heureux.

Mais non, on a pas versé une petite larme!
(snirf!) C'est juste une petite fatigue des yeux et une petite grippe qui nous fait couler le nez. Wink

Merci @Anayel!


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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mer 21 Avr - 21:22

Ah, il y a bien des épisodes où on se sent tout rafraichi spirituellement, tellement on s'est nourri des paroles et des actes de notre Seigneur Wink Et puis, disons-le aussi, les femmes-disciples sont tellement bonnes que leur foi nous fait du bien et qu'on les aime comme si c'était nos propres soeurs dans la foi.

Et puis quand Jésus fait des miracles, que c'est beau !

Et on souffle, comme tu dis, heureux que Jésus ait donné la joie et la paix à ces âmes. Qu'elle était belle, sa mission de Rédempteur ! Elle était douloureuse aussi, l'épisode d'aujourd'hui va nous le montrer, mais on voit vraiment son coeur paternel agir pour tout un chacun à travers cette Oeuvre.

Fraternellement en Jésus,
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mer 21 Avr - 21:47

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

567. Long discours à Judas, surpris à voler (partie 2)

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 28.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 567.

Le 15 février 1947.

Mercredi 13 mars 30
Ephraïm


      567.10 Il s’éloigne avec Jean. Personne ne le suit, car tout le monde veut voir si le miracle s’accomplit ; d’autres accourent même vers la maison, car la nouvelle s’est répandue que le Rabbi est allé sauver Ada. Cela permet à Jésus de se faufiler par une ruelle et d’arriver sans encombre à une maison où il entre en appelant :

      « Judas ! Judas ! »

      Personne ne répond.

      « Il est monté là-haut, Maître. Nous pouvons nous aussi aller à la maison. Je dépose ici les vêtements de Judas, de Simon et de ton frère Jacques, puis je mettrai ceux de Simon-Pierre, d’André, de Thomas et de Philippe chez Anne. »

      C’est ce qu’ils font, et je comprends que pour laisser la place aux femmes disciples, les apôtres — du moins une partie d’entre eux — ont déménagé dans d’autres maisons.

      Désormais débarrassés des vêtements, ils marchent en devisant vers la maison de Marie, femme de Jacob, et y entrent par la petite porte du jardin, qui est seulement poussée. La maison est silencieuse et vide. Jean voit, posée à terre, une amphore pleine d’eau et, pensant peut-être que la femme l’a déposée là avant qu’on ne l’appelle pour assister la mourante, il la prend et se dirige vers une pièce fermée. Jésus s’attarde dans le couloir pour enlever son manteau et le plier avec son soin habituel avant de le déposer sur le coffre de l’entrée.

      567.11 Jean ouvre la porte et pousse un “ ah ! ” presque terrifié. Il laisse tomber le broc et couvre ses yeux de ses mains, en se courbant comme pour se faire petit, pour disparaître, pour ne pas voir. De la pièce arrive un bruit de pièces de monnaie qui se répandent sur le sol en résonnant.

      Jésus est déjà à la porte. Il m’a fallu plus de temps pour décrire qu’à lui pour arriver. Il écarte vivement Jean, qui gémit : « Va-t’en ! Va-t’en ! », pousse la porte entrouverte et entre.

      C’est la pièce où, depuis que les femmes sont là, ils prennent leurs repas. Il y a là deux coffres anciens en fer et, devant l’un d’eux, juste en face de la porte, se trouve Judas, livide, les yeux étincelants de colère et en même temps d’effroi, avec une bourse dans les mains… Le coffre-fort est ouvert… des pièces sont répandues sur le sol et d’autres tombent par terre en glissant d’une bourse posée sur le bord du coffre, ouverte, et à moitié vide. Rien ne laisse le moindre doute sur ce qui se passe : Judas est entré dans la maison, il a forcé le coffre et il a volé. Il était en train de voler.

      Personne ne dit mot. Personne ne bouge. Mais c’est pire que si tous criaient et se lançaient les uns contre les autres. Ce sont trois statues : Judas le démon, Jésus le Juge, Jean, terrorisé par la révélation de la bassesse de son compagnon.

      La main de Judas qui tient sa bourse est agitée par un tremblement, et les pièces qui s’y trouvent s’entrechoquent avec un tintement étouffé.

      Jean est tout tremblant et, bien qu’il soit resté les mains serrées sur sa bouche, il est visible qu’il claque des dents. Ses yeux effrayés regardent Jésus plus que Judas.

      Jésus ne frémit pas. Il est debout, glacial, rigide.

      Finalement, il fait un pas, un geste et prononce un mot. Un pas vers Judas, un geste pour faire signe à Jean de se retirer, et un mot :

      « Va-t’en ! »

      Mais Jean a peur et gémit :

      « Non ! Non ! Ne me renvoie pas. Laisse-moi ici. Je ne dirai rien… mais laisse-moi ici, avec toi.

      – Va-t’en ! Ne crains rien ! Ferme toutes les portes… et s’il vient quelqu’un… n’importe qui… même ma Mère… ne le laisse pas entrer ici. Va, obéis !

      – Seigneur !… »

      On dirait que c’est Jean le coupable, tant il est suppliant et abattu.

      « Va, te dis-je. Il n’arrivera rien. Va ! »

      Jésus adoucit son injonction en posant la main sur la tête de son Préféré en un geste caressant, et je vois que cette main tremble. Jean la sent trembler, il la prend et la baise avec un sanglot qui exprime mille sentiments. Puis il sort.

      567.12 Jésus ferme la porte avec le verrou. Il se retourne pour regarder Judas, qui doit être bien anéanti puisque, lui qui est toujours si audacieux, n’ose pas le moindre mot, pas le moindre geste.

      Jésus va droit devant lui, en contournant la table qui occupe le milieu de la pièce. Je ne sais dire s’il marche rapidement ou lentement. Je suis trop épouvantée par l’expression de son visage pour mesurer le temps. Je vois ses yeux, et j’ai peur comme Jean. Judas lui aussi a peur, il s’arrête entre le coffre et une fenêtre grand ouverte par laquelle la lumière rouge du couchant se déverse toute sur Jésus.

      Quels yeux a Jésus ! Il ne dit pas un mot. Mais quand il voit que de la ceinture du vêtement de Judas dépasse une sorte de crochet, il a une réaction effrayante. Il lève le bras, poing fermé, comme pour frapper le voleur, et sa bouche esquisse le mot : “ Maudit ! ” Mais il se domine. Il arrête le bras qui allait s’abattre et coupe le mot après la première syllabe. Faisant pour se maîtriser un effort qui le fait frémir tout entier, il se borne à desserrer son poing fermé, à abaisser son bras levé à la hauteur de la bourse que Judas tient, et à l’arracher pour la jeter par terre, foule aux pieds la bourse et les pièces, et les disperse avec une fureur contenue mais terrible. Il dit en suffoquant :

      « Va-t’en ! Ordure de Satan ! Or maudit ! Crachat d’enfer ! Venin de serpent ! Sors d’ici ! »

      Judas, qui a poussé un cri étouffé quand il a vu Jésus près de le maudire, reste sans réaction. Mais de l’autre côté de la porte fermée, un autre cri résonne quand Jésus lance la bourse contre le sol, ce qui exaspère le voleur et lui rend son audace démoniaque. Il en devient furieux et se jette presque contre Jésus en hurlant :

      « Tu m’as fait espionner pour me déshonorer, espionner par un garçon imbécile qui ne sait même pas se taire, qui me fera honte en face de tous ! C’est ça que tu voulais ! D’ailleurs… Oui ! Moi aussi, je le veux. Je le veux ! Te pousser à me chasser ! T’amener à me maudire ! A me maudire ! A me maudire ! J’ai tout essayé pour me faire mettre à la porte. »

      Enroué par la colère, brutal comme un démon, il halète comme si quelque chose l’étranglait.

      Jésus lui répète à voix basse, mais sur un ton terrible :

      « Voleur ! Voleur ! Voleur ! » et il achève : « Aujourd’hui voleur, demain assassin. Comme Barabbas. Pire que lui. »

      Il lui souffle ces mots au visage, car ils sont maintenant très proches.

      567.13 Une fois qu’il a repris son souffle, Judas rétorque :

      « Oui, voleur, et par ta faute. Tout le mal que je fais, c’est par ta faute, et tu ne te lasses jamais de me détruire. Tu sauves tout le monde. Tu donnes de l’amour et des honneurs à tous. Tu accueilles les pécheurs ; les prostituées ne te rebutent pas, tu traites en amis les voleurs, les usuriers et les flagorneurs comme Zachée, tu reçois comme si c’était le Messie l’espion du Temple, ô sot que tu es ! Et tu nous donnes pour chef un ignare, pour trésorier un gabelou, et pour confident tu prends un imbécile. Et à moi, tu mesures le moindre sou, tu ne me laisses pas d’argent, tu me gardes auprès de toi comme un galérien cloué sur son banc de rameur. Tu ne veux même pas que nous… je dis nous, mais c’est moi, moi seul, qui ne dois pas accepter d’obole des pèlerins. C’est pour éviter que je touche de l’argent, que tu as ordonné de n’accepter l’argent de personne. La raison, c’est que tu me hais. Eh bien : moi aussi je te hais ! Tu n’as pas su me frapper et me maudire, tout à l’heure. Ta malédiction m’aurait réduit en cendres. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? Je l’aurais préféré plutôt que de te voir si incapable, si faible, un homme fini, un homme vaincu…

      – Tais-toi !

      – Non ! As-tu peur que Jean entende ? As-tu peur qu’il com­prenne enfin qui tu es, et qu’il t’abandonne ? Ah oui ! c’est ce que tu redoutes, toi qui fais le héros ! Oui, tu as peur ! Et tu as peur de moi. Tu as peur ! C’est pour cela que tu n’as pas su me maudire. C’est pour cela que tu feins l’amour, alors que tu me hais ! Pour me flatter ! Pour me tenir tranquille ! Tu sais que je suis une force ! La force qui te hait et qui te vaincra ! Je t’ai promis que je te suivrais jusqu’à la mort, en t’offrant tout, et je t’ai tout offert ; et je resterai près de toi, jusqu’à ton heure et mon heure. Roi magnifique qui ne sait pas maudire et chasser ! Roi des nuages ! Roi idole ! Roi imbécile ! Menteur ! Tu es traître à ton propre destin. Tu m’as toujours méprisé, dès notre première rencontre. Tu n’as pas su me comprendre. Tu te croyais sage, mais tu es un idiot. Je t’enseignais le bon chemin. Mais toi… Oh ! tu es le pur ! Tu es la créature qui est homme mais qui est Dieu, et tu méprises les conseils de l’Intelligent. Tu t’es trompé dès le premier moment, et tu te trompes. Tu… Tu es… Ah ! »

      567.14 Le flot de paroles cesse brusquement, suivi d’un silence lugubre après tant de cris, et une immobilité aussi lugubre après tant de gesticulation. Pendant que j’écrivais sans pouvoir dire ce qui se passait, Judas, courbé, semblable, oui, semblable à un chien féroce qui guette sa proie et s’en approche, prêt à s’élancer dessus, s’est approché de plus en plus de Jésus, avec un visage dont la vue est insoutenable, les mains crispées, les coudes serrés contre le corps, comme s’il allait réellement l’attaquer. Mais Jésus ne montre pas la moindre peur et tourne même le dos à Judas — qui aurait pu l’assaillir et lui sauter au cou s’il l’avait voulu — pour ouvrir la porte et vérifier dans le couloir que Jean est vraiment parti. Le couloir est vide et presque obscur, car Jean a fermé la porte qui donne sur le jardin après être sorti par là. Alors Jésus referme la porte, la verrouille et s’adosse contre elle, en attendant, sans un geste ni un mot, que la furie de Judas retombe.

      Je ne suis pas compétente, mais je crois ne pas me tromper en disant que, par la bouche de Judas, c’est Satan lui-même qui parlait, que c’était un moment de possession évidente de Satan dans l’apôtre perverti, déjà au seuil du Crime, déjà damné par sa propre volonté. La manière même dont s’arrête le flot de paroles, laissant l’apôtre comme abasourdi, me rappelle d’autres scènes de possessions, vues pendant les trois années de la vie publique de Jésus.

      Jésus, adossé à la porte, tout blanc contre le bois sombre, ne fait pas le moindre geste. Mais ses yeux lancent sur l’apôtre un regard puissant de douleur et de ferveur. Si on pouvait dire que des yeux prient, je dirais que ceux de Jésus le font pendant qu’il regarde le malheureux ; en effet, ce n’est pas seulement la maîtrise que transmet ce regard si affligé, c’est aussi la ferveur d’une prière. Puis, vers la fin de l’altercation de Judas, Jésus ouvre les bras, qui étaient serrés contre son corps, mais pas pour toucher Judas, faire un geste vers lui ou pour les lever vers le ciel. Il les ouvre horizontalement, en prenant la pose du Crucifié, là, contre le bois sombre et le mur rougeâtre. C’est alors que, dans la bouche de Judas, le rythme des mots ralentit et que sort le “ Ah ” qui interrompt son discours.

      Jésus reste comme il est, les bras ouverts, et regarde toujours l’apôtre avec cet air douloureux et priant. Judas, comme quelqu’un qui sort du délire, se passe la main sur le front, sur son visage en sueur… réfléchit et, se souvenant de tout, s’écroule par terre. Je ne sais s’il pleure ou non. Ce qui est certain, c’est qu’il s’affale comme si les forces lui manquaient.

      567.15 Jésus baisse les yeux et les bras et, d’une voix sourde mais distincte, il lui dit :

      « Eh bien ? Est-ce que je te hais ? Je pourrais te frapper du pied, t’écraser en te traitant de “ ver ”, je pourrais te maudire, comme je t’ai délivré de la force qui te fait délirer. Tu as pris pour de la faiblesse mon impossibilité à te maudire. Non, ce n’est pas de la faiblesse ! C’est que je suis le Sauveur. Et le Sauveur ne peut maudire. Il peut sauver. Il veut sauver… Tu as dit : “ Je suis la force. La force qui te hait et qui te vaincra. ” Moi aussi, je suis la Force et même : je suis l’unique Force. Mais ma force n’est pas de la haine, c’est de l’amour. Or l’amour ne hait pas et ne maudit pas, jamais. La Force pourrait triompher aussi dans les duels comme celui-ci entre toi et moi, entre Satan qui est en toi et moi, et t’enlever ton maître, pour toujours, comme je viens de le faire en devenant le signe qui sauve, le Tau que Lucifer ne peut voir. Il pourrait aussi remporter la victoire dans ces duels, comme il vaincra dans le combat prochain contre Israël incrédule et assassin, contre le monde et contre Satan, vaincu par la Rédemption. Il pourrait même avoir le dessus dans ces duels, comme ce sera le cas dans cette ultime bataille, lointaine si l’on compte en siècles, proche pour qui mesure le temps à l’aune de l’éternité.

      Mais à quoi servirait-il de violer les règles parfaites de mon Père ? Serait-ce justice ? Y aurait-il mérite ? Non. Il n’y aurait ni justice ni mérite. Pas de justice à l’égard des autres hommes coupables, auxquels ne serait pas enlevée la liberté de l’être, et qui pourraient au dernier jour me demander la raison de leur condamnation et me reprocher ma partialité à l’égard de toi seul. Ils seront des centaines de mille, qui commettront les mêmes péchés que toi et se livreront au démon de leur propre volonté, qui offenseront Dieu, tortureront père et mère et seront assassins, voleurs, menteurs, adultères, luxurieux, sacrilèges, et enfin déicides, en tuant matériellement le Christ un jour prochain, ou spirituellement dans leur cœur dans les temps futurs.

      Et tous pourraient me dire, quand je viendrai séparer les agneaux des boucs, pour bénir les premiers et pour maudire — alors oui, pour maudire les seconds, pour maudire car il n’y aura plus de rédemption, mais gloire ou condamnation —, pour les maudire de nouveau après les avoir déjà maudits en particulier à leur mort et à leur jugement particulier.

      En effet l’homme, tu le sais pour me l’avoir entendu dire des milliers de fois, l’homme peut se sauver tant que dure sa vie, jusqu’à son dernier soupir. Il suffit d’un instant, d’un millième de minute, pour que tout soit dit entre l’âme et Dieu, pour qu’elle demande pardon et obtienne l’absolution… Tous ces damnés, disais-je, pourraient me dire : “ Pourquoi ne nous as-tu pas attachés au Bien, comme tu l’as fait pour Judas ? ” Et ils auraient raison.

      567.16 Car tout homme naît avec les mêmes dons naturels et sur­naturels : un corps et une âme. Et alors que le corps, étant engendré par des hommes, peut être plus ou moins robuste, en plus ou moins bonne santé à sa naissance, l’âme, créée par Dieu, est pareille pour tous, douée des mêmes propriétés, des mêmes dons de Dieu. Entre l’âme de Jean-Baptiste et la tienne, il n’y avait pas de différence quand elles furent infusées dans la chair. Et pourtant, je t’affirme que, même si la grâce ne l’avait pas d’avance sanctifié, pour que le Héraut du Christ soit sans tache, comme il conviendrait que le soient tous ceux qui m’annoncent, du moins pour ce qui regarde les péchés actuels, son âme aurait été, serait devenue bien différente de la tienne, ou plutôt la tienne serait devenue différente de la sienne.

      Il aurait en effet gardé son âme dans la fraîcheur de l’innocence, il l’aurait même parée de toujours plus de justice en secondant la volonté de Dieu, qui désire que vous soyez justes, en développant les dons gratuits reçus avec une perfection toujours plus héroïque. Toi, au contraire… Tu as dévasté ton âme et dispersé les dons que Dieu lui avait accordés. Qu’as-tu fait de ton libre arbitre ? De ton intelligence ? As-tu gardé à ton esprit la liberté qu’il possédait ? As-tu employé l’intelligence de ton esprit avec discernement ? Non. Tu ne veux pas m’obéir à moi, je ne dis pas à moi-Homme, mais même pas à moi-Dieu, tu as obéi à Satan. Tu t’es servi de l’intelligence de ta pensée et de la liberté de ton esprit pour prendre le parti des Ténèbres. Volontairement.

      Tu as été placé devant le Bien et le Mal. Tu as choisi le Mal. Tu n’as d’ailleurs été placé que devant le Bien, moi. L’Eternel, ton Créateur, qui a suivi l’évolution de ton âme, qui connaissait même cette évolution, puisque l’éternelle Pensée n’ignore rien de ce qui se fait depuis que le temps existe, t’a placé devant le Bien, devant le Bien seul, car il te sait plus faible qu’une algue de fossé.

      567.17 Tu m’as crié que je te hais.

      Or je ne fais qu’un avec le Père et avec l’Amour, un ici comme au Ciel. Car en moi coexistent les deux natures : le Christ, par sa nature humaine, se trouve à Ephraïm et ne peut être autre part à cet instant, tant que sa victoire ne l’aura pas libéré des limites humaines ; comme Dieu, Verbe de Dieu, je suis à la fois au Ciel et sur terre, ma divinité étant toujours omniprésente et toute-puissante.

      Par conséquent, puisque je suis un avec le Père et l’Esprit Saint, l’accusation que tu as portée contre moi, c’est contre le Dieu un et trine que tu l’as portée. Contre ce Dieu-Père qui t’a créé par amour, contre ce Dieu-Fils qui s’est incarné pour te sauver par amour, contre ce Dieu-Esprit qui t’a parlé tant de fois pour te donner de bons désirs, par amour. Contre ce Dieu un et trine, qui t’a tant aimé, qui t’a mené sur mon chemin, en te rendant aveugle au monde pour te donner le temps de me voir, sourd au monde pour te donner la possibilité de m’entendre.

      Mais toi !… Toi !… Après m’avoir vu et entendu, après être venu librement au Bien, en te rendant compte par ton intelligence que c’était l’unique voie de la vraie gloire, tu as repoussé ce Bien et tu t’es donné librement au Mal. Mais si tu l’as voulu par ton libre-arbitre, si tu as toujours plus rudement repoussé ma main qui s’offrait à toi pour te tirer hors du gouffre, si tu t’es toujours plus éloigné du port pour t’enfoncer dans la mer furieuse des passions, du Mal, comment peux-tu me dire, à moi, à Celui de qui je procède, à Celui qui m’a formé comme homme pour essayer de te sauver, comment peux-tu dire que nous t’avons haï ?

      Tu m’as reproché de vouloir ton mal… L’enfant malade lui aussi reproche au médecin et à sa mère les remèdes amers qu’ils lui font boire et les choses agréables qu’ils lui refusent pour son bien. Satan t’a-t-il aveuglé et rendu fou au point que tu ne comprennes plus la vraie nature des précautions que j’ai prises en ta faveur et que tu puisses arriver à appeler malveillance, désir de te détruire, ce qui était un soin prévoyant de ton Maître, de ton Sauveur, de ton Ami pour te guérir ? Je t’ai gardé près de moi… Je t’ai retiré l’argent des mains. Je t’ai empêché de toucher ce métal maudit qui te rend fou… Mais ne sais-tu pas qu’il en est comme de ces breuvages magiques qui éveillent une soif inextinguible et suscitent dans le sang une ardeur, une fureur qui mène à la mort ?

      Mais je lis dans tes pensées, tu es en train de me reprocher : “ Dans ce cas, pourquoi m’avoir laissé si longtemps être le responsable de l’argent ? ” Pourquoi ? Parce que si je t’avais empêché plus tôt de toucher l’argent, tu te serais vendu plus tôt et tu aurais volé plus tôt. Tu t’es vendu quand même, parce que tu pouvais voler peu de choses… Mais moi, je devais essayer de l’empêcher sans faire violence à ta liberté. 567.18 L’or est la cause de ta perte. Il t’a rendu luxurieux et traître…

      – Et voilà ! Tu as cru aux paroles de Samuel ! Je ne suis pas… »

      Jésus, qui s’était animé au fur et à mesure de son discours, mais sans jamais prendre un ton violent ou annonciateur de châtiment, pousse un cri imprévu de domination, je dirais même de sainte colère. Il darde son regard sur le visage que Judas a levé pour parler et il lance un “ Tais-toi ! ” qui semble être l’éclat de la foudre.

      Judas retombe sur ses talons et n’ouvre plus la bouche.

      Un silence s’établit, pendant lequel Jésus fait un effort visible sur lui-même pour rendre à son humanité une attitude paisible, une maîtrise si puissante qu’elle témoigne à elle seule du divin qui est en lui. Il recommence à parler de sa voix habituelle, chaude, douce même quand elle est sévère, persuasive, conquérante… Il n’y a que les démons qui puissent résister à cette voix.

      « Je n’ai pas besoin, pour connaître tes actions, que Samuel ou qui que ce soit d’autre vienne me faire des révélations. Mais, malheureux, sais-tu devant qui tu te trouves ? C’est vrai ! Tu dis que tu ne comprends plus mes paraboles. Tu ne comprends plus mes paroles. Pauvre malheureux ! Tu ne te comprends même plus toi-même. Tu ne comprends même plus le bien et le mal. Satan, à qui tu t’es donné de multiples façons, Satan que tu as suivi dans toutes les tentations qu’il te présentait, t’a rendu faible d’esprit. Pourtant, autrefois, tu me comprenais ! Tu croyais que je suis Celui qui est ! Et ce souvenir n’est pas éteint en toi. Comment peux-tu croire que le Fils de Dieu, que Dieu lui-même a besoin des paroles d’un homme pour connaître la pensée et les actes d’un autre ? Tu n’es pas encore perverti au point de ne pas croire que je suis Dieu, et c’est en cela que réside ta faute la plus grande. La peur que tu as de ma colère suffit à prouver que tu le crois. Tu sens que tu ne luttes pas contre un homme, mais contre Dieu-même, et tu trembles. Tu trembles parce que, Caïn, tu ne peux voir Dieu et te le représenter autrement que comme celui qui se venge lui-même et qui venge les innocents. Tu redoutes de subir le même sort que Coré, Datân et Abiram, et leurs partisans [2].

      Mais bien que tu saches qui je suis, tu luttes contre moi. Je devrais te dire : “ Maudit ! ” Mais je ne serais plus le Sauveur… 567.19 Tu voudrais que je te chasse. Tu fais tout, dis-tu, pour y parvenir. Cette raison ne justifie pas tes actes, car tu n’as pas besoin de pécher pour te séparer de moi. Tu peux le faire, je t’assure. Je te le dis depuis Nobé, quand tu es revenu vers moi par une pure matinée, souillé par le mensonge et l’impureté, comme si tu étais sorti de l’enfer pour tomber dans la fange des porcs, ou sur la litière de guenons libidineuses [3]. J’ai dû faire effort sur moi-même pour ne pas te repousser du bout du pied comme une loque dégoûtante et pour arrêter la nausée qui me bouleversait non seulement l’âme, mais aussi les entrailles. Je te l’ai toujours dit, même avant de te recevoir, même avant de venir ici. C’était vraiment pour toi, pour toi seul, que j’ai fait ce discours. Mais tu as toujours voulu rester. Pour ta perte. Toi ! Ma plus grande douleur !

      Mais voilà que tu penses et que tu dis, ô hérétique et chef de file de beaucoup d’hommes à venir, que je suis au-delà de la douleur.

      Non. Je suis seulement au-dessus du péché et de l’ignorance : au-dessus du péché en tant que Dieu, au-dessus de l’ignorance, car il ne peut y avoir d’ignorance dans une âme qui n’est pas blessée par le péché originel. Mais je te parle comme homme, comme l’Homme, comme l’Adam rédempteur venu réparer la faute d’Adam pécheur, et montrer ce qu’aurait été l’homme s’il était resté dans l’état où il fut créé : innocent. Parmi les dons de Dieu à cet Adam, n’y avait-il pas une intelligence intacte et une très grande science, puisque l’union avec Dieu déversait les lumières du Père tout-puissant dans son fils béni ? Moi, le nouvel Adam, je suis au-dessus du péché par ma propre volonté…

      567.20 Un jour, il y a longtemps, tu t’es étonné que j’aie été tenté, et tu m’as demandé si je n’avais jamais cédé [4]. Tu t’en souviens ? Et je t’ai répondu… Oui, comme je pouvais te répondre… Car dès cette époque, tu étais… un homme tellement déchu, qu’il était inutile de te mettre sous les yeux les perles très précieuses des vertus du Christ. Tu n’en aurais pas compris la valeur et… tu les aurais prises pour… des cailloux, tant leur taille était exceptionnelle. Dans le désert aussi, je t’ai répondu en te répétant les paroles [5], le sens des paroles que je t’avais dites en allant à Gethsémani.

      Si cela avait été Jean ou même Simon le Zélote qui avait réitéré cette question, j’aurais répondu d’une autre manière, car Jean est un pur et il ne l’aurait pas posée avec la malice dont tu faisais preuve, perfide comme tu étais… et parce que Simon est un vieux sage et, sans ignorer la vie comme Jean, il est arrivé à une sagesse qui sait contempler tout événement sans en être troublé intérieurement. Mais eux ne m’ont pas demandé si je n’avais jamais cédé aux tentations, à la tentation la plus commune, à cette tentation-là. Car dans la pureté intacte du premier, il n’y a pas de souvenirs de luxure, et dans l’esprit méditatif du second, il y a une grande lumière qui lui permet de voir resplendir la pureté en moi.

      Mais toi, tu as voulu savoir… et je t’ai répondu, comme je le pouvais. Avec cette prudence qui ne doit jamais se départir de sincérité, l’une et l’autre saintes aux yeux de Dieu. Cette prudence est comme le triple voile tendu entre le Saint et le peuple, pour cacher le secret du Roi [6]. Cette prudence règle les paroles selon le sujet qui les entend, selon sa capacité intellectuelle à comprendre, sa pureté spirituelle et sa justice. Car certaines vérités, révélées à des gens souillés, deviennent pour eux objet de risée, non de vénération…

      567.21 Je ne sais si tu te souviens de tout ce que je t’ai exposé alors. Moi, je m’en souviens, et je te les répète ici, à cette heure où toi et moi sommes tous les deux sur le bord de l’Abîme. Parce que… Mais il n’est pas besoin de dire cela. Je l’ai dit dans le désert [7], en réponse au “ pourquoi ” que ma première explication n’avait pas apaisé : “ Le Maître ne s’est jamais senti supérieur à l’homme pour être le ‘ Messie ’. Au contraire, sachant qu’il était l’Homme, il a voulu l’être en tout, excepté le péché. Pour être maître, il faut avoir été élève. Moi, je savais tout, en tant que Dieu. Mon intelligence divine pouvait me faire comprendre même les combats de l’homme, intellectuellement. Mais un jour, l’un de mes pauvres amis aurait pu me reprocher : ‘ Tu ne sais pas ce que cela veut dire, d’être homme et de devoir faire face à la volupté et aux passions. ’ Cette critique aurait été justifiée. Je suis venu ici me préparer, non seulement à ma mission, mais aussi à la tentation, à la tentation satanique. Car l’homme n’aurait pas pu avoir de pouvoir sur moi. Satan est venu à la fin de mon union solitaire avec Dieu, et j’ai senti que j’étais l’Homme avec une chair sujette aux faiblesses de la chair : la faim, la lassitude, la soif, le froid. J’ai senti la matière avec ses exigences, le moral avec ses passions. Et si, par ma volonté, j’ai dompté dès leur apparition toutes les passions mauvaises, j’ai laissé croître les saintes passions. ” Te souviens-tu de ces mots ?

      Et j’ai dit encore, la première fois, à toi, à toi seul : “ La vie est un don saint, donc il faut l’aimer saintement. La vie est un moyen qui sert à une fin : l’éternité. ” J’ai ajouté : “ Alors donnons à la vie ce dont elle a besoin pour durer et pour servir l’esprit dans sa conquête : la continence de la chair malgré ses appétits, la continence de l’esprit dans ses désirs, la continence du cœur dans toutes les passions qui appartiennent à l’humain, et un élan sans limites vers les passions du Ciel : amour pour Dieu et le prochain, volonté de servir Dieu et le prochain, obéissance à la voix de Dieu, héroïsme dans le bien et dans la vertu. ”

      567.22 Tu m’as alors fait remarquer que cela m’était possible parce que j’étais saint, mais que toi, tu ne le pouvais pas, parce que tu étais un homme jeune, plein de vigueur. Comme si la jeunesse et la vigueur étaient une excuse pour le vice, comme si seuls étaient soustraits aux tentations des sens les vieux ou les malades, devenus à cause de leur âge ou de leur faiblesse impuissants pour ce à quoi tu pensais — brûlé comme tu l’es par la luxure – ! J’aurais pu te répliquer bien des arguments, à cette époque. Mais tu n’étais pas en état de les comprendre. Tu ne l’es pas davantage aujourd’hui, mais au moins, maintenant, tu ne peux plus sourire d’un air incrédule si je t’affirme que l’homme en bonne santé peut être chaste, s’il n’accueille pas de lui-même les séductions du démon et des sens.

      La chasteté est une affection spirituelle, un comportement qui se répercute sur la chair et l’envahit tout entière, l’élève, la parfume, la préserve. L’homme imprégné de chasteté n’a pas de place en lui pour les autres motions qui ne sont pas bonnes. La corruption n’entre pas en lui. Il n’y a pas de place pour elle. Du reste, la corruption n’entre pas du dehors. Ce n’est pas un mouvement de pénétration de l’extérieur vers l’intérieur. C’est un mouvement qui, de l’intérieur, du cœur, de la pensée, sort pour pénétrer et envahir l’enveloppe : la chair. C’est la raison pour laquelle j’ai précisé que c’est du cœur que sort la corruption [8], sous toutes ses formes [9]. Aucun adultère, aucune débauche, aucun péché sensuel ne tire son origine de l’extérieur. Tous proviennent de l’activité d’une pensée corrompue qui revêt d’un aspect excitant tout ce qu’elle voit. Tous les hommes ont des yeux pour voir. Alors comment se fait-il qu’une femme laisse indifférents dix hommes qui la regardent comme une créature semblable à eux, et la considèrent même comme une belle œuvre de la Création, sans pour autant sentir se soulever en eux des attraits et des imaginations obscènes, mais trouble le onzième homme et l’amène à des désirs indignes ? C’est que ce onzième a corrompu son cœur et sa pensée, et là où dix voient une sœur, lui voit une femelle.

      567.23 Sans entrer dans ces explications autrefois, je t’ai expliqué que je suis venu, non pour les anges, mais pour les hommes [10]. Je suis venu rendre aux hommes leur royauté d’enfants de Dieu, en leur enseignant à vivre en dieux. Dieu est exempt de luxure, Judas. Mais j’ai voulu vous montrer que l’homme aussi peut en être exempt. J’ai voulu vous montrer qu’on peut vivre comme je l’enseigne. Pour ce faire, j’ai dû prendre une vraie chair pour pouvoir subir les tentations de l’homme et dire à l’homme, après l’avoir instruit : “ Faites comme moi. ”

      Et tu m’as demandé si j’avais péché, puisque je suis tenté. T’en souviens-tu ? Tu ne pouvais comprendre que j’aie été tenté sans chuter [11], car il te semblait que la tentation ne convenait pas pour le Verbe et qu’il était impossible que l’Homme ne pèche pas. Je t’ai répondu que tous peuvent être tentés, mais que ne sont pécheurs que ceux qui veulent l’être. Ton étonnement fut grand, tu n’y croyais pas, au point que tu as insisté : “ Tu n’as vraiment jamais péché ? ” A cette époque-là, tu pouvais être incrédule. Nous nous connaissions depuis peu. La Palestine est pleine de rabbis dont la doctrine qu’ils enseignent est à l’antithèse de la vie qu’ils mènent. Mais aujourd’hui, tu sais que je n’ai pas péché, que je ne pèche pas. Tu sais que la tentation, même la plus violente, qui s’en prend à l’homme que je suis, en bonne santé, viril, vivant parmi les hommes, entouré par eux et par Satan, ne me trouble pas jusqu’au péché. Mieux, toute tentation repoussée en augmentait la virulence, car le démon la rendait toujours plus violente pour me vaincre, et la victoire n’en était que plus éclatante. Et je ne parle pas seulement de la volupté, ce tourbillon qui a tourné autour de moi sans pouvoir ébranler ni même érafler ma volonté.

      Il n’y a pas de péché là où l’on ne consent pas à la tentation, Judas. En revanche, faire bon accueil à la tentation et s’y arrêter, même sans consommer l’acte, est déjà un péché. Ce sera un péché véniel, mais c’est déjà se diriger vers le péché mortel qu’il prépare en vous, car accueillir la tentation et vous y arrêter par la pensée, suivre mentalement les phases d’un péché, c’est vous affaiblir vous-mêmes. Satan le sait, et c’est pour cela qu’il réitère ses tentatives, dans l’espoir constant que l’une d’elles réussisse à pénétrer en vous et vous travaille intérieurement… Après… il sera facile de changer l’homme tenté en coupable.

      Mais autrefois, tu n’as pas compris. Tu ne pouvais pas comprendre. Maintenant, tu le peux. Maintenant, tu mérites moins qu’alors de comprendre, et pourtant je te répète ces paroles que je t’ai dites à toi, pour toi, parce que toi — à l’inverse de moi — tu es un homme en qui la tentation repoussée ne s’apaise pas… Elle ne s’apaise pas parce que tu ne la repousses pas totalement. Tu ne commets pas l’acte, mais tu en couves la pensée. Aujourd’hui il en est ainsi, demain il en sera autrement… Demain, tu tomberas dans le vrai péché. C’est pour cela que je t’ai enseigné, à cette époque, de demander l’aide du Père contre la tentation, je t’ai enseigné à demander au Père de ne pas t’induire en tentation. Moi, le Fils de Dieu, moi qui suis déjà victorieux de Satan, j’ai demandé de l’aide au Père parce que je suis humble. Pas toi. Tu n’as pas demandé au Père le salut, la préservation. Tu es orgueilleux, et c’est pour cela que tu t’enfonces…

      567.24 Te souviens-tu de tout cela ? Et peux-tu maintenant comprendre ce que signifie pour moi, vrai homme, avec toutes les réactions d’un homme, et vrai Dieu, avec toutes les réactions de Dieu, ce que signifie pour moi de te voir débauché, menteur, voleur, traître, homicide ?

      Sais-tu quel effort je m’impose pour te supporter près de moi ? Sais-tu à quel point il m’est difficile de me maîtriser, comme maintenant, pour accomplir jusqu’au bout ma mission sur toi ? Tout autre homme t’aurait saisi à la gorge, en te voyant voler, occupé à crocheter un coffre et à prendre l’argent, en te sachant traître, et plus que traître… Moi, je t’ai parlé. Avec pitié, même. Regarde : nous ne sommes pas en été et par la fenêtre entre la brise fraîche du soir. Je transpire pourtant comme si le plus rude travail m’avait épuisé. Ne te rends-tu donc pas compte de ce que tu me coûtes ? De ce que tu es ? Tu veux que je te chasse ? Non, jamais. Quand quelqu’un se noie, celui qui le laisse aller est un assassin. Tu es pris entre deux forces qui t’attirent : Satan et moi. Mais si je te laisse tomber, tu n’auras plus que lui. Et comment te sauveras-tu ? Tu me quitteras pourtant… Tu m’as déjà quitté en esprit… Eh bien ! je garde néanmoins la chrysalide de Judas auprès de moi, ton corps dénué de toute volonté de m’aimer, ton corps insensible au Bien. Je la garde tant que tu n’exiges pas aussi ce rien qu’est ta dépouille afin de la réunir à ton âme pour pécher de tout ton être…

      567.25 Judas !… Tu ne me dis rien ? Tu n’as pas un mot pour ton Maître ? Tu n’a pas une prière à me faire ? Je n’exige pas que tu me demandes pardon. Je t’ai pardonné trop de fois sans résultat. Je sais que cette parole n’est qu’un son sur tes lèvres. Ce n’est pas le mouvement d’une âme contrite. Je voudrais un élan de ton cœur. Es-tu mort au point de n’avoir plus le moindre désir ? Parle ! As-tu peur de moi ? Oh ! si tu me craignais ! Au moins cela ! Mais tu ne me crains pas. Si tu me craignais, je te répéterais ce que je t’ai dit ce jour lointain où nous parlions de tentations et de péchés [12] : “ Je t’assure que, même après le Crime des crimes, si le coupable courait se jeter aux pieds de Dieu, avec un vrai repentir, et s’il le suppliait en pleurant de lui pardonner en s’offrant pour expier avec confiance, sans désespoir, Dieu lui pardonnerait, et par l’expiation le coupable sauverait encore son âme. ” Judas ! Si tu ne me crains pas, moi, je t’aime encore. A mon amour infini, n’as-tu rien à demander, en cette heure ?

      – Non. Ou du moins une seule chose : que tu imposes à Jean de ne pas parler. Comment veux-tu que je puisse réparer si je suis l’opprobre parmi vous ? »

      Et c’est avec hauteur qu’il s’exprime. Jésus lui répond :

      « C’est tout ce que tu me dis ? Jean ne parlera pas. Mais toi, au moins, — c’est moi qui te le demande — agis en sorte que rien ne transparaisse de ta ruine. 567.26 Ramasse ces pièces et remets-les dans la bourse de Jeanne… Je m’arrangerai pour fermer le coffre… avec le fer dont tu t’es servi pour l’ouvrir… »

      Et tandis que, de mauvaise grâce, Judas ramasse les pièces de monnaie qui ont roulé de tous côtés, Jésus s’appuie comme s’il était las sur le coffre ouvert. La lumière baisse dans la pièce, mais pas assez pour qu’on ne puisse voir qu’il pleure sans bruit, en regardant l’apôtre penché sur les pièces dispersées.

      Judas a fini. Il va au coffre, prend la grosse et lourde bourse de Jeanne, y met les pièces, la ferme, et dit :

      « Voilà ! »

      Puis il s’écarte.

      Jésus étend le bras pour saisir le crochet rudimentaire fabriqué par Judas et, d’une main qui tremble, il fait agir le déclic et ferme le coffre fort. Puis, appuyant le fer contre son genou, il le plie en V, finit de le déformer en se servant de son pied pour le rendre inutilisable et le ramasse pour le cacher sur lui. Pendant ce temps, des larmes tombent sur son vêtement de lin.

      Judas a finalement un mouvement de regret. Il se couvre le visage des mains et il éclate en sanglots :

      « Maudit que je suis ! C’est moi, l’opprobre de la terre !

      – Tu es le malheureux éternel ! Et dire que, si tu le voulais, tu pourrais encore être heureux !

      – Jure-moi, jure-moi que personne n’en saura rien… et moi, je te jure que je me rachèterai, crie Judas.

      – Ne prétends pas : “ et moi, je me rachèterai. ” Cela t’est impos­sible. Moi seul puis te racheter. Celui qui parlait par ta bouche tout à l’heure ne peut être vaincu que par moi. Dis-moi la parole de l’humilité : “ Seigneur, sauve-moi ! ” et je te délivrerai de celui qui te domine. Ne comprends-tu pas que j’attends ces mots plus que le baiser de ma Mère ? »

      Judas pleure sans fin, mais il ne prononce pas cette parole.

      « Va-t’en ! Sors d’ici, monte sur la terrasse. Va où tu veux, mais ne fais pas d’esclandre. Va ! Va ! Personne ne te découvrira, j’y veillerai. A partir de demain, tu garderas l’argent. Tout est inutile désormais. »

      Judas sort sans répliquer. Jésus, resté seul, s’abandonne sur un siège près de la table et, la tête appuyée sur ses bras croisés sur la table, il verse des pleurs angoissés.

      567.27 Quelques minutes plus tard, Jean entre doucement et reste un moment sur le seuil. Il est pâle comme un mort. Puis il court vers Jésus et se serre contre lui en suppliant :

      « Ne pleure pas, Maître ! Ne pleure pas ! Je t’aime aussi pour ce malheureux… »

      Il le relève, l’embrasse, boit les pleurs de son Dieu et pleure à son tour.

      Jésus lui rend son baiser, et les deux têtes blondes, l’une près de l’autre, échangent larmes et caresses. Mais Jésus se domine bientôt, et il dit :

      « Jean, par amour pour moi, oublie tout cela. Je le veux.

      – Oui, mon Seigneur. J’essaierai de le faire. Mais toi, ne souffre plus… Ah ! Quelle douleur ! Et il m’a fait pécher, mon Seigneur. J’ai menti. J’ai dû mentir, car les femmes disciples sont revenues. Non, d’abord la famille de la femme. Ils voulaient te voir pour te bénir. Un garçon est né sans inconvénients. J’ai prétendu que tu étais retourné sur la montagne… Puis les femmes sont arrivées, et j’ai recommencé à mentir en disant que tu étais sorti et que tu étais peut-être à la maison où est né le garçon… Je n’ai rien trouvé d’autre à dire. J’étais tellement abasourdi ! Ta Mère a vu que j’avais pleuré, et elle m’a demandé : “ Qu’as-tu, Jean ? ” Elle était agitée… Elle paraissait savoir. Et j’ai menti pour la troisième fois en disant : “ Je suis ému par cette femme… ” Vois à quoi peut conduire le voisinage d’un pécheur ! Au mensonge… Absous-moi, mon Jésus.

      – Sois en paix. Efface tout souvenir de cette heure. Rien n’est arrivé… C’était un rêve…

      – Mais ta douleur ! Oh ! comme tu es changé, Maître ! Dis-moi seulement ceci : Judas s’est-il au moins repenti ?

      – Qui peut comprendre Judas, mon fils ?

      – Aucun de nous. Mais toi, si. »

      Jésus ne répond que par de nouvelles larmes silencieuses sur son visage fatigué.

      « Ah ! il ne s’est pas repenti !… »

      Jean est horrifié.

      « Où est-il maintenant ? L’as-tu vu ?

      – Oui. Il s’est montré à la terrasse, il a regardé s’il y avait quelqu’un, et n’ayant vu que moi, qui étais assis sous le figuier tout abattu, il est descendu en courant et il est sorti par le portillon du jardin. Je suis alors venu…

      – Tu as bien fait. Remettons en place les sièges dérangés et prends l’amphore, afin qu’il ne reste pas de traces…

      – Il a lutté avec toi ?

      – Non, Jean. Non.

      567.28 – Tu es trop troublé, Maître, pour rester ici. Ta Mère comprendrait… et elle en éprouverait du chagrin.

      – C’est vrai. Sortons… Tu donneras la clé à la voisine. Je te précède sur les rives du torrent, vers le mont… »

      Jésus sort et Jean reste pour tout remettre en ordre. Puis il sort à son tour. Il remêt la clé à une femme qui habite à côté, et il s’enfuit en courant parmi les buissons de la rive pour qu’on ne le voie pas.

      A une centaine de mètres de la maison, Jésus est assis sur un rocher. Il se tourne au bruit des pas de l’apôtre. Son visage blanchit dans la lumière du soir. Jean s’est assis par terre, tout contre lui, et il pose la tête sur les genoux de Jésus, en levant le visage pour le regarder. Il voit qu’il y a encore des larmes sur les joues de Jésus.

      « Oh ! ne souffre plus ! Ne souffre plus, Maître ! Je ne peux pas te voir souffrir !

      – Pourrais-je donc ne pas souffrir ? C’est ma plus grande douleur ! Souviens-toi de cela, Jean : ce sera éternellement ma plus grande douleur ! Tu ne peux encore tout comprendre… Ma plus grande douleur… »

      Jésus est accablé, mais Jean le tient serré, en l’embrassant à la taille, angoissé de ne pouvoir le consoler.

      Jésus lève la tête, ouvre ses yeux qu’il gardait clos pour retenir ses larmes, et dit :

      « Rappelle-toi que nous sommes trois à savoir : le coupable, toi et moi. Et personne d’autre ne doit savoir.

      – Personne ne l’apprendra de ma bouche [13]. Mais comment a-t-il pu ? Tant qu’il prenait de l’argent à la bourse commune… Mais à cela !… J’ai cru être fou quand je l’ai vu… Quelle horreur !

      – Je t’ai dit d’oublier…

      – Je m’y efforce, Maître. Mais c’est trop horrible…

      – C’est horrible, oui. Oh ! Jean, Jean ! »

      Et Jésus, embrassant son Préféré, penche la tête sur son épaule et pleure toute sa douleur. Les ombres, qui descendent rapidement dans ce bosquet, font disparaître dans leurs ténèbres les deux hommes enlacés.




[2] Qorah, Abiram et Dâtan se révoltèrent contre Moïse. Ils furent engloutis par la terre (Nombres 16,19-33).
[3] Cf. EMV 511.

[4] EMV 69.5.

[5] EMV 80.

[6] Le secret du Roi, comme en Tobie 12, 7.

[7] EMV 80.

[8] J’ai précisé en EMV 301.5.

[9] Matthieu 15,18 | Marc 7,21.

[10] EMV 69.4.

[11] Tenté sans chuter, expression que Maria Valtorta explique par cette note sur une copie dactylographiée :        

De même qu’Adam, alors innocent et plein de grâce, a été tenté, Jésus lui aussi, le second Adam, innocent et, comme Homme, plein de grâce, fut tenté, et par le même Tentateur. Mais le second Adam ne succomba pas à la tentation. Que l’on ne dise pas que c’est parce qu’il “était Dieu”. Bien que Dieu, donc éternel et impassible, il est mort en croix, et cela parce qu’il était vraiment homme. En tant que vrai homme, il fut donc tenté, mais comme il refusa le péché, il ne pécha pas.

[12] EMV 69.2.

[13] Jean tiendra parole mais, bien plus tard, il fera allusion à cet épisode dans son évangile (Jean 12,6).





SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-028.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/discours-a-judas-supris-a-voler.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Jeu 22 Avr - 21:16

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

568. Commencement du voyage en Samarie, d'Ephraïm en direction de Silo

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 29.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 568.

Le 24 février 1947.

Dimanche 17 mars 30
D’Ephraïm en direction de Silo


      568.1 « Permets-nous de te suivre, Maître. Nous ne te causerons pas d’ennuis » supplient nombre d’habitants d’Ephraïm rassemblés devant la maison de Marie, femme de Jacob, qui pleure à chaudes larmes, appuyée au chambranle de la porte grand ouverte.

      Jésus est au milieu de ses douze apôtres. Plus loin, groupées autour de sa Mère, se trouvent Jeanne, Nikê, Suzanne, Elise, Marthe et Marie de Magdala, Salomé et Marie, femme d’Alphée. Tous, aussi bien les hommes que les femmes, ont revêtu une tenue de voyage, avec les vêtements ceints et un peu retroussés à la taille pour laisser les pieds plus libres, et des sandales neuves bien attachées, non seulement à la cheville, mais aussi au bas de la jambe, avec des lanières de cuir entrelacées, comme on fait quand on doit suivre des routes plutôt malaisées. Les hommes se sont chargés des sacs des femmes.

      Les gens supplient pour obtenir de Jésus la permission de le suivre, tandis que les enfants crient, le visage redressé et les bras levés :

      « Un baiser ! Prends-moi dans tes bras ! Reviens, Jésus ! Reviens vite pour nous raconter tant de belles paraboles ! Je te garderai les roses de mon jardin ! Je ne mangerai pas de fruits afin de les garder pour toi ! Reviens, Jésus ! Ma brebis va avoir un petit et je veux t’offrir l’agneau, tu te feras avec sa laine un vêtement comme le mien… Si tu reviens bientôt, je te donnerai les fouaces que maman fait avec les premiers blés… »

      Ils piaillent comme autant d’oiseaux autour de leur grand Ami, tirent ses vêtements ou se pendent à sa ceinture pour essayer de grimper dans ses bras, affectueusement tyranniques, si bien qu’ils empêchent Jésus de répondre aux adultes, car il y a toujours une nouvelle joue à embrasser.

      « Mais allez-vous-en ! Cela suffit ! Laissez le Maître tranquille ! Femmes, reprenez vos enfants ! » s’écrient les apôtres, qui ont hâte d’entreprendre le voyage aux premières heures du jour.

      Et ils allongent aussi quelques bonnes calottes aux enfants les plus envahissants.

      « Non, laissez-les. C’est pour moi une douceur plus fraîche que celle de l’aurore. Laissez-les faire, et laissez-moi faire. Laissez-moi chercher du réconfort dans cet amour, pur de tout calcul et de troubles » dit Jésus, en défendant ses tout petits amis.

      Quand il ouvre les bras comme il le fait, l’ample manteau de Jésus tombe sur les enfants et il les accueille à l’abri de ses ailes bleues. Les petits se serrent dans cette tiédeur et cette pénombre d’azur, silencieux et heureux comme des poussins sous les ailes maternelles.

      568.2 Jésus peut enfin s’adresser aux adultes :

      « Venez donc, si vous croyez pouvoir le faire.

      – Et qui nous en empêche, Maître ? Nous sommes dans notre région !

      – Les blés, les vignes et les vergers requièrent tout votre travail ; les brebis sont en période de tonte et d’accouplement, et celles qui ont déjà été accouplées à une autre époque vont avoir des petits ; de plus, c’est le temps des foins…

      – Peu importe, Maître. Pour la tonte et la monte des brebis les vieillards, les femmes et les enfants suffisent pour leur mise bas, et de même pour les foins. Les vergers et les champs peuvent attendre ! Si le grain durcit déjà dans l’épi, il faut encore du temps avant de le faucher, et désormais les vignes, les oliviers et les vergers n’ont qu’à laisser gonfler au soleil les fruits de leurs nombreuses noces. Nous ne pouvons rien pour eux jusqu’au temps de la cueillette, c’est comme pour la mère de famille qui ne peut rien faire pour le pain tant que le levain n’a pas fait lever la pâte. Le soleil est le levain des fruits. C’est lui qui agit maintenant, comme auparavant le vent a servi au mariage des fleurs le long des branches. Et puis !… S’il se perdait quelques grappes ou quelques fruits, ou si le liseron et l’ivraie étouffaient quelque épi, ce serait toujours une petite perte en comparaison de celle de ta parole ! dit un vieillard que j’ai toujours vu très honoré dans le village.

      – Tu as bien parlé. Alors, partons. 568.3 Marie, femme de Jacob, je te remercie et je te bénis, car tu as été pour moi une bonne mère. Ne pleure pas ! On ne doit pas pleurer quand on a bien agi.

      – Ah ! je te perds et je ne te verrai plus !

      – Nous nous reverrons, c’est certain.

      – Tu va revenir ici, Seigneur ? Quand ? demande la femme en souriant dans ses larmes.

      – Je ne reviendrai pas ici, pas comme maintenant… [1]

      – Alors, où nous verrons-nous donc, si moi, pauvre vieille que je suis, je ne peux parcourir les chemins du monde à ta recherche ?

      – Au Ciel, Marie. Dans la Maison de notre Père, où il y a de la place pour les juifs comme pour les Samaritains, où il y a une place pour ceux qui m’aimeront en esprit et en vérité. Tu le fais déjà, puisque tu crois que je suis le Fils du vrai Dieu…

      – Oh oui, je le crois ! Mais pour nous il n’y a pas d’espoir, car toi seul, tu nous aimes sans faire de différence.

      – Quand je m’en serai allé, eux (il montre les apôtres) viendront à ma place. Et en souvenir de moi, ils ne demanderont pas d’où vient celui qui demande à entrer dans le troupeau du véritable et unique Pasteur.

      – Je suis âgée, Seigneur. Je ne vivrai pas assez pour voir cela. Tu es jeune et fort : pendant longtemps ta Mère t’aura auprès d’elle et ceux qui t’aiment et qui sont de ton peuple te posséderont…

      568.4 Pourquoi pleures-tu, ô Mère du Béni ? demande-t-elle, étonnée de voir couler des larmes des yeux de la Vierge.

      – Je n’ai rien que ma souffrance… Adieu, Marie. Que Dieu te bénisse pour tout ce que tu as fait pour mon Fils. Et souviens-toi que, si ta douleur est grande, il n’est pas de douleur plus grande que la mienne [2] ; jamais il n’y en aura de telle sur la terre. Jamais ! Souviens-toi de la douloureuse Marie de Nazareth… Adieu ! »

      Après avoir embrassé la vieille femme à l’entrée de la maison, Marie s’en détache en pleurant pour se mettre en route en compagnie des femmes, et avec Jean à son côté.

      Jean lui dit, un peu courbé à son habitude et le visage levé pour regarder celle à laquelle il parle :

      « Ne pleure pas ainsi, Marie. Si beaucoup haïssent ton Jésus, nombreux sont ceux qui l’aiment. Apaise ton esprit, Mère, en regardant ceux qui, maintenant et au cours des siècles, aimeront ton Fils de tout leur être. »

      Et il achève, presque en murmurant pour Marie seule, qu’il guide et soutient en la tenant près du coude, pour qu’elle ne bute pas sur les pierres du petit chemin, aveuglée comme elle l’est par les larmes :

      « Ce ne seront pas toutes les mères qui pourront voir leur enfant aimé… Il s’en trouvera certaines qui crieront avec angoisse : “ Pourquoi l’ai-je conçu ? ” »

      568.5 Jésus les rejoint, car Marie et Jean sont restés seuls, derrière les femmes disciples. Jacques, fils d’Alphée, est avec Jésus. Les autres sont en arrière, en groupe, pensifs et tristes comme le sont les femmes, qui marchent tout devant. En dernier vient le groupe nombreux d’hommes d’Ephraïm, qui bavardent.

      « Les adieux sont toujours tristes, Maman. Surtout quand on ne peut se consoler en se disant que ce qui finit est le commencement d’une période plus parfaite. C’est la triste conséquence du péché, et cela restera même au-delà du pardon. Mais les hommes la supporteront avec plus de courage, car ils auront Dieu pour ami.

      – Tu as raison, Jésus. Mais il y a une souffrance que Dieu laisse goûter bien qu’il soit l’Ami le plus paternel qui puisse exister. Pour moi, il l’est. Dieu est bon, tellement bon ! Je ne voudrais pas que Jacques, Jean ni aucun autre soient scandalisés par mes larmes. Dieu est bon, il a toujours été bon avec la pauvre Marie. Je me le suis dit chaque jour depuis que je sais penser. Et maintenant… maintenant je le répète à chaque heure, à tout instant. Je le dis toujours plus à mesure que la douleur m’accable… Dieu est bon. Il t’a donné à moi, toi qui es un Fils affectueux, saint et capable, même quand tu n’étais qu’un enfant, de compenser toute douleur de femme… Il t’a donné à moi, pauvre jeune fille élevée au rang de Mère de son Verbe incarné… Et cette joie de pouvoir t’appeler “ Fils ”, ô mon Seigneur adoré, est si grande que les larmes ne devraient pas tomber de mes cils pour n’importe quel martyre, si j’étais parfaite comme tu l’enseignes. Mais je suis une pauvre femme, mon Fils ! Et tu es mon Enfant… Et… quelle est la mère qui pourrait ne pas pleurer quand elle sait que son enfant est haï ? Mon Fils, viens au secours de ta servante… Il y avait sûrement encore de l’orgueil en moi quand je m’imaginais être forte… Mais alors… le temps était encore éloigné… Maintenant, le voilà tout proche… Je le sens… Aide-moi, Jésus, mon Dieu ! Si Dieu me laisse souffrir ainsi, il poursuit certainement un but de bonté pour moi. Car, s’il le voulait, il pourrait me faire souffrir seulement de ce qui arrive… C’est pourtant ainsi qu’il t’a formé dans mon sein !… Comment… Il n’est pas de comparaison pour dire comment tu as été fait… Mais il veut que je souffre… et qu’il en soit béni… toujours. Mais toi, Jésus, aide-moi. Aidez-moi tous… tous… car l’eau où je me désaltère est tellement amère…

      – Disons la prière tous les quatre, nous qui t’aimons de tout notre cœur, Maman. Ici, ton Fils, ainsi que Jean et Jacques qui t’aiment comme si tu étais leur mère… “ Notre Père qui es aux Cieux… ” »

      Et Jésus, conduisant le petit chœur des trois voix qui le suivent en sourdine, dit tout entière l’oraison dominicale en appuyant beaucoup sur certaines phrases telles que “ que ta volonté soit faite ”… “ ne nous laisse pas succomber à la tentation. ”

      Puis il reprend :

      « Le Père nous aidera à faire sa volonté, même si elle est telle que notre faiblesse d’humains pense ne pouvoir l’accomplir, et il ne nous laissera pas dans la tentation de penser qu’il est moins bon, car pendant que nous boirons le calice très amer, il nous enverra son ange pour essuyer par un réconfort céleste nos lèvres abreuvées d’amertume. »

      Jésus tient par la main sa Mère, qui a lutté courageusement contre ses larmes pour les refouler au fond de son cœur. A leurs côtés, Jean — qui est près de Marie — et Jacques, fils d’Alphée, — à côté de Jésus — les regardent avec émotion.

      568.6 Les femmes disciples se sont retournées parfois en entendant Marie pleurer et les quatre hommes prier, mais elles se sont abstenues de les rejoindre.

      En arrière, les apôtres se sont demandés : “ Mais pourquoi Marie pleure-t-elle ainsi ? ” J’ai dit “ les apôtres ”, mais je veux dire tous, sauf Judas, qui avance un peu isolé et très préoccupé, presque sombre, si bien que Thomas s’en aperçoit et le fait remarquer aux autres :

      « Mais qu’a donc Judas ? On dirait qu’il va à la mort !

      – Il a peut-être peur de revenir en Judée, lui répond Matthieu.

      – Moi… Que t’a indiqué le Maître pour l’argent ? demande Simon le Zélote.

      – Rien de spécial. Il m’a dit : “ Revenons à la situation précédente : Judas redevient le trésorier et vous les distributeurs des aumônes. Pour ce qui est des dépenses, les disciples veulent y subvenir. ” Cela ne m’a pas semblé vrai ! Tant d’argent m’est passé dans les mains que je l’ai pris en haine.

      – Et elles s’occupent bien de nous, les femmes disciples. Ces sandales sont si bien faites. On ne dirait même pas que nous marchons en montagne. Qui sait combien elles coûtent ! constate Pierre en regardant son pied chaussé de ces sandales neuves qui protègent le talon et la pointe des pieds, et soutiennent la cheville avec de fines lanières de cuir [3].

      – C’est Marthe qui y a pensé. On reconnaît là sa main riche et prévoyante. Les autres fois, on les liait aussi de cette façon, mais ces ficelles étaient un supplice. On ne perdait pas la semelle, mais on perdait la peau de la jambe… dit André.

      – Et on se blessait les doigts et les talons… Voilà pourquoi celui qui nous suit les portait toujours de cette manière ! » s’exclame Pierre en montrant Judas.

      568.7 La route ne cesse de s’élever vers le sommet de la montagne. Si on regarde en arrière, on aperçoit Ephraïm toute blanche sous le soleil, et elle paraît déjà en contrebas par rapport aux marcheurs…

      Puis les apôtres se joignent aux femmes disciples pour les aider à franchir le sentier, très raide à cet endroit, et Barthélemy, resté en arrière, fait même remarquer aux hommes d’Ephraïm :

      « Vous nous avez fait prendre un sentier pénible, mes amis.

      – Oui. Mais une fois passé ce bois, il y a une route commode qui conduit rapidement à Silo. Vous pourrez alors vous y reposer plusieurs heures au lieu d’arriver de nuit, si vous aviez pris un autre chemin, répond quelqu’un.

      – Tu as raison. Plus le chemin est fatigant, plus vite il mène au but.

      – Ton Maître le sait, aussi ne s’épargne-t-il pas. Ah ! nous ne pourrons oublier !… d’autant plus qu’il nous a comblés de bienfaits ces derniers jours, après avoir entendu certaines personnes de notre région qui l’ont insulté si injustement. Lui seul est bon, et il est bienfaiteur de ceux-là même qui le haïssent.

      – Vous ne l’avez pas haï.

      – Pas nous, non. Mais il y en a bien d’autres que nous ne détestons pas et qui pourtant nous détestent sans raison.

      – Agissez à sa manière, sans peur, et vous verrez que…

      – Et vous, pourquoi ne le faites-vous pas, alors ? C’est la même chose ! Nous ici, vous là-bas, et au milieu une montagne, élevée par une commune erreur. En haut, notre Dieu commun. Mais pourquoi donc ni vous, ni nous, ne montons la pente pour nous rencontrer là-haut, aux pieds de Dieu, et proches les uns des autres ? »

      Barthélemy comprend le reproche, qui est juste, car lui, en dépit de sa vertu indéniable, est très fier d’être israélite, et il est inexorable pour tout ce qui n’est pas Israël. Il détourne la conversation sans répondre directement :

      « Nul besoin de monter : Dieu est descendu parmi nous. Il suffit de le suivre.

      – Le suivre, oui. Nous voudrions bien, mais si nous entrions en Judée avec lui, ne lui ferions-nous pas du mal ? Tu sais, toi aussi, de quoi on l’accuse et de quoi on nous accuse : d’être des Samaritains, ce qui revient à dire : des démons. »

      Barthélemy soupire, puis il les laisse en plan en disant :

      « On me fait signe d’aller… »

      Et il allonge le pas.

      Les hommes d’Ephraïm le regardent s’éloigner, et l’un d’eux murmure avec un geste de découragement :

      « Ah ! Il n’est pas comme le Maître ! Nous perdons beaucoup en le perdant !

      568.8 – Tu sais, Elie, qu’il a porté hier soir une grosse somme au chef de la synagogue en lui demandant de la remettre à Marie, femme de Jacob, afin qu’elle ne souffre plus de la faim ?

      – Moi, non. Et pourquoi ne la lui a-t-il pas donnée directement à elle ?

      – Pour que la vieille femme ne le remercie pas. Elle l’ignore encore. Moi, je le sais parce que le chef de synagogue m’a demandé conseil : il se demandait s’il valait mieux lui acheter la propriété de Jean que son frère veut vendre, ou lui remettre l’argent peu à peu. J’ai conseillé d’acheter la propriété. Elle lui donnera assez de grain, d’huile et de vin pour vivre sans avoir faim. Tandis que l’argent…

      – Mais alors, c’est vraiment une grosse somme ? demande un troisième.

      – Oui. Le chef de notre synagogue a eu beaucoup, même pour les autres pauvres de la ville et des campagnes, afin que “ eux aussi puissent faire la fête à la Pâque des Azymes, pour saluer le temps nouveau ”, a dit le Maître.

      – Il a dû dire : “ l’an nouveau ”.

      – Non. Il a bien dit : “ le temps nouveau ”. Si bien que le chef de la synagogue ne se servira pas de cet argent avant la fête des Azymes.

      – Oh ! qu’aura-t-il voulu dire ? s’interrogent plusieurs.

      – Que voudra-t-il dire ? Je l’ignore. Nul ne le sait, pas même Jean, son bien-aimé, ni Simon, fils de Jonas, le chef des disciples. Je le leur ai demandé, et le premier a blêmi, le second est resté absorbé dans ses efforts pour comprendre.

      – Et Judas ? C’est quelqu’un d’important parmi eux, peut-être plus que les deux autres. Lui, il prétend tout savoir, donc il saura cela aussi. Allons l’interroger. Il aime bien partager ce qu’il sait. »

      568.9 Ils se hâtent de rejoindre Judas, qui est encore isolé comme au début, seul désormais sur le sentier ; les autres, en effet, ont fait un détour et ils semblent avoir été engloutis par les feuillages épais de la pente.

      « Judas, écoute-nous. Le Maître désire que nous fassions une grande fête pour la Pâque des Azymes, pour saluer le temps nou­veau. Que voulait-il dire ?

      – Je ne sais pas. Suis-je dans la pensée du Maître, moi ? Demandez-le-lui, puisqu’il vous aime tant ! »

      Sur ces mots, il s’éloigne vivement, les laissant désappointés.

      « Lui aussi n’est pas le Maître. Il n’y a personne qui ait sa pitié… disent-ils, en hochant la tête.

      – Eh bien, est-ce que ce sont eux que nous suivons? Non, c’est lui ! Et nous faisons bien d’agir ainsi. Allons. Qui sait si nous ne pourrons pas apprendre de sa bouche ce que cela signifie, avant qu’il ne passe en Judée. »

      Et ils hâtent le pas pour rejoindre les autres, qui se sont assis pour se reposer sous un bois de rouvres centenaires, et ont sous les yeux l’un des plus beaux panoramas de Palestine.
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[1] Jésus ressuscité apparaîtra à Marie de Jacob, comme à plusieurs disciples.

[2] Il n’y a pas de douleur plus grande que la mienne, comme en Lamentations 1, 12.   
Marie a dit en EMV 370.17, unir à sa propre douleur “la souffrance de toutes les mères malheureuses” et que sa douleur “est causée par la haine, non pas d’une seule personne, mais de tout un monde”.      
Et Jésus fera contempler (en EMV 603.2/3) la souffrance infiniment grande de sa Mère à la souffrance infiniment complète du Fils, qui doit expier toutes les fautes des hommes (comme le disent EMV 375.2 et EMV 613).  
Dans l’œuvre de Maria Valtorta, leur souffrance continuerait mystérieusement dans la gloire céleste, comme nous l’indiquerons dans une note en EMV 634.7.

[3] Peut-être des caligae, sandales romaines ou d'inspiration romaine.



SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-029.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/commencement-du-voyage-en-samarie.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Ven 23 Avr - 21:54

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

569. A Silo. La parabole des mauvais conseillers

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 30.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 569.

Le 27 février 1947.

Dimanche 17 mars 30
Silo


      569.1 Jésus parle au milieu d’une place couverte d’arbres. Le soleil, qui commence à peine à se coucher, l’illumine d’une lumière jaune-vert qui filtre à travers les nouvelles feuilles de platanes géants. On croirait voir, étendu sur la vaste place, un voile fin et précieux qui laisse passer, sans l’arrêter, la lumière solaire.

      Jésus dit :

      « Ecoutez : un beau jour, un grand roi envoya dans une partie de son royaume, dont il voulait éprouver la justice, son fils bien-aimé en lui recommandant : “ Va partout, fais du bien en mon nom, apprends à mon peuple qui je suis, fais-moi connaître et fais-moi aimer. Je te donne tout pouvoir, et tout ce que tu feras sera bien fait. ”

      Après avoir reçu la bénédiction paternelle, le fils du roi se rendit là où son père l’avait envoyé et, en compagnie de quelques écuyers et amis, il se mit à parcourir inlassablement cette partie du royaume de son père.

      Or une suite d’événements malheureux avait provoqué une scission morale dans des régions opposées les unes aux autres. Chacune pour son propre compte poussait de grands cris et adressait au roi des suppliques pressantes pour assurer qu’elle était la meilleure, la plus fidèle, et que les voisines étaient perfides et méritaient un châtiment. Aussi le fils du roi rencontra-t-il des habitants dont les humeurs variaient selon la ville à laquelle ils appartenaient, et qui se ressemblaient de deux façons : la première, c’était de se croire meilleurs que les autres, et la seconde de vouloir ruiner la ville voisine et ennemie, en lui faisant perdre l’estime du roi. Juste et sage comme il l’était, le fils du roi tenta alors d’amener à la justice, avec beaucoup de miséricorde, chaque partie de cette région pour la rendre amie et chérie par son père. Et, comme il était bon, il y parvenait, bien que lentement, car, comme toujours, seuls suivaient ses conseils les hommes au cœur droit. En revanche — il est juste de le dire —, c’était là où l’on prétendait avec mépris qu’il y avait le moins de sagesse et de bonne volonté qu’il trouvait le plus grand désir de l’écouter et de connaître la vérité.

      Alors les habitants des provinces voisines dirent : “ Si nous n’essayons pas d’obtenir les faveurs du roi, elles iront toutes à ceux que nous méprisons. Allons troubler ceux que nous haïssons et faisons mine d’être convertis nous aussi, et disposés à abandonner toute haine pour faire honneur au fils du roi. ”

      C’est donc ce qu’ils firent. Ils se répandirent en qualité d’amis dans les villes de la province rivale, conseillant, avec une bonté feinte, le comportement à suivre pour honorer toujours plus et toujours mieux le fils du roi, et par conséquent le roi son père. Car l’honneur rendu au fils envoyé par le père est aussi un honneur rendu à celui qui l’a envoyé. Mais ces gens n’honoraient pas le fils du roi, au contraire ils le haïssaient résolument, au point de vouloir le rendre odieux aux sujets et au roi lui-même. Ils furent tellement rusés, avec leur fausse bonhomie, ils surent si bien présenter leurs conseils comme excellents, que nombre de personnes accueillirent comme bon ce qui était mauvais, et quittèrent la voie juste qu’ils suivaient pour en prendre une qui était injuste. C’est pourquoi le fils du roi constata que, chez beaucoup, sa mission échouait.

      569.2 Maintenant, dites-moi : quel fut le plus grand pécheur aux yeux de Dieu ? Quel est le péché des conseillers et celui de ceux qui acceptèrent leurs conseils ? Et je vous demande encore : avec qui ce bon roi aura été le plus sévère ? … Vous ne savez pas me répondre ? Je vais vous le dire.

      Le plus grand pécheur, aux yeux du roi, fut celui qui poussa au mal son prochain, par haine pour lui qu’il voulait rejeter dans les ténèbres d’une ignorance encore plus profonde, par haine envers le fils du roi dont ils voulaient anéantir la mission en le faisant paraître incapable aux yeux du roi et de ses sujets, par haine envers le roi lui-même, car, si l’amour montré au fils est de l’amour montré au père, pareillement la haine tournée contre le fils est tournée contre le père.

      Donc le péché de ceux qui donnaient de mauvais conseils, en ayant pleinement conscience qu’ils recommandaient le mal, était un péché de haine en plus que de mensonge, de haine préméditée, alors que le péché de ceux qui avaient suivi ce conseil en le croyant bon, était uniquement un péché de sottise.

      Mais vous savez bien qu’un homme intelligent est responsable de ses actes, alors que celui qui, à cause de la maladie ou de toute autre raison, est naïf, n’est pas responsable personnellement : ce sont ses parents qui le sont pour lui. C’est pourquoi un enfant, qui n’est pas arrivé à sa majorité, est tenu pour irresponsable, et c’est son père qui répond de ses actes. Pour cette raison, le roi, qui était bon, se montra sévère à l’égard des mauvais conseillers intelligents, et bienveillant envers ceux qu’ils avaient trompés : il se contenta de réprimander ces derniers pour avoir cru à tel ou tel boniment avant d’interroger directement le fils du roi et d’apprendre de lui ce qu’il convenait vraiment de faire. Car seul le fils du père connaît réellement la volonté de son père.

      569.3 Telle est la parabole, ô peuple de Silo. Au cours des siècles, des conseils de différentes natures furent donnés à plusieurs reprises par Dieu, par les hommes ou par Satan. Les uns s’épanouirent en bien quand on les suivit comme de bons conseils, ou quand on les repoussa après les avoir reconnus comme mauvais. Les autres s’exprimèrent en mal quand ils ne furent pas accueillis alors qu’ils étaient saints ou accueillis quand ils étaient mauvais [1].

      En effet, l’homme a cette magnifique liberté qu’est la volonté : il peut vouloir librement le bien ou le mal. Il possède en outre cet autre magnifique don qu’est l’intelligence, capable de discerner le bien et le mal. Par conséquent, c’est moins le conseil lui-même que la manière dont on l’accueille qui peut procurer la récompense ou le châtiment. Si personne ne peut empêcher les mauvais de tenter leur prochain pour le ruiner, rien ne peut interdire aux bons de repousser la tentation et de rester fidèles au bien. Le même conseil peut nuire à dix personnes et servir à dix autres. Car si l’homme qui le suit se fait du tort, celui qui ne le suit pas fait du bien à son âme.

      Par conséquent, que personne ne prenne cette excuse : “ Ils nous ont dit d’agir ainsi. ” Mais que chacun reconnaisse sincèrement : “ J’ai voulu commettre tel acte. ” Vous obtiendrez au moins le pardon que l’on accorde aux hommes sincères. Et si vous n’êtes pas sûrs de la valeur du conseil que vous recevez, méditez avant de l’accepter et de le mettre en pratique. Méditez en invoquant le Très-Haut, qui ne refuse jamais ses lumières aux âmes de bonne volonté. Et si votre conscience, éclairée par Dieu, voit ne serait-ce qu’un seul point, petit, imperceptible, mais tel qu’il ne peut exister dans une œuvre de justice, dites alors : “ Je ne suivrai pas cette voie, car elle est impure. ”

      569.4 En vérité, je vous dis que celui qui fera bon usage de son intelligence et de son libre arbitre et qui invoquera le Seigneur pour discerner ce qui est juste et vrai, ne cèdera pas à la tentation, car le Père des Cieux l’aidera à faire le bien en dépit de toutes les embûches du monde et de Satan.

      Rappelez-vous Anne d’Elqana et les fils d’Eli. L’ange de lumière de la première avait conseillé à Anne de faire vœu au Seigneur s’il la rendait féconde [2]. Le prêtre Eli conseilla à ses fils de revenir à la justice et de ne pas continuer à pécher contre le Seigneur [3]. De par la lourdeur de son esprit, l’être humain a beau comprendre plus facilement la parole d’un autre homme que le langage spirituel et insensible — aux sens physiques — de l’ange du Seigneur parlant à l’âme, Anne d’Elqana suivit néanmoins le conseil qui lui était donné, parce qu’elle était bonne et se tenait droite en présence du Seigneur. Elle enfanta donc un prophète, alors que les fils d’Eli, parce qu’ils étaient mauvais et éloignés de Dieu, n’écoutèrent pas le conseil de leur père et, punis par Dieu, moururent de mort violente.

      569.5 Les conseils ont deux valeurs : celle de la source dont ils proviennent — elle est déjà grande, car elle peut avoir des conséquences incalculables —, et celle du cœur auquel ils sont proposés. La valeur que leur donne le cœur qui les reçoit est non seulement inestimable, mais immuable. Car si le cœur est bon et suit un conseil sage, il lui attribue le caractère d’une œuvre juste ; et s’il ne le fait pas, il lui enlève la seconde partie de la valeur, de sorte que cela reste un conseil, mais pas une œuvre, c’est-à-dire un mérite seulement pour celui qui le donne. Mais dans le cas où il s’agit d’un mauvais conseil, qui n’est pas accueilli par un cœur bon, malgré toutes les flatteries et les pressions employées pour qu’il le suive, il acquiert une valeur de victoire sur le mal et de martyre par fidélité au bien, et prépare ainsi un grand trésor dans le Royaume des Cieux.

      C’est pourquoi, quand votre cœur est tenté par d’autres, réfléchissez, en vous mettant sous la lumière de Dieu, pour discerner si ce peut être une bonne parole. Si, avec l’aide de Dieu, qui permet les tentations mais ne veut pas votre perte, vous discernez que ce n’est pas une bonne action, sachez vous dire à vous-mêmes et à celui qui vous tente : “ Non. Je reste fidèle à mon Seigneur. Que cette fidélité m’absolve de mes péchés passés et me réadmette, non pas au dehors, près des portes du Royaume, mais à l’intérieur de ses frontières, parce que c’est aussi pour moi que le Très-Haut a envoyé son Fils pour me conduire au salut éternel. ”

      Allez. Si l’un de vous a besoin de moi, vous savez où je me repose la nuit. Que le Seigneur vous éclaire. »



[1] Silo fut l'un des grands sanctuaires après la conquête de Canaan jusqu'à la période des Juges. Il abritait l'Arche d'alliance. Cependant les hébreux furent mal inspirés de la faire venir sur un champ de bataille : elle fut prise par les philistins et Silo probablement ravagé (1 Samuel 4,3-12).

[2] 1 Samuel 1,11.

[3] 1 Samuel 2,23-25.



SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-030.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/la-parabole-des-mauvais-conseillers.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mar 27 Avr - 20:59

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

570. A Lébona, la parabole des personnes mal conseillées

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 31.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 570.

Le 28 février 1947.

Lundi 18 mars 30
Lébona


      570.1 Ils sont sur le point d’entrer à Lébona. La ville ne me paraît ni très importante ni belle. En guise de compensation, elle est fort animée, car déjà les caravanes qui descendent pour la Pâque à Jérusalem se sont mises en mouvement. Elles arrivent de Galilée et d’Iturée, de Gaulanitide, de Trachonitide, de l’Auranitide et de la Décapole. Je dirais que Lébona est située sur une route caravanière, ou plutôt que c’est un nœud de voies caravanières qui viennent de ces régions, de la Méditerranée aux monts de Palestine orientale, et aussi du nord, pour se réunir à cet endroit, sur la grand-route qui mène à Jérusalem. Cette préférence des voyageurs vient probablement du fait que cette route est surveillée de très près par les Romains. Alors, les gens se sentent mieux protégés du danger de mauvaises rencontres avec les voleurs. C’est ce que je pense, mais peut-être cette préférence vient-elle d’autres causes, de souvenirs historiques ou sacrés. Je ne sais pas.

      Etant donné l’heure favorable — si j’en juge au soleil, il est aux environs de huit heures du matin —, les caravanes sont en train de se mettre en mouvement dans un grand vacarme de voix, de cris, de braiments, de sonnailles, de roues… Femmes qui appellent leurs enfants, hommes qui excitent les animaux, vendeurs qui proposent leurs marchandises, négociations entre les vendeurs samaritains et ceux… moins hébreux, c’est-à-dire les habitants de la Décapole et d’autres régions, peu intransigeants parce qu’ils sont davantage mêlés à l’élément païen, refus dédaigneux et presque injurieux quand un malheureux vendeur de Samarie s’approche pour offrir ses produits à quelque champion du judaïsme. On dirait qu’ils ont approché le diable en personne, tant ils crient à l’anathème… en suscitant des réactions très vives de la part des Samaritains offensés. Et il s’ensuivrait quelque bagarre si les soldats romains n’étaient pas là pour y mettre bon ordre.

      570.2 Jésus avance au milieu de cette confusion. Autour de lui se pressent les apôtres, suivis des femmes disciples, puis du groupe des habitants d’Ephraïm augmenté d’un grand nombre de ceux de Silo.

      Un murmure précède le Maître. Il se propage des personnes qui le voient à celles, plus éloignées, qui ne l’aperçoivent pas encore. Un brouhaha plus fort le suit, et plusieurs badauds sur le point de s’en aller s’arrêtent pour découvrir ce qui arrive.

      Ils se demandent :

      « Comment ? Il s’éloigne de plus en plus de la Judée ? Quoi ? Il prêche maintenant en Samarie ? »

      Une voix chantante de Galilée s’élève:

      « Les saints l’ont repoussé, et lui s’adresse à ceux qui ne sont pas saints pour les sanctifier, à la honte des juifs. »

      Une réponse plus âcre que du venin acide se fait entendre :

      « Il a retrouvé son nid et ceux qui écoutent sa parole de démon. »

      Une autre voix :

      « Taisez-vous, assassins du Juste ! Cette persécution vous marquera pour les siècles du nom le plus odieux. Vous êtes trois fois plus corrompus que nous autres, de la Décapole. »

      Une autre voix d’homme âgé se fait tranchante :

      « Tellement juste qu’il fuit le Temple pour la Fête des fêtes. Hé ! Hé ! Hé ! »

      Un habitant d’Ephraïm, rouge de colère, intervient :

      « Ce n’est pas vrai ! Tu mens, vieux serpent ! Il va maintenant à sa Pâque. »

      Un scribe barbu lance avec mépris :

      « Par la route du mont Garizim.

      – Non, celle du mont Moriah. Il vient nous bénir, car lui, il sait aimer, puis il monte vers votre haine, maudits !

      – Tais-toi, Samaritain !

      – C’est à toi de te taire, démon !

      – Qui se soulève aura droit aux galères : c’est l’ordre de Ponce Pilate. Souvenez-vous-en et dispersez-vous » impose un officier romain en faisant manœuvrer les soldats qui dépendent de lui pour séparer les hommes, qui sont déjà en train d’en venir aux mains dans l’une de ces si nombreuses disputes régionales et religieuses, toujours sur le point s’élever dans la Palestine du temps du Christ.

      Les gens se dispersent, mais personne ne part. On ramène les ânes aux écuries, ou bien on les détourne vers l’endroit où est allé Jésus. Femmes et enfants descendent de selle et suivent leur mari ou leur père, ou bien restent à bavarder en groupes, si l’humeur maritale ou paternelle en donne l’ordre “ pour qu’elles n’entendent pas parler le démon. ” Mais les hommes, amis, ennemis ou simplement curieux, courent vers l’endroit où Jésus est parti. Ils portent sur leurs voisins des regards mauvais, ou se réconfortent devant cette joie inespérée, ou encore posent des questions suivant qu’il s’agit d’amis avec des ennemis, d’amis entre eux, ou de curieux.

      570.3 Jésus s’est arrêté sur une place, près de l’inévitable fontaine ombragée par un arbre, et il se tient contre le mur humide de la fontaine. Ici, elle est coiffée d’un petit portique ouvert seulement d’un côté ; c’est plutôt un puits qu’une fontaine. Il ressemble au puits d’En-Rogel.

      Il est en train de parler avec une femme, qui lui présente le petit garçon qu’elle tient dans les bras. Je vois que Jésus consent et qu’il pose sa main sur la tête de l’enfant. Aussitôt après, je vois que la mère lève son enfant et s’écrie :

      « Malachie, Malachie, où es-tu ? Notre garçon n’est plus difforme. »

      Et la femme crie un hosanna auquel s’unit celui de la foule, pendant qu’un homme se fraie un passage et va s’incliner devant le Seigneur.

      Les gens commentent. Les femmes, mères pour la plupart, félicitent celle qui a obtenu cette faveur. Les plus éloignés tendent le cou et demandent “ Qu’est-ce qui est arrivé ? ” après avoir lancé un hosanna pour s’unir à ceux qui sont au courant.

      « Il s’agit d’un enfant bossu, bossu au point de tenir difficilement sur ses jambes. Il était grand comme ça, je vous assure, tellement il était courbé ! Il donnait l’impression d’avoir trois ans, alors qu’il en avait sept. Maintenant, regardez-le ! Il est grand comme tous les autres, droit comme un palmier, agile. Voyez-le grimper sur le muret de la fontaine pour qu’on le voie et pour voir lui-même. Et comme il rit joyeusement ! »

      570.4 Un Galiléen se tourne vers quelqu’un qui a de larges nœuds à sa ceinture — je ne crois pas me tromper en l’appelant rabbi —, et il lui demande :

      « Alors, qu’est-ce que tu en dis ? Ça aussi, c’est une œuvre du démon ? En vérité, si le démon agit ainsi, en nous débarassant de tant de malheurs pour rendre les hommes heureux et faire louer Dieu, il faudra bien dire que c’est le meilleur serviteur de Dieu !

      – Blasphémateur, tais-toi !

      – Je ne blasphème pas, rabbi. Je commente ce que je vois. Pourquoi votre sainteté ne nous apporte-t-elle que fardeaux et ennuis, pourquoi suscite-t-elle en nous des reproches et des pensées de défiance envers le Très-Haut, alors que les œuvres du Rabbi de Nazareth nous donnent la paix et la certitude que Dieu est bon ? »

      Sans daigner répondre, le rabbi s’éloigne et s’en va bavarder avec des amis. 570.5L’un d’eux se détache et se fraie un passage pour venir se placer en face de Jésus, qu’il interpelle, sans même le saluer :

      « Que comptes-tu faire ?

      – Parler à ceux qui réclament ma parole, répond Jésus en le regardant dans les yeux, sans mépris, mais aussi sans peur.

      – Cela ne t’est pas permis. Le Sanhédrin ne le veut pas.

      – C’est la volonté du Très-Haut, dont le Sanhédrin devrait être le serviteur.

      – Tu es condamné, tu le sais. Tais-toi, ou…

      – Mon nom est Parole. Et la Parole parle.

      – Aux Samaritains… Si tu étais vraiment ce que tu prétends être, tu ne livrerais pas ta parole aux Samaritains.

      – Je l’ai adressée et je l’adresserai encore aux Galiléens, comme aux Judéens et aux Samaritains, car il n’y a pas de différence aux yeux de Jésus.

      – Essaie donc d’en faire autant en Judée, si tu l’oses !…

      – En vérité, je le ferai. Attendez-moi. N’es-tu pas Eléazar ben Parta ? Oui ? Alors il est certain que tu verras Gamaliel avant moi. Dis-lui en mon nom qu’à lui aussi j’apporterai, après vingt-et-un ans, la réponse qu’il attend [1]. As-tu compris ? Rappelle-toi bien : à lui aussi j’apporterai, après vingt-et-un ans, la réponse qu’il attend. Adieu.

      – Où ? Où veux-tu parler ? Où veux-tu répondre au grand Gamaliel ? Il a certainement quitté Gamla de Judée [2] pour entrer à Jérusalem. Mais s’il était encore à Gamla, tu ne pourrais pas lui parler.

      – Où ? Et où se rassemblent les scribes et les rabbis d’Israël ?

      – Au Temple ? Toi, au Temple ? Tu oserais ? Mais tu ignores…

      – Que vous me haïssez ? Je le sais bien. Il me suffit de n’être pas haï par mon Père. D’ici peu, le Temple frémira à cause de ma parole. »

      Et, sans plus s’occuper de son interlocuteur, il ouvre les bras pour imposer silence à l’assistance, qui s’agite en deux courants opposés et manifeste contre les perturbateurs.

      570.6 Il se fait un silence subit, et Jésus dit :

      « A Silo, j’ai parlé des mauvais conseillers et de ce qui peut réellement faire, d’un conseil, un bien ou un mal. A vous qui ne provenez plus seulement de Lébona, mais de différents lieux de Palestine, je propose maintenant cette parabole, que nous appellerons : “ La parabole des personnes mal conseillées. ”

      Ecoutez : il y avait une fois une famille très nombreuse, au point d’être une tribu. Les nombreux enfants s’étaient mariés, en formant autour de la première famille beaucoup d’autres familles qui eurent, à leur tour, une belle descendance. Ces derniers se marièrent et fondèrent encore d’autres foyers. De sorte que le vieux père s’était, pour ainsi dire, trouvé à la tête d’un petit royaume dont il était le roi.

      Comme il arrive toujours dans les familles, parmi les nombreux enfants et petits-enfants, on trouvait différents caractères : des bons et justes, des orgueilleux et des injustes, ceux qui étaient contents de leur sort et ceux qui étaient envieux, leur part leur semblant plus petite que celle d’un frère ou d’un parent. Le pire côtoyait le meilleur de tous. Il était naturel que ce dernier soit le plus tendrement aimé du patriarche de tout ce clan. Et, comme c’est fréquent, le mauvais membre de la famille et ses semblables détestaient le bon parce qu’il était le plus aimé, sans penser qu’eux aussi auraient pu être aimés s’ils l’avaient imité. Le père confiait ses pensées à son bon fils pour qu’il les rapporte à tous. La grande famille s’était divisée en trois parties : celle des vertueux, qui suivaient le bon fils, et celle des mauvais, et entre l’une et l’autre se trouvaient les indécis, qui se sentaient attirés vers le bon fils, mais craignaient le mauvais et ses partisans. Cette troisième partie louvoyait entre les deux premières et ne savait pas se décider avec fermeté pour l’une ou l’autre. A la vue de cette indécision, le vieux père dit à son fils bien-aimé :

      “ Jusqu’à présent, tu as dispensé ta parole à ceux qui l’apprécient comme aux autres, car les premiers te la réclament pour m’aimer toujours plus, avec justice, et les autres sont des sots qu’il faut rappeler à la justice. Or tu vois que ces derniers ne l’accueillent pas, donc ne changent pas. Qui plus est, à leur première injustice envers toi, qui leur portes mon désir, ils joignent celle de corrompre par de mauvais conseils les membres de leur parenté qui ne savent pas vouloir prendre résolument le meilleur chemin. Va donc les trouver, et parle-leur de ce que je suis, de ce que tu es, et de ce qu’ils doivent faire pour être avec moi et avec toi. ”

      570.7 Le fils, toujours obéissant, fit la volonté de son père, et chaque jour, il conquérait quelque cœur. Ainsi, le père put voir clairement quels étaient ses vrais enfants rebelles, et il portait sur eux un regard sévère, sans cependant leur faire de reproches, parce qu’il était père et qu’il voulait les attirer à lui par la patience, l’amour et l’exemple des bons.

      Mais dès qu’ils se virent seuls, les mauvais se concertèrent :

      “ Il apparaît trop clairement que nous sommes les rebelles. Auparavant, aucune distinction n’était visible dans les rangs de ceux qui n’étaient ni bons ni mauvais. Maintenant, vous les voyez, ils suivent tous le fils bien-aimé. Il nous faut agir : détruisons son œuvre ! Faisons mine de nous être ravisés, allons trouver nos frères à peine convertis, ainsi que les plus simples des meilleurs, et répandons le bruit que le fils bien-aimé feint de servir son père, mais qu’en réalité il se fait des partisans pour ensuite se révolter contre lui. Ou encore, arguons que notre père a l’intention d’éliminer son fils et ses disciples, parce qu’ils triomphent trop et offusquent sa gloire de père-roi, et qu’il nous faut donc défendre le fils aimé et trahi, en le retenant parmi nous, loin de la maison paternelle où l’attend la trahison. ”

      Ils allèrent donc répandre avis et incitations avec une telle ruse, une telle intelligence, que beaucoup tombèrent dans le piège, spécialement ceux qui étaient convertis depuis peu, auxquels les mauvais conseillers suggéraient perfidement :

      “ Vous voyez combien il vous a aimés ? Il a préféré venir parmi vous plutôt que de rester auprès de son père, ou du moins avec ses bons frères. Il a tout mis en œuvre pour vous relever en présence du monde de votre abjection d’individus qui ne savaient pas ce qu’ils voulaient et que tous tournaient en dérision à cause de cela. En raison de cette prédilection à votre égard, vous avez le devoir de le défendre, et même de le retenir de force, si votre conviction ne suffit pas à le maintenir dans votre camp. Ou bien soulevez-vous pour le proclamer roi et chef, et marchez contre ce père inique et ses fils, qui le sont autant. ”

      Certains hésitaient et faisaient remarquer :

      “ Mais il veut, il a toujours voulu que nous l’accompagnions pour honorer notre père, et il nous a obtenu bénédiction et pardon. ”

      A ces derniers, ils rétorquaient :

      “ Ne croyez pas cela ! Il ne vous disait pas toute la vérité, de même que notre père ne vous l’a pas montrée intégralement. Il a agi ainsi parce qu’il sent que notre père va le trahir, et il a voulu éprouver vos cœurs pour savoir où se réfugier. Mais peut-être… il est si bon ! Peut-être se repentira-t-il par la suite d’avoir douté de son père, et il voudra revenir à lui. Ne le lui permettez pas ! ”

      Et beaucoup assurèrent :

      “ Nous ne le permettrons pas. ”

      Alors ils s’enflammèrent et élaborèrent des projets susceptibles de retenir le fils bien-aimé. Ils ne s’aperçurent pas que, pendant que les mauvais conseillers disaient : “ Nous vous aiderons pour sauver le fils béni ”, leurs yeux brillaient de lueurs mensongères et cruelles, et qu’ils se faisaient des clins d’œil en se frottant les mains et en murmurant : “ Ils tombent dans le piège ! Nous allons triompher ! ”, chaque fois que quelqu’un adhérait à leurs paroles sournoises.

      570.8 Puis les mauvais conseillers s’en allèrent répandre ailleurs la rumeur qu’on allait bientôt assister à la trahison du fils bien-aimé, sorti des terres de son père pour créer un royaume adverse, avec ceux qui haïssaient le père, ou du moins ne lui manifestaient pas un amour ferme. Les hommes qui avaient été bernés par ces mauvais conseils complotaient pendant ce temps. Ils cherchaient le meilleur moyen d’amener le fils bien-aimé au péché de rébellion qui aurait scandalisé le monde.

      Seuls les plus sages d’entre eux, ceux chez qui la parole du juste avait pénétré plus profondément et s’était enracinée parce qu’elle avait trouvé en eux un terreau avide de l’accueillir, dirent après réflexion :

      “ Non. Ce n’est pas bien. C’est un acte de malveillance envers notre père, envers son fils et même envers nous. Nous connaissons la justice et la sagesse de l’un et de l’autre, même si nous ne l’avons malheureusement pas toujours suivie. Et nous ne devons pas penser que les suggestions de ceux qui ont toujours ouvertement pris parti contre notre père, contre la justice, et aussi contre le fils bien-aimé du père, puissent être plus sages que celles du fils béni. ”

      Et ils ne les suivirent pas. Au contraire, avec amour et avec douleur, ils laissèrent partir le fils là où il devait, en se bornant à l’accompagner avec des marques d’affection jusqu’aux limites de leurs champs, et à lui promettre en lui disant adieu :

      “ Tu t’en vas, et nous, nous restons. Mais tes paroles demeurent en nous et, dorénavant, nous ferons la volonté de notre père. Pars tranquille. Tu nous as sortis pour toujours de l’état dans lequel tu nous as trouvés. Maintenant que nous avons été remis sur la bonne voie, nous saurons y progresser jusqu’à rejoindre la maison paternelle de manière à être bénis par notre père. ”

      A l’opposé, certains donnèrent leur adhésion aux mauvais conseillers et ils péchèrent en tentant le fils bien-aimé et en le ridiculisant comme incapable parce qu’il s’était obstiné à accomplir son devoir.

      570.9 Maintenant, je vous demande :

      Pourquoi le même conseil a-t-il provoqué des réponses différentes ?… Vous ne répondez rien ? Je vais vous le dire, comme je l’ai fait à Silo : parce que les conseils acquièrent de la valeur ou deviennent nuls, selon qu’ils sont ou ne sont pas accueillis. C’est inutilement que telle personne est tentée par de mauvais conseils. Si elle ne veut pas pécher, elle ne péchera pas. Et elle ne sera pas punie pour avoir dû entendre les insinuations des mauvais. Dieu est juste et il ne punit pas des fautes qui n’ont pas été commises. Elle ne le serait que si, après avoir dû écouter le mal qui la tente, elle le met en pratique sans se servir de son intelligence pour méditer la nature du conseil et son origine. Elle ne pourra pas prétendre, en guise d’excuse : “ Je le croyais bon. ” Est bon ce qui est agréable à Dieu. Dieu pourrait-il approuver ou tenir pour agréable une désobéissance ou quoi que ce soit qui y conduise ? Dieu peut-il bénir ce qui s’oppose à sa Loi, c’est-à-dire à sa Parole ? En vérité, je vous dis que non. Et, encore en vérité, je vous dis qu’il faut savoir mourir plutôt que de transgresser la Loi divine.

      A Sichem, je parlerai encore pour vous rendre justes en vous apprenant à savoir vouloir ou ne pas vouloir pratiquer un conseil qui vous est donné. Allez. »

      570.10 Les gens s’éloignent en commentant.

      « Tu as entendu ? Lui, il sait ce qu’ils nous ont raconté ! Et il nous a rappelé à la justice de la volonté, dit un Samaritain.

      – Oui. Et tu as vu comment les juifs et les scribes présents se sont troublés ?

      – Oui. Ils n’ont pas même attendu la fin pour s’en aller.

      – Maudites vipères ! Pourtant… Il annonce ce qu’il veut faire. Il a tort. Il pourrait s’attirer des ennuis. Ceux des monts Ebal et Garizim se sont bien exaltés !…

      – Moi… je ne me suis jamais fait d’illusions. Le Rabbi, c’est le Rabbi. Et c’est tout dire. Le Rabbi peut-il pécher en ne montant pas au Temple de Jérusalem ?

      – Il y trouvera la mort. Tu vas voir ! Et ce sera fini…

      – Pour qui ? Pour lui ? Pour nous ? Ou… pour les juifs ?

      – Pour lui. S’il meurt !

      – Homme, tu délires. Moi, je suis d’Ephraïm. Je le connais bien. J’ai vécu près de lui deux lunes entières, et même davantage. Il nous parlait sans cesse. Ce sera une souffrance… mais ce ne sera pas une fin, ni pour lui, ni pour nous. Le Saint des saints ne peut mourir. Ce ne sera pas sa fin. De même, cela ne peut se terminer ainsi pour nous. Moi… je suis un ignorant, mais je sens que le Royaume viendra quand les juifs le croiront fini… Mais ce sont eux qui seront finis…

      – Tu penses que les disciples vengeront le Maître ? Une révolte ? Un massacre ? Et les Romains ?…

      – Oh ! il n’est pas besoin de disciples, de vengeances humaines, de massacres. Ce sera le Très-Haut qui les vaincra. Il nous a bien punis, nous, pendant des siècles, et pour moins que cela ! Voudrais-tu qu’il ne les punisse pas, eux, pour leur péché de tourmenter son Christ ?

      – Les voir vaincus ! Ah !

      – Ton cœur n’est pas comme le Maître le voudrait. Lui, il prie pour ses ennemis…

      – Moi… je partirai à sa suite demain. Je veux entendre ce qu’il va dire à Sichem.

      – Moi, également.

      – Et moi aussi… »

      Beaucoup d’habitants de Lébona ont la même idée et, fraternisant avec ceux d’Ephraïm et de Silo, ils vont se préparer pour le départ du lendemain.




[1] Référence à la prophétie que le jeune Jésus donne à la fin de son dialogue avec les Docteurs. Il avait 12 ans révolus.

[2] Différent de Gamala, dans le nord, où eu lieu le miracle des démons envoyés dans le troupeau de porc. 




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-031.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/la-parabole-des-personnes-mal-conseillees.html
Anayel
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mer 28 Avr - 22:26

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

571. L'accueil rencontré à Sichem

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 32.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 571.

Le 1er mars 1947.

Mardi 19 mars 30
Sichem


    571.1 Sichem est resplendissante, toute parée. Elle est bondée de Samaritains qui se rendent à leur temple [1], et de pèlerins de toutes les régions en route vers le Temple de Jérusalem. Le soleil l’inonde tout entière. Elle s’étend sur les pentes orientales du mont Garizim, qui la domine à l’ouest, aussi vert qu’elle est blanche. A son nord-est, le mont Ebal, d’aspect encore plus sauvage, semble l’abriter des vents du nord. L’endroit est fertile, enrichi par les eaux qui descendent des montagnes. Elles se partagent entre deux petites rivières riantes, alimentées par une multitude de ruisseaux, qui descendent vers le Jourdain. La magnificence de la fertilité déborde hors des murs des jardins et des haies des cultures maraîchères. Chaque maison est ornée de guirlandes de verdure, de fleurs, de branches où gonflent de petits fruits. La configuration du terrain rend les alentours bien visibles et, de quelque côté que l’on se tourne, on ne voit que le vert des oliviers, des vignobles, des vergers et la couleur blonde des champs qui abandonnent chaque jour davantage le ton glauque du blé en herbe pour prendre une délicate couleur jaune paille, d’épis mûrs, que le soleil et le vent, en les enveloppant et les courbant, rendent presque de la couleur de l’or blanc.

      Vraiment, les grains “ blondissent ”, comme dit Jésus ; ils sont maintenant vraiment blonds, après avoir été “ blanchissants ” à leur naissance, puis d’un vert de joyau précieux pendant qu’ils grandissaient et épiaient. Maintenant, le soleil les prépare à la mort après les avoir façonnés à la vie. Et on ne sait pas s’il faut le bénir davantage en ce moment où il les conduit au sacrifice, ou quand il réchauffait paternellement les sillons pour faire germer la semence et peignait la pâleur de la tige, qui venait de percer, d’un beau vert plein de vigueur et de promesses.

      571.2 Jésus parlait de cela à son entrée dans la ville, en montrant l’endroit de sa rencontre avec la Samaritaine. Faisant allusion à cette lointaine conversation, il s’adresse à ses apôtres — excepté à Jean, qui a déjà pris sa place de consolateur auprès de Marie, très affligée :

      « Est-ce que ne s’accomplit pas en ce moment ce que je disais alors ? Nous sommes entrés ici, inconnus et isolés. Nous avons semé. Maintenant, regardez : une moisson abondante est née de cette semence. Elle grandira encore et vous la moissonnerez. Et d’autres moissonneront plus que vous…

      – Pas toi, Seigneur ? demande Philippe.

      – Moi, j’ai moissonné là où mon Précurseur avait semé, puis j’ai ensemencé pour que, à votre tour, vous récoltiez la moisson et semiez la semence que je vous ai donnée. Mais, de même que Jean-Baptiste n’a pas moissonné ce qu’il avait semé, ce n’est pas moi qui ferai cette moisson. Nous sommes…

      – Quoi, Seigneur ? demande Jude, troublé.

      – Les victimes, mon frère. Il faut de la sueur pour rendre les champs fertiles, mais il faut le sacrifice pour rendre fertiles les cœurs. On se lève, on travaille, on meurt. Quelqu’un prend notre suite, se lève, travaille, meurt… Et un autre moissonne ce que nous aurons abreuvé de notre mort.

      – Non, ne dis pas cela, mon Seigneur ! s’écrie Jacques, fils de Zébédée.

      – C’est toi qui parles ainsi, toi qui fus disciple de Jean-Baptiste avant d’être le mien ? Ne te rappelles-tu pas les paroles de ton premier maître : “ Il faut qu’il croisse et que moi je diminue ” ? Lui comprenait la beauté et la justice de mourir pour donner aux autres la justice. Je ne lui serai pas inférieur.

      – Mais toi, Maître, tu es Dieu ! Lui, c’était un homme !

      – Je suis le Sauveur. En tant que Dieu, je dois être plus parfait que l’homme. Si Jean, qui était un homme, sut diminuer pour faire lever le vrai Soleil, moi je ne dois pas offusquer la lumière de mon soleil par un nuage de lâcheté. Je dois vous laisser un limpide souvenir de moi, afin que vous alliez de l’avant et que le monde grandisse dans l’Idée chrétienne. 571.3 Le Christ s’en ira, retournera là d’où il est venu, et c’est de là qu’il vous aimera en vous suivant dans votre travail, et en vous préparant la place qui sera votre récompense. Mais le christianisme reste. Le christianisme va s’épanouir grâce à mon départ… et grâce à celui de tous les hommes qui, sans s’attacher au monde et à la vie terrestre, sauront, comme Jean-Baptiste et Jésus, s’en aller… mourir pour faire vivre.

      – Alors tu trouves juste que l’on te donne la mort ? demande Judas, comme s’il était angoissé.

      – Je ne trouve pas juste qu’on me donne la mort. Je trouve juste de mourir pour ce qu’amènera mon sacrifice. L’homicide sera toujours un homicide pour l’homme qui l’accomplit, même s’il a une valeur et un aspect différents pour celui que l’on tue.

      – Que veux-tu dire par là?

      – Je veux dire que celui qui est homicide parce qu’on le lui commande ou qu’on l’y force, comme un soldat dans la bataille, un bourreau qui doit obéir au magistrat, ou un homme qui se défend contre un voleur, n’a pas de crime sur la conscience ou n’a que le crime relatif de tuer l’un de ses semblables ; en revanche, celui qui, sans en avoir l’ordre et sans y être contraint, assassine un innocent, ou coopère à son meurtre, arrive devant Dieu avec le visage horrible de Caïn.

      – Mais ne pourrions-nous parler d’autre chose ? Le Maître en souffre, tu as les yeux de quelqu’un que l’on tourmente, il nous semble être à l’agonie ; si sa Mère entend, cela la fait pleurer. Déjà, elle pleure tant derrière son voile ! Nous pouvons parler de tant d’autres sujets !… 571.4 Ah ! voilà que les notables arrivent. Cela vous fera taire. Paix à vous ! Paix à vous ! »

      Pierre, qui était un peu en avant et s’était retourné pour parler, s’incline pour saluer devant lui un important groupe de citoyens de Sichem qui s’avancent, très pompeux, vers Jésus.

      « Paix à toi, Maître. Les maisons qui t’ont reçu l’autre fois sont toutes disposées à te recevoir, ainsi que beaucoup d’autres pour les femmes disciples et tes compagnons. Ceux qui ont reçu tes bienfaits récemment ou la première fois vont venir. Une seule manquera, car elle s’est éloignée d’ici pour mener une vie d’expiation. C’est ce qu’elle a dit, et je le crois. En effet, quand une femme se dépouille de tout ce qu’elle aimait, repousse le péché et donne ses biens aux pauvres, c’est signe qu’elle veut vraiment s’engager dans une vie nouvelle. Mais je ne saurais te dire où elle se trouve. Personne ne l’a vue depuis qu’elle a quitté Sichem. L’un de nous a cru la reconnaître sous les traits d’une servante dans un village près de Phialé [2]. Un autre jure l’avoir aperçue, vêtue misérablement, à Bersabée [3]. Mais leurs affirmations manquent de certitude. Appelée par son nom, elle n’a pas répondu, et la femme s’appelait Jeanne à un endroit, et Agar à l’autre [4].

      – Il n’est pas nécessaire de savoir autre chose sinon qu’elle s’est rachetée. Toute autre connaissance est vaine, et toute recherche est une curiosité indiscrète. Laissez votre compatriote dans sa paix secrète ; réjouissez-vous seulement qu’elle ne cause plus de scandale. Les anges du Seigneur savent où elle se trouve pour lui apporter l’unique secours dont elle ait besoin, l’unique qui ne puisse pas nuire à son âme… 571.5 Les femmes sont fatiguées, faites-leur la charité de les conduire dans les maisons. Je vous parlerai demain. Aujourd’hui, je vais tous vous écouter et j’accueillerai les malades.

      – Tu ne restes pas longtemps avec nous ? Ne passeras-tu pas le sabbat ici ?

      – Non. Le sabbat, je le passerai ailleurs, en prière.

      – Nous espérions t’avoir davantage avec nous…

      – J’ai à peine le temps de retourner en Judée pour les fêtes. Je vous laisserai les apôtres et les femmes, s’ils veulent rester jusqu’au soir du sabbat. Ne vous regardez pas ainsi. Vous savez que je dois honorer le Seigneur notre Dieu plus que tout autre. En effet, être ce que je suis ne m’exempte pas d’être fidèle à la Loi du Très-Haut. »

      Ils se dirigent vers les maisons, et dans chacune entrent deux femmes disciples et un apôtre : Marie, femme d’Alphée, avec son fils Jacques, et Suzanne ; Marthe et Marie avec Simon le Zélote ; Elise et Nikê avec Barthélemy ; Salomé et Jeanne avec Jacques, fils de Zébédée. Puis Thomas, Philippe, Judas et Matthieu entrent en groupe dans une maison, et Pierre avec André dans une autre ; Jésus avec Jude, Jean et Marie, sa Mère, entre chez l’homme qui a toujours parlé au nom de ses concitoyens. Ceux qui suivent Jésus et les hommes d’Ephraïm, Silo et Lébona, sans compter d’autres pèlerins qui étaient déjà en route pour Jérusalem et ont interrompu leur voyage pour se mettre à la suite de Jésus, tous se dispersent dans la ville à la recherche d’un logement.




[1] Le temple samaritain était situé sur le mont Garizim.

[2] Phialé : selon le catalogue de Cambridge, c’est un lac de la Gaulanitide, connu actuellement sous le nom de Birkat Rām (lac Ram) et le village proche est Mas'ada. Ce nom de Phialé vient de la forme de ce lac identique aux Phiales grecques, coupes destinées aux libations. Ce nom est attesté à l'époque de Jésus. F. Josèphe raconte que le Tétrarque Philippe voulant savoir d'où venait la source du Jourdain, fit jeter de la menue paille dans le lac Phiala. Elle réapparue à Banias, aux sources du Jourdain. Philippe y fit construire Césarée Panéas (Césarée de Philippe). Source : Introduction historique et critique aux livres de l'ancien et du nouveau testament, page 30


[3] Bersabée, nom grec et latin de Be'er Sheva.

[4] Agar est le nom de la deuxième épouse  d'Abraham et mère d'Ismaël (Genèse 16,15). Elle était égyptienne et servante de Sara qui, stérile, la poussa dans le lit d'Abraham. Plus tard elle fut chassée avec son fils et secourue au désert par un ange (Genèse 21, 15-21)




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-032.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/l-accueil-rencontre-a-sichem.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Jeu 29 Avr - 23:00

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

572. A Sichem, dernière parabole sur les conseils donnés et reçus

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 33.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 572.

Le 2 mars 1947.

Mercredi 20 mars 30
Sichem


       572.1 La place principale de Sichem est occupée par un invraisemblable fourmillement de gens. Je crois que la ville tout entière est là et que les habitants des campagnes et des villages voisins s’y sont eux aussi déversés. Ceux de Sichem, dans l’après-midi du premier jour, ont dû se répandre pour porter l’annonce en tout lieu, et tous sont accourus : bien portants comme malades, pécheurs comme innocents. Une fois la place bondée, les terrasses sur les toits remplies, les gens se sont juchés jusque sur les arbres qui ombragent la place.

      Au premier rang, vers l’endroit gardé libre pour Jésus, contre une maison surélevée de quatre marches, se trouvent les trois enfants que Jésus a enlevés aux voleurs, ainsi que leur parenté. Comme ils sont impatients de revoir leur Sauveur ! Tout cri les fait se retourner pour le chercher. Et quand enfin la porte de la maison s’ouvre et que Jésus apparaît dans l’entrebâillement, les enfants volent en avant en criant : “ Jésus ! Jésus ! Jésus ! ”, et ils montent les hautes marches sans même attendre qu’il descende les embrasser. Jésus se penche et les enlace, avant de les élever, en un vivant bouquet de fleurs innocentes, et il dépose un baiser sur les petits visages qui lui rendent la pareille.

      Les gens font entendre un murmure ému. Des voix s’élèvent pour dire :

      « Il n’y a que lui pour savoir embrasser nos innocents. »

      Et d’autres voix :

      « Voyez-vous comme il les aime ? Il les a sauvés des voleurs, il leur a donné une maison après les avoir rassasiés et vêtus, et maintenant il les embrasse comme s’ils étaient les fils de ses entrailles. »

      572.2 Jésus, qui a déposé les enfants par terre, sur la plus haute marche, tout près de lui, s’adresse à tous en répondant à ces dernières paroles anonymes :

      « En vérité, ils sont pour moi bien plus que des fils de mes entrailles. C’est que je suis pour eux un père pour leur âme, et cel­le-ci m’appartient, non pendant le temps qui passe, mais pour l’éternité qui demeure. Si je pouvais dire de tout homme que c’est de moi, la Vie, qu’il tire la vie pour sortir de la mort !

      Je vous ai invités à cela quand je suis venu pour la première fois parmi vous, et vous pensiez que vous aviez beaucoup de temps pour vous décider à le faire. Une seule a montré de l’empressement à suivre l’appel et à s’engager sur le chemin de la Vie : la personne la plus pécheresse d’entre vous. Peut-être justement parce qu’elle s’est sentie morte, qu’elle s’est vue morte, pourrie dans son péché, et qu’elle a eu hâte de sortir de la mort. Vous, vous ne vous sentez pas et vous ne vous voyez pas morts, donc vous n’avez pas son empressement.

      Mais quel est le malade qui attend d’être mort pour prendre les remèdes de vie ? Un mort n’a besoin que d’un linceul, d’aromates et d’un tombeau où reposer pour devenir poussière après avoir été pourriture. Car si, pour des fins qui sont sages, la pourriture de Lazare que vous regardez avec des yeux dilatés par la crainte et la stupeur, retrouva la santé par l’intervention de l’Eternel, personne ne doit être tenté d’arriver à la mort de son âme en arguant : “ Le Très-Haut me rendra la vie de l’âme. ” Ne tentez pas le Seigneur votre Dieu.

      572.3 C’est à vous de venir à la Vie. Il n’est plus temps d’attendre. La Grappe va être cueillie et pressée. Préparez votre âme au vin de la grâce qui va vous être donné. N’agissez-vous pas ainsi quand vous devez prendre part à un grand banquet ? Ne préparez-vous pas votre estomac à recevoir des mets et des vins de choix, en faisant précéder ce festin d’une abstinence prudente qui rend le goût net et l’estomac vigoureux pour savourer et désirer la nourriture et les boissons ? Et le vigneron n’en fait-il pas autant pour goûter le vin nouveau ? Il ne corrompt pas son palais le jour où il compte s’en charger. Il s’en garde, parce qu’il veut se rendre compte avec exactitude des qualités et des défauts du vin, pour corriger les uns et exalter les autres, et pour bien vendre sa marchandise. Mais si l’homme invité à un banquet sait le faire pour goûter avec plus de plaisir les mets et les vins, et le vigneron pour bien négocier son vin, ou pour rendre vendable un vin qui à cause de ses défauts serait repoussé par l’acheteur, l’homme ne devrait-il pas savoir le faire pour son âme, pour goûter le Ciel, pour gagner le trésor qui lui permettra d’entrer au Ciel ?

      Ecoutez mon conseil. Oui, écoutez-le. C’est un bon conseil, un conseil juste du Juste qu’en vain on a mal conseillé, et qui veut vous sauver des fruits des mauvaises exhortations qu’on vous a adressées. Soyez justes comme je le suis. Et sachez donner une juste valeur aux recommandations qui vous sont faites. Si vous savez vous rendre justes, vous leur attribuerez une juste valeur.

      572.4 Ecoutez une parabole : elle ferme le cycle de celles que j’ai dites à Silo et à Lébona, et traite toujours des conseils donnés et reçus.

      Un roi envoya son fils bien-aimé visiter son royaume. Le royaume de ce roi était divisé en de nombreuses provinces, car il était très vaste. Ces provinces avaient des représentations différentes de leur roi. Certaines le connaissaient si bien qu’elles se considéraient comme les préférées, et en tiraient orgueil. A les écouter, il n’y avait qu’elles de parfaites, et elles seules comprenaient le roi et ses désirs. D’autres le connaissaient, mais sans se considérer comme sages pour autant, et elles s’efforçaient d’approfondir ce qu’elles savaient de lui. D’autres encore avaient la connaissance du roi, mais elles l’aimaient à leur manière, car elles s’étaient donné un code particulier qui n’était pas le vrai code du royaume. Du code véritable, elles avaient pris ce qui était à leur goût, et dans la mesure où cela leur convenait. Or, même ce peu, elles l’avaient déformé en le mélangeant à d’autres lois empruntées à d’autres royaumes, ou qu’elles s’étaient forgées elles-mêmes, et qui n’étaient pas bonnes. Oui, qui n’étaient pas bonnes. D’autres enfin ignoraient davantage leur roi, et certaines savaient seulement qu’il existait. Rien de plus. Mais ce peu qu’elles croyaient, elles s’imaginaient même que c’était un conte.

      Le fils du roi vint visiter le royaume de son père pour apporter aux différentes régions une connaissance exacte du roi, ici en corrigeant l’orgueil, là en relevant ceux que l’on avait avilis, ailleurs en redressant des idées erronées, plus loin en persuadant d’ôter les éléments impurs de la loi, qui était pure. A d’autres endroits, il lui fallut combler des lacunes, ou essayer de donner un minimum de connaissances et de foi en ce roi réel, dont tout homme était le sujet. Ce fils de roi pensait pourtant que, pour tous, une première leçon était l’exemple d’une justice conforme au code, aussi bien dans les lois primordiales que dans les détails de moindre importance. Et il était parfait, de sorte que les gens de bonne volonté s’amélioraient parce qu’ils suivaient autant les actes que les paroles du fils du roi : en effet, ses paroles et ses actes ne faisaient qu’un, tant ils se correspondaient sans dissonances.

      572.5 Néanmoins, les provinciaux qui se considéraient comme parfaits uniquement parce qu’ils avaient une connaissance intégrale de la lettre du code, mais sans en posséder l’esprit, se rendaient bien compte, à l’observance du fils du roi et à ses exhortations, de cette situation ; et ils voyaient leur hypocrisie démasquée. Alors ils pensèrent à faire disparaître ce qui les révélait tels qu’ils étaient. Et pour y arriver, ils choisirent deux voies : l’une contre le fils du roi, l’autre contre ses partisans. Contre le premier, les mauvais conseils et les persécutions, contre les seconds, les mauvais conseils et les intimidations.

      Il y a beaucoup de façons de donner un mauvais conseil. On peut par exemple dire : “ Ne fais pas ceci, cela pourrait te nuire ”, en feignant un intérêt bienveillant, ou encore persécuter pour convaincre celui que l’on veut dévoyer de manquer à sa mission. Ainsi, il est possible de recommander aux partisans : “ Défendez à tout prix et par tous les moyens le juste persécuté ”, tout autant que : “ Si vous le protégez, vous vous heurterez à notre mépris. ”

      Mais je ne parle pas ici des conseils aux partisans. Je parle de ceux que l’on a suggérés ou fait suggérer au fils du roi, avec une fausse bonhomie, avec une haine farouche, ou par la bouche d’instruments ignorants que l’on incitait à nuire en leur faisant croire qu’ils rendraient service.

      On rapporta au fils du roi ces paroles. Il avait des oreilles, des yeux, de l’intelligence et du cœur. Il ne pouvait donc que les entendre, les étudier, les comprendre et les juger. Mais il avait surtout l’esprit droit du vrai juste. Et à tout conseil donné sciemment ou inconsciemment pour l’amener à pécher — et donc à être un mauvais exemple pour les sujets de son père et à lui causer une infinie douleur —, il répondait : “ Non. Je fais ce que veut mon père. Je suis son code. Etre fils du roi ne m’exempte pas d’être le plus fidèle de ses sujets pour observer la Loi. Vous qui me détestez et voulez m’effrayer, apprenez que rien ne me fera violer la Loi. Vous qui m’aimez et voulez me sauver, sachez que je vous bénis pour votre intention ; néanmoins, votre amour et l’amour que je vous porte — car vous m’êtes plus fidèles que ceux qui se prétendent ‘sages’ — ne doit pas me rendre injuste dans mon devoir envers le plus grand amour, qui est celui qu’il faut montrer à mon père. ”

      572.6 Voilà la parabole, mes enfants. Elle est si claire que chacun de vous peut l’avoir comprise. Dans les âmes justes, il ne peut s’élever qu’une seule voix : “ Il est vraiment le Juste, car aucun conseil humain ne peut le dévoyer. ”

      Oui, fils de Sichem, rien ne peut m’induire en erreur. Malheur, si je tombais dans l’erreur ! Malheur à moi, mais aussi à vous. Au lieu d’être votre Sauveur, je serais pour vous un traître, et vous auriez raison de me haïr. Mais je ne le ferai pas.

      Je ne vous reproche pas d’avoir écouté certaines suggestions et pensé à prendre des mesures contraires à la justice. Vous n’êtes pas coupables, puisque vous l’avez fait par esprit d’amour, mais je vous répète ce que je vous ai dit au commencement et à la fin, je vous le répète : vous m’êtes plus chers que si vous étiez les fils de mes entrailles, car vous êtes les fils de mon esprit. Votre esprit, je l’ai amené à la Vie, et je le ferai encore davantage.

      Sachez, et que ce soit votre souvenir de moi, sachez que je vous bénis pour la pensée que vous avez eue dans le cœur. Mais grandissez dans la justice, en voulant seulement ce qui honore le vrai Dieu, envers qui il faut faire preuve d’un amour absolu qu’on ne doit avoir pour aucune autre créature. Venez à cette parfaite justice dont je vous donne l’exemple, une justice qui foule aux pieds les égoïsmes du bien-être personnel, la peur des ennemis et de la mort, qui piétine tout, pour faire la volonté de Dieu.

      Préparez votre esprit. L’aube de la grâce se lève, le banquet de la grâce s’apprête. Vos âmes, les âmes de ceux qui veulent venir à la vérité, sont à la veille de leurs noces, de leur libération, de leur rédemption. Préparez-vous, dans la justice, à la fête de la Justice. »

      572.7 Jésus fait signe aux parents des enfants, qui se tiennent près d’eux, d’entrer dans la maison avec lui, et il se retire après avoir pris dans ses bras les trois petits, comme au début.

      Sur la place, les commentaires s’entrecroisent, fort divers. Les meilleurs approuvent :

      « Il a raison. Nous avons été trahis par ces faux envoyés. »

      Les moins bons disent :

      « Mais alors, il ne devait pas nous flatter. Il nous fait haïr encore plus. Il nous a bernés. C’est un vrai juif.

      – Vous ne pouvez pas soutenir cela : nos pauvres profitent de ses secours, nos malades de sa puissance, nos orphelins de sa bonté. Nous ne pouvons pas prétendre qu’il pèche pour nous faire plaisir.

      – Il a déjà péché, car il nous a haïs en nous faisant détester par…

      – … par qui ?

      – Par tout le monde. Il nous a bernés. Oui, il nous a bernés ! [1] »

      Les opinions diverses remplissent la place, mais elles ne troublent pas l’intérieur de la maison, où Jésus se trouve avec les notables, les enfants et leurs parents.

      Une fois de plus se vérifie la parole prophétique :

      « Il sera un signe de contradiction. »



[1] Ces habitants de Tersa chasseront Jésus de leur ville.




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-033.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/derniere-parabole-sur-les-conseils-donnes-et-recus.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Sam 1 Mai - 22:44

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573. Départ pour Hennon, après une altercation entre Judas et Elise

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 34.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 573.

Le 2 mars 1947.

Jeudi 21 mars 30
vers Hennon


      573.1 Jésus est seul. Il médite, assis sous un chêne vert gigantesque qui a poussé sur une pente du mont Garizim qui domine Sichem. La ville, d’un blanc rosé sous le premier soleil, est située tout en bas, et s’étend sur les premières pentes du mont. Vue d’en haut, elle ressemble à une poignée de gros cubes blancs renversés par quelque grand enfant sur un pré vert incliné. Les deux cours d’eau près desquels elle s’élève forment un demi-cercle bleu argenté autour de la ville ; puis l’un d’eux y pénètre, chantant et scintillant entre les maisons blanches, pour en ressortir et couler dans la verdure, apparaissant et disparaissant sous les oliviers et dans les vergers luxuriants en direction du Jourdain. L’autre, plus modeste, court hors des murs, les lèche pour ainsi dire, irriguant les cultures maraîchères fertiles, puis il part abreuver des troupeaux de brebis blanches, qui paissent dans des prés que les fleurs des trèfles rougissent de leurs capitules.

      Un vaste horizon s’ouvre en face de Jésus. Après une ondulation de collines de plus en plus basses, on aperçoit par une échappée la verte vallée du Jourdain et, au-delà, de l’autre côté du fleuve, les montagnes qui aboutissent au nord-est aux sommets caractéristiques de l’Auranitide. Le soleil, qui s’est levé derrière ces montagnes, a frappé trois nuages bizarres qui ressemblent à autant de rubans de gaze légère, disposés horizontalement sur le voile bleu turquoise du firmament, et la gaze légère des trois nuages longs et étroits a pris la couleur rose orangée de certains coraux précieux. Le ciel semble barré par cette grille aérienne, très belle. Jésus regarde fixement dans cette direction, l’air pensif. Qui sait même s’il la voit… Le coude appuyé sur le genou, la main soutenant le menton appuyé dans le creux de la paume, il contemple, réfléchit, médite. Au-dessus de lui, les oiseaux se livrent à un joyeux et bruyant manège de vols.

      Jésus baisse les yeux sur Sichem, qui s’éveille peu à peu dans le soleil du matin. A présent, aux bergers et aux troupeaux qui étaient seuls d’abord à mettre un peu de vie dans ce panorama, se joignent les groupes de pèlerins, et au tintement des cloches des troupeaux se mêle celui des grelots des ânes, et puis des voix, ainsi que le bruit des pas et des paroles. Le vent apporte par vagues à Jésus la rumeur de la ville qui se réveille, des gens qui sortent du repos de la nuit.

      573.2 Jésus se lève. Il quitte en soupirant sa place tranquille et descend rapidement, par un raccourci, vers la ville. Il y entre au milieu des caravanes de maraîchers et de pèlerins qui se hâtent, les premiers de décharger leurs denrées, les seconds de faire des courses avant de se mettre en route.

      Dans un coin de la place du marché attend déjà le groupe formé par les apôtres et les femmes disciples, et autour d’eux les habitants d’Ephraïm, de Silo, de Lébona et un grand nombre de Sichem.

      Jésus va vers eux, les salue, puis il dit à ceux de Samarie :

      « Nous nous quittons maintenant. Rentrez chez vous. Rappelez-vous mes paroles et croissez dans la justice. »

      Puis il se tourne vers Judas :

      « As-tu remis, comme je te l’ai demandé, des aumônes aux pauvres de partout ?

      – Oui, sauf à ceux d’Ephraïm, puisqu’ils en avaient déjà reçu.

      – Alors partez. Faites en sorte que chaque pauvre soit soulagé.

      – Nous te bénissons pour eux.

      – Bénissez les femmes disciples. Ce sont elles qui m’ont donné l’argent. Allez. Que la paix soit avec vous. »

      Ils s’en vont à regret, désolés. Mais ils obéissent.

      573.3 Jésus reste avec les apôtres et les femmes disciples. Il leur dit :

      « Je vais à Hennon. Je veux saluer la retraite où vivait Jean-Baptiste, puis je descendrai à la route de la vallée. Elle est plus commode pour les femmes.

      – Ne vaudrait-il pas mieux, au contraire, prendre la route de Samarie ? demande Judas.

      – Nous n’avons pas à craindre les voleurs, même si nous sommes sur un chemin voisin de leurs cavernes. Que celui qui veut venir avec moi, vienne. Ceux qui ne désirent pas m’accompagner à Hennon, resteront ici jusqu’au lendemain du sabbat. Ce jour-là, j’irai à Tersa, et ceux qui restent ici m’y rejoindront.

      – Moi, vraiment… je préférerais rester. Je ne suis pas en bonne forme… je suis fatigué… déclare Judas.

      – Cela se voit. Tu parais malade. Regards sombres, humeur sombre, et jusqu’à la peau. Je t’observe depuis quelque temps… dit Pierre.

      – Pourtant, personne ne me demande si je souffre…

      – Cela t’aurait-il fait plaisir ? Je ne sais jamais ce qui t’est agréable. Mais si cela te fait plaisir, je te le demande maintenant et je suis prêt à rester avec toi pour te soigner… lui répond Pierre patiemment.

      – Non, non ! C’est seulement de la fatigue. Va, va ! Moi, je reste là où je suis.

      573.4 – Je reste, moi aussi. Je suis âgée. Je me reposerai en te servant de mère, intervient Elise.

      – Tu restes ? Tu avais dit… interrompt Marie Salomé.

      – Si tous y allaient, je venais moi aussi, pour ne pas rester seule ici. Mais étant donné que Judas reste…

      – Mais alors je viens ! Je ne veux pas que tu te sacrifies, femme. Tu iras sûrement voir avec plaisir le refuge de Jean-Baptiste…

      – Je suis de Bet-Çur et je n’ai jamais éprouvé le besoin d’aller à Bethléem pour voir la grotte où le Maître est né. Je le ferai quand je n’aurai plus le Maître. Je ne brûle donc pas du désir de connaître l’endroit où Jean vivait… Je préfère exercer la charité, sûre qu’elle a plus de valeur qu’un pèlerinage.

      – Tu fais un reproche au Maître. Tu ne t’en aperçois pas ?

      – Je parle pour moi. Lui y va, et il fait bien. Il est le Maître. Moi, je suis une vieille femme à qui les douleurs ont enlevé toute curiosité et à qui l’amour pour le Christ a enlevé le goût de tout ce qui n’est pas le servir.

      – Alors, pour toi, c’est un service de m’espionner.

      – Commets-tu des actes dignes de reproches ? On surveille ceux qui agissent mal, mais je n’ai jamais espionné personne, homme. Je n’appartiens pas à la famille des serpents. Et je ne trahis pas.

      – Moi non plus.

      – Dieu le veuille pour ton bien. Mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il t’est si odieux que je reste me reposer ici… »

      573.5 Jésus, muet jusqu’alors, écoute au milieu des autres, étonnés de cette prise de becs. Il redresse la tête — qu’il tenait un peu inclinée — et dit :

      « Suffit ! Le désir que tu as, une femme peut l’avoir à plus forte raison, qui plus est une femme âgée. Vous resterez ici jusqu’à l’aurore du lendemain du sabbat, puis vous me rejoindrez à Tersa. En attendant, va acheter ce qui peut être nécessaire pour ces jours-ci. Va, dépêche-toi ! »

      Judas part, à contrecœur, acheter de la nourriture.

      André s’apprête à le suivre, mais Jésus le prend par le bras :

      « Reste. Il peut le faire tout seul. »

      Jésus est très sévère.

      Elise le regarde, puis va près de lui pour lui confier :

      « Pardon, Maître, si je t’ai déplu.

      – Je n’ai pas à te pardonner, femme. C’est plutôt à toi de pardonner à cet homme, comme s’il était ton fils.

      – C’est avec ce sentiment que je reste près de lui… même s’il croit le contraire… Tu me comprends…

      – Oui, et je te bénis. Et je t’assure que tu as eu bien raison de dire que les pèlerinages aux endroits où j’ai été deviendront une nécessité lorsque je ne serai plus parmi vous… une nécessité de réconfort pour votre âme. Pour le moment, il s’agit seulement de servir les désirs de votre Jésus. Or tu as compris l’un de mes désirs, puisque tu te sacrifies pour protéger un esprit imprudent… »

      Les apôtres se regardent les uns les autres… Les femmes disciples aussi. Seule Marie reste toute voilée et ne lève pas la tête pour échanger quelque regard avec un autre. Marie de Magdala, debout comme une reine qui juge, n’a jamais perdu de vue Judas, qui tourne parmi les vendeurs ; elle a le regard courroucé et, sur sa bouche serrée, un pli méprisant. Son expression en dit plus que si elle parlait…

      573.6 Judas revient. Il donne à ses compagnons ce qu’il a acheté, rajuste son manteau — dont il s’était servi pour porter les courses — et fait le geste de donner la bourse à Jésus.

      Jésus la repousse de la main :

      « Ce n’est pas nécessaire. Pour les aumônes, il y a encore Marie. A toi d’être bienfaisant ici. Il y a de nombreux mendiants qui descendent de tous côtés pour aller vers Jérusalem ces jours-ci. Donne, sans préventions et avec charité, en te rappelant que nous sommes tous pour Dieu des mendiants de sa miséricorde et de son pain… Adieu. Adieu, Elise. Que la paix soit avec vous. »

      Il se retourne rapidement pour se mettre à marcher d’un pas décidé sur la route qui s’ouvre devant, sans donner à Judas le temps de le saluer.

      Tous le suivent en silence. Ils sortent de la ville pour se diriger vers le nord-est, à travers une superbe campagne.


SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-034.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/depart-pour-hennon-apres-une-altercation-entre-judas-et-elise.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Dim 2 Mai - 22:06

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574. En route d'Hennon à Tersa. Jésus rachète et accueille un jeune berger après avoir rendu aveugle un homme cruel, et redonné la vue à un aveugle

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 35.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 574.

Le 4 mars 1947.

Dimanche 24 mars 30
en route d’Hennon à Tersa


      574.1 Hennon — ce n’est qu’une poignée de maisons — est située plus au nord. C’était l’endroit où vivait Jean-Baptiste, une simple grotte entourée d’une végétation luxuriante. A peu de distance, des sources clapotent pour former ensuite un ruisseau bien gonflé d’eaux qui coulent vers le Jourdain.

      Jésus est assis hors de la grotte, là où il se trouvait quand il a salué son cousin [1a]. Il est seul. L’aurore teint à peine de rouge l’orient, et les bois se réveillent avec le pépiement des oiseaux. Des bêlements parviennent des bercails d’Hennon. Un braiment déchire l’air paisible.

      J’entends un trottinement de pas sur le sentier. Il passe un troupeau de chèvres conduites par un adolescent, qui s’arrête un instant, l’air indécis, pour regarder Jésus. Puis il s’en va. Mais il fait bientôt demi-tour, car une chevrette s’est arrêtée là pour observer l’homme qu’elle n’avait pas l’habitude de voir à cet endroit, et qui tend sa longue main pour lui offrir une tige de marjolaine [1] et caresser sa tête intelligente. Le pâtre reste interdit. Il ne sait s’il doit éloigner la bête ou laisser Jésus la caresser en souriant, comme s’il était content qu’elle vienne sans crainte s’accroupir à ses pieds en posant la tête sur ses genoux. Les autres chèvres aussi reviennent en arrière pour brouter l’herbe parsemée de fleurs.

      Le petit berger demande :

      « Tu veux du lait ? Je n’ai pas encore trait deux chèvres rétives qui, si elles ne sont pas repues, donnent des coups de cornes quand on leur presse les mamelles. Elles sont comme leur maître qui, s’il n’est pas plein d’argent, nous donne des coups de bâton.

      – C’est en tant que serviteur, que tu es berger ?

      – Je suis orphelin, je suis seul et je suis serviteur. Mon patron m’est apparenté, car c’est le mari de la sœur de la mère de ma mère. Tant que Rachel vivait… mais elle est morte depuis plusieurs mois… Et je suis très malheureux… Prends-moi avec toi ! Je suis habitué à vivre de rien… Je serai ton serviteur… un peu de pain me suffit comme paiement. Ici aussi, je n’ai rien… S’il me payait, je m’en irais. Mais il dit : “ Ton argent ? Je le garde pour te vêtir et te nourrir. ” Vois comme il m’habille ! Quant à me nourrir… regarde-moi ! Et cela, ce sont les coups… Voilà mon pain d’hier… »

      Il montre des bleus sur ses bras et ses épaules très maigres.

      « Qu’avais-tu fait ?

      – Rien. Tes compagnons, les disciples je veux dire, parlaient du Royaume des Cieux, et moi, je les écoutais… C’était le sabbat. Même si je ne travaillais pas, je n’étais pas oisif parce que c’était le sabbat… Il m’a frappé brutalement, tellement que… que je ne veux plus rester avec lui. Prends-moi. Ou je vais m’enfuir… je suis venu exprès ici, ce matin. J’avais peur de parler. Mais tu es bon, alors je parle.

      – Et le troupeau ? Tu ne voudras certainement pas t’enfuir avec lui…

      – …Je le ramènerai au bercail… D’ici peu, l’homme va aller couper du bois en forêt… Je vais ramener le troupeau et m’enfuir. Oh ! emmène-moi !

      574.2 – Mais sais-tu qui je suis ?

      – Tu es le Christ, le Roi du Royaume des Cieux ! Qui te suit sera bienheureux dans l’autre vie. Je n’ai jamais eu aucune joie ici… Ne me repousse pas… pour que je puisse en connaître là haut… »

      Il pleure, prosterné aux pieds de Jésus, près de la chevrette.

      « Comment me connais-tu si bien ? Tu m’as peut-être entendu parler ?

      – Non. Je sais, depuis hier, que tu te trouves là où était Jean-Baptiste. Mais de temps à autres, certains de tes disciples passent par Hennon. Je les ai entendus. Ils s’appellent Matthias, Jean, Siméon, et ils venaient souvent ici car Jean-Baptiste a été leur maître avant toi. Et puis, Isaac… j’ai retrouvé en lui un père et une mère. Il voulait même m’enlever à mon maître et il avait donné l’argent nécessaire. Mais cet homme… oui, il a pris l’argent, mais au lieu de me donner, il s’est moqué de ton disciple.

      – Tu sais beaucoup de choses. Mais sais-tu où je vais ?

      – A Jérusalem. Mais je ne porte pas écrit sur mon visage que je suis d’Hennon [2a].

      – Je continue mon chemin. Je pars bientôt. Je ne puis t’emmener.

      – Prends-moi pour le peu de temps où cela t’est possible.

      – Et après ?

      – Après… Je pleurerai, mais j’irai avec les disciples de Jean qui, les premiers, ont appris au pauvre enfant que je suis, que la joie que les hommes ne donnent pas sur la terre, Dieu la donne au Ciel à ceux qui ont fait preuve de bonne volonté. Moi, pour l’avoir, j’ai reçu bien des coups et j’ai eu très faim, en demandant à Dieu de me procurer cette paix. Tu vois que j’ai eu de la bonne volonté… Mais, maintenant, si tu me repousses, je n’aurai plus aucun espoir… »

      Il pleure doucement, en suppliant Jésus de ses yeux pleins de larmes plus que par la parole.

      574.3 « Je n’ai pas d’argent pour te racheter, et je ne sais pas si ton maître y consentirait.

      – Mais j’ai déjà été payé ! J’ai des témoins : Eli, Lévi et Jonas ont vu et ils lui en ont fait le reproche. Or ce sont les plus grands hommes d’Hennon, tu sais, eux !

      – S’il en est ainsi… Allons. Lève-toi et viens.

      – Où ?

      – Chez ton maître.

      – J’ai peur ! Vas-y seul. Il est là-bas, sur cette colline, au milieu des arbres qu’il coupe. Moi, j’attends ici.

      – N’aie pas peur. Regarde : mes disciples arrivent. Nous serons nombreux contre lui. Il ne te fera aucun mal. Lève-toi. Nous allons à Hennon chercher les trois témoins, puis nous irons trouver ton maître. Donne-moi la main. Par la suite, je te confierai aux disciples que tu connais. Comment t’appelles-tu ?

      – Benjamin.

      – J’ai deux autres petits amis de ce nom [2]. Tu seras le troisième.

      – Ami ? C’est trop ! Je suis serviteur.

      – Du Très-Haut. Pour Jésus de Nazareth, tu es l’ami. Viens, rassemble le troupeau et partons. »

      574.4 Jésus se lève et, pendant que le jeune berger regroupe ses chèvres et pousse celles qui sont rétives sur le chemin du retour, Jésus fait signe aux apôtres, qui avancent sur le sentier et regardent du côté de Jésus, de venir rapidement. Ils hâtent le pas. Mais le troupeau est désormais en route et Jésus, tenant l’enfant par la main, va vers eux…

      « Seigneur ! Tu es devenu berger de chevreaux ? Vraiment, la Samarie peut être appelée la chèvre… [3] Mais toi…

      – Mais je suis le bon Berger et je change aussi les chevreaux en agneaux. D’ailleurs, les enfants sont tous des agneaux, et celui-ci est à peine plus qu’enfant.

      – N’est-ce pas celui que cet homme, hier, a emmené si brutalement ? dit Matthieu en l’observant.

      – Je crois que c’est lui. C’était bien toi ?

      – C’est moi.

      – Oh ! pauvre garçon ! Ton père ne t’aime manifestement pas ! s’exclame Pierre.

      – Mon maître. Je n’ai pas d’autre père que Dieu.

      – Oui. Les disciples de Jean ont instruit son ignorance et réconforté son cœur, et au bon moment, le Père de tous nous a fait nous rencontrer. Nous allons à Hennon chercher trois témoins, puis nous irons trouver son maître… dit Jésus.

      – Pour te faire donner l’enfant ? Et où est l’argent ? Marie a donné les derniers deniers qu’elle avait… fait remarquer Pierre.

      – Pas besoin d’argent. Il n’est pas esclave, et on a déjà remis l’argent à son maître pour cela. C’est Isaac qui l’a donné, car l’enfant lui faisait peine à voir.

      – Et pourquoi ne l’a-t-il pas obtenu ?

      – C’est que nombreux sont ceux qui bafouent Dieu et leur prochain. Voici ma Mère avec les femmes. Allez leur dire de ne pas continuer leur chemin. »

      Jacques, fils de Zébédée, et André s’en vont en courant, légers comme des gazelles. Jésus se hâte vers sa Mère et les femmes disciples, et il les rejoint quand déjà elles savent et observent l’enfant avec pitié.

      574.5 Ils retournent rapidement vers Hennon et conduits par le garçon, ils vont à la maison d’Elie. C’est un vieillard aux yeux embués par les ans, mais encore vigoureux. Dans sa jeunesse, il devait être robuste comme un chêne de ces régions.

      « Elie, le Rabbi de Nazareth m’emmène si…

      – Il t’emmène ? Il ne pouvait faire une plus grande faveur. Tu finirais par devenir mauvais en restant ici. Le cœur s’endurcit quand l’injustice dure trop. Et elle est trop dure. Tu l’as trouvé ? Le Très-Haut écoute donc tes pleurs, même s’ils viennent d’un enfant samaritain. Tu es heureux, alors, toi qui, grâce à ton âge, es délivré de toute chaîne et qui peux suivre la Vérité sans que rien ne t’en empêche, pas même la volonté d’un père ou d’une mère. Ce qui, pendant tant d’années, a semblé être un châtiment paraît aujourd’hui providentiel. Dieu est bon. Mais que veux-tu de moi, pour être venu ici ? Ma bénédiction ? Je te la donne en tant qu’ancien de l’endroit.

      – Ta bénédiction, je la veux, car tu es bon. Mais je suis aussi venu pour que, avec Lévi et Jonas, vous alliez avec le Rabbi trouver mon maître afin qu’il ne réclame pas d’autre argent.

      – Mais où est le Rabbi ? Je suis vieux et j’y vois bien peu ; je ne reconnais que ceux que je connais bien. Moi, je ne connais pas le Rabbi.

      – Il est ici. Il se tient devant toi.

      – Ici ? Puissance éternelle ! »

      Le vieillard se lève et s’incline vers Jésus :

      « Pardonne au vieillard dont les yeux sont enténébrés. Je te salue, car il n’y a qu’un juste dans tout Israël, et tu es celui-là. 574.6 Allons-y. Lévi est dans son jardin autour de sa cuve, et Jonas est à ses fromages. »

      Elie se relève. Même s’il est voûté par les ans, il est aussi grand que Jésus. Il se met en route en tâtant le mur, évitant, à l’aide de son bâton, les obstacles du chemin.

      Jésus, qui l’a salué en lui donnant sa paix, l’aide à franchir un passage où trois marches rudimentaires rendent la route dangereuse pour un malvoyant. Avant de se mettre en route, Jésus avait demandé aux femmes disciples de l’attendre à cet endroit. Pendant ce temps, Benjamin va à son bercail.

      Le vieillard dit :

      « Tu es bon, mais Alexandre est un fauve. C’est un loup. Je ne sais pas si… Mais je suis assez riche pour te donner ce qu’il faut d’argent pour Benjamin, si Alexandre en veut encore. Mes enfants n’ont pas besoin de mon argent. J’approche du siècle et l’argent ne sert pas pour l’autre vie. Un acte d’humanité, oui, cela a de la valeur…

      – Pourquoi ne l’as-tu pas fait plus tôt ?

      – Ne me réprimande pas, Rabbi. Je donnais à manger à l’enfant et je le réconfortais, pour qu’il ne devienne pas un malfaiteur. Alexandre est capable de rendre féroce une tourterelle, mais je ne pouvais pas lui retirer l’enfant ; personne ne l’aurait pu. Toi… tu pars loin. Mais nous… nous restons ici et nous redoutons ses vengeances. Un jour, un homme d’Hennon s’est interposé parce que, pris de boisson, Alexandre battait à mort l’enfant. Mais ensuite, je ne sais pas comment Alexandre s’y est pris, il a réussi à empoisonner le troupeau.

      – N’est-ce pas mal penser ?

      – Non. Il a attendu plusieurs mois, jusqu’à ce que vienne l’hiver, quand les brebis restent enfermées ; alors, il a empoisonné l’eau du bassin. Elles burent, gonflèrent, et moururent toutes. Nous sommes tous bergers ici, et nous avons compris… Pour en être sûrs, nous avons fait manger de leur viande à un chien, et le chien est mort. D’ailleurs, quelqu’un avait vu Alexandre se glisser furtivement dans l’enclos… C’est un malfaiteur ! Nous le craignons… Cruel, toujours ivre le soir, il est impitoyable avec tous les siens, et maintenant qu’ils sont tous morts, il torture le garçon.

      – Dans ce cas, ne m’accompagne pas…

      – Oh ! si, je viens ! Il faut dire la vérité. 574.7 Voilà. J’entends le marteau, c’est Lévi. »

      Et il l’appelle à haute voix près d’une haie :

      « Lévi ! Lévi ! »

      Un vieillard, moins âgé que le premier, sort en vêtements courts, un marteau à la main. Il salue Elie et lui demande :

      « Que veux-tu, mon ami ?

      – J’ai à côté de moi le Rabbi de Galilée. Il est venu chercher Benjamin. Alexandre est dans le bois, mais viens témoigner qu’il en a déjà obtenu l’argent de la part d’un disciple.

      – J’arrive ! On m’a toujours dit que le Rabbi était bon. Maintenant, je le crois. Paix à toi ! »

      Il pose son marteau, recommande à je ne sais qui de l’attendre, et part avec Elie et Jésus.

      Ils sont vite arrivés au bercail de Jonas. Ils l’appellent, expliquent…

      « Je viens. Toi, commande-t-il à un garçon, avance le travail. »

      Il s’essuie les mains à un linge qu’il jette sur une pioche et suit Jésus, après l’avoir salué en même temps que Lévi et Eli.

      Jésus parle pendant ce temps avec le vieillard. Il lui dit :

      « Tu es un juste, Dieu te donnera la paix.

      – Je l’espère. Le Seigneur est juste ! Ce n’est pas ma faute si je suis né en Samarie…

      – Ce n’est pas ta faute. Dans l’autre vie, il n’y a pas de frontières pour les justes. Seule la faute dresse une frontière entre le Ciel et l’Abîme.

      – C’est vrai. Comme j’aimerais te voir ! Ta voix est douce, et douce est ta main pour guider le vieil aveugle que je suis… douce et forte. Il me semble que c’est celle de mon petit-fils bien-aimé, Elie, comme moi, fils de Joseph, mon fils. Si ton aspect est comme ta main, bienheureux ceux qui te voient.

      – Mieux vaut m’entendre que me voir. Cela rend l’esprit plus saint.

      – C’est vrai. Moi, j’écoute ceux qui parlent de toi. Hélas, ils passent rarement… 574.8 Mais n’est-ce pas un bruit de hache sur les troncs ?

      – Si.

      – Alors… Alexandre est près d’ici… Appelle-le.

      – Oui. Vous, restez ici. Si j’y parviens seul, je ne vous appellerai pas, et ne vous montrez pas. »

      Il s’avance, et hèle l’homme.

      « Qui me demande ? Qui es-tu ? » dit un homme âgé, très robuste, au profil dur, avec une poitrine et des membres de lutteur. Un coup de ses mains doit être un vrai coup de massue.

      « C’est moi, un inconnu qui te connaît. Je viens prendre ce qui m’appartient.

      – Ce qui t’appartient ? Ah ! Ah ! Qu’est-ce qui est à toi dans mon bois ?

      – Dans le bois, rien. Mais dans ta maison, il y a Benjamin.

      – Tu es fou ! Benjamin est mon serviteur.

      – Et ton parent. Mais toi, tu es son geôlier. Un de mes envoyés t’a donné, pour obtenir l’enfant, la somme que tu exigeais. Or tu as pris l’argent et gardé l’enfant. Mon envoyé, en homme de paix, n’a pas réagi. Je viens au nom de la justice.

      – Ton envoyé a dû boire l’argent. Moi, je n’ai rien eu, et je garde Benjamin. Je l’aime bien.

      – Non. Tu le détestes. Ce que tu aimes, c’est le profit que tu tires de lui et dont tu ne lui donnes rien. Ne mens pas : Dieu punit les menteurs.

      – Mais je n’ai pas reçu d’argent ! Si tu as parlé avec mon serviteur, sache que c’est un fieffé menteur. Et moi je le frapperai, puisqu’il me calomnie. Adieu ! »

      Il tourne le dos à Jésus et va s’éloigner.

      « Attention, Alexandre, Dieu est présent. Ne défie pas sa bonté.

      – Dieu ! Serait-il chargé de protéger mes intérêts ? C’est à moi seul de les sauvegarder, et j’y veille.

      – Prend garde à toi !

      574.9 – Mais qui es-tu, misérable Galiléen ? Comment te permets-tu de me faire des reproches ? Je ne te connais pas.

      – Si, tu me connais : je suis le Rabbi de Galilée, et…

      – Ah oui ! Et tu crois me faire peur ? Je ne crains ni Dieu ni Belzébuth, moi, et tu veux que je te craigne, toi ? Un fou ? Va, va ! Laisse-moi travailler. Va-t’en, te dis-je. Ne me regarde pas. Crois-tu que tes yeux puissent me faire peur ? Que veux-tu voir ?

      – Pas tes crimes, car je les connais tous. Tous. Même ceux que personne ne connaît. Mais je veux voir si tu ne comprendras même pas que cette heure est la dernière que la miséricorde de Dieu t’accorde pour te repentir. Je veux voir si le remords ne se lèvera pas pour fendre ton cœur de pierre, si… »

      L’homme, qui tient sa hache à la mains, la lance vers Jésus qui se baisse rapidement. La hache fait un arc au-dessus de sa tête et va frapper un jeune chêne vert, qui se trouve coupé net et tombe avec un grand bruit de feuillage et un frémissement d’ailes d’oiseaux épouvantés.

      574.10 Les trois autres, cachés non loin, sortent en hurlant, craignant que Jésus n’ait été frappé lui aussi, et le malvoyant s’écrie:

      « Ah ! si je pouvais voir ! Voir s’il n’a effectivement aucune blessure ! Pour cette seule raison, je voudrais voir, ô Dieu éternel ! »

      Et, sourd à toutes les assurances des autres, il avance à l’aveuglette — car il a perdu son bâton — et veut toucher Jésus, pour se rendre compte s’il ne saigne pas de quelque partie du corps, et il gémit :

      « Un clair rayon de lumière, puis les ténèbres. Mais voir, voir, sans ce voile qui me permet à peine de deviner les obstacles…

      – Je n’ai rien, père, touche-moi » assure Jésus en s’approchant et en se laissant toucher.

      Pendant ce temps, les autres adressent à l’individu brutal de sévères critiques et lui reprochent ses coups et ses mensonges. N’ayant plus sa hache, il sort un couteau et s’avance pour frapper, en blasphémant Dieu, en se moquant de l’aveugle, en menaçant les autres… c’est un fauve furieux. Mais soudain il chancelle, s’arrête, laisse tomber son poignard, se frotte les yeux, les ouvre, les ferme, puis il pousse un cri terrifiant :

      « Je ne vois plus rien ! A l’aide ! Mes yeux… Les ténèbres… Qui peut me sauver ? »

      Les autres crient aussi, de stupeur. Ils se moquent même de lui :

      « Dieu t’a entendu. »

      En effet, parmi ses blasphèmes, il y avait ceci :

      « Que Dieu m’aveugle si je mens et si j’ai péché. Et mieux vaut être aveugle qu’adorer un fou nazaréen ! En ce qui vous concerne, je me vengerai, et je briserai Benjamin comme cet arbuste… »

      Ils ironisent :

      « Maintenant, venge-toi…

      – Ne soyez pas comme lui, ne haïssez pas, conseille Jésus.

      Et il caresse le vieillard, qui ne se préoccupe de rien d’autre que de la bonne santé de Jésus. Alors, pour le rassurer, Jésus lui dit :

      « Lève la tête ! Regarde ! »

      Le miracle s’accomplit. De même que, tout à l’heure, les ténèbres s’étaient emparées de la brute, la lumière vient pour le juste. Et c’est un cri tout autre, un cri de joie, qui s’élève sous les arbres robustes :

      « J’y vois ! Mes yeux ! La lumière ! Béni sois-tu ! »

      Le vieillard contemple Jésus avec des yeux qui rayonnent d’une nouvelle vie, puis il se prosterne pour lui baiser les pieds.

      « Allons, nous deux. Vous autres, vous reconduirez à Hennon ce malheureux. Et faites preuve de pitié à son égard, car Dieu l’a déjà puni. Et Dieu suffit. Que l’homme soit bon devant tout malheur.

      – Prends pour toi l’enfant, les brebis, le bois, la maison, l’argent. Mais rends-moi la vue. Je ne peux rester comme cela.

      – Impossible. Je te laisse tout ce par quoi tu es devenu pécheur. J’emmène l’innocent, car il a déjà souffert le martyre. Que dans les ténèbres ton âme puisse s’ouvrir à la Lumière. »

      574.11 Jésus salue Lévi et Jonas, et descend rapidement avec le vieillard, qui paraît rajeuni et qui, arrivé aux premières maisons, crie sa joie… Hennon tout entière est en émoi…

      Jésus se fraie un passage, va trouver le jeune berger près des apôtres, et lui annonce :

      « Viens ! Partons, car on nous attend à Tersa.

      – Libre ? Je suis libre ? Avec toi ? Oh ! je n’y croyais pas ! Je vais dire au revoir à Elie. Et les autres ? »

      Le garçon est tout excité…

      Elie l’embrasse, le bénit et lui dit :

      « Et pardonne au malheureux.

      – Pourquoi ? Pardonner, oui. Mais pourquoi malheureux ?

      – Parce qu’il a blasphémé le Seigneur et que la lumière s’est éteinte dans ses yeux. Aucun de nous ne pourra plus le craindre. Il est dans les ténèbres et l’infirmité. Redoutable puissance de Dieu !… »

      Le vieillard paraît être un prophète inspiré, ainsi, les bras levés, tourné vers le ciel, pensant à ce qu’il a vu.

      Jésus le salue et fend la petite foule agitée. Il s’éloigne, suivi des apôtres et des femmes disciples. Benjamin est salué par les femmes qui veulent donner au protégé du Seigneur un gage de leur affection : un fruit, une bourse, un pain, un vêtement, ce qu’elles trouvent sur place. Et lui, tout heureux, les remercie :

      « Vous êtes toujours bonnes avec moi ! Je m’en souviendrai. Je prierai pour vous. Envoyez vos fils au Seigneur. Il est beau d’être avec lui. Il est la Vie. Adieu ! Adieu !… »

      574.12 Après avoir traversé Hennon, ils descendent vers le Jourdain et sa vallée, vers de nouveaux événements, encore inconnus…

      Mais l’enfant ne se retourne pas pour regarder. Il ne fait aucun commentaire. Il ne pense pas. Il ne soupire pas. Il sourit. Il regarde Jésus, là-bas, tout en avant, vrai Berger suivi de son troupeau, du troupeau dont il fait désormais partie lui aussi, le pauvre enfant… et à l’improviste, il chante, à gorge déployée.

      Les apôtres sourient :

      « Le garçon est heureux ! »

      Les femmes sourient :

      « L’oiseau prisonnier a retrouvé la liberté et un nid. »

      Jésus sourit, en se tournant pour le regarder. Son sourire, comme toujours, paraît tout rendre plus lumineux. Il l’appelle :

      « Viens ici, petit agneau de Dieu, je veux t’enseigner un beau chant. »

      Et, suivi par les autres, il entonne le psaume : “ Le Seigneur est mon Berger, rien ne saurait me manquer. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer ” [4] et ainsi de suite. La belle voix de Jésus se répand à travers la campagne fertile, l’emporte sur les autres, même sur les meilleures, tant elle exprime puissamment sa joie.

      574.13 « Il est heureux, ton Fils, dit Marie, femme d’Alphée, à la Vierge.

      – Oui. Il est heureux. Il a encore quelques joies…

      – Aucun voyage ne reste sans fruit. Il passe en répandant les grâces, et il y a toujours quelqu’un qui rencontre vraiment le Sauveur. Te souviens-tu de ce soir-là, à Bethléem de Galilée ? [5] demande Marie de Magdala.

      – Oui. Mais je ne voudrais pas me rappeler ces lépreux et cet aveugle…

      – Tu pardonnerais toujours. Tu es tellement bonne ! Mais la justice aussi est nécessaire, remarque Marie Salomé.

      – Elle est nécessaire, mais heureusement pour nous, la miséricorde est plus grande, reprend Marie de Magdala.

      – Toi, tu peux le dire. Mais Marie… répond Jeanne.

      – Marie ne veut que le pardon, bien qu’elle-même n’ait pas besoin de pardon. N’est-ce pas, Marie ? dit Suzanne.

      – Je ne voudrais que le pardon, oui. Cela seulement. Etre mauvais doit déjà être une terrible souffrance, soupire Marie de Magdala.

      – Tu pardonnerais à tous, à tous vraiment ? Mais serait-ce juste de le faire ? Il y a des obstinés dans le mal qui empêchent tout pardon en s’en moquant comme d’une faiblesse, dit Marthe.

      – Je pardonnerais. Pour ma part, je pardonnerais. Non par sottise, mais parce que je vois en toute âme un petit enfant plus ou moins bon. Comme un fils… Une mère pardonne toujours… même si elle dit : “ La justice demande un juste châtiment. ” Ah ! si une mère pouvait mourir pour engendrer un cœur nouveau, bon, pour son enfant mauvais, croyez-vous qu’elle ne le ferait pas ? Mais cela ne se peut. Il y a des cœurs qui repoussent toute aide… Et je pense qu’à eux aussi le pardon doit être accordé, par pitié. Car il est déjà si grand, le poids qu’ils ont sur le cœur : de leurs fautes, de la sévérité de Dieu… Oh ! pardonnons, pardonnons aux coupables… Plaise à Dieu d’accueillir notre pardon absolu pour diminuer leur dette…

      – Mais pourquoi pleures-tu toujours, Marie ? Même maintenant que ton Fils a une heure de joie ! se plaint Marie, femme d’Alphée.

      – Cela n’a pas été une joie complète, car le coupable ne s’est pas repenti. Jésus est dans une joie parfaite quand il peut racheter… »

      Qui sait pourquoi Nikê, qui jusque là avait gardé le silence, dit à l’improviste :

      « D’ici peu, nous serons de nouveau avec Judas. »

      Les femmes se regardent, comme si cette simple phrase était extraordinaire, comme si je ne sais quoi se cachait derrière. Mais aucune ne souffle mot.

      574.14 Jésus s’est arrêté dans une très belle oliveraie. Tous en font autant. Après avoir béni la nourriture, il la partage et la répartit.

      Benjamin regarde et range ce qu’on lui a donné : vêtements trop longs ou trop larges, sandales qui ne lui vont pas, amandes encore dans leur enveloppe, les dernières noix, un petit fromage, quelques pommes ridées, un coutelas. Il est heureux de son trésor. Il veut offrir les aliments, et plie les vêtements en disant :

      « Je mettrai le plus beau pour la Pâque. »

      Marie, femme d’Alphée, promet :

      « A Béthanie, je te remettrai tout en ordre. En attendant, laisse-le dehors. A Tersa, il y aura de l’eau pour le rafraîchir et, plus loin, nous trouverons du fil pour le mettre à ta taille. Quant aux sandales … je ne sais comment faire.

      – On va les donner au premier pauvre venu si elles lui vont, et nous en achèterons une paire de neuves à Tersa, dit tranquillement Marie de Magdala.

      – Avec quel argent, ma sœur ? lui demande Marthe.

      – Ah ! c’est vrai ! Nous n’avons plus un sou… Mais Judas a de l’argent… Ainsi chaussé, Benjamin ne peut faire une longue route. Et puis, le pauvre enfant ! Son âme a éprouvé une grande joie, mais son humanité aussi doit avoir un sourire… Certaines choses font plaisir. »

      Suzanne, jeune et de bonne humeur, lui lance en riant :

      « Tu parles comme si tu savais par expérience qu’une paire de sandales neuves fait la joie de celui qui n’en a jamais possédé de pareilles !

      – C’est vrai. Je sais effectivement combien un vêtement sec peut faire plaisir quand on est trempé, et un vêtement frais quand on n’en a qu’un. Moi, je me souviens… »

      Puis elle penche la tête sur l’épaule de la Vierge Marie en ajoutant :

      « Tu te rappelles, Mère ? »

      Et elle l’embrasse avec tendresse [6].

      574.15 Jésus donne l’ordre de partir pour arriver à Tersa avant le soir :

      « Les deux qui ne sont pas au courant vont s’inquiéter…

      – Veux-tu que nous allions en avant les prévenir de ton arrivée ? propose Jacques, fils d’Alphée.

      – Oui. Allez-y tous, sauf Jean, Jacques et mon frère Jude. Tersa n’est pas loin désormais…. Cherchez Judas et Elise, et préparez en même temps des places pour nous : puisque nous avons pris du retard et que les femmes nous accompagnent, il sera bon d’y passer la nuit… Nous vous suivrons pendant ce temps. Faites en sorte qu’on vous trouve aux premières maisons… »

      Les huit apôtres s’éloignent rapidement, et Jésus les suit plus lentement.



[1a] Quand il a salué son cousin, comme on le voit au chapitre 148.

[1] La marjolaine sauvage ou origan, vient de Palestine, importée probablement par les croisés.

[2a] Que je suis d'Hennon, autrement dit Samaritain.

[2] Le jeune Benjamin de Capharnaüm et celui de Magdala

[3] = Bouc. Voir Matthieu 25,32 pour la symbolique désobligeante (parabole du jugement dernier où Jésus sépare les brebis des boucs (chèvres).

[4]  Psaume (22) 23

[5] Jésus y sauve Abel l'innocent accusé de meurtre par les véritables meurtriers. Ceux-ci sont frappés d'un lèpre subite par Jésus (Cf. EMV 248 / 4.111)

[6] Référence à l'arrivée à Nazareth de Marie de Magdala repentie. Cf. EMV 238 / 4.101




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-035.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/jesus-rend-aveugle-un-homme-cruel-et-redonne-la-vue-a-un-aveugle.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par sofoyal Dim 2 Mai - 23:18

Bonjour à tous!

Pour celui ou celle qui voudrait seulement écouter le récit.
Le voici en livre audio:


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Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Signat10
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Lun 3 Mai - 21:35

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

575. Le mauvais accueil de Tersa. La dernière tentative de sauver Judas

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 36.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 575.

Le 5 mars 1947.

Dimanche 24 mars 30
Tersa


       575.1 Tersa est tellement environnée d’oliveraies luxuriantes qu’il faut en être bien proche pour remarquer que la ville est là. Une enceinte de jardins potagers d’une merveilleuse fertilité forme pour les maisons un dernier abri contre le vent. Dans les jardins, la chicorée, les salades, les légumes, les jeunes plants de cucurbitacées, les arbres fruitiers, les tonnelles, mêlent et entrelacent leurs verts de nuances variées. Les fleurs apportent la promesse des fruits et les tout jeunes fruits font espérer leurs délices. Les petites fleurs de la vigne et celles des oliviers plus précoces font pleuvoir, au passage d’un petit vent plutôt énergique, une neige blanc-verdâtre qui saupoudre le sol.

      Au bruit des pas des arrivants, les huit apôtres envoyés en tête précédemment sortent de derrière un rideau de roseaux et de saules qui ont poussé près d’un canal desséché, mais au fond encore humide. Ils sont visiblement inquiets et affligés, et font signe de s’arrêter. Ils arrivent en courant. Quand ils sont assez proches pour être entendus sans avoir besoin de crier, ils s’exclament :

      « Partez ! Partez ! Rebroussez chemin, allez dans la campagne. On ne peut entrer dans la ville. Pour un peu, ils nous lapideraient. Mettons-nous à l’écart dans ce bosquet, et nous allons parler… »

      Impatients de s’éloigner sans être vus, ils poussent dans le fond du canal desséché Jésus, les trois apôtres, le petit garçon et les femmes :

      « Qu’on ne nous voie pas ici. Partons ! Partons ! »

      C’est en vain que Jésus, Jude et les deux fils de Zébédée cherchent à savoir ce qui est arrivé. C’est en vain qu’ils demandent :

      « Mais qu’en est-il de Judas et d’Elise ? »

      Les huit apôtres ne veulent rien entendre. Marchant dans le fouillis des tiges et des plantes aquatiques, les pieds lacérés par les joncs, le visage frappé par les saules et les roseaux, glissant sur la vase, s’accrochant aux herbes, s’appuyant aux bords, se couvrant de boue, ils s’éloignent ainsi, poussés par derrière par les huit hommes, qui marchent en se retournant sans cesse pour voir si quelqu’un sort de Tersa à leur poursuite. Mais il n’y a, sur la route, que le soleil qui commence à baisser, et un chien errant efflanqué.

      575.2 Finalement, ils arrivent près d’un fourré de ronces qui sert de limite à une propriété. Derrière, se trouve un champ de lin dont le vent fait onduler les hautes tiges qui commencent à sortir leurs fleurs bleu ciel.

      « Arrêtons-nous ici. Si nous restons assis, personne ne nous verra, et nous repartirons à la tombée de la nuit … dit Pierre en essuyant sa sueur.

      – Où ? » questionne Jude. « Nous avons les femmes.

      – Nous irons n’importe où. Du reste, les prés sont pleins de foin coupé, ça servira de lit. Pour les femmes, nous ferons des tentes avec nos manteaux et nous veillerons.

      – Oui. Il suffit de ne pas être vus et de descendre à l’aube vers le Jourdain. Tu avais raison, Maître, de ne pas vouloir prendre la route de Samarie. Pour nous qui sommes pauvres, mieux vaut les voleurs que les Samaritains !… déclare Barthélemy, encore hors d’haleine.

      – Que s’est-il donc passé ? C’est Judas qui a fait quelque… » demande Jude.

      Thomas l’interrompt :

      « Judas a certainement reçu des coups. J’en suis contrarié pour Elise…

      – Tu l’as vu ?

      – Moi, non. Mais il est facile d’être prophète. S’il s’est manifesté comme ton apôtre, il a sûrement été frappé. 575.3 Maître, ils ne veulent pas de toi.

      – Oui, ils se sont tous révoltés contre toi.

      – Ce sont de vrais Samaritains ! »

      Ils parlent tous ensemble. Jésus impose le silence à tous et dit :

      « Qu’un seul parle pour tous. Toi, Simon le Zélote, qui es le plus calme.

      – Seigneur, c’est vite dit. Nous sommes entrés dans la ville, et personne ne nous a dérangés tant qu’on n’a pas su qui nous sommes, tant qu’on a cru que nous étions des pèlerins de passage.

      Mais nous avons demandé — il le fallait bien ! — si un homme jeune, grand, brun, vêtu de rouge et avec un talit [1] à bandes rouges et blanches, accompagné d’une femme âgée, maigre, avec des cheveux plus blancs que noirs et un vêtement gris très foncé, étaient entrés en ville, et s’ils avaient cherché le Maître galiléen et ses compagnons. Ils se sont aussitôt mis en colère… Peut-être n’aurions-nous pas dû parler de toi. Nous nous sommes certainement trompés… Mais nous avions été si bien accueillis ailleurs que… Je ne comprends pas ce qui est arrivé !… Ceux qui, il y a trois jours seulement, étaient respectueux envers toi paraissaient être devenus des vipères ! »

      Jude l’interrompt :

      « Travail de juifs…

      – Je ne crois pas, à cause des reproches qu’ils nous ont faits et de leurs menaces. Moi, je pense… Ou plutôt je suis sûr, nous sommes sûrs que la colère des Samaritains vient de ce que Jésus a repoussé leur offre de protection. Ils criaient : “ Fichez le camp ! Fichez le camp, vous et votre Maître ! Il veut aller adorer sur le mont Moriah. Eh bien, qu’il y aille, et qu’ils meurent, lui et tous les siens. Il n’y a pas de place parmi nous pour ceux qui ne nous considèrent pas comme amis, mais seulement comme des serviteurs. Nous ne voulons pas d’autres ennuis si ce n’est pas compensé par le profit. Au lieu de pain, ce sont des pierres que nous destinons au Galiléen, les chiens pour l’attaquer au lieu de maisons pour l’accueillir. ” Ainsi parlaient-ils, et ils en disaient davantage. Et comme nous insistions pour savoir au moins ce qu’il en était de Judas, ils ont ramassé des pierres pour nous frapper et ils ont réellement lancé les chiens. Et ils criaient entre eux : “ Plaçons-nous à toutes les entrées. Si ce Rabbi vient, nous nous vengerons. ” Nous nous sommes enfuis. Une femme — il y a toujours quelqu’un de bon, même parmi les mauvais — nous a poussés dans son jardin et, de là, nous a conduits par un sentier entre les jardins jusqu’au canal, qui était sans eau — on avait irrigué avant le sabbat —, et elle nous a cachés là. Puis elle nous a promis de nous donner des nouvelles de Judas. En réalité, elle n’est plus venue. Mais attendons-la ici, car elle a dit que si elle ne nous trouve pas dans le canal, elle viendrait ici. »

      575.4 De nombreux commentaires fusent. Certains continuent à accuser les juifs. D’autres adressent à Jésus un léger reproche, un reproche voilé sous les mots :

      « Tu as parlé trop clairement à Sichem, et puis tu t’es éloigné. Pendant ces trois jours, ils ont décidé qu’il était inutile de se faire des illusions et de risquer de se nuire à eux-mêmes pour quelqu’un qui ne les satisfait pas… et ils te chassent… ».

      Jésus répond :

      « Je ne regrette pas d’avoir dit la vérité et de faire mon devoir. Aujourd’hui, ils ne comprennent pas. D’ici peu, ils comprendront ma justice et me vénéreront plus que si je ne l’avais pas respectée. Elle est plus grande que l’amour que j’ai pour eux.

      – La voilà ! Voilà la femme sur la route. Elle ose se faire voir… dit André.

      – Ne va-t-elle pas nous trahir, hein ? s’interroge Barthélemy, soupçonneux.

      – Elle est seule !

      – Elle pourrait être suivie par des gens cachés dans le canal… »

      Mais la femme, qui marche avec un panier sur la tête, continue sa route et dépasse les champs de lin où attendent Jésus et les apôtres, puis elle prend un sentier et sort de la vue… pour réapparaître à l’improviste derrière ceux qui l’attendent et qui se retournent, presque effrayés, en entendant le froissement des herbes.

      La femme s’adresse aux huit hommes qu’elle connaît :

      « Me voilà ! Pardonnez-moi si je vous ai fait beaucoup attendre… Je ne voulais pas qu’on me suive. J’ai prétendu que j’allais chez ma mère… Je sais… Et je vous ai apporté de quoi vous restaurer. Le Maître… Lequel d’entre vous est-ce ? Je veux le vénérer.

      – Voici le Maître. »

      La femme, qui a déposé son panier, se prosterne en disant :

      « Pardonne la faute de mes concitoyens. S’il n’y avait pas eu des gens pour les exciter… Mais ils en ont influencé un grand nombre à propos de ton refus…

      – Je n’ai pas de rancœur, femme. 575.5 Lève-toi et parle. As-tu des nouvelles de mon apôtre et de la femme qui était avec lui ?

      – Oui. Chassés comme des chiens, ils sont en dehors de la ville, de l’autre côté, attendant qu’il fasse nuit. Ils avaient l’intention de retourner à Hennon pour te chercher. Ils voulaient venir ici, sachant que leurs compagnons y étaient. Je leur ai recommandé de ne pas le faire et de rester tranquilles, et je leur ai dit que je vous mènerais à eux dès le crépuscule. Par un heureux hasard, mon époux est absent et je suis libre de quitter la maison. Je vais vous conduire chez une de mes sœurs, mariée sur les terres de la plaine. Vous dormirez là, sans dire qui vous êtes, pas à cause de Mérod, mais à cause des hommes qui sont avec elle. Ce ne sont pas des Samaritains : ils sont de la Décapole, établis ici. Mais cela vaut mieux…

      – Que Dieu te récompense. Les deux disciples ont-ils été blessés ?

      – L’homme, un peu. La femme n’a rien. Le Très-Haut l’a certainement protégée car, fièrement, elle a protégé son fils de sa personne quand les habitants ont pris des pierres. Quelle femme courageuse ! Elle criait : “ C’est ainsi que vous frappez quelqu’un qui ne vous a pas offensés ? Et vous ne me respectez pas, moi qui le défends et qui suis mère ? N’avez-vous pas de mères, vous tous qui ne respectez pas une femme qui a engendré ? Etes-vous nés d’une louve, ou bien êtes-vous faits de boue et de fumier ? ” Et elle toisait ses agresseurs en tenant son manteau ouvert pour défendre l’homme ; en même temps, elle reculait en le poussant hors de la ville… Actuellement, elle le réconforte en disant : “ Veuille le Très-Haut, mon Judas, faire de ce sang répandu pour le Maître un baume pour ton cœur. ” Mais il est peu blessé. Il a peut-être eu plus de peur que de mal. Maintenant, prenez et mangez. Pour les femmes, il y a du lait qu’on vient de traire et du pain avec du fromage et des fruits. Je n’ai pas pu cuire de la viande, cela m’aurait demandé trop de temps. Et il y a là du vin pour les hommes. Mangez pendant que le soir descend puis, par des chemins sûrs, nous irons chercher les deux autres, pour partir ensemble chez Mérod.

      – Que Dieu te récompense encore » dit Jésus.

      Il offre et distribue la nourriture, en mettant de côté deux parts pour Judas et Elise.

      « Non, non. J’ai pensé à eux, et leur ai porté sous mes vêtements des œufs et du pain, avec un peu de vin et d’huile pour les blessures. Mangez, pendant que je surveille la route… »

      575.6 Ils mangent, mais l’indignation dévore les hommes, et les femmes accablées sont très lasses. Toutes, sauf Marie de Magdala. Ce qui effraie et humilie les autres a toujours sur elle l’effet d’une liqueur qui excite les nerfs et son courage. Ses yeux lancent des éclairs vers la cité hostile. Seule la présence de Jésus, qui a déjà recommandé de ne pas avoir de rancœur, retient des propos méprisants. Ne pouvant ni parler ni agir, elle déverse sa colère sur le pain innocent, qu’elle mord d’une manière tellement significative que Simon le Zélote ne peut se retenir de le lui faire remarquer en souriant :

      « Heureusement que les habitants de Tersa ne peuvent tomber entre tes mains ! Tu ressembles à un fauve enchaîné, Marie !

      – J’en suis un. Tu as vu juste. Et aux yeux de Dieu, j’ai plus de mérite pour me retenir d’entrer là-bas, comme ils le méritent, que pour tout ce que j’ai fait jusqu’ici en expiation.

      – Fais preuve de bonté, Marie ! Dieu t’a pardonné des fautes plus grandes que la leur.

      – C’est vrai. Eux t’ont offensé, toi, mon Dieu, une fois, et sous l’influence d’autrui. Mais moi… de nombreuses fois… et par ma propre volonté… je ne puis être intransigeante ni orgueilleuse… »

      Elle baisse les yeux sur son pain, sur lequel tombent deux larmes.

      Marthe lui met la main sur les genoux en murmurant :

      « Dieu t’a pardonné. Ne te mortifie plus… Rappelle-toi ce que tu as eu : notre Lazare…

      – Je ne me mortifie pas. C’est de la reconnaissance, c’est de l’émotion… Et la constatation que je n’ai pas encore cette miséricorde que j’ai si largement reçue… Pardonne-moi, Rabbouni ! dit-elle en levant ses yeux splendides auxquels l’humilité a rendu leur douceur.

      – On ne refuse jamais le pardon à qui est humble de cœur, Marie. »

      575.7 Le soir qui descend teinte l’air d’une délicate nuance de violet. Ce qui est un peu éloigné se confond. Les tiges de lin, dont la grâce était si visible, se mêlent à présent en une masse sombre. Les oiseaux se taisent dans les feuillages. La première étoile s’allume. La première cigale fait retentir son crissement dans l’air. C’est le soir.

      « Nous pouvons y aller. Ici, dans les champs, on ne nous verra pas. Sentez-vous en sécurité. Je ne vous trahis pas. Je ne le fais pas pour en tirer quelque profit. Je demande seulement au Ciel la pitié, car de pitié, nous en avons tous besoin » soupire la femme.

      Ils se lèvent, ils la suivent. Ils passent au large de Tersa, au milieu des champs et des jardins déjà obscurs, mais pas assez loin pour ne pas apercevoir les hommes autour des feux au point de départ des routes…

      « Ils nous guettent… fait remarquer Matthieu.

      – Maudits soient-ils ! » siffle Philippe entre ses dents.

      Pierre reste silencieux, mais il agite ses bras vers le ciel en un geste d’appel ou de protestation muette.

      Mais Jacques et son frère Jean qui se sont parlé sans arrêt, un peu en avant des autres, reviennent sur leurs pas pour demander :

      « Maître, si, à cause de la perfection de ton amour, tu ne veux pas recourir au châtiment, veux-tu que nous le fassions ? Veux-tu que nous disions au feu du ciel de descendre et de consumer ces pécheurs ? Tu nous as appris que nous pouvions tout ce que nous demandions avec foi et… »

      Jésus qui marchait un peu penché, comme s’il était fatigué, se redresse brusquement et les foudroie de ses yeux qui étincellent à la lumière de la lune. Les deux frères reculent en silence, effrayés devant ce regard. Sans cesser de les fixer, Jésus leur dit :

      « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. Le Fils de l’homme n’est pas venu perdre les âmes, mais les sauver. Vous ne vous rappelez pas ce que je vous ai dit dans la parabole du bon grain et de l’ivraie : “ Pour l’instant, laissez le bon grain et l’ivraie croître ensemble car, à vouloir les séparer maintenant, vous risqueriez d’arracher le bon grain avec l’ivraie. Laissez-les donc pousser ensemble jusqu’à la moisson. Alors je dirai aux moissonneurs : ramassez l’ivraie et liez-la en bottes pour la brûler, puis rentrez le bon grain dans mon grenier. ” »

      575.8 Jésus a déjà modéré son indignation envers les deux apôtres qui, à cause d’une colère suscitée par leur amour pour lui, demandaient de punir les habitants de Tersa, et qui se tiennent maintenant tête basse devant lui. Il les prend par le coude, l’un à droite, l’autre à gauche, et se remet en route en les conduisant ainsi et en parlant à tous qui s’étaient groupés autour de lui quand il s’est arrêté.

      « En vérité, je vous dis que le temps de la moisson est proche, ma première moisson, et pour beaucoup, il n’y en aura pas de seconde. Mais — louons-en le Très-Haut — certaines personnes qui, pendant mon temps, n’ont pas su devenir épi de bon grain, renaîtront avec une âme nouvelle après la purification du sacrifice pascal. Jusqu’à ce jour, je ne m’acharnerai contre personne… Après viendra la justice…

      – Après la Pâque ? demande Pierre.

      – Non. Après le temps. Je ne parle pas des hommes d’aujourd’hui. Je considère les siècles futurs. L’homme ne cesse de se renouveler comme les moissons dans les champs, et les récoltes se suivent. Et moi, je laisserai ce qu’il faut pour que ceux qui viendront puissent devenir du bon grain. S’ils s’y refusent, à la fin du monde, mes anges sépareront l’ivraie du bon grain. Alors viendra le Jour éternel de Dieu seul. Pour l’instant, dans le monde, c’est le jour de Dieu et de Satan. Le Premier semant le bien, le second jetant parmi les semences de Dieu son ivraie de damnation, ses scandales, ses iniquités, ses semences d’iniquité. Car il y aura toujours des gens pour exciter contre Dieu, comme ici, avec ceux-ci qui, en vérité, sont moins coupables que ceux qui les poussent au mal.

      – Maître, chaque année nous nous purifions à la Pâque des Azymes, mais nous restons toujours les mêmes. Est-ce que ce sera différent, cette année ? demande Matthieu.

      – Très différent.

      – Pourquoi ? Explique-nous.

      – Demain… Demain, ou lorsque nous serons en route, et que Judas sera parmi nous.

      – Oh oui ! Tu nous le révéleras et nous nous rendrons meilleurs… En attendant, pardonne-nous, Jésus, implore Jean.

      – C’est à juste titre que je vous ai surnommés “ les fils du tonnerre ” [2]. Mais le tonnerre ne fait pas de mal. La foudre, elle, peut tuer. Néanmoins, le tonnerre annonce souvent la foudre. C’est ce qui arrive à l’homme qui n’extirpe pas de son âme tout désordre contre l’amour. Aujourd’hui, il demande à pouvoir punir. Demain, il punira sans demander. Après-demain, ce sera sans la moindre raison. Il est facile de descendre… C’est pourquoi je vous conseille de vous dépouiller de toute forme de dureté de cœur envers votre prochain. Imitez-moi, et vous serez sûrs de ne pas vous tromper. M’avez-vous jamais vu me venger de quelqu’un qui m’afflige ?

      – Non, Maître. Tu…

      575.9 – Maître ! Maître ! Nous sommes ici, Elise et moi. Oh ! Maître, que de souci pour toi ! Et quelle peur de mourir… » dit Judas en débouchant de derrière des rangs de vigne et en courant vers Jésus.

      Une bande lui entoure le front. Elise, plus calme, le suit.

      « Tu as souffert ? Tu as eu peur de mourir ? La vie t’est-elle tellement chère ? » demande Jésus en se libérant des bras de Judas, qui l’étreint et pleure.

      « Pas la vie. Je craignais Dieu. Mourir sans ton pardon… Je ne cesse pas de t’offenser. J’offense tout le monde. Même elle… Et elle m’a répondu en me servant de mère. Je me suis senti coupable et j’ai redouté la mort…

      – C’est une crainte salutaire, si elle peut te rendre saint ! Mais moi, je te pardonne toujours, tu le sais. Il suffit que tu aies la volonté de te repentir. Et toi, Elise, as-tu pardonné ?

      – C’est un grand enfant déchaîné. Je sais être indulgente.

      – Tu as été courageuse, Elise. Je le sais.

      – Si elle n’avait pas été là ! Je ne sais pas si je t’aurais revu, Maître !

      – Tu vois donc que ce n’est pas par haine, mais par amour qu’elle était restée près de toi… N’as-tu pas été blessée, Elise ?

      – Non, Maître. Les pierres tombaient tout autour de moi sans me blesser, mais mon cœur a été très angoissé en pensant à toi…

      – Tout est fini désormais. Suivons la femme qui veut nous conduire dans une maison sûre. »

      Ils se remettent en route et prennent un petit chemin éclairé par la lune, en direction de l’orient.

      575.10 Jésus a saisi Judas par le bras et il marche en avant avec lui. Il lui parle doucement. Il essaie de travailler son cœur secoué par la peur passée du jugement de Dieu :

      « Tu vois, Judas, comme il est facile de mourir. La mort est toujours aux aguets autour de nous. Tu vois comme ce qui nous paraît négligeable tant que nous sommes pleins de vie prend une importance effroyable quand la mort nous effleure. Mais pourquoi vouloir éprouver ces terreurs, se les créer pour les trouver en face de soi au moment de mourir, alors qu’en menant une vie sainte, on peut ignorer l’épouvante du proche jugement de Dieu ? Ne te semble-t-il pas qu’il vaut la peine de vivre en juste pour avoir une mort paisible ? Judas, mon ami, la divine et paternelle miséricorde a permis cet événement pour qu’il soit un appel à ton cœur. Il est encore temps pour toi, Judas… Pourquoi ne veux-tu pas donner à ton Maître, qui va mourir, l’immense joie de te savoir revenu au bien ?

      – Mais peux-tu encore me pardonner, Jésus ?

      – Te parlerais-je ainsi, si je ne le pouvais pas ? Comme tu me connais peu encore ! Moi, je te connais. Je sais que tu es comme saisi par une pieuvre géante. Mais, si tu le voulais, tu pourrais encore te libérer. Certes, tu souffrirais. T’arracher à ces chaînes qui te mordent et t’empoisonnent serait douloureux. Mais ensuite, quelle joie, Judas ! Tu crains de ne pas avoir la force de réagir contre ceux qui t’influencent ? Moi, je puis t’absoudre à l’avance du péché de transgression du rite pascal… Tu es un malade. Pour les malades, la Pâque n’est pas obligatoire. Personne n’est plus malade que toi. Tu es comme un lépreux. Les lépreux ne montent pas à Jérusalem, aussi longtemps qu’ils le sont. Sois bien sûr, Judas, que comparaître devant le Seigneur avec une âme impure telle que la tienne, ce n’est pas l’honorer, mais l’offenser. Il faut d’abord…

      575.11 – Dans ce cas, pourquoi, ne me purifies-tu pas et ne me guéris-tu pas ? demande Judas, déjà dur, récalcitrant.

      – Je ne te guéris pas ! Quand quelqu’un est malade, il cherche à se guérir par lui-même, à moins que ce ne soit un petit enfant ou un sot qui ne sait pas décider…

      – Traite-moi comme de telles personnes. Traite-moi en sot, et pourvois toi-même, à mon propre insu.

      – Ce ne serait pas juste, parce que tu peux vouloir. Tu sais ce qui est bon et ce qui est mal pour toi. Et il ne servirait à rien que je te guérisse sans ta volonté de rester guéri.

      – Donne-la-moi aussi.

      – Te la donner ? T’imposer alors une volonté bonne ? Et ton libre arbitre ? Que deviendrait-il? Que serait ton moi d’homme, de créature libre ? Un esclave [3] ?

      – Comme je suis soumis à Satan, je pourrais l’être à Dieu !

      – Comme tu me blesses, Judas ! Comme tu me transperces le cœur ! Mais pour ce que tu me fais, je te pardonne… Soumis à Satan, as-tu dit. Je ne parlais pas de quelque chose d’aussi redoutable…

      – Mais tu le pensais parce que c’est vrai et que tu le sais, s’il est vrai que tu lis dans les cœurs des hommes. S’il en est ainsi, tu es conscient que je ne suis plus libre de moi… Il m’a pris et…

      – Non. Il s’est approché de toi, en te tentant, en te mettant à l’essai, et tu l’as accueilli. Il n’y a pas de possession sans une adhésion précédente à quelque tentation satanique. Le serpent insinue sa tête entre les barreaux serrés mis pour défendre les cœurs, mais il n’entrerait pas si l’homme ne lui élargissait pas un passage pour admirer son aspect séducteur, pour l’écouter, pour le suivre… Alors seulement l’homme devient entièrement soumis, possédé, mais parce qu’il le veut. Dieu aussi envoie des Cieux les douces lumières de son amour paternel, et elles pénètrent en nous. Ou plutôt : Dieu, à qui tout est possible, descend dans le cœur des hommes. C’est son droit. Alors pourquoi l’homme qui est conscient qu’il devient esclave, soumis à l’Horrible, ne parvient-il pas à se rendre serviteur de Dieu, ou plutôt fils de Dieu, et pourquoi chasse-t-il son Père très saint ? Tu ne me réponds pas ? Tu ne me dis pas pourquoi tu as préféré Satan à Dieu, pourquoi tu as voulu Satan ? Mais il serait encore temps de te sauver ! 575.12 Tu sais que je vais à la mort. Personne ne le sait mieux que toi… Je ne refuse pas de mourir… Je vais à la mort, parce que ma mort sera vie pour nombre d’hommes. Pourquoi ne veux-tu pas être de ceux-là ? Est-ce pour toi seulement, mon ami, mon pauvre ami malade, que ma mort sera inutile ?

      – Elle sera inutile pour bien des gens, ne te fais pas d’illusions. Tu ferais mieux de fuir et de vivre loin d’ici, de profiter de la vie, d’enseigner ta doctrine, car elle est bonne, mais de ne pas te sacrifier.

      – Enseigner ma doctrine ! Mais qu’est-ce que j’enseignerais désormais de vrai, si je faisais le contraire de ce que je professe ? Quel Maître serais-je si je prêchais l’obéissance à la volonté de Dieu et l’amour des hommes sans les mettre en pratique, et si, après avoir demandé le renoncement à la chair et au monde, j’aimais ma chair et les honneurs du monde, ou encore si je scandalisais non seulement les hommes, mais aussi les anges après avoir prôné le refus de scandaliser ? C’est Satan qui parle par toi en ce moment, comme il a parlé à Ephraïm, comme tant de fois il a parlé et agi, par ton intermédiaire, pour me troubler. Je reconnais toutes ces actions de Satan, accomplies par ta seule volonté, et je ne t’ai pas haï, je n’ai pas éprouvé de lassitude de toi, mais seulement de la peine, une peine infinie. Comme une mère qui suit les progrès d’un mal qui mène son enfant à la mort, j’ai observé la progression du mal en toi. Comme un père qui ne regrette rien pourvu qu’il trouve des remèdes pour son fils malade, je n’ai rien épargné pour te sauver, j’ai surmonté les répugnances, les indignations, les amertumes, les découragements… Comme un père et une mère désolés, désillusionnés de toute puissance terrestre, se tournent vers le Ciel pour obtenir la vie d’un enfant, j’ai gémi et je gémis encore pour implorer un miracle qui te sauve au bord de l’abîme qui déjà s’ouvre sous tes pieds. 575.13 Judas, regarde-moi ! D’ici peu, mon sang sera répandu pour les péchés des hommes. II ne m’en restera pas une goutte. La terre, les pierres, les herbes, les vêtements de mes persécuteurs et les miens le boiront…de même que le bois, le fer, les cordes, les épines du jujubier… [4] et aussi les âmes qui attendent le salut… Serais-tu le seul à refuser d’en boire ? Pour toi seul, je donnerais tout mon sang. Tu es mon ami. Comme on meurt volontiers pour sauver son ami ! On se dit : “ Je meurs, mais je continuerai à vivre dans l’ami auquel j’ai donné la vie. ” Comme une mère, comme un père qui continuent à vivre dans leur descendance même après qu’ils se sont éteints. Judas, je t’en supplie ! Je ne demande rien d’autre en cette veille de ma mort. Au condamné, les juges et même les ennemis accordent une ultime grâce, ils exaucent son dernier désir. Moi, je te demande de ne pas te damner. Je ne le demande pas tant au Ciel qu’à toi, à ta volonté… Pense à ta mère, Judas. Que deviendra-t-elle, ensuite ? Qu’en sera-t-il du nom de ta famille ? Je fais appel à ton orgueil — il est plus fier que jamais — pour te défendre contre ton déshonneur. Ne te déshonore pas, Judas. Réfléchis. Les années et les siècles passeront, les royaumes et les empires tomberont, les étoiles perdront leur éclat, la configuration de la terre changera, et tu seras toujours Judas, comme Caïn est toujours Caïn, si tu persistes dans ton péché. Les siècles auront une fin, et il restera seulement le Paradis et l’Enfer. Au Paradis et en enfer, pour les hommes ressuscités et accueillis avec leur âme et leur corps, pour l’éternité, là où il est juste qu’ils soient, tu seras toujours Judas, le maudit, le plus grand coupable, si tu ne te repens pas.

      Je descendrai libérer les esprits des limbes, je les tirerai en foule du purgatoire, mais toi… je ne pourrai t’attirer là où je suis… Judas, je vais mourir, j’y vais joyeux, car l’heure que j’attendais depuis des millénaires est venue : l’heure de réunir les hommes à leur Père. Il y en a beaucoup que je ne réunirai pas. Mais le nombre des sauvés que je contemplerai en mourant me consolera du déchirement de mourir inutilement pour tant de personnes. Mais, c’est moi qui te le dis, il me sera terrible de te voir parmi ces derniers, toi, mon apôtre, mon ami. Ne me cause pas cette inhumaine douleur !… Je veux te sauver, Judas. Te sauver ! 575.14 Regarde : nous descendons au fleuve. Demain, à l’aube, quand tous dormiront encore, nous le passerons tous les deux, et tu iras à Bozra, à Arbel, à Aéra, où tu veux. Tu connais les maisons des disciples. A Bozra, cherche Joachim et Marie, la lépreuse que j’ai guérie. Je te donnerai un mot pour eux. Je dirai que, pour ta santé, il te faut un repos tranquille dans un air différent. Et c’est la vérité, malheureusement, puisque tu es malade spirituellement et que l’air de Jérusalem te serait mortel. Mais eux croiront qu’il s’agit de ton corps. Tu resteras là jusqu’à ce que je vienne t’en tirer. Je m’occuperai de tes compagnons… Mais ne viens pas à Jérusalem. Tu vois ? Je n’ai pas voulu des femmes, hormis les plus courageuses et celles qui, par leur droit de mère, se doivent d’être auprès de leurs enfants.

      – La mienne aussi ?

      – Non. Marie ne sera pas à Jérusalem…

      – C’est la mère d’un apôtre, elle aussi, et elle t’a toujours honoré.

      – Oui, elle aurait le droit comme les autres d’être près de moi, elle qui m’aime avec une parfaite justice. Mais c’est justement pour cette raison qu’elle sera absente. Je lui ai dit de ne pas venir, et elle sait obéir.

      – Pourquoi ne doit-elle pas être là ? Qu’a-t-elle de différent de la mère de tes frères et de celle des fils de Zébédée ?

      – Toi. Et tu sais pourquoi je te dis cela. Mais si tu m’écoutes, si tu te rends à Bozra, j’enverrai prévenir ta mère et je la ferai accompagner pour qu’elle, qui est si bonne, t’aide à guérir. 575.15 Sois-en bien sûr : nous seuls t’aimons ainsi, sans mesure. Trois personnes t’aiment dans le Ciel : le Père, le Fils et l’Esprit Saint, qui t’ont contemplé et qui attendent ta décision pour faire de toi le joyau de la Rédemption, la plus grande proie arrachée à l’Abîme ; et trois autres se trouvent sur la terre : ta mère, ma Mère et moi. Rends-nous heureux, Judas ! Nous du Ciel, nous de la terre, ceux qui t’aiment d’un amour véritable.

      – Tu le dis : il n’y en a que trois qui m’aiment ; les autres… non.

      – Pas comme nous, mais ils t’aiment beaucoup. Elise t’a défendu. Les autres étaient inquiets pour toi. Quand tu es au loin, tous te portent dans leur cœur et ont ton nom sur leurs lèvres. Tu ne soupçonnes pas tout l’amour qui t’entoure… Ton oppresseur te le cache. Mais crois à ma parole.

      – Je te crois, et je chercherai à te satisfaire. Mais je veux agir de moi-même. C’est de moi-même que j’ai erré, c’est de moi-même que je dois guérir du mal.

      – Il n’y a que Dieu qui puisse agir de lui-même. Ta pensée est de l’orgueil. C’est encore Satan qui suscite l’orgueil. Sois humble, Judas. Prends cette main qui t’offre son amitié. Réfugie-toi sur ce cœur, qui s’ouvre pour te protéger. Ici, avec moi, Satan ne pourrait te faire aucun mal.

      – J’ai essayé d’être avec toi… Je suis descendu toujours plus… C’est inutile !

      – Ne dis pas cela ! Ne dis pas cela ! Repousse le découragement. Dieu peut tout. Serre-toi contre Dieu. Judas ! Judas !

      – Tais-toi ! Que les autres n’entendent pas…

      – Tu te préoccupes des autres et non de ton âme ? Pauvre Judas !… »

      575.16 Jésus se tait, mais continue à rester auprès de l’apôtre jusqu’à ce que la femme, qui était en avant de quelques mètres, entre dans une maison qui émerge d’un bois d’oliviers. Alors il dit à son disciple :

      « Je ne dormirai pas, cette nuit. Je prierai pour toi, et je t’attendrai… Que Dieu parle à ton cœur. Quant à toi, écoute-le… Je resterai ici pour prier, jusqu’à l’aube… Souviens-t’en. »

      Judas ne lui répond pas. Les autres sont arrivés, et tous restent ensemble à attendre le retour de la Samaritaine. Elle ne tarde guère à revenir. Elle est accompagnée d’une autre femme qui lui ressemble et qui les salue en disant :

      « Je n’ai pas beaucoup de pièces, car j’héberge déjà les moissonneurs, qui travaillent aux oliviers pour le moment. Mais j’ai un grand grenier avec beaucoup de paille. Pour les femmes, j’ai de la place. Venez.

      – Allez-y ! Moi, je reste ici à prier. Paix à vous tous » dit Jésus. Et pendant que les autres s’en vont, il retient sa Mère pour lui confier : « Je reste à prier pour Judas, ma Mère. Aide-moi, toi aussi…

      – Je t’aiderai, mon Fils. Peut-être la volonté renaît-elle en lui ?

      – Non, Maman. Mais nous devons faire comme si… Le Ciel peut tout, Maman !

      – Oui. Et moi, je peux encore avoir des illusions. Pas toi, mon Fils. Tu sais tout, mon saint Fils ! Mais moi, je t’imiterai toujours. Va et sois tranquille, mon amour ! Même quand tu ne pourras plus lui parler parce qu’il te fuira, j’essaierai de te l’amener. Que le Père très saint écoute ma souffrance… Me laisses-tu prier avec toi, Jésus ? Nous prierons ensemble, et ce sera autant d’heures à t’avoir pour moi seule…

      – Reste, Maman. Je t’attends ici. »

      575.17 Marie s’éloigne rapidement et revient de même. Ils s’asseyent sur leurs sacs, aux pieds des oliviers. Dans le grand silence de la nuit, on entend le bruissement du fleuve peu éloigné, et le chant des cigales semble puissant. Puis ce sont les trilles des rossignols. Une chouette rit et un petit duc pleure. Les étoiles se déplacent lentement dans le firmament où elles sont reines, maintenant que la lune, qui est couchée, ne les dissimule plus… Puis un coq rompt l’air tranquille de son cri vibrant. Beaucoup plus loin, à peine perceptible, un autre coq lui répond. Et le silence retombe, bientôt rompu par un arpège de gouttes qui tombent des tuiles d’une maison toute proche sur le pavé qui l’entoure. Et encore un nouveau bruissement dans les feuillages comme s’ils secouaient l’humidité de la nuit, puis le cri isolé d’un oiseau qui se réveille, et en même temps un changement dans le ciel, le retour de la lumière. C’est l’aube. Judas n’est pas venu…

      Jésus regarde sa Mère, blanche comme un lys contre l’olivier sombre, et il lui dit :

      « Nous avons prié, Mère. Dieu se servira de notre prière…

      – Oui, mon Fils. Tu es pâle comme la mort. Vraiment, toute ta vitalité s’est exhalée pendant cette nuit, pour faire pression sur les portes des Cieux et sur les décrets de Dieu !

      – Toi aussi, tu es pâle, Mère. Grande est ta fatigue.

      – Grande est ma douleur, à cause de ta douleur. »

      575.18 La porte de la maison s’ouvre avec précaution… Jésus tressaille. Mais ce n’est que la femme qui les a conduits, qui sort sans faire de bruit. Jésus soupire :

      « J’avais espéré m’être trompé ! »

      La femme s’avance avec son panier vide. A la vue de Jésus, elle le salue et allait poursuivre son chemin, mais lui l’appelle et lui dit :

      « Que le Seigneur te récompense pour tout. Je voudrais en faire autant, mais je n’ai rien avec moi.

      – Je n’aurais rien accepté, Rabbi, aucune compensation. Mais si je ne veux pas d’argent, il y a quelque chose que je souhaiterais. Et cela, tu peux me le donner !

      – Quoi, femme ?

      – Que le cœur de mon époux change. Cela, tu peux le faire parce que tu es vraiment le Saint de Dieu.

      – Va en paix. Il te sera fait comme tu le demandes. Adieu. »

      La femme s’éloigne rapidement vers sa maison, qui doit être bien triste. Marie remarque :

      « Une autre malheureuse. C’est pour cela qu’elle est bonne !… »

      575.19 Depuis le grenier, la tête ébouriffée de Pierre apparaît, et derrière elle, le visage lumineux de Jean, puis le profil sévère de Jude et la figure brunâtre de Simon le Zélote, enfin la maigre frimousse du jeune Benjamin… Ils sont tous réveillés. De la maison sort, la première de toutes, Marie de Magdala suivie par Nikê, puis par les autres. Quand tous sont réunis, la femme qui leur a accordé l’hospitalité apporte une seille de lait encore écumeux. Alors apparaît Judas. Il n’a plus sa bande, mais le bleu du coup qu’il a reçu lui colore la moitié du front, et son œil est encore plus sombre dans le cercle violacé.

      Jésus le regarde. Judas regarde Jésus, puis détourne la tête.

      Jésus lui dit :

      « Achète à la femme ce qu’elle peut nous fournir. Nous reprenons la route. Rejoins-nous. »

      Effectivement, Jésus s’éloigne après avoir salué la femme. Tous le suivent.




[1] Tallith : châle dont les juifs se couvrent la tête pour la prière. On a plus généralement la représentation d'un châle à bandes noires et blanches.

[2] Boanerguès : fils du tonnerre. Cf. EMV 330 / 5.18

[3] Dans l'ancienne édition, le mot traduit était "succube". Un succube est un démon femelle sensée abuser des hommes (le démon mâle est l'incube). Cependant, Maria Valtorta emploie ici le succube comme synonyme de "concubine" qui est d'ailleurs le sens étymologique latin. On pourrait le traduire par "suppôt", terme connoté, ou "esprit dévoué à". Il serait intéressant d'expertiser si ce sens correspondait aux usages de l'époque.

[4] Nabacà : le jujubier de Palestine, ou Zyziphus nabeca (nabac) ou Zyziphus spina christi, est un arbre épineux que l'on trouve encore en Palestine – Note de Pascal, un internaute, le 18/01/08 – Voir les connaissances remarquables en botanique.



Observations



La couronne d’épines de nabacà

Peu avant la Passion, Jésus évoque les instruments de son supplice : « Sous peu mon Sang sera répandu pour les péchés des hommes. Il ne m'en restera pas une goutte. Le boiront la terre, les pierres, les herbes, les vêtements de mes persécuteurs et les miens… le bois, le fer, les cordes, les épines du nabacà… et le boiront les esprits qui attendent le salut… » (EMV 575.13). Ce vocable (nabeca, ou nabka, ou nabk) est très peu usité de nos jours. Il désignait jadis un arbrisseau épineux encore présent en Haute Galilée, et que les botanistes ont nommé rhamnus nabeca, puis rhamnus spina-christi ou encore zizyphus spina-christi.

Déjà en 409 saint Paulin de Nôle mentionnait la « Sainte Couronne d’Epines » parmi les reliques vénérées à Jérusalem. Une partie de cette couronne, aujourd’hui à Notre Dame de Paris, présente les plus sûrs critères d’authenticité. Il s’agit d’un cercle de joncs grossièrement tressés, constituant l’armature à laquelle furent accrochées les longues branches épineuses de zizyphus, entrelacées et formant un « casque », que les historiens de la Passion ont bien décrit.


Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 La-derniere-tentative-de-sauver-judas


Dans l’œuvre de Maria Valtorta, cette « couronne d’épines entrelacées » (EMV 78.3) est plusieurs fois évoquée. Et la description du « couronnement » est d’un réalisme déchirant : « Un soldat revient avec un fagot de branches d'aubépine sauvage. Elles sont encore flexibles car le printemps garde les branches relativement souples, mais bien dures avec leurs épines longues et pointues. Avec leur dague ils enlèvent les feuilles et les fleurettes, ils plient les branches en forme de cercle et les enfoncent sur la pauvre tête. Mais la couronne barbare Lui retombe sur le cou. “Elle ne tient pas. Plus étroite. Enlève-la.” Ils l'enlèvent et griffent les joues en risquant de l'aveugler et arrachent ses cheveux en le faisant. Ils la resserrent. Maintenant elle est trop étroite et bien qu'ils l'enfoncent en faisant pénétrer les épines dans la tête, elle menace de tomber. Ils l'enlèvent de nouveau en Lui arrachant d'autres cheveux. Ils la modifient de nouveau. Maintenant, elle va bien. Par devant un triple cordon épineux. En arrière, là où les extrémités des branches se croisent, c'est un vrai nœud d'épines qui entrent dans la nuque ». (EMV 604.31).

On dénombre aujourd’hui quelque soixante-dix sanctuaires qui présentent de « Saintes Epines » à la dévotion des fidèles : toutes ces épines sont de même nature, et toutes appartiennent à la même variété de buisson épineux de Judée mentionné par Jésus dans « l’Evangile tel qu’il m’a été révélé ».

SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-036.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/la-derniere-tentative-de-sauver-judas.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Jeu 6 Mai - 21:57

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

576. Du côté de Doco.
La rencontre avec le jeune homme riche


Ancienne édition : Tome 8, chapitre 37.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 576.

Vision du vendredi 7 mars 1947

Lundi 25 mars 30
vers Jéricho


      576.1 Par une très belle matinée d’avril, la terre et le firmament déploient toutes leurs beautés printanières. On respire la lumière, les chants, les odeurs, tant l’air est imprégné de clarté, de voix joyeuses et affectueuses, de parfums. Il a dû tomber pendant la nuit une courte averse qui a fait partir la poussière des routes et les a assombries, sans les rendre boueuses. Elle a lavé les tiges et les feuilles et celles-ci, scintillantes et propres, remuent sous une douce brise qui descend des monts vers la plaine fertile qui annonce Jéricho. Des rives du Jourdain montent continuellement des gens qui viennent de le traverser, ou bien qui ont suivi le chemin côtier, pour rejoindre cette route-ci, qui mène directement à Jéricho et à Doco, comme l’indiquent les inscriptions. A la foule des Hébreux qui, de tous côtés, affluent vers Jérusalem pour les cérémonies rituelles, se mêlent des marchands venus d’autres endroits, et des bergers avec les agneaux des sacrifices qui bêlent, ignorants de leur sort.

      Plusieurs reconnaissent Jésus et le saluent. Ce sont des Hébreux de Pérée, de la Décapole, ou de lieux plus éloignés. Il y a un groupe de Césarée Panéade. Des bergers, étant plutôt nomades et suivant leurs troupeaux, ont une certaine connaissance du Maître, qu’ils ont rencontré ou que ses disciples leur ont annoncé.

      576.2 L’un d’eux se prosterne et lui dit :

      « Puis-je t’offrir l’agneau ?

      – Ne t’en défais pas, homme. C’est ton gagne-pain.

      – C’est plutôt le signe de ma reconnaissance. Tu ne te souviens pas de moi. Moi, si. Tu étais en train de guérir un grand nombre de personnes, et j’en faisais partie. Tu m’as consolidé l’os de la cuisse que personne n’arrivait à soigner, et qui me rendait infirme. Je t’offre volontiers le plus beau de mes agneaux, pour le banquet de réjouissance. Je sais que, pour le sacrifice, tu es tenu de dépenser. Mais il te servira pour la réjouissance ! Tu m’en as tant donné. Accepte-le, Maître.

      – Mais oui, prends-le. Ce sera de l’argent que nous économiserons, ou plutôt ce sera la possibilité de manger, car, avec toutes les prodigalités que l’on fait, moi, je n’ai plus d’argent, se lamente Judas.

      – Quelles prodigalités ? Mais depuis Sichem, on n’a pas dépensé le moindre sou ! rétorque Matthieu.

      – Quoi qu’il en soit, je n’ai plus d’argent. Ce qui me restait, je l’ai donné à Mérod.

      – Homme, écoute » dit Jésus au berger, pour mettre fin aux explications de Judas. « Pour l’instant, je ne monte pas à Jérusalem, et je ne puis emmener l’agneau. Autrement, je l’aurais accepté pour te montrer que ton cadeau m’est agréable.

      – Mais ensuite, tu iras en ville. Tu t’y arrêteras pour les fêtes. Tu auras un lieu de repos. Dis-moi où tu seras, et je le confierai à tes amis…

      – Je n’ai rien de cela… Mais, à Nobé, j’ai un ami âgé et pauvre. Ecoute-moi bien : le lendemain du sabbat pascal, à l’aube, tu iras à Nobé et tu diras à Jean, l’Ancien de Nobé — tout le monde te l’indiquera — : “ Cet agneau t’est envoyé par Jésus de Nazareth, ton ami, afin que tu en fasses aujourd’hui un joyeux banquet, car il n’est pas de plus grande joie que celle de ce jour pour les vrais amis du Christ. ” Le feras-tu ?

      – Si tu le désires, je le ferai.

      – Et tu me feras plaisir. Mais pas avant le lendemain du sabbat, rappelle-toi bien ! Et garde en mémoire mes paroles. Maintenant va, et que la paix soit avec toi. Que ton cœur reste bien ferme dans cette paix pour les jours à venir. Rappelle-toi cela aussi, et continue à croire en ma vérité. Adieu. »

      576.3 Des gens se sont approchés pour écouter le dialogue et ne se sont dispersés que lorsque le berger les y a obligés en remettant son troupeau en route. Jésus suit le troupeau pour profiter du sillage qu’il lui offre.

      Les gens bavardent :

      « Alors, il va vraiment à Jérusalem ? Il ignore donc que des bans ont été publiés contre lui ?

      – Personne ne peut empêcher un fils de la Loi de se présenter au Seigneur pour la Pâque. Est-il coupable de quelque délit public ? Non. S’il l’était, le Proconsul l’aurait fait emprisonner comme Barabbas. »

      Et d’autres :

      « Tu as entendu ? Il n’a pas d’asile ni d’amis à Jérusalem. Est-ce que tous l’ont abandonné ? Même le ressuscité ? Belle reconnaissance !

      – Tais-toi donc ! Les deux femmes que voici sont les sœurs de Lazare. Je suis des campagnes de Magdala, et je les connais bien. Si ses sœurs sont avec lui, c’est que la famille de Lazare lui est fidèle.

      – Il n’ose peut-être pas entrer dans la ville.

      – Il a raison…

      – Dieu lui pardonnera, s’il reste au dehors.

      – Ce n’est pas sa faute, s’il ne peut monter au Temple.

      – Sa prudence est sagesse. S’il venait à être pris, tout serait fini avant son heure.

      – Il n’est certainement pas encore prêt à se proclamer notre roi, et il ne veut pas être capturé.

      – On raconte que, pendant qu’on le croyait à Ephraïm, il est allé un peu partout, jusqu’auprès des tribus nomades, pour recruter des partisans et des soldats et chercher des protections.

      – Qui te l’a dit ?

      – Ce sont les mensonges habituels. Il est le Roi saint, et non le roi des troupes.

      – Peut-être qu’il fera la Pâque supplémentaire. Il est plus facile alors de passer inaperçu. Le Sanhédrin est dissous après les fêtes, et tous ses membres rentrent chez eux pour la moisson. Il ne se réunit pas avant la Pentecôte.

      – Et une fois qu’ils seront partis, qui voulez-vous qui lui fasse du mal ? Ce sont eux, les chacals.

      – Hum ! Il ferait preuve d’une telle prudence ? C’est une attitude trop humaine. Il est plus grand qu’un homme et ne voudra pas d’une mesure aussi lâche.

      – Lâche ? Pourquoi ? On ne peut traiter de lâche celui qui s’épargne pour sa mission.

      – C’est pourtant de la lâcheté, car toute mission est toujours inférieure à Dieu. C’est pourquoi le culte rendu à Dieu doit avoir la préséance sur toute autre chose. »

      Ces réflexions passent de bouche en bouche. Jésus fait mine de ne pas les entendre.

      576.4 Jude s’arrête pour attendre les femmes — elles suivaient avec le jeune garçon à une trentaine de pas — et, lorsqu’elles l’ont rejoint, il demande à Elise :

      « Avez-vous fait beaucoup de dons à Sichem après notre départ ?

      – Pourquoi ?

      – Parce que Judas n’a plus le moindre sou. Tes sandales, Benjamin, ne vont pas tenir longtemps, c’est certain. Nous n’avons pas pu entrer à Tersa, et même si cela avait été possible, le manque d’argent nous aurait interdit tout achat… Tu devras arriver ainsi à Jérusalem…

      – Avant, il y a Béthanie, dit Marthe en souriant.

      – Encore avant, il y a Jéricho et ma maison, ajoute Nikê, en souriant aussi.

      – Et avant tout cela, il y a moi » intervient Marie de Magdala. « J’en ai fait la promesse et je la tiendrai. Ce voyage est vraiment une expérience : j’ai connu ce que signifie ne pas avoir une didrachme, et maintenant je vais connaître ce que c’est de devoir vendre un objet par nécessité.

      – Et que veux-tu vendre, Marie, puisque tu ne portes plus de bijoux ? demande Marthe à sa sœur.

      – Mes grosses épingles à cheveux en argent. Elles sont nombreuses. Mais pour tenir en place ce poids inutile, des épingles de fer peuvent suffire. Je vais les vendre. Jéricho est remplie de gens qui achètent ces babioles. D’ailleurs, c’est aujourd’hui jour de marché, et aussi les jours qui viennent, à cause des fêtes.

      – Mais, ma sœur…

      – Quoi ? Tu te scandalises en pensant qu’on puisse me croire assez pauvre pour devoir vendre mes épingles d’argent ? Oh ! je voudrais t’avoir toujours scandalisée de cette manière ! C’était pire quand, sans besoin, je me vendais moi-même pour satisfaire les vices d’autrui et les miens.

      – Tais-toi donc ! Ce jeune garçon ne sait rien !

      – Il ne sait pas encore. Peut-être ignore-t-il encore que j’étais pécheresse. Il l’aurait appris demain par des individus qui me détestent parce que je ne le suis plus, et certainement avec des détails que mon péché n’a pas eus, malgré son importance. Il vaut donc mieux qu’il l’apprenne de moi et qu’il voie ce que peut le Seigneur qui l’a accueilli : faire d’une pécheresse une repentie, d’un mort un ressuscité ; de moi, morte spirituellement, de Lazare, mort physiquement, deux vivants. Car, Benjamin, c’est cela que le Rabbi a accompli pour nous. Souviens-t’en toujours et aime-le de tout ton cœur, car il est vraiment le Fils de Dieu. »

      576.5 Un obstacle, le long de la route, a obligé Jésus à s’arrêter. Les apôtres et les femmes le rejoignent donc, et Jésus leur enjoint :

      « Allez de l’avant, vers Jéricho, et entrez-y si vous voulez. Moi, je vais à Doco avec Judas. Je vous rejoindrai au coucher du soleil.

      – Oh ! pourquoi nous éloignes-tu ? Nous ne sommes pas lasses, protestent-elles toutes.

      – Parce que je voudrais que, pendant ce temps, vous — ou du moins certaines d’entre vous — vous préveniez les disciples que je serai chez Nikê demain.

      – S’il en est ainsi, Seigneur, nous partons. Viens, Elise, et toi Jeanne, ainsi que Suzanne et Marthe. Nous préparerons tout ce qu’il faut, dit Nikê.

      – Le garçon et moi aussi. Nous en profiterons pour faire nos achats » ajoute Marie de Magdala. « Bénis-nous, Maître, et reviens vite. Toi, Mère, tu restes ?

      – Oui, avec mon Fils. »

      On se sépare. Avec Jésus restent seulement les trois Marie : sa Mère avec sa belle-sœur Marie, femme de Clopas, et Marie Salomé. Jésus quitte la route de Jéricho pour prendre un chemin secondaire qui mène à Doco.

      576.6 Il s’y trouve depuis peu quand une caravane passe. C’est une riche caravane, qui certainement vient de loin. Les femmes sont montées sur des chameaux, enfermées dans des palanquins qui oscillent, attachés sur les échines bossues. Les hommes sont montés sur des chevaux fougueux ou d’autres chameaux. Un jeune homme s’en détache, fait agenouiller son chameau et glisse en bas de la selle pour aller vers Jésus. Un serviteur accourt pour tenir l’animal par la bride.

      Le jeune homme se prosterne devant Jésus et lui dit après une profonde salutation :

      « Je suis Philippe de Canata, fils de vrais israélites et resté tel. Je suis disciple de Gamaliel depuis que la mort de mon père m’a mis à la tête de son commerce. Je t’ai entendu plus d’une fois. Je connais tes actes, j’aspire à mener une vie meilleure pour obtenir cette vie éternelle dont tu assures la possession à celui qui crée ton Royaume en lui-même. Dis-moi donc, bon Maître : que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?

      – Pourquoi m’appelles-tu bon ? Dieu seul est bon.

      – Tu es le Fils de Dieu, bon comme ton Père. Ah ! dis-moi, que dois-je faire ?

      – Pour entrer dans la vie éternelle, observe les commandements.

      – Lesquels, mon Seigneur ? Les anciens ou les tiens ?

      – Les miens se trouvent déjà dans les anciens. Ils ne les modifient pas. Il s’agit toujours d’adorer d’un amour sincère l’unique vrai Dieu et de respecter les lois du culte, de ne pas tuer, de ne pas voler, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas porter de faux témoignage, d’honorer son père et sa mère, de ne pas nuire à son prochain, mais au contraire de l’aimer comme soi-même. En agissant ainsi, tu obtiendras la vie éternelle.

      – Maître, j’ai observé tout cela depuis mon enfance. »

      Jésus le regarde avec amour et, doucement, il lui demande :

      « Et cela ne te paraît pas suffisant ?

      – Non, Maître. Il est tellement grand, le Royaume de Dieu en nous et dans l’autre vie ! Dieu se donne à nous, or ce don est infini. Je sens qu’il nous est demandé bien peu, par rapport au Tout, à l’Infini parfait qui se donne. Je pense qu’on doit l’obtenir par de plus grands mérites que ce qui est requis pour lui être agréable et ne pas être damné.

      – Tu as raison. Pour être parfait, il te manque encore quelque chose. Si tu désires être parfait comme le veut notre Père des Cieux, va, vends ce que tu as et offre-le aux pauvres, et tu auras dans le Ciel un trésor qui te fera aimer du Père, lui qui a donné son Trésor pour les pauvres de la terre. Puis viens, et suis-moi. »

      Le jeune homme s’attriste et devient songeur, puis il se relève en disant :

      « Je me souviendrai de ton conseil… »

      Et il s’éloigne, tout affligé.

      576.7 Judas murmure avec un petit sourire ironique :

      « Je ne suis pas le seul à aimer l’argent ! »

      Jésus se retourne et l’observe… Puis il regarde les onze autres visages autour de lui, et soupire :

      « Comme il est difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux ! La porte en est étroite, son chemin est escarpé, et ceux qui sont chargés du poids volumineux des richesses ne peuvent le parcourir pour y pénétrer ! Pour entrer là-haut, il ne faut que des trésors de vertus, immatériels, et il faut savoir se séparer de tout attachement aux biens de ce monde et aux vanités. »

      Jésus est très triste…

      Les apôtres se regardent les uns les autres du coin de l’œil…

      Jésus reprend, en regardant la caravane du jeune homme riche s’éloigner :

      « En vérité, je vous dis qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu.

      – Dans ce cas, qui pourra jamais être sauvé ? La misère rend souvent pécheur à cause de l’envie, du peu de respect pour ce qui appartient à autrui et de la défiance envers la Providence… La richesse est un obstacle à la perfection… Alors ? Qui pourra être sauvé ? »

      Jésus les regarde et leur dit :

      « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu, car il peut tout. Il suffit que l’homme aide son Seigneur par sa bonne volonté. Et c’est faire preuve de bonne volonté que d’accepter le conseil reçu et de s’efforcer d’arriver à se libérer des richesses. A se libérer de tout pour suivre Dieu. Car voici ce qu’est la vraie liberté de l’homme : suivre les paroles que Dieu lui murmure au cœur et ses commandements, n’être esclave ni de soi-même, ni du monde, ni du respect humain, et donc pas esclave de Satan. Se servir du splendide libre-arbitre que Dieu a donné à l’homme pour désirer librement et uniquement le bien et obtenir ainsi la vie éternelle, toute lumineuse, libre, bienheureuse. Il ne faut pas même être esclave de sa propre vie si, pour la servir, on doit résister à Dieu. Je vous l’ai dit : “ Celui qui perdra sa vie parce qu’il m’aime et veut servir Dieu, la sauvera pour l’éternité. ”

      576.8 – Voilà ! Pour te suivre, nous avons tout quitté, même ce qui est le plus licite. Que nous arrivera-t-il donc ? Entrerons-nous dans ton Royaume ? demande Pierre.

      – En vérité, en vérité, je vous dis que ceux qui m’auront suivi de cette façon, et qui me suivront — car, tant que l’on est sur la terre et que l’on a devant soi des jours où on peut réparer le mal commis, il est toujours temps de réparer sa paresse et les fautes perpétrées jusqu’ici — ceux qui me suivront seront avec moi dans mon Royaume. En vérité, je vous dis que, vous qui m’avez suivi dans la régénération, vous siégerez sur des trônes pour juger les tribus de la terre avec le Fils de l’homme, assis sur le trône de sa gloire. En vérité, je vous dis encore que personne n’aura, par amour de mon nom, quitté maison, champs, père, mère, frères, sœurs, époux et enfants pour répandre la Bonne Nouvelle et me continuer, sans recevoir le centuple en ce temps et la vie éternelle dans le siècle à venir.

      – Mais si nous perdons tout, comment pourrons-nous multiplier nos biens par cent ? demande Judas.

      – Je le répète : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et Dieu donnera le centuple de joie spirituelle à ceux qui, d’hommes du monde, auront su se rendre fils de Dieu, c’est-à-dire hommes spirituels. Ils jouiront de la vraie joie, ici et au-delà de la terre. J’ajoute que ce ne sera pas le cas de tous ceux qui semblent être les premiers et qui devraient l’être, ayant reçu plus que les autres. De même, ne seront pas derniers tous ceux qui semblent l’être, quand encore ils ne sont pas considérés comme moins que derniers, n’étant pas en apparence mes disciples et n’appartenant même pas au Peuple élu. En vérité, beaucoup de premiers deviendront derniers et beaucoup de derniers, de tout à fait derniers, deviendront premiers… 576.9 Mais voilà Doco. Partez tous en avant, sauf Judas et Simon le Zélote. Allez m’annoncer à ceux qui peuvent avoir besoin de moi. »

      Et Jésus, avec les deux apôtres qu’il a retenus, attend de se joindre aux trois Marie qui le suivent à quelques mètres de distance.




[1] Peut-être cette guérison collective intervenue à Arbela : cf. EMV 295.
 
[2] Sanhédriste : Maria Valtorta (ou la traduction française) emploie usuellement le terme de synhédriste pour désigner un membre du Sanhédrin.
 
[3] Voir l'épisode précédent. Marie de Magdala comptait acheter de nouvelles sandales au jeune Benjamin.
 
[4] Gibbeuse : qui a des bosses ou la forme de bosse.
 
[5] Voir le commentaire que fait Jésus dans sa catéchèse du 29 juin 1943 à Maria Valtorta.
[6] En EMV 265.12.
 
[7] Matthieu 10,39 – 16,25 – Marc 8,35 – Luc 9,24 – 12,25 – Jean 12,25.
 
[8] Rappel de l'enseignement donné au EMV 363 (Luc 13,30).





SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-037.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/le-jeune-homme-riche.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mar 11 Mai - 23:01

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

577.Troisième annonce de la Passion. Marie, femme d'Alphée, évoque la figure de Joseph. La demande insensée des fils de Zébédée

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 38.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 577.

Vision du samedi 8 mars 1947

Mardi 26 mars 30
Doco


577.1 L’aube éclaire à peine le ciel et rend la marche toujours difficile quand Jésus quitte Doco, encore endormie. On n’entend sûrement pas le bruit des pas, car ils avancent avec précaution et les gens dorment encore dans les maisons fermées. Nul ne parle avant qu’ils ne soient sortis de la ville et arrivés dans la campagne, qui se réveille lentement dans la lumière faible et toute fraîche après la rosée.

Alors Judas dit :

« Route inutile, impossible de se reposer. Il aurait mieux valu ne pas venir jusqu’ici. »

Jacques, fils d’Alphée, répond doucement — car il est toujours doux, à l’opposé de Judas qui, même à ses meilleurs moments, est toujours violent et autoritaire :

« Les quelques personnes que nous avons rencontrées ne nous ont pas mal reçus ! Elles ont passé la nuit à nous écouter et à aller chercher les malades dans les campagnes. Au contraire, il est bon que nous soyons venus. En effet, ceux qui, à cause de la maladie ou pour quelque autre raison, ne pouvaient espérer voir le Seigneur à Jérusalem, l’ont rencontré ici et ont été consolés en recevant la santé ou d’autres grâces. Les autres, on le sait, sont déjà partis en ville… C’est l’usage pour nous d’y aller, si on le peut, quelques jours avant la fête.

– Justement ! Comme nous montons nous aussi à Jérusalem, il était inutile de venir ici… Ils nous auraient entendus et vus là-bas…

– Mais pas les femmes ni les malades » réplique en l’interrompant Barthélemy, qui vient à l’aide de Jacques.

Judas feint de ne pas entendre et il dit, comme s’il continuait la conversation :

« Du moins, je crois que nous nous rendons à Jérusalem, bien que je n’en sois plus sûr désormais, après le discours au berger.

– Et où veux-tu que nous allions, sinon là-bas ? demande Pierre.

– Bah ! Je ne sais pas. Tout ce que nous faisons depuis quelques mois est tellement irréel, tellement contraire à ce que l’on peut prévoir, au bon sens, à la justice même, que…

– Je t’ai vu boire du lait à Doco, et pourtant tu parles comme si tu étais ivre ! Où vois-tu ce qui est contraire à la justice ? » demande Jacques, fils de Zébédée, avec des yeux peu rassurants. Et il renchérit : « Assez de reproches adressés au Juste ! As-tu compris que cela suffit ? Tu n’as pas le droit, toi, de le critiquer. Personne n’a ce droit, car il est parfait, et nous… Aucun de nous ne l’est, et toi moins que tous.

– Mais oui ! Si tu es malade, soigne-toi, mais ne nous ennuie pas avec tes discussions. Si tu es lunatique, le Maître est là. Fais-toi guérir et n’en parlons plus ! » lance Thomas, qui perd patience.

577.2 Jésus, lui, marche à l’arrière avec Jude et Jean, et tous trois aident les femmes qui, moins habituées à marcher dans la pénombre, ont de la peine à avancer par le sentier difficile et encore plus sombre que les champs, parce qu’il traverse une épaisse oliveraie. Jésus ne cesse de parler avec les femmes, étranger à ce qui se passe plus en avant, même si ceux qui sont avec lui entendent. En effet, si les mots sont peu compréhensibles, leur ton indique que ce ne sont pas des paroles douces mais qu’elles sentent déjà la dispute.

Jude et Jean se regardent en silence. Ils observent Jésus et Marie. Mais Marie est tellement voilée par son manteau qu’on ne lui voit pour ainsi dire pas le visage, et Jésus semble ne pas avoir entendu. Ils parlent de Benjamin et de son avenir, ainsi que de la veuve Sarah d’Aphéqua, qui s’est établie à Capharnaüm et est la mère affectueuse, non seulement de l’enfant de Giscala mais aussi des petits enfants de la femme de Capharnaüm : celle-ci, après un second mariage, n’aimait plus ses enfants du premier lit puis est morte “ si malheureusement qu’on a vraiment reconnu la main de Dieu dans sa mort ”, aux dires de Marie Salomé. Pourtant, à la fin de la conversation, Jésus va en avant avec Jude, et se joint aux apôtres après avoir dit en partant :

« Reste, Jean, si tu veux. Je vais répondre au disciple inquiet et ramener la paix. »

Mais Jean, après avoir fait encore quelques pas avec les femmes, se rend compte que le sentier devient plus ouvert et plus clair, et court rejoindre Jésus. Il arrive au moment où ce dernier dit :

« Rassure-toi donc, Judas. Nous n’avons jamais rien fait d’irréel, et pas davantage maintenant. De même, nous ne faisons rien d’opposé à ce que l’on pouvait prévoir. C’est le temps où il est prévisible que tout véritable israélite, non empêché par des maladies ou de graves raisons, monte au Temple. Or nous, nous montons au Temple.

– Pas tous pourtant. J’ai entendu dire que Marziam n’y sera pas. Est-il malade, peut-être ? Pour quel motif ne vient-il pas ? Te paraît-il normal de le remplacer par le Samaritain [1] ? »

Le ton de Judas est insupportable…

Pierre murmure :

« Ô prudence, enchaîne ma langue, je ne suis qu’un homme ! »

Et il serre fortement les lèvres pour ne pas en dire davantage. Ses yeux, un peu bovins, ont un regard émouvant, tant y sont visibles l’effort qu’il fait pour réfréner son indignation et sa peine d’entendre Judas parler de cette façon.

577.3 La présence de Jésus retient toutes les langues, et c’est seulement lui qui parle pour dire, avec un calme vraiment divin :

« Venez un peu en avant, que les femmes n’entendent pas. J’ai une confidence à vous faire depuis quelques jours. Je vous l’ai promis dans les campagnes de Tersa [2], mais je voulais que vous soyez tous présents pour l’entendre, vous tous, pas les femmes. Laissons-les dans leur humble paix… Ce que je vous dirai expliquera pourquoi Marziam ne sera pas avec nous, ni ta mère, Judas, ni tes filles, Philippe, ni les femmes disciples de Bethléem de Galilée avec la jeune fille. Il y aura des horreurs que tous ne pourraient pas supporter. Moi, le Maître, je sais ce qui est bon pour mes disciples et ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas endurer.

Même vous, vous n’avez pas la force de résister à l’épreuve, et ce serait une grâce pour vous d’en être préservés. Mais vous devez me continuer, et vous devez savoir à quel point vous êtes faibles, pour être ensuite miséricordieux avec les faibles. Vous ne pouvez donc pas être exclus de cette redoutable épreuve, qui vous donnera la mesure de ce que vous êtes, de ce que vous êtes restés après trois ans passés avec moi, et de ce que vous êtes devenus. Vous êtes douze. Vous êtes venus à moi presque en même temps. Ce n’est pas le petit nombre de jours qui séparent ma rencontre avec Jacques, Jean et André, du moment où tu as été accueilli parmi nous, Judas, ou de celui où toi, Jacques mon frère, et toi, Matthieu, vous êtes venus avec moi, qui pourrait justifier une si grande différence de formation entre vous. Vous étiez tous — même toi, docte Barthélemy, même vous, mes frères — très ignorants par rapport à ce qu’est la connaissance de ma doctrine. Et même, votre évolution, meilleure que celle des autres parmi vous dans la doctrine du vieil Israël, constituait un obstacle pour vous former en moi.

Pourtant, aucun de vous n’a parcouru autant de chemin qu’il aurait fallu pour vous amener tous à un point unique. L’un de vous l’a atteint, d’autres en sont proches, d’autres plus éloignés, d’autres très en arrière, d’autres… oui, je dois aussi le dire, ont reculé au lieu de progresser. Ne vous regardez pas ! Ne cherchez pas qui est le premier et qui est le dernier. Celui qui, peut-être, se croit le premier ou que l’on croit être le premier doit encore s’éprouver lui-même. Celui qui se croit le dernier ne va pas tarder à resplendir dans sa formation comme une étoile au ciel. Aussi, une fois de plus, je vous dis : ne jugez pas. Les faits jugeront par leur évidence. Pour le moment, vous ne pouvez pas comprendre. Mais bientôt, vous vous rappellerez mes paroles et vous les comprendrez.

– Quand ? Tu nous as promis de nous dire, de nous expliquer pourquoi la purification pascale sera différente cette année, et tu ne le fais jamais, se plaint André.

– C’est de cela que j’ai voulu vous parler. Car les paroles que je vais prononcer comme les autres forment un tout, elles s’enracinent dans une même origine. 577.4 Voilà : nous allons monter à Jérusalem pour la Pâque, et là s’accompliront toutes les prophéties qui concernent le Fils de l’homme [3]. En vérité, comme l’ont vu les prophètes, comme on le voit déjà dans l’ordre donné aux Hébreux d’Egypte [4], comme cela fut ordonné à Moïse dans le désert, l’Agneau de Dieu va être immolé. Son sang va laver les linteaux des cœurs, et l’ange de Dieu passera sans frapper ceux qui porteront sur eux, avec amour, le sang de l’Agneau immolé. Celui-ci va être élevé comme le serpent d’airain sur la barre transversale, pour être un signe adressé aux hommes blessés par le serpent infernal, et pour être le salut de ceux qui le regarderont avec amour. Le Fils de l’homme, votre Maître Jésus, va être livré aux mains des princes des prêtres, des scribes et des anciens. Ils le condamneront à mort et le remettront aux païens pour être exposé au mépris. On le giflera, on le frappera, on le couvrira de crachats, on le traînera sur les routes comme un chiffon immonde. Après l’avoir flagellé et couronné d’épines, les païens le condamneront à la mort de la croix réservée aux malfaiteurs, suivant la volonté du peuple juif rassemblé à Jérusalem, exigeant sa mort à la place de celle d’un meurtrier. C’est ainsi qu’il sera mis à mort. Mais, comme il est dit dans les signes des prophéties, après trois jours, il ressuscitera. Voilà l’épreuve qui vous attend, celle qui montrera votre formation.

Tous, vous vous croyez assez parfaits pour mépriser ceux qui n’appartiennent pas à Israël, et même pour mépriser beaucoup de personnes de notre propre peuple ; en vérité, je vous dis que, une fois le Pasteur capturé, vous qui êtes la partie élue de mon troupeau, vous serez pris de peur et que vous vous débanderez en fuyant comme si les loups qui me saisiront de toutes parts dans leurs crocs se retournaient contre vous. Mais, je vous le dis : ne craignez rien. On ne touchera pas à un cheveu de votre tête. Je suffirai à rassasier les loups féroces… »

577.5 Les apôtres se courbent au fur et à mesure, comme sous une pluie de pierres.

« Ce que je vous annonce est désormais imminent. Les autres fois, il restait un délai, mais aujourd’hui l’heure est venue. Je vais être livré à mes ennemis et immolé pour le salut de tous. Ce bouton de fleur n’aura pas encore perdu ses pétales, après avoir fleuri, que je serai déjà mort. »

A ces mots, les uns se cachent le visage de leurs mains, d’autres gémissent comme si on les avait blessés. Judas est livide, littéralement livide…

Le premier à se ressaisir, c’est Thomas, qui s’exclame :

« Cela ne t’arrivera pas, car nous te défendrons ou nous mourrons avec toi, et ainsi nous prouverons que nous t’avons rejoint dans ta perfection et que nous sommes parfaits dans ton amour. »

Jésus le regarde sans mot dire.

Après un long moment de réflexion, Barthélemy déclare :

« Tu as dit que tu serais livré… Mais qui, qui donc peut te livrer aux mains de tes ennemis ? Les prophètes n’en parlent pas. Non, ils n’en parlent pas. Ce serait trop horrible que l’un de tes amis, l’un de tes disciples, l’un de ceux qui te suivent, même le dernier de tous, te livre à ceux qui te haïssent. Non ! Quelqu’un qui t’a entendu avec amour, même une seule fois, ne peut commettre ce crime. Ce sont des hommes, pas des fauves, pas des satans… Non, mon Seigneur ! Et même ceux qui te haïssent ne le pourront pas… Ils ont peur du peuple, et le peuple tout entier sera autour de toi ! »

Jésus regarde aussi Nathanaël sans mot dire.

Pierre et le Zélote n’arrêtent pas de discuter. Jacques, fils de Zébédée, adresse des paroles de reproche à son frère qu’il voit serein, et Jean lui répond :

« C’est parce que je suis au courant depuis trois mois. »

Deux larmes coulent sur son visage.

Les fils d’Alphée parlent avec Matthieu, qui secoue la tête d’un air découragé.

André s’adresse à Judas :

« Toi qui as tant d’amis au Temple…

– Jean connaît Hanne en personne » réplique Judas, avant d’achever : « Mais que peut-on y faire ? Que veux-tu que puisse une parole d’homme si c’est écrit ?

– Tu le crois vraiment ? demandent ensemble Thomas et André.

– Non. Moi, je ne crois rien. Ce sont des alarmes inutiles. Barthélemy le dit bien : tout le peuple sera autour de Jésus. On le voit déjà par ceux que l’on rencontre, et ce sera un triomphe. Vous verrez qu’il en sera ainsi, affirme Judas.

– Mais alors pourquoi est-ce qu’il… commence André, en montrant Jésus qui s’est arrêté pour attendre les femmes.

– Pourquoi il dit cela ? Parce qu’il est impressionné… et parce qu’il veut nous mettre à l’épreuve. Mais il n’arrivera rien. Du reste, moi j’irai…

– Oh ! oui. Va te rendre compte ! » supplie André.

577.6 Ils se taisent soudain, car Jésus les suit de nouveau, entre sa Mère et Marie, femme d’Alphée.

La Vierge a un pâle sourire parce que sa belle-sœur lui montre des graines, ramassées je ne sais où, et lui expose qu’elle veut les semer à Nazareth, après la Pâque, juste à côté de la petite grotte si chère à son cœur :

« Quand tu étais petite, je te revois toujours avec ces fleurs dans les mains. Tu les appelais les fleurs de ta venue. En effet, à ta naissance, ton jardin en était couvert, et ce soir-là, quand tout Nazareth est accouru pour voir la fille de Joachim, les touffes de ces petites étoiles n’étaient qu’un diamant à cause de l’eau qui était descendue du ciel et du dernier rayon de soleil qui les frappait [5] depuis le crépuscule. Et comme tu t’appelais “ Etoile ”, tout le monde disait, en regardant la multitude de ces petites étoiles brillantes : “ Les fleurs se sont parées pour faire fête à la fleur de Joachim, et les étoiles ont quitté le ciel pour venir près de l’Etoile ”, et tous souriaient, heureux du présage et de la joie de ton père.

577.7 Quant à Joseph, le frère de mon époux, il a remarqué : “ Etoiles et gouttelettes. C’est vraiment Marie ! [6] ” Qui aurait pu dire, alors, que tu étais destinée à devenir son étoile ? Quand il revint de Jérusalem, choisi pour être ton époux, tout Nazareth voulait lui faire fête parce que grand était l’honneur qui lui était venu du Ciel et venu de ses fiançailles avec toi, fille de Joachim et d’Anne. Chacun désirait l’inviter à un banquet. Mais, avec une volonté douce mais ferme, il déclina ces réjouissances, à l’étonnement de tous. En effet, quel est l’homme destiné à une union honorable et par un tel décret du Très-Haut qui ne fête pas le bonheur de son âme, de sa chair et de son sang ? Mais lui disait : “ A grande élection, grande préparation. ” Et il veillait aussi à respecter la continence en paroles et en nourriture, en plus de la continence proprement dite qu’il avait toujours gardée. Il passa ainsi ce temps à travailler et à prier, car je crois que chaque coup de marteau, chaque marque de ciseau était devenu oraison, s’il est possible de prier par le travail. Son visage était comme extatique. Moi, j’allais ranger la maison, blanchir les draps et tout ce que ta mère avait laissé, et que le temps avait jauni, et je le regardais pendant qu’il travaillait dans le jardin et la maison, pour en restaurer la beauté comme s’ils n’avaient jamais été à l’abandon. Je lui parlais aussi… mais il était comme absorbé. Il souriait. Mais ce n’était pas à moi ni à d’autres, à ses pensées qui n’étaient assurément pas celles de tout homme sur le point de se marier. Son sourire, au lieu d’exprimer une joie maligne et charnelle, semblait s’adresser aux anges invisibles de Dieu, parler avec eux et leur demander conseil… Ah ! je suis bien certaine qu’ils lui indiquaient comment se conduire avec toi ! Autre surprise de Nazareth, qui provoqua presque de l’indignation chez mon Alphée, il recula les noces le plus possible… et on ne comprit jamais comment, à l’improviste, il se décida avant le temps fixé [7]. Et aussi, quand on sut que tu étais mère, comme Nazareth s’étonna de sa joie contenue !… Mais mon Jacques est un peu comme cela. Et il le devient de plus en plus. Maintenant que je l’observe bien — je ne sais pourquoi, mais depuis que nous sommes arrivées à Ephraïm, il me paraît tout changé —, je le vois ainsi… absolument comme Joseph. Examine-le maintenant aussi, Marie, tandis qu’il se retourne encore pour nous regarder, n’a-t-il pas l’air songeur si habituel chez Joseph, ton époux ? Il a ce sourire dont on ne saurait dire s’il est triste ou lointain. Il a ce long regard, qui voit plus loin que nous, et qu’avait si souvent Joseph. Te souviens-tu comment Alphée le taquinait ? Il disait : “ Mon frère, tu observes encore les pyramides ? ” Patient et secret, peu bavard à son habitude, il secouait la tête en silence. Mais après ton retour d’Hébron ! Il ne venait même plus seul à la fontaine comme il le faisait auparavant et comme tous le font. Il était soit avec toi, soit à son travail. Et, sauf pour le sabbat à la synagogue, ou quand il se rendait ailleurs pour affaires, personne ne peut dire qu’il ait vu Joseph vagabonder çà et là pendant ces mois. Puis vous êtes partis… Quelle angoisse de ne plus rien savoir de vous après le massacre ! Alphée se rendit jusqu’à Bethléem… On lui apprit que vous étiez partis. Mais comment croire, quand on vous hait à mort dans une ville encore rouge de sang innocent, où fumaient les ruines et où vous étiez accusés d’être à l’origine de tout ce sang répandu ? Il alla à Hébron, puis au Temple, car Zacharie était de service. Elisabeth n’avait que des larmes à lui offrir, et Zacharie des paroles de réconfort. L’un et l’autre, angoissés pour Jean, l’avaient caché de peur de nouvelles atrocités, et tremblaient pour lui. De vous, ils ne savaient rien, et Zacharie dit à Alphée : “ S’ils sont morts, leur sang est sur moi, car c’est moi qui les ai persuadés de rester à Bethléem. ” 577.8 Ma Marie ! Mon Jésus, qu’on avait vu si beau à la Pâque qui suivit sa naissance ! Et ne rien savoir, pendant si longtemps ! Mais pourquoi jamais une nouvelle ?…

– Parce qu’il valait mieux se taire. Là où nous étions, il y avait beaucoup de Marie et de Joseph, et il valait mieux passer pour un couple quelconque » répond tranquillement la Vierge, avant d’ajouter en soupirant : « Et c’étaient encore des jours heureux malgré leur tristesse. Le mal était encore si loin ! S’il manquait bien des choses à nos besoins humains, notre esprit se rassasiait de la joie de t’avoir, mon Fils !

– Maintenant encore, Marie, tu as ton Fils. Il manque Joseph, c’est vrai ! Mais Jésus est ici et avec son amour plénier d’adulte » fait remarquer Marie, femme d’Alphée.

La Vierge lève la tête pour regarder son Jésus. Son regard trahit son déchirement malgré un léger sourire sur ses lèvres, mais elle reste silencieuse.

577.9 Les apôtres se sont arrêtés pour les attendre et se sont tous regroupés, même Jacques et Jean, qui étaient derrière les autres avec leur mère. Pendant qu’ils se reposent de la marche et que certains mangent un peu de pain, la mère de Jacques et Jean s’approche de Jésus et se prosterne devant lui, qui ne s’est même pas assis dans sa hâte de reprendre la route.

Jésus l’interroge, car il est visible qu’elle désire lui demander quelque chose :

« Que veux-tu, femme ? Parle.

– Accorde-moi une grâce, avant que tu t’en ailles, comme tu l’annonces.

– Quoi donc ?

– Ordonne que mes deux fils, qui ont tout quitté pour toi, siègent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, quand tu seras dans ta gloire, au Royaume des Cieux. »

Jésus observe la femme, puis il tourne les yeux vers les deux apôtres et leur dit :

« C’est vous qui avez suggéré cette idée à votre mère [8] en interprétant très mal mes promesses d’hier. Ce n’est pas dans le cadre d’un royaume de la terre que vous obtiendrez le centuple de ce que vous avez quitté. Vous aussi, vous devenez avides et sots ? Mais ce n’est pas vous : c’est déjà le crépuscule empoisonné des ténèbres qui s’avance et l’air souillé de Jérusalem qui approche, vous corrompt et vous aveugle… Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ?

– Nous le pouvons, Seigneur.

– Comment pouvez-vous dire cela, si vous n’avez pas compris quelle sera l’amertume de ma coupe ? Ce ne sera pas seulement l’amertume que je vous ai décrite hier, mon amertume d’homme de toutes les douleurs. Il y aura des tortures que, même si je vous les décrivais, vous ne seriez pas en mesure de comprendre… Vous ressemblez à deux enfants qui ne connaissent pas la portée de ce qu’ils demandent, mais puisque vous êtes deux esprits justes et que vous m’aimez, il est certain que vous boirez à ma coupe. Cependant, il ne dépend pas de moi de vous accorder de siéger à ma droite ou à ma gauche. Il appartient à mon Père de l’accorder à ceux pour qui il l’a préparé. »

577.10 Les autres apôtres, pendant que Jésus parle encore, critiquent âprement la requête des fils de Zébédée et de leur mère. Pierre lance à Jean :

« Toi aussi ! Je ne te reconnais plus ! Tu n’étais pas comme ça !»

Et Judas, avec son sourire de démon :

« Vraiment, les premiers sont les derniers ! Quel temps de découvertes surprenantes… »

Mais il rit jaune.

« Serait-ce pour les honneurs, que nous avons suivi notre Maître ? » ajoute Philippe sur un ton de reproche.

Thomas, au contraire, cherche à excuser les deux frères, et il s’en prend à Marie Salomé :

« Pourquoi provoquer l’humiliation de tes enfants ? Tu aurais dû réfléchir, si eux ne l’ont pas fait, et empêcher cela.

– C’est vrai. Notre mère ne l’aurait pas fait » approuve Jude.

Barthélemy reste en silence, mais son visage marque clairement sa désapprobation.

Simon le Zélote tente de calmer l’indignation :

« Nous pouvons tous nous tromper… »

Matthieu, André et Jacques, fils d’Alphée, ont beau ne pas intervenir, ils souffrent visiblement de l’incident qui entache la belle perfection de Jean.

Jésus fait un geste pour imposer le silence et il dit :

« Allons donc ! Une seule erreur va-t-elle en susciter un grand nombre ? Vous qui exprimez des reproches indignés, ne vous apercevez-vous pas que vous péchez, vous aussi ? Laissez tranquilles vos deux frères. Ma réprimande suffit. Leur humiliation est visible, leur repentir humble et sincère. Il vous faut vous aimer et vous soutenir mutuellement. Car, en vérité, aucun d’entre vous n’est encore parfait. Vous ne devez pas imiter le monde. Dans le monde, vous le savez, les chefs des nations les dominent et les puissants exercent sur elles leur autorité au nom du chef. Mais, parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Vous ne devez pas avoir la prétention de dominer les hommes, ni vos compagnons. Au contraire, que celui d’entre vous qui veut devenir grand se fasse votre ministre, et que celui qui veut être le premier se fasse le serviteur de tous, comme l’a fait votre Maître. Suis-je donc venu pour opprimer et dominer ? Pour être servi ? Non, en vérité : je suis venu pour servir. Et de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour le rachat d’un grand nombre, vous devrez savoir en faire autant, si vous voulez être comme je suis et où je suis. Maintenant, allez, et soyez en paix entre vous comme je le suis avec vous. »

577.11 Jésus me dit :

« Souligne bien l’expression : “ … il est certain que vous boirez à ma coupe. ” Dans les traductions, on lit : “ ma coupe ”. J’ai dit : “ à ma coupe ” [9] et non pas “ ma coupe ”. Nul autre que moi n’aurait pu boire ma coupe. Moi seul, le Rédempteur, j’ai dû boire mon calice jusqu’à la lie. A mes disciples, à mes imitateurs et à ceux qui m’aiment, il est certainement permis de boire, à cette coupe où j’ai bu, une goutte, une gorgée, ou les gorgées que la prédilection de Dieu leur permet de boire. Mais jamais personne ne boira la coupe tout entière comme je l’ai fait. Il est donc juste de dire : “ à ma coupe ” et non pas “ ma coupe ”. »




[1] Benjamin, le jeune pastoureau d'Enon.

[2] Je vous l’ai promis en EMV 575.8. Il s’agit de l’annonce de la Passion, la troisième après celles des chapitres EMV 346 et EMV 355 qui est désormais imminente. Nous sommes le 26 mars 30, elle aura lieu le 5 avril, dix jours plus tard.

[3] Toutes les prophéties concernant le Messie sont citées et répétées en EMV :
7.3; 10.5; 27.3; 41.3; 66.2; 73.6; 74.7; 77.5; 78.6; 108.4; 111.6; 144.3; 155.8; 176.3; 177.4; 194.5; 207.8; 225.11; 260.8; 266.10; 291.4 ; 293.4/5; 324.4.8; 340.9; 342.8; 348.12; 354.12; 378.5; 382.7 390.6; 399.5; 405.9; 414.3; 436.2.5; 463.2.5; 464.10/11.471.1; 478.3.9; 482.5; 483.8; 486.4 ; 487.6/8; 506.3 ; 507.6; 518.6.7 520.7; 525.5.8; 536.2 549.9 554.8; 556.7 560.5 ; 561.11 ; 566.19 ; 579.8-10; 580.3 588.9; 589.3 ; 591.5/6 592.9 593.1 -, 595.4 596.38 ; 597.5.7/11; 598.7 ; 600.9.13 ; 601.1; 604.4.10.25 ; 609.3.
Elles sont récapitulées d'une certaine manière en 625.6/9 et se rencontrent encore en 639.3, 645.5 et 647.5.

[4] Cf. Exode 12, 1-14 qui concerne la Pâque.

[5] Quelles sont ces fleurs en forme d'étoile, dont l'éclosion se ferait en fin d'été ? S'agit-il d'une variété de jasmin ? Cette plante, originaire de Perse, pouvait-elle être présente à cette époque en Galilée ?

[6] Marie, le nom de la Mère de Jésus, est très commun chez les juives de cette époque. Il peut être interprété de bien des façons, mais il est impossible de dire avec certitude d'où il provient. Les sens d'étoile (déjà signalé en EMV 4.4) et de goutte (signalé en EMV 198.Cool évoquent respectivement la lumière et la douleur (comme en EMV 5.6, 22.13, 262.4) et remontent à une interprétation de saint Jérôme. Une référence à la mer s'y est ajoutée (en EMV 168.4 et 244.9). En ce qui concerne la racine du nom, la remarque savante de Judas en EMV 192.2 pourrait nous éclairer. Néanmoins, Jésus dit, en EMV 346.3, que "seuls ceux qui uniront une foi parfaite à un amour parfait parviendront à connaître la véritable signification du nom de Marie, de la Mère du Fils de Dieu".

[7] Conséquence de la maternité de Marie.

[8] Idée qui a cependant reçu l’approbation de Marie Salomé comme on peut le lire en EMV 106.7 et 12.

[9] à ma coupe: cette préposition est clairement mise en évidence à la fin de EMV 577.9. L'expression "boire la coupe" semble traduite correctement du texte grec des évangiles de Matthieu et de Marc. Mais on pourrait aussi l'interpréter comme "boire à la coupe" si cela a été dit en araméen, la langue parlée par Jésus: dans cette langue, aucune différence de forme ne permet de distinguer "boire la coupe" de "boi





SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-038.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/troisieme-annonce-de-la-passion.html
Anayel
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mer 12 Mai - 22:11

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

578. Rencontre avec des disciples et des hommes de valeur conduits par Manahen. Arrivée à Jéricho

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 39.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 578.

Vision du mardi 11 mars 1947

Mardi 26 mars 30
Doco


      578.1 Déjà les murs blancs des maisons de Jéricho et ses palmiers se profilent sur un ciel d’un bleu intense, un bleu de céramique ou d’émail, quand, près d’un bosquet de tamaris ébouriffés, de mimosas fragiles, d’aubépines aux longues piques, d’autres arbres épineux pour la plupart, qui semblent être renversés là de la montagne pentue qui se trouve derrière Jéricho, Jésus rencontre un groupe important de disciples conduits par Manahen. Ils semblent attendre. C’est effectivement ce qu’ils confirment, après avoir salué le Maître, et ils ajoutent que nombre d’entre eux se sont éparpillés sur d’autres routes pour obtenir quelques nouvelles, car ils avaient été impressionnés que Jésus ait pris une nuit entière de retard avant d’arriver à Jéricho.

      « Je suis venu ici avec eux, et je ne te quitterai pas avant de te savoir en sécurité chez Lazare, dit Manahen.

      – Pourquoi ? Y a-t-il quelque danger ? demande Jude.

      – Vous êtes en Judée… Vous connaissez le décret, et la haine aussi. Tout est donc à craindre » répond Manahen. Se tournant vers Jésus, il explique : « J’ai emmené avec moi les hommes les plus courageux, car on pouvait présumer que, s’ils ne t’avaient pas pris, tu allais passer par ici. Et nous avons compté sur notre valeur de disciples et d’hommes pour impressionner les mauvais et te faire respecter. »

      En effet, je vois autour de lui des anciens disciples de Gamaliel [1], le prêtre Jean, Nicolaï d’Antioche, Jean d’Ephèse et d’autres hommes vigoureux dans la fleur de l’âge, d’un air plus distingué que le commun. Je ne les connais pas, mais Manahen en présente rapidement quelques-uns. Ils arrivent de toutes les régions de Palestine et certains viennent de la cour d’Hérode Philippe [2]. Les noms des plus anciennes familles d’Israël [3] résonnent ainsi sur la route près du bosquet ébouriffé où le vent fait trembler les feuilles des mimosas et incline les rejetons des aubépines.

      578.2 « Allons. N’y a-t-il personne avec les femmes, chez Nikê ? demande Jésus.

      – Tous les bergers, excepté Jonathas, qui attend Jeanne dans son palais de Jérusalem. Mais le nombre de tes disciples a augmenté sans mesure. Hier, ils étaient environ cinq cents à attendre à Jéricho, tellement que les serviteurs d’Hérode en étaient impressionnés et l’avaient rapporté à leur maître. Et lui ne savait pas s’il fallait trembler ou sévir. Mais, obsédé comme il l’est par le souvenir de Jean-Baptiste, il n’ose plus lever la main sur aucun prophète [4]…

      – Bien ! Cela ne te fera pas de mal ! s’écrie Pierre en se frottant joyeusement les mains.

      – C’est celui qui a le moins d’importance, cependant. C’est une pâte molle que chacun peut manipuler à sa guise, et celui qui le tient sait le manœuvrer.

      – Mais qui le tient ? Pilate, peut-être ? demande Barthélemy.

      – Pilate n’a pas besoin d’Hérode pour agir. Hérode est un serviteur. Ce n’est pas aux serviteurs que s’adressent les puissants, répond Manahen.

      – Qui, alors ? reprend Barthélemy.

      – Le Temple, lance avec assurance un homme de la compagnie de Manahen.

      – Mais pour le Temple, Hérode est anathème. Son péché…

      – Tu es bien naïf, Barthélemy, malgré ta science et ton âge ! Tu ignores donc que le Temple sait passer sur beaucoup de choses, sur trop de choses, pour atteindre son but ? C’est pour cela qu’il n’est plus digne d’exister, s’exclame Manahen avec un geste de souverain mépris.

      – Tu es juif. Tu ne dois pas parler ainsi. Le Temple est toujours le Temple pour nous, déclare Barthélemy.

      – Non. C’est le cadavre de ce qu’il était. Et un cadavre devient une immonde charogne quand la mort remonte à un certain temps. C’est pour cela que Dieu a envoyé le Temple vivant : pour que nous puissions nous prosterner devant le Seigneur sans que ce soit une pantomime impure.

      578.3 – Tais-toi ! » susurre à Manahen un autre de ses compagnons [5], qui estime qu’il exprime trop ouvertement sa pensée.

      C’est l’un de ceux qui n’ont pas été présentés et qui reste entièrement couvert.

      « Pourquoi devrais-je me taire, si c’est ainsi que parle mon cœur ? Penses-tu que ce que je dis puisse nuire au Maître ? S’il en est ainsi, je me tairai, pas pour une autre raison. Même s’ils me condamnaient, je saurais dire : “ C’est mon opinion, ne châtiez pas d’autres personnes que moi. ”

      – Manahen a raison. Nous en avons assez de nous taire par peur. C’est le moment pour chacun de se prononcer pour ou contre, et de dire ce qu’il a sur le cœur. Je partage ton avis, mon frère en Jésus. Et si cela doit causer notre mort, nous mourrons ensemble en confessant encore la vérité, lance impétueusement Etienne.

      – Soyez prudents ! Soyez prudents ! » exhorte Barthélemy. « Le Temple est toujours le Temple. Il peut faillir, il n’est pas certainement parfait, mais il est… il est… Après Dieu, il n’y a personne de plus grand, et pas de forces plus grandes que le grand-prêtre et le Sanhédrin… Ils représentent Dieu, et nous devons considérer ce qu’ils représentent, non pas ce qu’ils sont. Je me trompe peut-être, Maître ?

      – Non, tu ne te trompes pas. Il faut savoir tenir compte de l’origine de toute constitution : en l’occurrence, c’est le Père éternel, qui a constitué le Temple et les hiérarchies, les rites et l’autorité des hommes préposés à le représenter. Il faut savoir remettre au Père le jugement. Lui sait quand et comment intervenir, comment veiller à ce que la propagation de la corruption n’atteigne pas tous les hommes et ne les fasse pas douter de Dieu… Manahen a su voir juste, en discernant la raison de ma venue à cette heure. Il faut enfin tempérer ton immobilisme, Barthélemy, par l’esprit novateur de Manahen, afin que la mesure soit juste, et par conséquent la façon de juger parfaite. Tout excès est toujours dommageable : pour celui qui l’accomplit, pour celui qui le subit, ou qui s’en scandalise et, si ce n’est pas une âme honnête, s’en sert pour dénoncer ses frères. Mais c’est là une action de Caïn, une œuvre de Ténèbres, les fils de la Lumière n’y participeront pas. »

      578.4 Emmitouflé dans son manteau au point qu’on distingue à peine ses yeux noirs, très vifs, l’homme qui a averti Manahen de ne pas trop parler s’agenouille auprès de Jésus et prend sa main en disant :

      « Tu es bon, Maître. Trop tard je t’ai connue, ô Parole de Dieu ! Mais il est encore temps de t’aimer comme tu le mérites, si ce n’est pour te servir longuement comme je l’aurais voulu, comme je le voudrais maintenant.

      – Il n’est jamais trop tard pour l’heure de Dieu. Elle vient au bon moment et le Seigneur accorde le temps qu’il faut pour servir la Vérité, selon sa volonté.

      – Mais de qui s’agit-il ? » murmurent les apôtres.

      C’est en vain qu’ils interrogent les disciples : personne ne connaît la réponse ou, si on la sait, on ne veut rien dire.

      « Qui est-ce, Maître ? demande Pierre quand il peut s’approcher de Jésus, qui marche au milieu du groupe et qui a les femmes derrière lui, les disciples devant, à ses côtés ses cousins et tout autour les apôtres.

      – Une âme, Simon, rien de plus que cela.

      – Mais… tu lui fais confiance sans savoir qui c’est ?

      – Je sais de qui il s’agit, et je connais son cœur.

      – Ah ! j’ai compris ! C’est comme pour la femme voilée de la Belle-Eau [6]… Je ne te poserai plus de question…»

      Et Pierre est heureux, car Jésus, s’éloignant de Jacques, le prend près de lui.

      578.5 Ils ont désormais atteint Jéricho. De la porte des murs jaillit la foule, une foule qui lance des hosannas, et c’est difficilement que Jésus peut avancer et traverser la ville, pour se rendre chez Nikê — car celle-ci habite hors de Jéricho, du côté opposé. On le supplie de prendre la parole. On tend les bébés à bout de bras pour en faire une haie vivante et infranchissable, en tablant sur l’amour de Jésus pour les petits. On crie : “ Tu peux parler. L’homme s’est déjà enfui à Jérusalem ” et, en disant ces mots, on montre du doigt le magnifique palais d’Hérode, maintenant fermé [7].

      Manahen confirme :

      « C’est vrai : il s’est éclipsé pendant la nuit, sans faire de bruit. Il a peur. »

      Mais rien n’arrête Jésus, qui avance en disant :

      « Paix ! Paix ! Que celui qui a des peines ou des douleurs vienne chez Nikê. Que celui qui veut m’entendre vienne à Jérusalem. Ici, je suis le Pèlerin, comme vous tous. C’est dans la maison du Père que je parlerai. Paix ! Paix et bénédiction ! Paix ! »

      C’est déjà un petit triomphe, un prélude à l’entrée à Jérusalem, désormais si proche.

      Je suis étonnée de l’absence de Zachée, jusqu’au moment où je l’aperçois, debout à la limite du domaine de Nikê, au milieu de ses amis [8] et en compagnie des bergers et des femmes disciples. Tous accourent à la rencontre de Jésus et se prosternent, puis l’escortent tandis que lui, les bénissant, entre par le verger et se dirige vers cette hospitalière demeure.



[1] Étienne et Hermas.

[2] Dans la dynastie des Iduméens fondée par Hérode le grand, il y a deux Philippe, tous les deux demi-frères de Hérode Antipas : Hérode Philippe, mari légitime de Hérodiade et père de Salomé. Celle-ci le quitta pour son demi-frère Hérode Antipas. On comprend l'animosité qui devait exister entre eux et qui explique peut-être la présence de courtisans ici. Philippe le Tétrarque qui épousa ultérieurement Salomé sa nièce. Ces mœurs complexes mais généralisées dans cette famille se comprennent mieux avec l'arbre généalogique.

[3] Parmi les nobles qui ont rejoint le Christ à l’instigation de Manahen, il y a Jude le sanhédriste, descendant des assidéens qui luttèrent contre Antiochus Épiphane, aux côtés de Judas Macchabée. Il y a aussi Eliel et Elcana, les frères de Jeanne de Chouza. Tous de sang royal.

[4] Comme beaucoup, la résurrection de Lazare a plongé Hérode Antipas dans la crainte, en particulier celle de voir Jean-Baptiste ressusciter pour l’accuser de son meurtre. Voir EMV 549.2.

[5] Jude le sanhédriste fait justement partie du Temple (le Sanhédrin), mais il est aussi disciple du Christ à la suite de Manahen.

[6] Aglaé : L’épisode auquel fait référence Pierre, se trouve en EMV 124.

[7] Hérode le Grand s’était fait construire un magnifique palais à Jéricho. Voir l’article sur le sujet et la reconstitution d’après un dessin de Victorio Lazzaro.


[8] À son image, Zachée a aggloméré autour de lui les réprouvés sur la voie de la rédemption : souteneur, usurier, publicain, …




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-039.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/rencontre-avec-des-disciples-et-des-hommes-de-valeur-conduits-par-manahen.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Jeu 13 Mai - 22:58

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

579. Des juifs inconnus rapportent les accusations reccueillies par le Sanhédrin. Une allégorie de Jérusalem

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 40.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 579.

Vision du samedi 15 mars 1947

Mercredi 27 mars 30
Jéricho


Vision de Maria Valtorta
      579.1 Dans les prés de Nikê, où les foins sèchent au soleil, une petite foule s’est assemblée. Deux lourds chars couverts attendent non loin. Je comprends la raison de cette attente, en voyant qu’on y conduit toutes les femmes disciples, et qu’elles y montent après que le Maître les a congédiées et bénies. La Vierge Marie part elle aussi avec les autres disciples, ainsi que le jeune berger d’Hennon ; des disciples nombreux se placent de chaque côté des chars et, quand ceux-ci s’ébranlent au pas lent des bœufs, les disciples se mettent en route eux aussi. Il ne reste dans les prés que les apôtres, Zachée et ses amis, ainsi qu’un petit groupe de personnages emmitouflés dans leurs manteaux, comme s’ils voulaient ne pas être reconnus.

      579.2 Jésus revient lentement sur ses pas, au milieu du pré, et il s’assied sur un tas de foin déjà à moitié sec qu’on portera bientôt au fenil. Il a l’air absorbé, et tous, en trois groupes distincts quelque peu distants de lui et l’un de l’autre, respectent sa concentration.

      Sa méditation se prolonge, et l’attente de même. Le soleil devient de plus en plus ardent et frappe le pré, qui dégage la bonne odeur des foins qui sèchent. Les gens se réfugient aux bords du pré, là où les derniers arbres du verger projettent une ombre rafraîchissante.

      Jésus reste seul, seul sous le soleil déjà fort, tout blanc dans son vêtement de lin et avec son couvre-chef de soie légère qui ondule doucement sous la brise. C’est peut-être celui que Syntica lui a brodé. D’une étable voisine vient un meuglement lent et plaintif, et un piaillement d’oisillons arrive des branches du verger et des aires : des oiseaux sans plumes et d’impertinents poulets. C’est la vie qui continue, en se renouvelant à chaque printemps. Les colombes tournoient dans le ciel d’un vol assuré et tranquille avant de revenir à leurs nids sous l’avant-toit. Je ne sais si cela provient d’une maison voisine ou de quelque champ, mais j’entends une voix de femme chantonner une berceuse, et la petite voix de l’enfant, d’abord perçante et tremblante, comme le bêlement d’un agnelet, baisse puis se tait… Insensible au soleil, Jésus réfléchit tant et plus, longuement.

      579.3 J’ai plusieurs fois remarqué la résistance exceptionnelle de Jésus à la rigueur des saisons. Je n’ai jamais compris s’il sentait fortement le chaud et le froid et s’il les supportait sans se plaindre par esprit de mortification, ou bien si, comme il domine les éléments déchaînés, il dominait aussi le froid ou la chaleur excessifs. Je l’ignore. Je sais que j’ai beau l’avoir vu complètement trempé sous les averses ou tout en sueur sous la canicule, je n’ai jamais remarqué chez lui de gestes le montrant incommodé par le froid ou la chaleur, et je ne l'ai jamais vu prendre ces mesures préventives que d’ordinaire l’homme prend contre les excès du soleil ou du gel.

      On m’a fait observer un jour qu’en Palestine on ne reste pas tête nue, et donc que je m’exprime mal quand je dis que la tête blonde de Jésus resplendit, découverte sous le soleil. Il est fort possible qu’en Palestine on ne puisse sortir tête nue. Je n’y suis pas allée, et je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que Jésus n’avait habituellement rien sur la tête. Et s’il a un couvre-chef au début de la marche, il l’enlève bien vite, comme s’il ne le supportait pas, et il le porte à la main, s’en servant principalement pour essuyer de son visage la poussière et la sueur. S’il pleut, il relève un pan de son manteau par-dessus sa tête. S’il y a du soleil, surtout s’il est en route, il cherche un peu d’ombre, même intermittente, pour s’abriter des rayons. Mais il est rare qu’il ait, comme aujourd’hui, un voile léger sur la tête.

      C’est une observation que certains pourront trouver inutile, mais cela aussi fait partie de ce que je vois, et j’en parle pendant que Jésus pense…

      579.4 « Cela va lui faire du mal, de rester là si longtemps ! s’écrie un homme qui n’appartient ni au groupe des apôtres ni à celui de Zachée.

      – Allons prévenir ses disciples… Et puis… je voudrais… Je voudrais ne pas trop m’attarder, répond un autre.

      – Eh Oui ! Les monts Adomin sont peu sûrs, la nuit… »

      Ils se dirigent vers les apôtres et discutent avec eux.

      « C’est bien. Je vais aller leur dire que vous voulez vous en aller, propose Judas.

      – Non, ce n’est pas cela. Nous voudrions être au moins à Ensémès avant le soir. »

      Judas s’éloigne en souriant ironiquement. Il se penche sur le Maître et lui dit :

      « Les juifs veulent être congédiés. Ils prétendent que c’est parce que le soleil peut te faire du mal… mais en vérité, c’est que cela peut leur porter tort, à eux, d’être trop visibles.

      – Je viens… Je réfléchissais… Ils ont raison. »

      Et Jésus se lève.

      « Tous, sauf moi… » bougonne Judas.

      Jésus le regarde en silence. Ils se dirigent ensemble vers ces hommes que Judas a appelés juifs.

      « Je vous avais déjà tous congédiés. Je vous l’ai dit hier. Je ne parlerai qu’à Jérusalem…

      – C’est vrai. Mais c’est que nous voudrions te parler, nous que… 579.5 Pourrions-nous te parler en particulier ?

      – Fais-leur ce plaisir. Ils ont peur de nous, ou de moi, plus particulièrement, insinue encore Judas avec son sourire de serpent.

      – Nous n’avons peur de personne. Si nous le voulions, nous saurions comment nous y prendre pour protéger notre tranquillité. Tout le monde n’est pas encore lâche en Palestine. Nous sommes des descendants des preux de David, et si tu n’es pas encore esclave et méprisé, tu dois rendre hommage à notre ascendance. Nous étions les premiers aux côtés du saint roi, les premiers aux côtés des Maccabées. Et les premiers maintenant encore, quand il s’agit de rendre honneur au Fils de David et de le conseiller. Parce que lui est grand. Mais toute personne, aussi grande qu’elle soit, peut avoir besoin d’un ami aux heures décisives de la vie, répond avec véhémence un homme dont le vêtement, tout de lin, y compris le manteau et le couvre-chef, laisse peu à découvert son visage sévère.

      – Il nous a, nous, pour amis. Nous le sommes depuis trois ans, depuis que vous…

      – Nous ne le connaissions pas. Trop de fois, nous avons été trompés par de faux messies pour croire facilement à celui qui prétend l’être. Mais les derniers événements nous ont éclairés. Ses œuvres viennent de Dieu, et nous l’appelons Fils de Dieu.

      – Et vous pensez qu’il a besoin de vous ?

      – Comme Fils de Dieu, non. Mais en tant qu’homme, oui. Il est venu pour être l’Homme, et un homme a toujours besoin de ses frères. Du reste, de quoi as-tu peur ? Pourquoi ne veux-tu pas que nous lui parlions ? Réponds-nous !

      – Moi ? Parlez, parlez donc ! Les pécheurs sont plus écoutés que les justes. » Jésus intervient :

      « Judas ! Je croyais que de telles paroles devraient te brûler les lèvres ! Comment oses-tu juger là où ton Maître ne juge pas ? Il est dit : “ Si vos péchés étaient comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme neige, et s’ils étaient vermeils comme la cochenille, ils deviendront blancs comme laine. ”

      – Mais tu ne sais pas que parmi eux…

      – Silence ! 579.6 A vous de parler.

      – Seigneur, nous le savons : l’accusation contre toi est prête. On t’accuse de violer la Loi et le sabbat, d’aimer les Samaritains plus que nous, de défendre les publicains et les prostituées, de recourir à Belzébuth et à d’autres forces des ténèbres, de pratiquer la magie noire, de haïr le Temple et de vouloir sa destruction, de…

      – Assez. Tout le monde peut accuser. Prouver une accusation est plus difficile.

      – Mais ils ont parmi eux des gens qui la soutiennent. Crois-tu donc qu’il y ait des justes parmi eux ?

      – Je vais vous répondre par les paroles de Job, qui est une figure du Patient que je suis : “ Bien loin de moi la pensée de vous estimer tous justes. Mais jusqu’à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence, je tiens à ma justice et ne la lâche pas ; en conscience, je n’ai pas à rougir de mes jours. ” Tout Israël peut en témoigner — car je ne me justifie pas moi-même, par des paroles qu’un menteur pourrait aussi bien dire — : j’ai toujours enseigné le respect de la Loi, et même davantage ; j’ai perfectionné l’obéissance à la Loi, et je n’ai pas violé les sabbats… 579.7 Que veux-tu dire ? Parle ! Tu as ébauché un geste, et tu t’es retenu. Parle ! »

      Un homme de ce petit groupe… mystérieux, répond :

      « Seigneur, à la dernière séance du Sanhédrin, on a lu une dénonciation contre toi. Elle venait de Samarie, d’Ephraïm où tu te trouvais, et elle disait tenir la preuve que tu avais violé le sabbat à de nombreuses reprises et…

      – Cette fois encore, je te réponds avec Job : “ Quel espoir reste-t-il à l’hypocrite, s’il vole par avarice, et que Dieu ne délivre pas son âme ? ” Ce malheureux se donne un visage, mais dissimule sous cette apparence un cœur différent, il veut commettre la grande exaction par jalousie de mon bien, mais il marche déjà sur la route de l’enfer. Il ne lui servira à rien d’avoir de l’argent, d’espérer des honneurs et de rêver de s’élever là où, moi, je n’ai pas voulu aller pour ne pas trahir le saint Décret. Mais nous occuperons-nous de lui autrement qu’en priant pour lui ?

      – Le Sanhédrin, pourtant, t’a ridiculisé en disant : “ Voilà quel est l’amour des Samaritains pour lui ! Ils l’accusent pour gagner nos bonnes grâces. ”

      – Mais êtes-vous sûrs que c’est bien une main samaritaine qui a écrit ces mots ?

      – Non. Mais la Samarie s’est montrée dure à ton égard, ces derniers temps…

      – Parce que les envoyés du Sanhédrin l’ont bouleversée et excitée par de mauvais conseils pour susciter des espérances folles, que j’ai dû briser. Du reste, il est dit, à propos d’Ephraïm et de Juda — mais on peut le dire de tout endroit, car changeant est le cœur de l’homme qui oublie les bienfaits reçus et cède aux menaces — : “ Votre amour est comme la nuée matinale, comme la rosée qui s’évapore au matin. ” Mais cela ne prouve pas que les Samaritains soient les accusateurs de l’Innocent. Un amour faussé les a lancés férocement contre moi, mais c’est un amour qui délire. 579.8 Quelle autre preuve vient à l’appui de l’accusation que je préfère les Samaritains ?

      – On t’accuse de toujours dire, tant tu les aimes : “ Ecoute, Israël ” au lieu de dire : “ Ecoute, Juda. ” Et que tu ne peux reprocher à Juda…

      – Vraiment ? La sagesse des rabbis s’égare-t-elle à ce point ? Ne suis-je pas le Germe de justice issu de David grâce auquel, comme le dit Jérémie, Juda sera sauvé ? Le prophète prévoit que Juda, Juda surtout, aura besoin de salut. Et ce Germe, dit toujours le prophète, sera appelé : le Seigneur, notre Juste, “ car, dit le Seigneur, jamais David ne manquera d’un descendant qui prenne place sur le trône de la maison d’Israël. ” Eh quoi ? Le prophète se serait-il trompé ? Etait-il ivre ? De quoi ? De pénitence et de rien d’autre, car, pour m’accuser, personne ne pourra soutenir que Jérémie ait été un noceur. Or il dit que le Germe de David sauvera Juda et s’assiéra sur le trône d’Israël. On dirait donc que, grâce à ses lumières, le prophète voit que l’élu sera Israël de préférence à Juda, que le Roi ira vers Israël, et que ce sera déjà une grâce si Juda obtient le salut seulement. Le Royaume sera-t-il donc appelé Royaume d’Israël ? Non, ce sera le Royaume du Christ, de celui qui réunit les parties séparées et reconstruit dans le Seigneur après avoir, selon l’autre prophète, en un mois — que dis-je en un mois ? — en moins d’un jour, jugé et condamné les trois faux pasteurs et leur avoir fermé mon âme : en effet, la leur m’était restée fermée et, bien qu’ils m’aient désiré en figure, ils n’ont pas su m’aimer en nature. Donc Celui qui m’envoie et m’a confié les deux houlettes, brisera l’une et l’autre, pour que la grâce soit perdue pour les cruels, et pour que le fléau provienne non plus du Ciel, mais du monde. Or rien n’est plus terrible que les fléaux que les hommes s’infligent mutuellement. Il en sera ainsi. Je serai frappé et les deux tiers des brebis seront dispersées. Un seul tiers du troupeau se sauvera et persévérera jusqu’à la fin. Et ce tiers passera par le feu que je traverse le premier ; il sera purifié et éprouvé comme l’argent et l’or, et c’est à lui qu’il sera dit : “ Tu es mon peuple ” ; alors il me répondra : “ Tu es mon Seigneur. ” Et il y aura quelqu’un qui aura pesé les trente deniers — le prix d’un acte horrible, un salaire infâme. Mais ces deniers ne pourront plus revenir à ceux dont ils proviendront, car même les pierres crieront d’horreur à la vue de cet argent, souillé par le sang de l’Innocent et par la sueur de l’homme, qui sera poursuivi par le plus atroce désespoir. Ils serviront, comme c’est écrit, à acheter aux esclaves de Babylone le champ pour les étrangers. Ah ! le champ pour les étrangers ! Savez-vous de qui il s’agit ? Des habitants de Juda et d’Israël, eux qui bientôt, et pour des siècles des siècles, n’auront plus de patrie. Et le sol même de ce qui fut leur terre ne voudra pas les accueillir. Il les vomira, même une fois qu’ils seront morts, parce qu’ils ont voulu rejeter la Vie. Horreur infinie !… »

      579.9 Jésus se tait, comme accablé, la tête inclinée. Puis il la relève, son regard fait un tour, il voit l’assistance : les apôtres, les disciples occultes, Zachée avec les siens. Il soupire comme s’il se réveillait d’un cauchemar, et dit :

      « Que disiez-vous d’autre ? Ah oui ! que l’on m’accuse d’aimer les publicains et les prostituées. C’est vrai. Ce sont des malades, des mourants. Moi qui suis la Vie, je me donne à eux en tant que vie. »

      Puis il ordonne à Zachée et à ses compagnons :

      « Venez, les rachetés de mon troupeau, et écoutez mon commandement. J’ai dit à beaucoup — et ils étaient plus blancs que vous — : “ Ne venez pas à Jérusalem. ” Mais à vous, je dis : “ Venez. ” Cela pourra paraître une injustice…

      – Et ce l’est, en effet » interrompt Judas.

      Jésus fait mine de ne rien entendre. Il continue à parler à Zachée et aux siens :

      « Mais je vous dis : venez, précisément parce que vous êtes des plantes qui ont plus besoin que d’autres de la rosée, pour que votre bonne volonté soit aidée par le Tout-Puissant et que désormais vous grandissiez librement dans la grâce. Sur le reste… le Ciel lui-même répondra par des signes qu’on ne saurait confondre. En vérité, le Temple vivant pourra être détruit et reconstruit en trois jours, et pour l’éternité. Mais le Temple mort, qui sera seulement ébranlé et croira avoir vaincu, périra pour ne plus se relever. Allez ! Et n’ayez pas peur. Attendez mon Jour en faisant pénitence, et son aurore vous conduira définitivement à la Lumière » dit-il en s’adressant aux hommes couverts de leurs manteaux.

      Il se tourne ensuite vers Zachée :

      « Allez-y vous aussi, mais pas maintenant. Soyez à Jérusalem à l’aube du lendemain du sabbat. Je veux que ceux qui ont été relevés se tiennent à côté des justes, car il y a, dans le Royaume du Christ, un nombre infini de places, autant que d’hommes de bonne volonté. »

      Après cela, il se dirige vers la maison de Nikê en traversant le verger touffu et ombreux.

      579.10 Un petit sentier forme un ruban jaunâtre au milieu de la verdure du sol. Une poule qui caquette le franchit, suivie de ses poussins couleur d’or. Tremblante devant tant d’inconnus, la mère se blottit et étend ses ailes pour les défendre, en caquetant plus fort, par crainte de quelque piège pour ses petits, et eux, avec un pépiement qui s’éteint quand ils sont en sécurité, accourent se cacher dans la plume maternelle, et semblent ne plus exister…

      Jésus s’arrête pour la contempler… Des larmes coulent sur ses joues.

      « Il pleure ! Pourquoi donc ? Il pleure ! » murmurent les apôtres, les disciples, les pécheurs rachetés, tous…

      Pierre souffle à Jean :

      « Demande-lui ce qui le fait pleurer… »

      Et Jean, dans son attitude habituelle, un peu penché par respect, interroge Jésus en le regardant par en dessous :

      « Pour quelle raison pleures-tu, mon Seigneur ? Peut-être à cause de ce que l’on t’a rapporté et de ce que tu nous as dit ? »

      Jésus se secoue. Il a un sourire triste et montre la poule qui continue à protéger amoureusement ses petits :

      « Moi, qui suis un avec mon Père, j’ai vu Jérusalem nue et honteuse, comme Ezéchiel la décrit. Je suis passé près d’elle et, une fois venu le temps de mon amour, j’ai étendu mon manteau sur elle et j’ai couvert sa nudité. Je voulais faire d’elle une reine après avoir été pour elle un père, et la protéger comme cette poule ses petits… Mais alors que les poussins sont reconnaissants à leur mère des soins qu’elle leur donne et se réfugient sous ses ailes, Jérusalem repousse mon manteau… Mais je maintiendrai mon dessein d’amour… Moi… Mon Père, ensuite, agira selon sa volonté. »

      Marchant dans l’herbe pour ne pas déranger la poule, Jésus passe. Des larmes coulent encore sur son visage pâle et affligé.

      Tous l’imitent en le suivant et en bavardant jusqu’au seuil de la maison de Nikê. Jésus y entre seul avec les apôtres, tandis que les autres retournent à leurs occupations…




Remarques de l'épisode




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-040.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/une-allegorie-de-jerusalem.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Ven 14 Mai - 23:43

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

580. Délation de Judas et prophéties sur Israël. Miracles sur la route de Jéricho à Béthanie.

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 41.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 580.

Vision du lundi 17 mars 1947

Jeudi 28 mars 30
Jéricho


580.1 L’aube nuance à peine sa pureté d’une première teinte rosé. Le frais silence de la campagne disparaît de plus, remplacé par les trilles des oiseaux réveillés.

Jésus sort le premier de la maison de Nikê, pousse silencieusement la porte et se dirige vers le verger tout vert où s’égrènent les notes limpides des mésanges et où les merles sifflent comme des flûtes.

Mais il est encore en chemin quand quatre personnes s’avancent vers lui. Ils faisaient partie du groupe inconnu d’hier, et étaient de ceux qui n’avaient pas découvert leur visage. Ils se prosternent jusqu’à terre, et se redressent lorsque Jésus leur enjoint de se relever et leur demande :

« Que voulez-vous de moi ? »

Alors ils rejettent leurs manteaux et leurs couvre-chefs de lin dans lesquels ils avaient gardé caché leur visage, comme des Bédouins.

Je reconnais celui, pâle et maigre, du scribe Joël, fils d’Abias, vu dans la vision de Sabéa. Les autres me sont inconnus jusqu’à ce qu’ils se présentent :

« Je suis Judas de Béteron, le dernier des vrais Hassidéens [1], amis de Mattathias l’Hasmonéen [2].

– Moi, Eliel, et mon frère Elqana de Bethléem de Juda, frères de Jeanne, ton amie disciple, et il n’y a pas pour nous de titre plus grand. Si nous étions absents quand tu étais fort, nous sommes présents maintenant que tu es persécuté.

– Et moi je suis Joël, fils d’Abias [3], aux yeux si longtemps aveugles, mais maintenant ouverts à la Lumière.

– Je vous avais déjà congédiés. Qu’attendez-vous de moi ?

– Nous voulons te dire que… si nous sommes restés couverts, ce n’est pas à cause de toi, mais… commence Eliel.

– Allons, parlez !

– Mais… Vas-y, Joël, c’est toi le mieux informé…

580.2 – Seigneur… Ce que je sais est tellement… horrible… Je voudrais que même les pierres ne l’apprennent pas, n’entendent pas ce que je vais te révéler…

– Les pierres tressailliront, mais pas moi, car je sais ce que tu veux dire. Mais parle quand même…

– Si tu le sais… permets que mes lèvres ne frémissent pas en te rapportant cette horreur. Bien sûr, je ne pense pas que tu mentes en prétendant savoir parce que tu veux que je le révèle pour l’apprendre, mais c’est vraiment parce que…

– Oui, parce que cela crie vers le Seigneur. Mais je vais le dire, pour vous convaincre tous que je connais le cœur des hommes. Toi qui es membre du Sanhédrin et acquis à la vérité, tu as découvert un fait que, en raison de son importance, tu n’as pas su porter tout seul. Et tu es allé trouver de vrais juifs à l’âme foncièrement bonne, pour leur demander conseil. Tu as bien fait, même si cela ne sert à rien. Le dernier des Hassidéens serait prêt à réitérer le geste de ses pères pour servir le vrai Libérateur, et il n’est pas le seul. Son parent Barzillaï [4] en ferait autant, comme beaucoup d’autres. Et les frères de Jeanne, par amour pour moi, pour leur sœur et pour leur patrie, seraient avec lui. Mais ce n’est pas grâce aux lances et aux épées que je triompherai. Entrez complètement dans la Vérité. Mon triomphe sera céleste.

580.3 Joël, ce qui te rend encore plus pâle et plus émacié que d’habitude, c’est que tu connais l’homme qui a présenté les charges contre moi [5]. Ces charges, si elles sont fausses dans leur esprit, sont vraies dans la matérialité des mots : j’ai réellement violé le sabbat quand j’ai dû m’enfuir — mon heure n’était pas encore venue —, et quand j’ai arraché des innocents aux voleurs. Je pourrais dire que la nécessité justifie l’acte comme la nécessité a justifié David de s’être nourri de pains d’oblation. En vérité, je me suis réfugié en Samarie, même si — mon heure étant venue et ayant reçu la proposition des Samaritains de rester chez eux comme pontife — j’ai refusé les honneurs et la sécurité pour demeurer fidèle à la Loi, bien que cela entraîne pour moi d’être livré à mes ennemis. Il est vrai que j’aime les pécheurs et les pécheresses au point de les arracher au péché. Il est vrai que j’annonce la ruine du Temple, même si mes paroles en tant que Messie se bornent à confirmer ce que les prophètes ont annoncé. L’homme qui fournit ces accusations — comme bien d’autres — et trouve un motif d’accusation dans les miracles eux-mêmes, cet homme qui a utilisé tous les moyens possibles sur terre pour essayer de m’entraîner au péché et pour pouvoir ajouter d’autres accusations aux premières, celui-là est un de mes amis. Cela aussi a été dit par le roi prophète [6], dont je descends par ma Mère : “ Celui qui mangeait mon pain a levé contre moi son talon. ” [7] Je le sais. Je ne puis l’empêcher de commettre ce crime : désormais… sa volonté s’est donnée à la Mort, or Dieu ne viole pas la liberté de l’homme. Mais je voudrais qu’au moins… qu’au moins le repentir déchirant de l’horreur qu’il aura accomplie le jette aux pieds de Dieu… Je donnerais volontiers deux fois ma vie dans ce but ! C’est pour cela que toi, Judas de Béteron, tu as averti hier Manahen de se taire, car le serpent était présent et pouvait nuire au disciple en même temps qu’au Maître. Non : seul le Maître sera frappé. Ne craignez rien. Ce ne sera pas à cause de moi que vous souffrirez peines et malheurs. Mais c’est en raison du crime de tout un peuple, que vous aurez tous à vivre ce qui a été prédit par les prophètes.

580.4 Ma malheureuse patrie ! Malheureuse terre, qui subira le châtiment de Dieu ! Malheureux habitants et enfants que je bénis maintenant et que je voudrais sauver mais qui, bien qu’innocents, connaîtront, une fois adultes, la morsure du plus grand malheur. Regardez votre terre prospère, belle, verte et fleurie comme un merveilleux tapis, fertile comme un Eden… Imprimez sa beauté dans votre cœur, puis… quand je serai retourné là d’où je suis venu… fuyez ! Fuyez tant qu’il vous sera possible de le faire avant que, comme un rapace infernal, la désolation de la ruine ne se répande ici, et abatte, détruise, dessèche et brûle, plus qu’à Gomorrhe, plus qu’à Sodome… Oui, plus brutalement que dans ces deux villes, où il n’y eut qu’une mort rapide. Ici… Joël, te souviens-tu de Sabéa [8] ? Elle a prophétisé une dernière fois l’avenir du Peuple de Dieu qui n’a pas voulu du Fils de Dieu. »

Les quatre hommes sont abasourdis. La peur de l’avenir les rend muets. Finalement Eliel demande :

« C’est ce que tu nous conseilles ?…

– Oui. Partez. Plus rien ici ne vaudra la peine de retenir les fils du peuple d’Abraham. Et d’ailleurs, vous spécialement, les notables, on ne vous laissera pas en place… Les puissants, faits prisonniers, embellissent le triomphe du vainqueur. Le Temple nouveau et immortel emplira de lui-même la terre, et tout homme qui me cherchera me possédera, car je serai partout où un cœur m’aime. Allez. Eloignez vos femmes, vos enfants, les veillards… Vous m’offrez salut et aide. Je vous conseille de vous sauver, et je vous aide par ce conseil… Ne le méprisez pas.

– Mais… en quoi Rome peut-elle nous nuire davantage qu’aujourd’hui ? Ils sont nos maîtres. Et si sa loi est dure, il est vrai aussi que Rome a reconstruit les maisons et les villes…

– En vérité, sachez-le, en vérité pas une seule pierre de Jéru­salem ne demeurera intacte. Le feu, les béliers, les frondes et les javelots démoliront, saccageront, bouleverseront toutes les maisons, et la cité sacrée deviendra une caverne… et pas elle seule… Une caverne, notre patrie [9] ! Elle servira de pâture pour les ânes sauvages et les lamies, comme l’annoncent les prophètes [10], et non non pas pour une ou plusieurs années, ou pour des siècles, mais pour toujours. Désert, terres brûlées, stérilité… Voilà le sort de ces terres ! Champ de querelles, lieu de torture, rêves de reconstruction toujours détruits par une condamnation inexorable, tentatives de résurrection éteintes dès leur naissance. Voilà le sort de la terre qui a repoussé le Sauveur et voulu une rosée qui est feu sur les coupables.

580.5 – Il n’y aura donc plus… plus jamais de royaume d’Israël ? Nous ne serons jamais plus ce dont nous rêvions ? » demandent d’une voix angoissée les trois notables juifs.

Le scribe Joël pleure…

« Avez-vous jamais observé un vieil arbre dont la mœlle est détruite par la maladie ? Pendant des années, il végète péniblement, si péniblement qu’il ne donne ni fleurs ni fruits. Seules quelques rares feuilles sur les branches épuisées indiquent qu’il monte un peu de sève… Puis, par un beau mois d’avril, le voilà qui fleurit miraculeusement et se couvre de feuilles nombreuses. Le maître s’en réjouit, lui qui, pendant tant d’années, l’a soigné sans obtenir de fruits. Il se frotte les mains en s’imaginant que l’arbre est guéri et redevient productif après tant d’épuisement… Quelle erreur ! Après une explosion si exubérante de vie, voilà la mort subite. Les fleurs tombent, tout comme les feuilles et les petits fruits qui semblaient déjà se nouer sur les branches et promettre une récolte abondante, puis dans un craquement inattendu, l’arbre, pourri à la base, s’effondre sur le sol. C’est ce qui arrivera à Israël. Après avoir végété pendant des siècles sans donner de fruits, dispersé, il se rassemblera sur le vieux tronc et aura une apparence de reconstruction. Le peuple dispersé sera enfin réuni. Réuni et pardonné. Oui. Dieu attendra cette heure pour arrêter le cours des siècles. Il n’y aura plus de siècles alors, mais l’éternité. Bienheureux ceux qui, pardonnés, formeront la floraison fugace du dernier Israël, devenu, après tant de siècles, le domaine du Christ, et qui mourront rachetés, en même temps que tous les peuples de la terre. Bienheureux aussi ceux qui auront, non seulement connu mon existence, mais embrassé ma Loi, comme une loi de salut et de vie.

580.6 Mais j’entends les voix de mes apôtres. Partez avant qu’ils n’arrivent…

– Ce n’est pas par lâcheté, Seigneur, que nous cherchons à rester inconnus, mais pour pouvoir te servir. Si on savait que nous, moi surtout, nous sommes venus te trouver, nous serions exclus des délibérations… explique Joël.

– Je comprends. Mais faites attention, car le serpent est rusé. Toi, spécialement, Joël, sois prudent…

– Ah ! ils me tueraient ! Je préférerais ma mort à la tienne ! Et ne pas voir les jours dont tu parles ! Bénis-moi, Seigneur, pour me fortifier…

– Je vous bénis tous au nom du Dieu un et trine, et au nom du Verbe qui s’est incarné afin d’être le salut pour les hommes de bonne volonté. »

Il les bénit collectivement d’un large geste, puis pose la main sur la tête inclinée de chacun d’eux, agenouillé à ses pieds.

Alors les quatre hommes se relèvent, se couvrent de nouveau le visage, et se cachent parmi les arbres du verger et les haies de mûres qui séparent les poiriers des pommiers, et ceux-ci des autres arbres. Il était temps, car les douze apôtres sortent en groupe de la maison à la recherche du Maître, pour se mettre en route.

580.7 Pierre dit :

« Devant la maison, du côté de la ville, il y a une foule de gens que nous avons eu du mal à retenir pour te laisser prier tranquillement. Ils veulent te suivre. Aucun de ceux que tu avais congédiés n’est parti. Au contraire, beaucoup sont revenus sur leurs pas, et d’autres sont arrivés. Nous les avons réprimandés…

– Pourquoi ? Laissez-les me suivre ! Si tous en faisaient autant ! Partons ! »

Et Jésus, après s’être ajusté le manteau que Jean lui présente, se met à la tête des siens, rejoint la maison, la longe, prend la route qui mène à Béthanie et entonne à haute voix un psaume. Une vraie foule, avec en tête les hommes, puis les femmes et les enfants, le suit, chantant avec lui…

La ville dans son enceinte de verdure s’éloigne. La route est parcourue par de nombreux pèlerins. Sur le côté, une troupe de mendiants élève ses plaintes pour émouvoir les passants et obtenir davantage d’aumônes. Ils sont estropiés, manchots, aveugles… C’est la misère habituelle qui, de tout temps et en tout pays, a coutume de se retrouver là où une festivité provoque des rassemblements.

Et si les aveugles ne voient pas qui est Celui qui passe, les autres le savent et, connaissant la bonté du Maître pour les pauvres, crient encore plus fort qu’à l’ordinaire pour attirer l’attention de Jésus. Ils ne demandent pas de miracle, seulement une obole, et c’est Judas qui la donne.

580.8 Une femme de condition aisée arrête l’âne, sur lequel elle était en selle, près d’un arbre robuste qui ombrage un carrefour, et elle attend Jésus. A son approche, elle glisse de sa monture et se prosterne, non sans mal, car elle tient dans les bras un petit enfant absolument inerte. Elle le soulève sans mot dire. Ses yeux prient et expriment toute sa peine. Mais Jésus est entouré de gens qui forment une haie, et il ne voit pas la pauvre mère agenouillée au bord de la route. Un homme et une femme, qui semblent accompagner la mère affligée, s’adressent à elle :

« Il n’y a rien pour nous » dit l’homme en secouant la tête.

Et la femme :

« Maîtresse, il ne t’a pas vue. Appelle-le avec foi, il t’exaucera. »

La mère l’écoute, et elle crie à haute voix pour dominer le brouhaha des chants et des pas :

« Seigneur, pitié pour moi ! »

Jésus, qui est déjà quelques mètres plus loin, s’arrête et se retourne pour chercher qui a crié, et la servante insiste :

« Maîtresse, il te cherche. Lève-toi donc et va le trouver, et Fabia sera guérie. »

Puis elle l’aide à se mettre debout pour la conduire vers le Seigneur, qui dit :

« Que celui qui m’a appelé vienne à moi. C’est le temps de la miséricorde pour qui sait espérer en elle. »

Les deux femmes se fraient un passage, d’abord la servante pour ouvrir le chemin à la mère, puis la mère elle-même. Elles sont sur le point de rejoindre Jésus, quand une voix s’élève :

« Mon bras perdu ! Regardez ! Béni soit le Fils de David, notre vrai Messie, toujours puissant et saint ! »

Il se produit un vrai remue-ménage, car plusieurs se retournent, et la foule subit un brassage, un mouvement de vagues opposées autour de Jésus. Tout le monde veut savoir et voir… On interroge un vieillard qui agite son bras droit comme un drapeau et qui répond :

« Il s’était arrêté. J’ai réussi à saisir un pan de son manteau et à m’en couvrir, et mon bras mort a été parcouru comme par un feu et une vie… et voilà : le droit est redevenu comme le gauche. Il m’a suffi de toucher son vêtement ! »

580.9 Jésus, pendant ce temps, interroge la femme :

« Que désires-tu ? »

La femme tend son enfant :

« Elle aussi a droit à la vie. Elle est innocente. Elle n’a pas demandé à être d’un lieu ou d’un autre, d’un sang ou d’un autre. C’est moi la coupable. C’est à moi d’être punie, pas à elle.

– Espères-tu que la miséricorde de Dieu soit plus grande que celle des hommes ?

– J’ai confiance, Seigneur. Je crois. Pour moi et pour mon enfant à qui, j’espère, tu rendras la pensée et le mouvement. On dit que tu es la Vie… »

Elle fond en larmes.

« Je suis la Vie, et celui qui croit en moi aura la vie de l’esprit et des membres. Je veux ! »

Après avoir crié ces mots d’une voix forte, Jésus abaisse sa main sur l’enfant inerte qui a un frémissement, un sourire, un mot :

« Maman !

– Elle bouge ! Elle sourit ! Elle a parlé ! Fabius ! Maîtresse ! »

Les deux femmes ont suivi les phases du miracle et les ont annoncées à haute voix ; elles ont appelé le père, qui s’est frayé un passage à travers la foule et qui a rejoint les femmes quand déjà elles pleurent de joie aux pieds de Jésus, et pendant que la servante s’écrie :

« Je t’avais bien assuré qu’il a pitié de tous ! »

La mère reprend :

« Maintenant, pardonne-moi aussi mon péché.

– Le Ciel ne te montre-t-il pas, par la grâce qu’il t’a accordée, que ton erreur est pardonnée ? Lève-toi et marche dans la vie nouvelle avec ta fille et l’homme que tu as choisi. Va ! Paix à toi, femme, paix à toi aussi, fillette, enfin à toi, fidèle israélite. Qu’une grande paix descende sur toi, en raison de ta fidélité à Dieu et à la fille de la famille que tu as servie et qu’avec ton cœur tu as tenue proche de la Loi. Et paix aussi à toi, homme, qui t’es montré plus respectueux envers le Fils de l’homme que beaucoup en Israël. »

Il prend congé, pendant que la foule, après avoir quitté le vieillard, s’intéresse au nouveau miracle accompli sur la fillette paralysée et simple d’esprit, peut-être à la suite d’une méningite, et qui maintenant saute joyeusement en répétant les seuls mots qu’elle sache, ceux que peut-être elle savait avant de tomber malade, et qu’elle retrouve intacts dans son esprit qui s’est réveillé :

« Papa, maman, Elise ! Le beau soleil ! Les fleurs !… »

580.10 Jésus fait mine de partir, mais du carrefour désormais dépassé, près des ânes laissés là par les miraculés, deux autres cris lamentables s’élèvent avec la cadence caractéristique des Hébreux :

« Jésus, Seigneur ! Fils de David, aie pitié de moi ! »

La foule vocifère :

« Taisez-vous, laissez passer le Maître. La route est longue, et le soleil frappe de plus en plus fort. Il faut qu’il puisse arriver sur les collines avant la chaleur.»

Mais ils reprennent d’autant plus fort :

« Jésus, Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi. »

Jésus s’arrête de nouveau :

« Allez chercher ceux qui crient, et amenez-les-moi. »

Des volontaires s’en vont. Ils rejoignent les deux aveugles, et leur disent :

« Venez. Il a pitié de vous. Levez-vous, car il veut vous exaucer. Il nous a envoyés vous appeler en son nom. »

Et ils cherchent à conduire les deux aveugles à travers la foule.

Mais, si l’un se laisse faire, l’autre, plus jeune et peut-être plus croyant, prévient le désir des volontaires et s’avance seul, avec son bâton qu’il pointe en avant, le sourire et l’attitude caractéristiques des aveugles sur leur visage levé pour chercher la lumière. On pourrait croire que son ange gardien le guide, tant sa marche est rapide et assurée. S’il n’avait pas les yeux blancs, il ne semblerait pas aveugle. Il arrive le premier devant Jésus, qui l’arrête :

« Que veux-tu que je fasse pour toi ?

– Que je voie, Maître ! Seigneur, fais que mes yeux et ceux de mon camarade s’ouvrent. »

L’autre aveugle étant arrivé, on le fait s’agenouiller à côté de son compagnon.

Jésus pose les mains sur leurs visages levés et dit :

« Qu’il soit fait comme vous le demandez. Allez ! Votre foi vous a sauvés ! »

Quand il retire ses mains, deux cris jaillissent de la bouche des aveugles :

« Je vois, Uriel !

– Je vois, Bartimée ! »

Puis, ensemble :

« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit celui qui l’a envoyé ! Gloire à Dieu ! Hosanna au Fils de David ! »

Et ils se jettent tous deux à terre, le visage au sol, pour baiser les pieds de Jésus. Ensuite, les deux miraculés se lèvent, et celui qui s’appelle Uriel annonce :

« Je vais me montrer à mes parents, puis je reviens te suivre, Seigneur. »

De son côté, Bartimée déclare :

« Moi, je ne te quitte pas. Je vais envoyer quelqu’un pour les prévenir. Ce sera toujours une joie pour eux. Mais me séparer de toi, non ! Tu m’as donné la vue, je te consacre ma vie. Aie pitié du désir du dernier de tes serviteurs.

– Viens et suis-moi. La bonne volonté rend égales toutes les conditions, et seul est grand celui qui sait le mieux servir le Seigneur. »

Alors Jésus reprend sa marche au milieu des louanges de la foule, auxquels Bartimée se joint, criant hosanna avec les autres, et disant :

« J’étais venu pour obtenir du pain, et j’ai trouvé le Seigneur. J’étais pauvre, maintenant je suis ministre du Roi saint. Gloire au Seigneur et à son Messie ! »




[1] Hassidéen : Les Hassidéens (de l’hébreu Hassidim, « Intègres » ou « Pieux ») ou Assidéens (du grec Assidaioi) étaient un groupe de Juifs pieux qui commença à jouer un rôle important dans la vie politique au cours de la crise maccabéenne, bien qu’il ait existé depuis plus longtemps. Ils rejoignirent la révolte des Maccabées lancée par "Mattathias l'Asmonéen" (1 Macchabées 2, 42-48) sans toutefois faire totalement allégeance.
Les livres des Maccabées ne les mentionnent que trois fois. Les Hassidéens étaient des ascètes fortement religieux, appliquant la Loi de façon stricte, et aimant le calme ; la secte qu’ils auraient fondée possédait un pouvoir et une autorité considérables parmi le peuple, et aurait été entraînée dans la rébellion contre Antiochus, qui aboutit aux guerres hasmonéennes.
Les Hassidéens seraient donc devenus la force d’impulsion maîtresse dans la lutte juive pour l’indépendance. Ils donnèrent ultérieurement naissance à deux courants religieux : les pharisiens et les esséniens.

[2] Les hasmonéens sont la dynastie issue de Simon Maccabée. Ils régnèrent jusqu’à ce que les Iduméens d’Hérode le grand les supplantent. Voir l’arbre généalogique.

[3] Abia était le petit-fils du roi Salomon. Il régna, pendant 3 ans, après son père Roboam. Il eut une nombreuse descendance : 14 épouses, 22 fils et 16 filles. Il est mentionné par Matthieu dans la généalogie de Jésus (Matthieu 1, 7).

[4] Barzillaï le galaadite était un riche personnage qui aida David dans sa lutte contre Absalom. Âgé de 80 ans, il se retira, son devoir fait, plutôt que de profiter des largesses du roi (cf. 2 Samuel 19, 32-40). Il s’agit ici peut-être d’un de ses descendants.

[5] Judas, le disciple, ancien fonctionnaire du Temple.

[6] David. Jésus ne tient son sang royal que d’une seule personne : sa mère.

[7] Psaume 41, 9.

[8] Cf. EMV 525.

[9] Le feu, les béliers… après la révolte juive, les armées de Titus assiégèrent Jérusalem. La famine décima une large partie de la population. Les Romains prirent la ville en septembre 70 et la pillèrent. Ils brûlèrent le Temple et y installèrent une statue de Jupiter, envoyèrent le trésor et les objets sacrés à Rome, puis rasèrent la ville. Les survivants furent vendus comme esclaves ou servirent aux jeux du cirque, et les meneurs, dont Jean de Giscala, furent emmenés comme prisonniers à Rome et furent exhibés lors du triomphe de Titus. Jésus fait allusion à cet épisode en EMV 590.8.

[10] Onagre ou âne sauvage. Lamie (lamia dans la Vulgate) autrement appelée Lilit (Osty) ou spectre des nuits (Crampon) est un démon femelle. Lamiae est traduit aussi par chacals dans Lamentations 4,3. Ils sont évoqués en Isaïe 32, 14 | Isaïe 34, 14 | Jérémie 14, 6 | Lamentations 4.3.





SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-041.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/deux-aveugles-a-jericho.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Dim 16 Mai - 8:47

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

581. A Béthanie, chez Lazare

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 42.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 581.

Vision du mardi 18 mars 1947

Jeudi 28 mars 30
Béthanie


      581.1 Ils doivent s’être arrêtés à mi-chemin entre Jéricho et Béthanie car, à leur arrivée aux premières maisons de Béthanie, la rosée finit de s’évaporer sur les feuilles et les herbes des prés, et le soleil gravit encore la voûte du ciel.

      Les agriculteurs de l’endroit jettent leurs outils et accourent autour de Jésus qui passe en bénissant hommes et plantes, comme on le lui demande avec insistance. Des femmes et des enfants arrivent avec les premières amandes, encore enveloppées dans la peluche vert argent de leur brou, et avec les dernières fleurs des arbres fruitiers dont la floraison est plus tardive [1]. J’observe pourtant que, dans la région de Jérusalem, nombreux sont encore les arbres fruitiers qui forment des touffes de couleur blanc rosé suspendues comme des nuées légères au-dessus de la verdure des prés. Peut-être est-ce dû à l’altitude, ou à cause des vents qui soufflent des sommets les plus hauts de Judée, ou pour je ne sais quelle autre raison, si ce n’est même à cause des variétés différentes. Sous les troncs élevés, palpitent, comme de grands papillons d’une émeraude précieuse, les feuilles tendres des sarments raboteux attachés à la vigne par des fils solides.

      581.2 Jésus s’arrête à la fontaine qui marque l’endroit où la campagne se transforme déjà en petite ville, et reçoit là les hommages de Béthanie presque tout entière. A ce moment accourt Lazare avec ses sœurs, et ils se prosternent devant leur Seigneur. Bien qu’il n’y ait qu’un peu plus de deux jours que Marie a quitté son Maître, on dirait qu’il y a des siècles qu’elle ne l’a pas vu, tant elle ne se lasse pas de baiser ses pieds poussiéreux dans ses sandales.

      « Viens, mon Seigneur, la maison t’attend pour avoir la joie de ta présence » dit Lazare en venant marcher lentement à côté de Jésus, autant que les gens le leur permettent.

      En effet, ils se pressent autour de lui, les enfants s’accrochent aux vêtements de Jésus et avancent la tête tournée vers lui, de sorte qu’ils trébuchent et font buter les autres. Aussi Jésus en premier, puis Lazare et les apôtres prennent-ils dans leurs bras les plus petits pour pouvoir marcher plus vite.

      A l’endroit où une allée mène à la maison de Simon le Zélote, se trouvent Marie avec sa belle-sœur, Salomé et Suzanne. Jésus s’arrête pour saluer sa Mère, puis il poursuit jusqu’au large portail grand ouvert où se tiennent Maximin, Sarah, Marcelle, et derrière eux les nombreux serviteurs de Lazare, à commencer par ceux de la maison, pour finir par les paysans. Tous ont l’air soignés, joyeux, excités, leur bonheur éclate en hosannas, et ils agitent couvre-chefs et voiles. On lance des fleurs et des feuilles de myrte, de laurier, de roses et de jasmins dont les superbes corolles resplendissent au soleil ou se répandent comme autant de blanches étoiles sur la terre brunâtre. Une odeur de fleurs effeuillées et de feuilles aromatiques écrasées sous les pieds s’élève du sol chauffé par le soleil. Jésus passe sur ce tapis parfumé.

      Marie de Magdala, qui le suit en regardant le sol, se penche, pas à pas — on dirait une glaneuse qui suit celui qui attache les gerbes —, pour ramasser les feuilles et les corolles, et même les pétales que Jésus a foulés de son pied.

      Maximin, afin de pouvoir fermer le portail et laisser un peu de paix aux hôtes, fait distribuer aux enfants des friandises déjà prêtes. C’est une manière commode d’écarter du Seigneur les enfants et de pouvoir les éloigner sans susciter des chœurs de réclamations. Les serviteurs exécutent l’ordre en portant à l’extérieur, sur le chemin, des paniers remplis de petites fouaces décorés d’une amande blonde.

      581.3 Pendant que les petits s’attroupent là, d’autres serviteurs repoussent les adultes, parmi lesquels se trouvent encore Zachée et les quatre hommes de Jéricho : Joël, Judas, Eliel et Elqana. D’autres personnes sont présentes, mais j’ignore de qui il s’agit, car toutes restent voilées à cause de la poussière du chemin, que soulève un vent qui souffle par rafales, et en raison du soleil, déjà fort.

      Mais Jésus, qui est déjà très en avant, se retourne et dit :

      « Un instant ! Je dois parler à quelqu’un. »

      Il se dirige vers les frères de Jeanne et les prend à part pour leur confier :

      « Je vous prie d’aller chez Jeanne et de lui demander de venir me trouver avec les femmes qui l’accompagnent, et avec Annalia, la femme disciple d’Ophel. Qu’elle vienne demain, car au coucher du soleil commencera le sabbat, et je veux le passer avec tous mes amis de Béthanie. Soyez en paix.

      – Nous l’avertirons, Seigneur, et Jeanne viendra. »

      Jésus les congédie et passe à Joël :

      « Tu préviendras Joseph et Nicodème de mon arrivée, et tu leur diras que, le lendemain du sabbat, j’entrerai dans la ville.

      – Fais attention, Seigneur ! s’exclame le scribe, qui est bon et qui s’angoisse.

      – Va, et sois courageux. Un homme qui suit la justice et croit en ma vérité ne doit pas trembler. Il doit se réjouir au contraire, car l’accomplissement de la promesse d’autrefois est venu.

      – Ah ! moi, je m’enfuirai de Jérusalem, Seigneur. Je suis un homme de faible constitution, tu le vois et, tu le sais, je suis méprisé pour cette raison. Je ne pourrais voir des… des…

      – Ton ange gardien te conduira. Va en paix.

      – Te… te verrai-je encore, Seigneur ?

      – Bien sûr, tu me verras encore. Mais en attendant de me revoir, pense que ton amour m’a donné beaucoup de joie aux moments de souffrance. »

      Joël prend la main que Jésus avait posée sur son épaule et la presse contre ses lèvres ; à travers le voile fin de son couvre-chef, baisers et larmes descendent sur la main de Jésus, puis il s’éloigne.

      Jésus va alors trouver Zachée :

      « Où sont les tiens ?

      – Ils sont autour de la fontaine, Seigneur. Je leur ai demandé de rester là.

      – Va les rejoindre, et rends-toi avec eux à Bethphagé où se trouvent mes disciples les plus anciens et les plus fidèles. Demande à Isaac, leur chef, de se répandre dans la ville pour aviser tous les groupes de disciples que, le lendemain matin du sabbat, je passerai par Bethphagé, vers l’heure de tierce, puis j’entrerai dans Jérusalem pour monter solennellement au Temple. Tu diras à Isaac que cet avis concerne les seuls disciples. Il comprendra ce que j’entends par là.

      – Je le comprends aussi, Maître. Tu veux surprendre les juifs pour qu’ils ne puissent s’opposer à ton entrée.

      – Oui. Exécute mon désir. Rappelle-toi que c’est une charge de confiance que je te donne. Je me sers de toi et non de Lazare.

      – Cela me prouve à quel point ta bonté pour moi est sans mesure. Je te remercie, Seigneur. »

      Il baise la main du Maître et s’en va.

      581.4 Jésus se dispose à revenir auprès de ses hôtes mais, du portail par où les derniers sont en train de sortir, poussés dehors par les serviteurs, un jeune homme se détache et court se jeter aux pieds de Jésus, en s’écriant :

      « Une bénédiction, Maître ! Me reconnais-tu ? dit-il en levant son visage libre de tout voile.

      – Oui, tu es Joseph, surnommé Barnabé, le disciple de Gamaliel, qui est venu à ma rencontre près de Giscala [2].

      – Et je te suis depuis plusieurs jours. J’étais à Silo, venant de Giscala où j’étais allé avec le rabbi en cette période où tu étais absent, et où j’étais resté pour étudier les rouleaux jusqu’à la lune de Nisan. J’étais à Silo quand tu as parlé [3], je t’ai suivi à Lébona et à Sichem, puis je t’ai attendu à Jéricho, car j’avais appris que tu… »

      Il s’arrête à l’improviste, comme s’il s’apercevait qu’il dit quelque chose qu’il devait taire.

      Jésus sourit doucement :

      « La vérité jaillit impétueusement des lèvres véridiques et dépasse souvent les digues que la prudence met devant la bouche, mais je vais achever ta pensée… “ parce que tu avais appris par Judas, resté à Sichem, que je me rendais à Jéricho pour retrouver mes disciples et leur donner mes ordres. ” Et tu es allé m’y attendre, sans te soucier d’être vu, de perdre du temps, et de manquer à ton maître Gamaliel.

      – Il ne me le reprochera pas, quand il saura que c’est pour te suivre que j’ai pris du retard. Je lui porterai en cadeau tes paroles…

      – Oh ! le Rabbi Gamaliel n’a nul besoin de paroles ! C’est le rabbi le plus savant d’Israël !

      – Oui. Aucun autre rabbi ne peut lui enseigner quoi que ce soit d’ancien, rien, parce qu’il sait déjà tout ce qui est ancien. Mais toi, oui. Car tu as des paroles neuves, pleines de vie et de la fraîcheur de ce qui est nouveau. C’est comme la sève du printemps. C’est le rabbi Gamaliel qui l’affirme, en ajoutant que les sagesses désormais couvertes par la poussière des siècles, et par conséquent desséchées et opaques, redeviennent vivantes et lumineuses quand tu les expliques. Je lui porterai tes paroles.

      – Et ma salutation. Recommande-lui d’ouvrir son cœur, son intelligence, sa vue, ses oreilles, et la question qu’il a posée il y a plus de vingt ans obtiendra sa réponse [4]. Va ! Que Dieu soit avec toi. »

      Le jeune homme s’incline de nouveau pour baiser les pieds du Maître, et s’éloigne.

      581.5 Les serviteurs peuvent fermer définitivement le portail, et Jésus peut rejoindre ses amis.

      « Je me suis permis d’inviter ici, pour demain, les femmes disciples, dit Jésus en se mettant à côté de Lazare et en posant son bras sur ses épaules.

      – Tu as bien fait, Seigneur. Ma maison est la tienne, tu le sais. Ta Mère a préféré habiter dans la maison de Simon, et j’ai respecté son désir. Mais j’espère que, toi, tu resteras sous mon toit.

      – Oui, même si… demeurer dans l’autre maison est aussi être sous ton toit. Ce fut l’une de tes premières générosités envers moi et mes amis. Tu as été si bon pour moi, mon ami !

      – Et j’espère que tu pourras en profiter encore pendant longtemps, bien que ce mot soit erroné, Maître sage. Ce n’est pas moi qui suis généreux pour toi, c’est moi qui reçois de toi. Je suis ton débiteur. Et, en échange des trésors que tu m’as donnés, je dépose à peine un sou pour toi… Qu’est donc ma misérable obole, en comparaison de tes trésors ? “ Donnez, et il vous sera donné ” [5], as-tu dit. “ Une mesure bien pleine, tassée, secouée, sera versée dans le pan de votre vêtement, et vous recevrez le centuple de ce que vous avez donné. ” [6] C’est toi l’as dit. Moi, j’ai reçu le centuple du centuple alors même que je ne t’avais encore rien donné. Ah ! je me rappelle notre première rencontre ! Toi, le Seigneur et Dieu que sont indignes d’approcher les séraphins, tu es venu vers moi, qui étais seul et affligé… enfermé ici dans ma tristesse… vers cet homme qui était Lazare, et que tous fuyaient à l’exception de Joseph, de Nicodème et de mon fidèle ami Simon qui, dans sa tombe de vivant, ne cessait pas de m’aimer… Tu n’as pas voulu que ma joie de te voir soit troublée par les éclaboussures corrosives du mépris du monde… Notre première rencontre ! Je pourrais te répéter toutes tes paroles… Que t’avais-je donc donné, alors que je ne t’avais jamais vu, pour recevoir de toi, tout de suite, le centuple du centuple ?

      – Tes prières au Très-Haut, notre Père. Le nôtre, Lazare. Le mien, le tien. Le mien comme Verbe et comme homme. Le tien comme homme. Quand tu priais avec tant de foi, ne te donnais-tu pas déjà entièrement à moi ? Tu vois donc que je t’ai donné, comme il est juste, le centuple de ce que tu m’as donné…

      – Ta bonté est infinie, Maître et Seigneur. Tu récompenses à l’avance et avec une divine générosité ceux que ta pensée reconnaît comme tes serviteurs, avant même qu’ils aient conscience de l’être.

      – Mes amis, pas mes serviteurs. Car, en vérité, ceux qui font la volonté de mon Père et suivent la Vérité qu’il a envoyée sont mes amis et non plus mes serviteurs. Mieux : ils sont mes frères, puisqu’ils accomplissent la volonté du Père comme moi je l’ai accomplie le premier. Donc celui qui fait ce que je fais est mon ami, parce que seul l’ami fait spontanément ce que fait son ami.

      – Qu’il en soit toujours ainsi entre toi et moi, Seigneur. 581.6 Quand entreras-tu en ville ?

      – Le lendemain matin du sabbat.

      – Je viendrai moi aussi.

      – Non. Tu ne viendras pas avec moi. Je t’expliquerai pourquoi. J’ai d’autres choses à te demander…

      – A tes ordres, Maître. Moi aussi, j’ai à te parler…

      – Nous allons parler.

      – Préfères-tu que nous passions le sabbat entre nous, ou bien puis-je inviter des amis communs ?

      – Je te prierais de ne pas faire d’invitations. J’ai un grand désir de vivre ces heures dans l’amitié prudente et paisible de vous seuls, sans contrainte de pensées ou de formes. Dans la douce liberté de celui qui se trouve au milieu d’amis si chers qu’il se sent, parmi eux, comme s’il était dans sa maison.

      – Comme tu veux, Seigneur. C’est d’ailleurs ce que je désirais, mais il me semblait que c’était faire preuve d’égoïsme envers mes amis. Tous ont beau être inférieurs à toi pour l’amitié — tu es mon seul Ami —, ils me sont toujours chers. Mais si c’est ce que tu désires… Tu es peut-être fatigué, Seigneur, ou préoccupé… »

      Lazare interroge davantage par son regard que par ses paroles son Ami et Maître qui ne lui répond pas autrement que par la lumière de son regard un peu triste, un peu pensif, et par un faible sourire.

      Ils sont restés seuls près du bassin où chante le jet d’eau… Les autres sont tous rentrés dans la maison d’où provient un bruit de voix et de vaisselle…

      A deux ou trois reprises, Marie de Magdala passe sa tête blonde par la porte, cachée par un lourd rideau qui ondule légèrement au vent. Le vent augmente, tandis que le ciel se couvre de nuages déchiquetés, de plus en plus sombres.

      581.7 Lazare lève la tête pour scruter le ciel.

      « Nous allons peut-être avoir un orage » dit-il, avant d’ajouter : « Il servira à faire ouvrir les bourgeons rebelles, qui ont pris beaucoup de retard, cette année… Ce sont probablement les froids tardifs qui en sont la cause. Mes amandiers aussi ont souffert, et beaucoup de fruits sont perdus. Joseph me disait que son jardin en dehors de la Porte Judiciaire semble tout à fait stérile, cette année. Les arbres retiennent leurs bourgeons comme si on leur avait jeté un sort. C’est au point qu’il se demande s’il doit les laisser ou les vendre pour le bois. Il n’y a rien, pas la moindre fleur. Ils en sont au même point qu’au mois de Tébèt [7]. Les têtes des bourgeons, durs, serrés, n’en finissent plus de gonfler. Il est vrai que le vent du nord y est particulièrement fort, et il a beaucoup soufflé, cet hiver. Même les fruits de mon jardin de l’autre côté du Cédron ont été abîmés. Mais le phénomène du jardin de Joseph est si bizarre, que beaucoup de gens vont voir cet endroit qui ne veut pas se réveiller au printemps. »

      Jésus sourit…

      « Tu souris ? Pourquoi ?

      – A cause de la puérilité de ces éternels enfants que sont les hommes. Tout ce qui paraît étrange les fascine… Mais le verger fleurira. Au bon moment.

      – Ce moment est déjà passé, Seigneur. Quand donc, à la lune de Nisan, une telle quantité d’arbres rassemblés en un même lieu ne montrent-ils pas qu’ils ont fleuri ? Jusqu’à quand cet endroit doit-il attendre pour le faire, pour que ce soit le bon moment ?

      – Quand il leur faudra glorifier Dieu par leur floraison.

      – Ah ! j’ai compris ! Tu iras là-bas bénir cet endroit par amour pour Joseph, et il fleurira pour rendre gloire à Dieu et à son Messie par un nouveau miracle ! C’est sûr ! Tu y vas. Si je vois Joseph, puis-je le lui dire ?

      – Si tu crois devoir le dire… Oui, j’y serai…

      – Quel jour, Seigneur ? Je voudrais y être moi aussi.

      – Es-tu toi aussi un éternel enfant ? »

      Jésus sourit plus vivement, en hochant la tête avec bonhomie devant la curiosité de son ami, qui s’écrie :

      « Je suis heureux de t’avoir réjoui, Seigneur. Je retrouve ton visage illuminé par un sourire que je ne voyais plus depuis longtemps ! Alors… je viens ?

      – Non, Lazare. Pour la Parascève, tu me seras nécessaire ici.

      – Mais, à la Parascève, on ne s’occupe que de la Pâque ! Toi… Maître, pourquoi veux-tu t’exposer à des reproches ? Vas-y un autre jour…

      – Je serai contraint d’aller là-bas précisément à la Parascève. Mais je ne serai pas le seul à agir d’une manière qui ne se bornera pas à préparer la Pâque ancienne. Même les plus rigoureux d’Israël : un Elchias, un Doras, Simon, Sadoq, Ismaël et jusqu’à Caïphe et Hanne feront des actes radicalement nouveaux…

      – Israël devient donc fou ?

      – Exactement.

      – Mais toi… Ah ! voilà qu’il pleut. Entrons dans la maison, Maître… Je suis soucieux… Tu ne vas pas m’expliquer…

      – Si. Avant de te quitter, je t’en parlerai… 581.8 Voici ta sœur qui a peur que nous soyons mouillés et accourt avec une toile épaisse… Ah ! Marthe, tu es toujours prudente et active. Mais il ne pleut pas beaucoup.

      – Ma sœur chérie ! Ou plutôt : mes sœurs… Maintenant, elles sont toutes les deux comme deux tendres fillettes, ignorantes de toute malice, Marie comme elle. Et quand Marie est arrivée de Jéricho, avant-hier, elle ressemblait vraiment à une fillette, avec ses tresses qui lui tombaient sur les épaules : elle avait en effet vendu ses épingles à cheveux pour procurer des sandales à un jeune garçon, et les épingles de fer, trop flexibles, n’arrivaient pas à tenir en place sa crinière. Elle riait en descendant du char et me disait : “ Mon frère, j’ai appris ce que signifie devoir vendre pour acheter, et combien les choses les plus simples sont difficiles pour le pauvre, par exemple faire tenir les cheveux en place avec des épingles au prix de vingt pour une didrachme. Mais je m’en souviendrai, afin d’être encore plus miséricordieuse à l’avenir pour les pauvres. ” Comme tu l’as changée, Seigneur ! »

      Au moment où ils posent le pied dans la maison, Marie est déjà toute prête, avec des amphores et des bassins pour le Seigneur. Elle ne cède à personne l’honneur de le servir, et elle n’est pas satisfaite avant d’avoir restauré les membres et l’appétit de son Maître, et de le voir aller avec des sandales neuves vers la pièce qui lui est destinée, où sa Mère l’attend avec un frais vêtement de lin tout parfumé par le soleil…



[1] L’explication de cette floraison tardive viendra plus tard dans la scène.
[2] Cf. EMV 471.3.
[3] Cf. EMV 569 et suivants.
[4] Cf. EMV 41 : Devant les docteurs du Temple, le jeune Jésus prophétise sa fin.
[5]  Luc 6, 38 – Cf. EMV 171.4.
[6] Cf. [url=http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME 02/02-049.htm]EMV 84[/url].
[7] Début janvier cette année-là.




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-042.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/a-bethanie-chez-lazare.html


Dernière édition par Anayel le Mar 18 Mai - 10:13, édité 1 fois
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mar 18 Mai - 10:11

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

582. Le vendredi avant l'entrée à Jérusalem : une toute dernière offrande pour le salut de Judas Iscariote

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 43.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 582.

Vision du mercredi 19 mars 1947

Vendredi 29 mars 30
Béthanie


      582.1 « Vous pouvez aller où bon vous semble. Aujourd’hui, je reste ici avec Judas et Jacques. Les femmes disciples doivent arriver » dit Jésus à ses apôtres rassemblés autour de lui sous le portique de la maison. Et il ajoute : « Toutefois, faites en sorte d’être tous revenus avant le coucher du soleil. Et soyez prudents. Cherchez à passer inaperçus pour éviter des représailles contre vous.

      – Moi, je reste ici. Que ferais-je à Jérusalem ? déclare Pierre.

      – En revanche, moi j’y vais » dit Thomas. « Mon père m’attend certainement. Il veut offrir le vin. C’est une vieille promesse [1], mais tenue comme toujours, car mon père est un homme honnête. Vous verrez quel vin nous aurons au banquet pascal ! Les vignes de mon père, à Rama, sont célèbres dans toute la région.

      – Les vins de Lazare sont excellents aussi. Je n’ai pas oublié le banquet des Encénies… [2] rétorque Matthieu, involontairement gourmand.

      – Alors, demain, tu te rafraîchiras la mémoire plus que jamais, car je crois savoir que Lazare commande un grand banquet. J’ai vu certains préparatifs… signale Jacques, fils de Zébédée.

      – Ah oui ? Est-ce que d’autres viendront ? demande André.

      – Non. J’ai posé cette question à Maximin, qui m’a répondu que non.

      – Ah ! sinon, j’aurais porté le vêtement neuf que mon épouse m’a envoyé, dit Philippe.

      – Moi, je le ferai. Je voulais le mettre pour la Pâque. Mais je le mettrai demain. Nous serons sûrement plus tranquilles ici, demain, que dans quelques jours… » déclare Barthélemy, avant de s’interrompre, l’air pensif.

      582.2 – Moi, je m’habille à neuf pour l’entrée dans la ville. Et toi, Maître ? demande Jean.

      – Moi aussi. Je porterai le vêtement teint de pourpre [3].

      – Tu auras l’air d’un roi ! lance avec admiration le disciple préféré qui l’imagine déjà…

      – Ah ! si je n’avais pas été là pour y penser ! Cette pourpre, c’est moi qui l’ai procurée, il y a des années… [4] se vante Judas.

      – Vraiment ? Oh ! on l’avait bien oublié… Le Maître est toujours si humble…

      – Trop humble : il est temps, désormais, qu’il soit Roi. Assez attendu ! S’il n’est pas un roi sur un trône, qu’au moins, en raison de sa dignité, il porte des vêtements conformes à son rang. Moi, je pense à tout !

      – Tu as raison, Judas. Toi, tu es du monde. Nous… nous sommes de pauvres pêcheurs… » disent humblement les apôtres originaires de la région du lac…

      Et comme il arrive toujours dans la lumière du monde, dans la lumière fausse, crépusculaire du monde, le bas alliage de métal de Judas paraît être un métal plus noble que l’or grossier, mais pur, sincère, honnête, des cœurs galiléens…

      Jésus qui parlait avec Simon le Zélote et les fils d’Alphée, se retourne et regarde Judas, puis ces hommes simples, si humbles et si mortifiés de… ne pas être à la hauteur de Judas… et il hoche la tête en silence. 582.3 Mais, voyant que Judas noue les lacets de ses sandales et ajuste son manteau, comme s’il allait se mettre en route, il lui demande :

      « Où vas-tu ?

      – En ville.

      – J’ai dit que je te retenais avec Jacques…

      – Ah ! je croyais que tu parlais de Jude, ton frère… [5] Alors… moi… je suis prisonnier… Ah ! Ah ! »

      Il a un mauvais rire.

      « Béthanie n’a ni chaînes ni barreaux, je crois. Il y a seulement le désir de ton Maître, et je serais heureux d’être son prisonnier, fait remarquer Simon le Zélote.

      – Je plaisantais, naturellement… C’est que… je voudrais avoir quelques nouvelles de ma mère. Les pèlerins de Kérioth sont sûrement arrivés et…

      – Non. Dans deux jours, nous serons tous à Jérusalem. Maintenant, tu restes ici, ordonne Jésus d’un ton ferme.»

      Judas n’insiste pas. Il enlève son manteau en disant :

      « Et alors qui va en ville ? Il serait bon de connaître l’humeur des gens… ce que font les disciples… Je voulais aussi aller m’en rendre compte auprès des amis… Je l’avais promis à Pierre…

      – Peu importe, reste ici. Rien de ce que tu mentionnes n’est vraiment nécessaire.

      – Mais si Thomas y va…

      582.4 – Maître, moi aussi je voudrais y aller, car je l’ai promis, moi aussi. J’ai des amis chez Hanne et… commence Jean.

      – Tu te rendrais là-bas, mon fils ? Et s’ils te prennent ? demande Marie Salomé, qui s’est approchée.

      – S’ils me prennent ? Qu’ai-je fait de mal ? Rien. Je ne dois donc pas craindre le Seigneur. Par conséquent, même s’ils me prennent, je n’aurai pas peur.

      – Voyez ce lionceau fanfaron ! Tu ne trembleras pas ? Ignores-tu donc à quel point ils nous haïssent ? C’est la mort, sais-tu, s’ils nous prennent ! s’écrie Judas pour l’effrayer.

      – Et toi, alors, pourquoi veux-tu y aller ? Aurais-tu l’impunité ? Qu’as-tu fait pour l’obtenir ? Dis-le moi, et je t’imiterai. »

      Judas esquisse un geste de peur ou de colère, mais le visage de Jean est si limpide que le traître se rassure. Il comprend qu’il n’y a ni piège ni soupçon dans ces paroles, et il répond :

      « Je n’ai rien fait. Mais j’ai quelques bons amis auprès du Proconsul, et donc…

      582.5 – Bien ! Celui qui veut venir, qu’il vienne, puisqu’il ne pleut plus. On perd du temps ici, et à sexte peut-être qu’il pleuvra de nouveau. Que celui qui veut venir se dépêche, exhorte Thomas.

      – J’y vais, Maître ? demande Jean.

      – Oui.

      – Et voilà ! C’est toujours la même chose ! Lui, oui ; les autres, oui ; moi, non. Toujours non !

      – Je tenterai d’obtenir des nouvelles de ta mère, propose Jean pour le calmer.

      – Et moi aussi. Je vous accompagne, Thomas et toi » dit Simon le Zélote avant d’ajouter : « Mon âge servira de frein aux jeunes, Maître. Et je connais bien les pèlerins de Kérioth. Si j’en vois un, j’irai le trouver. Je t’apporterai des nouvelles de ta mère, Judas. Sois bon ! Sois tranquille ! C’est la Pâque, Judas. Tous, nous sentons la paix de cette fête, la joie de cette solennité. Pourquoi veux-tu être, toi seul, toujours si inquiet, si sombre, mécontent, sans paix ? La Pâque, c’est le passage de Dieu… Pour nous autres, Hébreux, la Pâque fête la libération d’un joug pénible. Le Très-Haut nous en a délivrés. Maintenant, comme on ne peut pas réitérer l’événement d’autrefois, elle reste son symbole individuel… La Pâque représente la libération des cœurs, la purification, le baptême, si tu veux, dans le sang de l’agneau pour que les forces ennemies ne fassent plus de mal à celui qui en porte la marque. C’est si beau de commencer l’année nouvelle par cette fête de purification, de libération, d’adoration de Dieu, notre Sauveur… Oh ! excuse-moi, Maître ! J’ai parlé alors que j’aurais dû me taire, car tu es ici pour corriger nos cœurs…

      – C’est aussi ce que je pensais, Simon. J’ai maintenant deux maîtres au lieu d’un, et cela me paraît trop ! » lance Judas, irascible.

      582.6 Pierre, cette fois, ne peut se contenir, et il décoche :

      « Et si tu n’arrêtes pas, tu vas bientôt en avoir un troisième, et ce sera moi. Et je te jure que j’aurai des arguments plus persuasifs que des paroles.

      – Tu lèverais la main sur un de tes compagnons ? Après tant d’efforts pour maîtriser le vieux Galiléen, ta vraie nature revient donc à la surface ?

      – Elle ne revient pas à la surface : elle a toujours été claire en surface. Je n’essaie pas de feindre, moi. Mais c’est que, pour les ânes sauvages comme toi, il n’y a qu’un argument pour les dompter : les coups. Tu devrais avoir honte d’abuser de sa bonté et de notre patience ! Viens, Simon ! Viens, Jean ! Viens, Thomas ! Adieu, Maître. Je pars moi aussi, car si je reste… non, vive Dieu, c’est que je ne peux plus me retenir. »

      Pierre saisit son manteau, qui était posé sur un siège, et l’enfile en toute hâte. Il est si énervé qu’il ne voit pas qu’il met le haut en bas, et Jean doit l’avertir de l’erreur et l’aider à s’habiller comme il faut. Alors Pierre s’éloigne brusquement, en frappant du pied sur le sol pour se défouler de sa colère. On dirait un petit taureau emballé.

      Quant aux autres… les autres sont comme des livres ouverts sur lesquels on peut tout lire. Barthélemy lève son visage émacié de vieillard vers le ciel encore orageux, et paraît étudier les vents pour ne pas avoir à étudier les visages : celui, trop attristé, du Christ, et celui, trop perfide, de Judas. Matthieu et Philippe observent Jude, dont les yeux, semblables à ceux de Jésus, brillent de colère, et une même pensée s’empare d’eux : ils le prennent entre eux deux et le poussent dehors, vers l’allée intérieure qui mène à la maison de Simon en lui disant :

      « Ta mère avait besoin de nous pour ce travail. Viens toi aussi, Jacques, fils de Zébédée. »

      Et ils entraînent aussi le fils de Salomé. André regarde Jacques, fils d’Alphée, et Jacques le regarde : leurs deux visages reflètent la même douleur contenue. Ne sachant que dire, ils se prennent par la main comme deux enfants, et s’éloignent tristement.

      Des femmes disciples, il n’y a que Salomé, qui n’ose ni bouger ni parler, mais qui ne sait pas davantage se décider à s’éloigner, comme si elle désirait par sa présence réfréner d’autres paroles de l’apôtre indigne. Heureusement, aucun membre de la famille de Lazare n’est présent. La Vierge Marie est, elle aussi, absente.

      582.7 Judas se voit seul avec Jésus et Salomé. Il ne veut pas être avec eux, et il leur tourne le dos pour s’éloigner vers le pavillon des jasmins.

      Jésus le regarde partir, il le surveille. Il voit qu’après avoir feint de s’asseoir dans le pavillon, Judas se glisse en douce par une issue arrière et s’enfonce dans les haies de roses, de lauriers et de buis qui séparent le vrai jardin du terrain des aromates, là où se trouvent les ruches. De là, on peut sortir par l’une des portes secondaires, ouvertes dans les murs du vaste jardin. C’est en fait un vrai parc qui, de deux côtés, se termine en hautes haies, doubles comme une avenue, qui aboutissent çà et là à des grilles. Celles-ci permettent d’accéder aux prés, aux champs, aux vergers et aux oliveraies, et aussi à la maison de Simon, qui continuent le jardin dans les domaines, en les tenant à la fois unis et séparés. Sur les deux autres côtés, le parc est entouré de murailles puissantes longeant deux voies : une route principale, sur laquelle débouche la route secondaire qui, coupant Béthanie, continue vers Bethléem.

      Jésus se dresse autant qu’il le peut et se déplace quand il le faut, et ses yeux flamboient à la vue de la fuite de Judas. 582.8 Marie Salomé s’en aperçoit et, bien que sa petite taille l’empêche de voir, elle devine ce qui est en train de se passer au bout du parc, et elle murmure :

      « Aie pitié de nous, Seigneur ! »

      Jésus entend ce soupir et se retourne un instant pour regarder cette bonne et simple disciple. Certes, elle a pu avoir une pensée d’orgueil maternel, quand elle a demandé des places d’honneur pour ses fils, mais au moins, elle pouvait le faire, car ce sont de bons apôtres ; elle a accueilli avec humilité la réprimande du Maître, sans en être offensée. Au lieu de s’éloigner de lui, elle s’est rendue plus humble, plus empressée auprès du Maître qu’elle suit comme son ombre quand c’est possible, et dont elle étudie les moindres expressions afin de pouvoir prévenir ses désirs et lui faire plaisir. Cette fois encore, la bonne et humble Salomé cherche à consoler le Maître, à apaiser le soupçon qui le fait souffrir :

      « Tu vois ? Il ne va pas loin. Il a jeté là son manteau et ne l’a pas repris. Il va marcher dans les prés, donner libre cours à sa mauvaise humeur… Jamais Judas ne se rendrait en ville sans être en grande tenue…

      – Il irait même nu s’il voulait y aller. Et en effet… Regarde ! Viens ici !

      – Oh ! il essaie d’ouvrir la grille ! Mais elle est fermée ! Il appelle un serviteur du rucher ! »

      Jésus crie à haute voix :

      « Judas ! Attends-moi ! Je dois te parler. »

      Il est sur le point de s’éloigner, quand Salomé reprend.

      « Je t’en prie, Seigneur, je vais appeler Lazare… ta Mère… N’y va pas tout seul ! »

      Jésus, tout en marchant rapidement, se retourne un peu et dit :

      « Je t’ordonne de ne pas le faire. Tais-toi, au contraire. Avec tout le monde. Si on me demande, je suis sorti marcher un peu avec Judas. Si les femmes disciples viennent, qu’elles attendent, je ne tarderai pas. »

      Salomé ne bouge pas, tout comme Judas. L’une près de la maison, l’autre près de l’enceinte, ils restent là où la volonté de Jésus les a arrêtés et le regardent : l’une le voit s’éloigner, l’autre venir.

      582.9 « Ouvre la porte, Jonas. Je sors un moment avec mon disciple, et si tu restes ici, il n’est pas nécessaire que tu la refermes derrière nous. Je serai bientôt de retour » dit-il avec bonté au serviteur paysan, qui était resté avec la grosse clé dans les mains, interdit.

      La petite porte, une lourde porte de fer, grince autant que la clé pour faire jouer la serrure.

      « C’est une porte qu’on ouvre rarement » dit le serviteur en souriant. « Hé ! tu t’es rouillée ! Quand on reste oisif, on se gâte… La rouille, la poussière… les gamins… C’est comme pour nous, quand nous ne nous occupons pas de notre âme !

      – Bravo, Jonas ! Tu as eu une sage pensée. Beaucoup de rabbis te l’envieraient.

      – Ce sont mes abeilles qui me les suggèrent… et tes paroles. Vraiment, ce sont tes paroles. Mais ensuite, les abeilles m’aident à mieux les interpréter. Car rien n’est sans voix, quand on sait comprendre. Et je me dis : si les abeilles obéissent à l’ordre de leur Créateur — or ce sont des insectes dont je ne puis savoir où elles ont le cerveau et le cœur —, moi, qui ai cœur, cerveau et âme, et qui entends le Maître, ne dois-je pas savoir faire ce qu’elles font, et travailler sans cesse pour agir conformément à ce que le Maître nous enseigne ? Car c’est ainsi que je pourrai rendre mon esprit beau, clair, sans la rouille, la boue, ou la paille placées dans le mécanisme par les esprits infernaux, sans aussi les pierres et autres pièges ?

      – Tu parles vraiment bien. Imite tes abeilles : ton âme deviendra un riche rucher, rempli de vertus précieuses, et Dieu viendra s’y complaire. Adieu, Jonas. Que la paix soit avec toi. »

      Il pose la main sur la tête grisonnante du serviteur, qui se tient penché devant lui, et sort sur la route pour marcher en direction des prés de trèfle rouge, beaux comme d’épais tapis verts et cramoisis. Les abeilles y volent de fleur en fleur comme autant d’étincelles bourdonnantes.

      582.10 Quand ils sont assez loin de l’enceinte pour que personne ne puisse rien entendre du jardin de Lazare, Jésus dit :

      « Tu as entendu ce serviteur ? C’est un paysan. C’est déjà beaucoup s’il peut lire quelques mots… Et pourtant… Ses paroles auraient pu être sur mes lèvres sans que mon enseignement de Maître paraisse mince. Il sent qu’il faut veiller pour que les ennemis de l’esprit ne nuisent pas à l’âme… Or… c’est précisément pour cette raison que je te garde auprès de moi, et tu me hais à cause de cela ! Je veux te défendre d’eux et de toi-même, et tu me hais. Je te fournis le moyen de te sauver — cela t’est encore possible —, et tu me hais. Je te le dis encore une fois : éloigne-toi, Judas, va au loin. N’entre pas à Jérusalem. Tu es malade. Ce n’est pas un mensonge de dire que tu es si malade que tu ne peux participer à la Pâque. Or il est permis par la Loi de fêter la Pâque supplémentaire quand la maladie ou quelque autre raison grave empêche de célébrer la Pâque solennelle. Profite de cette possibilité. Je prierai Lazare — c’est un ami prudent, et il ne te posera aucune question — de te conduire aujourd’hui même au-delà du Jourdain.

      – Non. Je t’ai demandé de nombreuses fois de me chasser. Tu n’as pas voulu. Maintenant, c’est moi qui ne veux pas.

      – Tu ne veux pas ? Tu ne veux pas être sauvé ? Tu n’as pas pitié de toi-même ? Pas pitié de ta mère ?

      – Tu devrais me dire: “ Tu n’as pas pitié de moi ? ” Tu serais plus sincère.

      – Judas, mon malheureux ami, ce n’est pas pour moi que je t’en prie ! C’est pour toi, pour toi ! 582.11 Regarde : nous sommes seuls, toi et moi. Tu sais qui je suis, je sais qui tu es. C’est le dernier moment de grâce qui nous est encore accordé pour empêcher ta perte… Oh ! ne ricane pas ainsi sataniquement, mon ami. Ne te moque pas de moi comme si j’étais fou parce que je parle de “ ta perte ” et non de la mienne. La mienne n’est pas une perte. La tienne, si… Nous sommes seuls : toi et moi, et au-dessus de nous, il y a Dieu… Dieu ne te maudit pas encore, Dieu assiste à cette lutte suprême entre le Bien et le Mal qui se disputent ton âme. Au-dessus de nous, il y a le Ciel [6] qui nous observe, ce Ciel qui bientôt se remplira de saints. Déjà ils tressaillent, là où ils attendent, parce qu’ils sentent venir la joie… Judas, parmi eux, il y a ton père…

      – C’était un pécheur. Il n’y est pas.

      – C’était un pécheur, mais pas un damné. La joie s’approche donc pour lui aussi. Pourquoi veux-tu mêler sa joie de douleur ?

      – Il ne connaît plus la douleur. Il est mort [7].

      – Non. Il souffre de te voir coupable, toi… oh ! ne m’arrache pas ce mot !…

      – Mais si ! Mais si ! Prononce-le donc ! Je me le répète depuis des mois ! Je suis damné, je le sais. On ne peut plus rien y changer.

      – Tout est possible, au contraire ! Judas, je pleure. Veux-tu être la cause des dernières larmes de l’Homme ?… Judas, je t’en prie ! Réfléchis, mon ami : le Ciel acquiesce à ma prière, et toi, et toi… Me laisseras-tu prier en vain ? Pense à celui qui est devant toi, en prière : c’est le Messie d’Israël, le Fils du Père… Judas, écoute-moi !… Arrête-toi, tant que tu le peux ! …

      – Non ! »

      582.12 Jésus se couvre le visage de ses mains et se laisse tomber au bord du pré. Il pleure sans bruit, mais il pleure longuement. Je vois que ses épaules ont des soubresauts.

      Judas le regarde, là, à ses pieds, brisé, en larmes, tout cela provoqué par désir de le sauver… et il a un moment de pitié. Il dit, en abandonnant le ton dur, de vrai démon, qu’il prenait :

      « Je ne peux pas partir… J’ai donné ma parole… »

      Jésus lève un visage bouleversé pour l’interrompre :

      « A qui ? A qui ? A de pauvres hommes ! Et tu te soucies d’eux, tu crains de leur paraître déshonoré ? Mais ne t’étais-tu pas donné toi-même à moi depuis trois ans ? Et tu penses aux commentaires d’une poignée de malfaiteurs et non au jugement de Dieu ? Oh ! mais que dois-je faire, Père, pour ressusciter en lui la volonté de ne pas pécher ? »

      Il baisse de nouveau la tête, découragé, déchiré… Il ressemble déjà au Jésus souffrant de l’agonie de Gethsémani.

      Par pitié, Judas lui dit :

      « Je reste. Ne souffre pas ainsi ! Je reste… Aide-moi à rester ! Défends-moi !

      – Je le ferai toujours, pourvu que tu le veuilles. Viens. Il n’est pas de faute à laquelle je ne compatisse et que je ne pardonne. Dis : “ Je le veux ! ” Et je t’aurai racheté… »

      Se relevant, il le prend dans les bras. Mais si les larmes de Jésus-Dieu tombent dans les cheveux de Judas, la bouche de Judas reste fermée. Il ne pronconce pas la parole demandée. Il ne demande même pas “ pardon ” quand Jésus murmure dans ses cheveux :

      « Vois comme je t’aime ! J’aurais dû te faire des reproches, or je t’embrasse ! J’aurais le droit de te dire : “ Demande pardon à ton Dieu ”, or j’attends seulement de toi le désir de pardon. Tu es si malade ! On ne peut exiger beaucoup d’un grand malade. A tous les pécheurs qui sont venus me trouver, j’ai demandé le repentir absolu pour pouvoir leur pardonner. Mais toi, mon ami, il me suffit que tu aies le simple désir de te repentir, et puis… c’est moi qui agirai. »

      Judas garde le silence…

      Jésus le laisse aller. Il propose :

      « Reste au moins ici jusqu’au lendemain du sabbat.

      – Je vais rester… Rentrons à la maison. On va remarquer notre absence. Peut-être les femmes t’attendent-elles. Elles sont meilleures que moi, et tu ne dois pas les négliger à cause de moi.

      – Tu ne te rappelles pas la parabole de la brebis perdue [8] ? C’est toi qu’elle concerne. Les femmes disciples sont les bonnes brebis enfermées au bercail. Elles ne sont pas en danger, même si je pars à la recherche de ton âme toute la journée pour la ramener à la bergerie…

      – Mais oui ! Mais oui ! Voilà ! Je reviens au bercail ! Et je vais m’enfermer dans la bibliothèque de Lazare, pour lire. Je ne veux pas qu’on me dérange. Je ne veux rien voir, rien savoir. Ainsi… tu ne me soupçonneras pas toujours. Et si le Sanhédrin venait à apprendre la moindre information, tu devras chercher les vipères parmi tes préférés. Adieu ! Je rentre par la grille principale. Ne crains rien. Je ne m’enfuis pas. Tu peux venir le vérifier quand tu veux. »

      Et, tournant le dos, il s’en va à grands pas.

      582.13 Jésus, dont la grande stature blanche en vêtement de lin contraste sur le pré vert et rouge, hausse les bras, tourne un visage attristé vers le ciel serein, et élève son âme vers son Père, en gémissant :

      « Oh ! mon Père ! Pourras-tu m’accuser de ne pas avoir tout fait pour le sauver ? Tu sais que c’est pour son âme, et non pour ma vie, que je lutte pour empêcher son crime… Père ! mon Père ! Je t’en supplie ! Hâte l’heure des ténèbres, l’heure du sacrifice, car il m’est trop atroce de vivre auprès de cet ami qui ne veut pas être racheté… C’est ma plus grande douleur ! »

      A ces mots, il s’assied dans le trèfle dru, déjà haut, très beau. Il incline la tête sur ses genoux relevés et enserrés de ses bras, et il pleure…

      Ah ! je ne supporte pas la vue de ces larmes ! Elles rappellent déjà trop celles de Gethsémani par ce qu’elles manifestent de désolation, de solitude, de conviction que le Ciel ne fera rien pour le consoler, et qu’il lui faudra subir cette douleur. Et cela me fait trop mal…

      Jésus pleure longuement. L’endroit est tellement solitaire, silencieux, que les seuls témoins sont les abeilles d’or, le trèfle odorant qui ondule lentement sous le souffle du vent d’orage, et les nuages qui, au début de la matinée, formaient comme un léger filet sur le ciel bleu et qui maintenant se sont épaissis, obscurcis, amoncelés, annonçant qu’il va pleuvoir de nouveau.

      582.14 Jésus arrête de pleurer. Il lève la tête pour écouter… Un bruit de roues et de grelots arrive de la route principale, puis le bruit des roues cesse, mais pas celui des grelots. Jésus dit :

      « Allons ! Les femmes disciples… Elles sont fidèles… Mon Père, qu’il soit fait selon ta volonté ! Je t’offre le sacrifice de ce désir de Sauveur et d’Ami. C’est écrit ! Judas l’aura voulu. C’est vrai. Laisse-moi pourtant continuer mon travail pour lui jusqu’à ce que tout soit fini. Et je te dis dès maintenant : Père, quand je prierai pour les pécheurs, en victime désormais impuissante d’accomplir toute action directe, prends ma souffrance et ma force pour l’âme de Judas. Je sais que je te fais une demande que la justice ne peut accorder. Mais c’est de toi que sont venus la miséricorde et l’amour, et tu les aimes, eux qui viennent de toi et qui ne font qu’un avec toi, Dieu un et trine, saint et béni. Je me donnerai moi-même à mes bien-aimés en nourriture et en boisson. Père, mon sang et ma chair devraient-ils être condamnation pour l’un d’eux ? Père, aide-moi ! Qu’un germe de repentir naisse dans ce cœur ! Père, pourquoi t’éloignes-tu ? Tu t’éloignes déjà de ton Verbe qui prie ? L’heure est venue, je le sais. Que soit faite ta volonté bénie ! Mais laisse à ton Fils, à ton Christ, en qui par un impénétrable décret la vision assurée de l’avenir diminue dès maintenant — et je ne te dis pas que de ta part c’est cruauté, mais pitié pour moi —, laisse-moi l’espoir de le sauver encore. Oh ! mon Père. Je le sais, je l’ai su depuis que j’existe. Je l’ai su depuis que je suis venu ici sur la terre, non seulement Verbe, mais homme aussi. Je l’ai su depuis que j’ai rencontré Judas au Temple… Je l’ai toujours su… Mais maintenant… Ô Père très saint, montre ta grande pitié ! J’ai l’impression d’assister à un horrible rêve suscité par son comportement, mais qui n’est pas inéluctable… Je pense pouvoir encore espérer, toujours espérer, car infinie est ma souffrance, et infini sera le sacrifice, je pense pouvoir agir de quelque manière en sa faveur… Ah ! je délire ! C’est l’homme qui veut avoir cet espoir ! Le Dieu qui est en l’homme, le Dieu fait homme, ne peut se faire d’illusions ! Voilà que se dissipent les nuées légères qui m’ont caché un instant l’abîme, l’abîme déjà ouvert pour s’emparer de celui qui a préféré les ténèbres à la lumière… Pitié quand tu me le caches ! Pitié quand tu me le montres, maintenant que tu m’as réconforté. Oui, Père, même cela ! Tout ! Et je serai miséricorde jusqu’à la fin, car telle est mon essence. »

      Il prie encore en silence, les bras en croix, et son visage tourmenté s’apaise de plus en plus en prenant un aspect de paix auguste. Il devient presque lumineux, d’une lumière de joie intérieure, bien qu’aucun sourire ne se forme sur ses lèvres serrées. C’est la joie de son esprit, en communion avec le Père, qui transparaît en dépit des voiles de la chair et efface les marques creusées par la douleur sur le visage amaigri et spiritualisé, qui est venu de plus en plus au Maître à mesure que celui-ci a été pris par la souffrance et qu’il s’est approché du sacrifice. Les traits du Christ dans les derniers temps de sa vie mortelle ne sont plus ceux d’un visage de la terre, et aucun artiste ne serait capable de reproduire, même si le Rédempteur se montrait à lui, ce visage d’Homme-Dieu sculpté avec une beauté surnaturelle par le ciseau de la souffrance et de l’amour parfaits.

      582.15 Jésus se trouve de nouveau à la grille du mur d’enceinte ; il entre, la ferme avec le verrou et se dirige vers la maison. Le serviteur de tout à l’heure le voit et court reprendre la grosse clé que Jésus a dans les mains.

      Peu après, il rencontre Lazare :

      « Maître, les femmes sont arrivées. Je les ai fait entrer dans la salle blanche, car la bibliothèque est occupée par Judas, qui lit et qui est souffrant.

      – Je sais. Merci pour les femmes. Sont-elles nombreuses ?

      – Jeanne, Nikê, Elise et Valéria, ainsi que Plautina et une autre amie ou affranchie, je ne sais, nommée Marcelle. Il y a une vieille femme qui dit te connaître : Anne de Mérom, et encore Annalia, avec une autre jeune fille prénommée Sarah. Ta Mère et mes sœurs sont avec les femmes disciples.

      – Et ces voix d’enfants ?

      – Anne a amené ses petits-enfants, Jeanne ses enfants, Valéria sa fille. Je les ai conduits dans la cour intérieure… »



[1] Promesse faite en EMV 363.4.
[2] Celui de la première année de Vie Publique, le 29 décembre 27. Cf. EMV 136.
[3] Le vêtement teint de pourpre : c’est Judas qui l’a voulu pour Jésus. Jésus en a confié la confection à sa Mère en EMV 303.4 et le lui a redemandé en EMV 477.9, comme Marie le rappellera en EMV 612.3. Il en sera encore fait mention en EMV 644.4.
[4] Voir EMV 303.
[5] Jude et Judas sont un même prénom Juda / Giuda, que ni le latin, ni l’italien ne distingue, contrairement au français.
[6] Dans l'ancienne édition, il est écrit "L'empyrée", partie la plus élevée du ciel. C'était la façon dont les anciens désignaient le Paradis.
[7] Judas, qui partage la foi sadducéenne, ne croit pas à la vie après la mort.
[8] Cf. EMV 233.1/4.




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-043.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/une-toute-derniere-offrande-pour-le-salut-de-judas-iscariote.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Mer 19 Mai - 22:42

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

583. La veille du sabbat qui précède l’entrée à Jérusalem. L’adieu aux femmes disciples. Le malheureux petit‑fils de Nahum.

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 44.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 583.

Vision du samedi 22 mars 1947

Vendredi 29 mars 30
Béthanie


583.1 La belle salle — l’une de celles qui servent aux banquets, avec ses murs blancs, comme son plafond, ses lourds rideaux, les tapisseries qui recouvrent les sièges, et les plaques de mica ou d’albâtre qui remplacent les vitres aux fenêtres et laissent passer la lumière —, la salle blanche, est remplie du bavardage des femmes.

Une quinzaine de femmes qui papotent, ce n’est pas une mince affaire ! Mais dès que Jésus écarte le rideau et paraît sur le seuil, un silence absolu s’instaure. Toutes se lèvent et s’inclinent avec le plus grand respect.

« Paix à vous toutes » dit Jésus avec un doux sourire…

Son visage ne porte aucune trace de la tempête de douleur qui vient de se terminer : il est serein, lumineux, paisible comme si rien de pénible n’était arrivé ou sur le point d’arriver, avec une pleine conscience de sa part.

« Paix à toi, Maître. Nous sommes venues. Tu as envoyé dire : “ avec autant de femmes qu’il y en a chez Jeanne ”, et je t’ai obéi. Elise était chez moi. Je la garde auprès de moi, ces jours-ci. Il y avait aussi celle qui dit te suivre. Elle était venue chercher quelque information sur toi, car nul n’ignore que je suis ta fidèle disciple. Quant à Valéria, elle est chez moi, depuis que je suis dans mon palais. Et Plautina était venue lui rendre visite. Avec elles, se trouvait celle-ci. Valéria t’en parlera. Plus tard est arrivée Annalia, avertie de ton désir, ainsi que cette jeune fille, sa parente, je crois. Nous nous sommes arrangées pour venir, et nous n’avons pas oublié Nikê. Il est si beau de nous sentir sœurs dans une même foi en toi… d’espérer que celles qui en sont encore à un amour naturel pour le Maître, s’élèvent, comme l’a fait Valéria, dit Jeanne en regardant discrètement Plautina, qui… en est restée à l’amour naturel…

– Les diamants se forment lentement, Jeanne. Il faut des siècles de feu caché… Il ne faut jamais être pressé… Et ne jamais se décourager, Jeanne…

– Et quand un diamant redevient… cendre ?

– C’est signe que ce n’était pas encore un diamant parfait. Il faut recommencer, avec patience et ardeur, en mettant son espoir dans le Seigneur. Ce qui semble être un échec la première fois, se change souvent en triomphe la seconde.

– Ou la troisième, la quatrième, si ce n’est davantage. 583.2 Moi, j’ai été un échec de nombreuses fois, mais finalement, tu as triomphé, Rabbouni ! lance, du fond de la salle, la belle voix d’orgue de Marie de Magdala.

– Marie est contente chaque fois qu’elle peut s’humilier en rappelant le passé… soupire Marthe, qui le voudrait effacé du souvenir de tous les cœurs.

– Il est pourtant vrai, ma sœur, que tout s’est passé ainsi ! Je suis contente de faire mémoire du passé, mais non pas pour m’humilier, comme tu dis : pour m’élever encore, poussée par le souvenir du mal que j’ai commis, et par la reconnaissance envers Celui qui m’a sauvée. Et aussi afin que celui qui hésite pour lui-même, ou pour un être qui lui est cher, puisse reprendre courage et parvenir à cette foi dont mon Maître assure qu’elle est capable de déplacer les montagnes.

– Et tu la possèdes, heureuse que tu es ! Tu ne connais pas la peur… » soupire Jeanne.

Elle, qui est si douce et si timide, paraît l’être encore davantage si on la compare à Marie-Madeleine.

« En effet, je ne la connais pas. Elle n’a jamais été dans ma nature humaine. Maintenant, depuis que j’appartiens à mon Sauveur, je ne la connais même plus dans ma nature spirituelle. Tout a servi à augmenter ma foi. Serait-il possible qu’une femme, ressuscitée comme je le suis, et qui a vu ressusciter son frère, puisse douter de quoi que ce soit ? Non. Rien ne me fera plus douter.

– Tant que Dieu est avec toi, c’est-à-dire tant que le Rabbi est avec toi… 583.3 Mais il dit qu’il va bientôt nous quitter. Que sera alors notre foi ? Ou plutôt votre foi, car moi, je n’ai pas encore pénétré au-delà des frontières humaines… s’interroge Plautina.

– Sa présence ou son absence matérielle sera sans effet sur ma foi. Je n’aurai pas peur. Ce n’est pas de l’orgueil de ma part : tout simplement, je me connais. Si les menaces du Sanhédrin devaient se réaliser… je ne craindrais rien…

– Mais qu’est-ce que tu ne craindras pas ? Que le Juste soit juste ? Cette crainte, je ne l’aurai pas non plus. Nous qualifions ainsi de nombreux sages dont nous savourons la sagesse, et dont la pensée continue à nous nourrir et à vivre en nous, des siècles après leur disparition. Mais toi… insiste Plautina.

– Même s’il meurt, je ne craindrai pas. La Vie ne peut mourir. Lazare est ressuscité, lui qui n’était qu’un pauvre homme…

– Mais ce n’est pas par lui-même qu’il est ressuscité : le Maître a rappelé son âme d’outre-tombe. Or seul le Maître peut accomplir un tel acte. Mais qui rappellera l’esprit du Maître si le Maître est tué ?

– Qui ? Lui-même, c’est-à-dire Dieu. Dieu s’est fait lui-même, Dieu peut se ressusciter lui-même.

– Dieu… oui… dans votre foi, Dieu s’est fait lui-même. Il nous est déjà difficile de l’admettre, car nous savons que les dieux proviennent l’un de l’autre, par suite d’amours entre dieux.

– Par suite d’amours obscènes, condamnables, devrais-tu dire, l’interrompt impétueusement Marie de Magdala.

– Comme tu veux…» concède Plautina.

Et elle est sur le point d’achever quand Marie lui coupe la parole :

« “ Mais l’Homme ne peut se ressusciter lui-même ”, veux-tu dire. Mais de la même manière que le Saint des Saints s’est fait homme lui-même — car rien ne lui est impossible —, il se donnera à lui-même le commandement de ressusciter. Tu ne peux pas comprendre. Tu ne connais pas les figures de notre histoire d’Israël. Lui et ses prodiges s’y trouvent. Et tout s’accomplira comme c’est écrit. 583.4 Moi, je crois à l’avance, Seigneur. Je crois tout : que tu es le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge, que tu es l’Agneau du salut, que tu es le Messie très saint, que tu es le Libérateur et le Roi universel, que ton Royaume ne connaîtra pas de fin ni de limites, et enfin que la mort ne prévaudra pas sur toi : car la vie et la mort, en effet, ont été créées par Dieu, et elles lui sont soumises comme toute chose. Je crois. Et si la douleur de te voir méconnu et méprisé sera grande, plus grande sera ma foi en ton Etre éternel. Je crois. Je crois à tout ce qui est dit de toi. Je crois à tout ce que tu dis. J’ai su croire aussi pour Lazare. J’ai été la seule qui ait su obéir et croire, la seule qui ait su réagir contre les hommes et les événements qui voulaient me convaincre de ne pas croire. Ce n’est qu’à l’extrême limite, près de la fin de l’épreuve, que j’ai eu une défaillance… Mais l’épreuve durait depuis si longtemps… et je ne pensais plus que même toi, Maître béni, tu pourrais t’approcher du golal après tant de jours de mort… Désormais… je ne douterai plus même si un tombeau devrait être ouvert pour rendre la proie qu’il contient depuis, non pas quelques jours, mais des mois. Oh ! mon Seigneur ! Je sais qui tu es ! La fange a reconnu l’Etoile ! »

Marie-Madeleine s’est accroupie aux pieds de Jésus, sur le dallage. Elle n’est plus véhémente, mais douce, et son visage tourné vers Jésus exprime l’adoration.

« Qui suis-je ?

– Celui qui est. C’est cela. Ta personne humaine n’est que le vêtement, le vêtement nécessaire posé sur ta splendeur et sur ta sainteté pour venir parmi nous et nous sauver. Mais tu es Dieu, mon Dieu. »

Et elle se jette par terre pour baiser les pieds du Christ. Elle semble ne pas pouvoir détacher ses lèvres des doigts qui dépassent du long vêtement de lin.

« Relève-toi, Marie. Garde fermement ta foi. Et, pendant les heures de tempête, élève-la comme une étoile pour que les cœurs s’y fixent, et sachent espérer… au moins cela. »

583.5 Puis il s’adresse à toutes :

« Je vous ai appelées car, dans les jours à venir, il ne sera pas facile de nous voir en paix. Le monde nous entourera, et les secrets des cœurs ont une pudeur plus grande que celle des corps. Je ne suis pas le Maître, aujourd’hui. Je suis l’Ami. Vous n’avez pas toutes d’espoirs ou de craintes à me partager. Mais vous aviez toutes envie de me voir paisiblement encore une fois. Et je vous ai appelées, vous qui êtes la fleur d’Israël et du nouveau Royaume, et vous, qui représentez la fleur du paganisme qui quitte le lieu des ombres pour entrer dans la Vie. Gardez cela au fond du cœur pour les jours qui viennent : que l’honneur que vous rendez au Roi persécuté d’Israël, à l’Innocent accusé, au Maître qu’on n’écoute pas, adoucisse ma douleur.

Je vous demande de rester très unies, vous qui appartenez au peuple d’Israël, vous qui êtes venues en Israël, vous qui venez vers Israël. Que les unes secourent les autres. Que celles dont la vie spirituelle est plus forte secourent les plus faibles. Que les plus sages secourent celles qui savent peu de choses ou même rien, et ont seulement le désir de sagesses nouvelles, de sorte que leur désir humain s’épanouisse en un désir surnaturel de la Vérité, grâce aux soins de leurs sœurs plus avancées.

Soyez pleines de pitié les unes pour les autres. Que celles que des siècles de la loi divine ont formées à la justice compatissent à celles que le paganisme rend… différentes. Les habitudes morales ne se changent pas du jour au lendemain, sauf dans des cas exceptionnels dans lesquels une puissance divine intervient pour opérer le changement, afin de seconder une volonté très bonne. Ne vous étonnez pas si vous assistez, chez celles qui viennent d’autres religions, à des arrêts dans leurs progrès et parfois même à des retours sur les vieux chemins. Pensez au comportement d’Israël envers moi, et n’attendez pas des païens la souplesse et la vertu qu’Israël n’a pas su, n’a pas voulu avoir envers le Maître.

Considérez-vous comme des sœurs les unes pour les autres, des sœurs que le destin a réunies autour de moi, dans ce dernier temps de ma vie mortelle… Ne pleurez pas ! Je vous ai réunies en vous amenant de lieux différents, de sorte que la diversité de vos coutumes et de vos langues rend un peu difficile votre mutuelle compréhension humaine. Mais, en vérité, l’amour a un langage unique, et le voici : faire ce que l’être aimé enseigne, et cela pour lui rendre honneur et le réjouir. Sur ce point, vous pouvez toutes vous comprendre, et que celles qui comprennent davantage aident les autres à mieux comprendre.

583.6 Plus tard… dans un avenir plus ou moins lointain, en des circonstances diverses, vous vous séparerez de nouveau pour vous disperser en diverses régions de la terre, certaines en revenant dans vos pays natals, d’autres en partant vers un exil qui ne leur pèsera pas ; car celles qui le subiront seront déjà arrivées à la perfection de la vérité, qui leur permettra de comprendre que ce n’est pas d’être conduites ici ou là qui constitue un exil de la vraie Patrie.

En effet, la vraie Patrie, c’est le Ciel. Car celui qui est dans la vérité est en Dieu, et il a Dieu en lui. Il est donc déjà dans le Royaume de Dieu ; or le Royaume de Dieu ne connaît pas de frontières : par conséquent, la personne qui quitte Jérusalem pour des contrées comme l’Ibérie, la Pannonie, la Gaule ou l’Illyrie ne sort pas du Royaume. Vous serez toujours dans le Royaume si vous restez en Jésus, ou si vous venez à Lui.

Je suis venu rassembler toutes les brebis : celles du troupeau de mon Père, celles des autres, et même celles qui n’ont pas de pasteur, qui sont sauvages, perdues, plongées dans des ténèbres si profondes qu’elles ne leur permettent pas de voir ne serait-ce qu’un iota, non de la loi divine, mais même de la loi morale. Il s’agit de peuplades ignorées qui attendent d’être connues, à l’heure fixée par Dieu, et qui ensuite viendront s’agréger au troupeau du Christ. Quand ? Qu’il s’agisse d’années ou de siècles, cela revient au même pour l’Eternel ! Mais vous serez les précurseurs de celles qui iront, avec les futurs pasteurs, rassembler dans l’amour chrétien les brebis et les agneaux sauvages pour les conduire dans les pâturages divins. Que votre premier champ d’expérience soit ces lieux.

583.7 La petite hirondelle qui lève son aile pour voler ne se jette pas immédiatement dans la grande aventure. Elle essaie son premier vol de l’avant-toit jusqu’à la vigne qui ombrage la terrasse, puis elle revient à son nid ; de nouveau, elle s’élance vers une terrasse au-delà de la sienne, et elle revient. Et toujours plus loin… jusqu’à ce qu’elle sente que son aile devient forte et son orientation sûre. Alors, elle joue avec les vents et les espaces, et elle va et vient en gazouillant, à la poursuite des insectes, en effleurant l’eau, en remontant vers le soleil, jusqu’à ce que, le moment venu, elle ouvre avec assurance ses ailes pour voler longuement vers les pays plus chauds et riches d’une nourriture nouvelle. Elle ne craint pas de franchir les mers, petite comme elle est, point d’acier bruni perdu entre les immensités bleues de la mer et du ciel, un point qui va sans peur, alors qu’il y a peu, elle craignait le petit vol du bord du toit au sarment feuillu. Elle a désormais un corps nerveux, parfait, qui fend l’air comme une flèche, et on se demande si c’est l’air qui transporte avec amour ce petit roi de l’air, ou si c’est lui qui, avec amour, sillonne ses domaines. En voyant son vol assuré utiliser les vents et la densité de l’atmosphère pour aller plus vite, qui pense encore à son premier battement d’ailes gauche et apeuré ?

Il en sera ainsi de vous. Qu’il en soit ainsi de vous, comme de toutes les âmes qui vous imiteront. On ne devient pas capable à l’improviste. Ne vous découragez pas devant vos premières défaites, ne tirez pas orgueil de vos premières victoires. Les premières défaites servent à mieux vous y prendre une autre fois, les premières victoires sont un encouragement à faire encore mieux à l’avenir et vous permettent de croire avec assurance que Dieu aide les bonnes volontés.

583.8 Soyez toujours soumises aux bergers et obéissez à leurs con­seils et à leurs ordres. Soyez toujours pour eux des sœurs qui leur soient une aide dans leur mission et un soutien dans la fatigue. Faites part de mes paroles à celles qui sont absentes aujourd’hui, ainsi qu’à celles qui viendront à l’avenir.

Maintenant et toujours, soyez comme des filles pour ma Mère. Elle vous guidera en tout. Elle peut guider les jeunes filles comme les veuves, les épouses comme les mères, car elle a connu les obligations de tous les états, par sagesse surnaturelle certes, mais aussi par son expérience personnelle. Aimez-vous et aimez-moi en Marie. Vous ne défaillirez jamais, car elle est l’Arbre de la Vie, la vivante Arche de Dieu, la forme de Dieu et la forme pour Dieu en laquelle la Sagesse s’est fait un siège et en laquelle la Grâce s’est faite chair.

583.9 Et maintenant que j’ai parlé en général, maintenant que je vous ai vues, je désire écouter mes disciples et celles qui sont l’espérance des disciples futures. Allez. Moi, je reste ici. Que celles qui souhaitent s’entretenir avec moi viennent me trouver, car nous n’aurons plus jamais un moment de paix intime semblable à celui-ci. »

Les femmes se consultent. Elise sort avec Marie et Marie, femme de Clopas. Marie de Magdala écoute Plautina qui veut la persuader de quelque chose, mais il semble que Marie le refuse, car elle a fait des signes de dénégation puis s’éloigne, laissant en plan son interlocutrice. En passant, elle prend avec elle sa sœur et Suzanne en disant :

« Nous aurons bien le temps de lui parler. Laissons celles qui doivent s’en aller profiter de sa présence.

– Viens, Sarah. Nous serons les dernières à venir » propose Annalia.

583.10 Toutes sortent peu à peu, sauf Marie Salomé qui reste à la porte, l’air indécis.

« Viens ici, Marie. Ferme la porte et approche. De quoi as-tu peur ? lui dit Jésus.

– C’est que, moi… je suis toujours avec toi. Tu as entendu Marie, sœur de Lazare ?

– Oui, mais viens plus près. Tu es la mère de mes premiers apôtres. Que veux-tu me dire ? »

La femme s’approche avec la lenteur de quelqu’un qui doit demander une chose importante, mais ne sait pas s’il peut le faire.

Jésus l’encourage d’un sourire :

« Quoi ? Veux-tu peut-être me demander une troisième place pour Zébédée ? Mais c’est un sage. Il ne t’a certainement pas envoyée me faire une telle requête ! Parle donc…

– Ah ! Seigneur ! C’est justement de cette place que je voulais te parler. Tu parles d’une façon… comme si tu devais nous quitter… et je voudrais que, avant ton départ, tu m’aies vraiment pardonnée. Je n’ai pas de paix à la pensée de t’avoir déplu.

– Tu y penses encore ? Ne vois-tu pas que je t’aime comme avant, plus qu’avant ?

– Si, Seigneur. Mais prononce vraiment cette parole de pardon, pour que je puisse raconter à mon époux combien tu t’es montré bon à mon égard.

– Mais il n’est pas besoin, femme, que tu racontes une faute pardonnée !

– Je le ferai pourtant ! Car Zébédée, voyant à quel point tu aimes ses fils, pourrait tomber dans le même péché que moi et… si tu nous quittes, qui pourrait nous en absoudre ? Je voudrais que nous entrions tous dans ton Royaume. Mon mari aussi. Je ne crois pas que ce désir me mette hors de la justice. Je suis une pauvre femme, et je ne connais pas les livres. Mais quand ta Mère nous lit ou nous dit des passages de l’Ecriture, à nous les femmes, elle parle souvent des femmes élues d’Israël et des passages qui font mention de nous. Et dans les Proverbes, qui me plaisent tellement, il est dit que le cœur de l’époux se fie à sa femme courageuse. Moi, je pense qu’il est juste que la femme fasse preuve de la même confiance envers son mari, même pour ce qui tient du commerce céleste. Si je lui procure une place sûre au Ciel, en l’empêchant de pécher, je pense que je fais une bonne action.

– Oui, Salomé. Tu as vraiment ouvert ta bouche à la sagesse et à des principes de bonté. Va en paix. Tu as plus que mon pardon. Tes fils, selon le livre qui te plaît tant, te proclameront bienheureuse, et ton mari te louera dans la Patrie des justes. Sois tranquille. Va en paix. Sois heureuse. »

Il la bénit et la congédie.

Salomé s’en va, toute joyeuse.

583.11 Entre la vieille Anne de la maison près du lac Mérom, tenant par la main deux petits garçons et suivie par une fillette timide et pâlotte, qui avance en baissant la tête, déjà un peu maman à sa manière d’aider un enfant qui sait à peine marcher.

« Anne ! Toi aussi, tu veux donc me parler ? Et ton mari ?

– Il est malade, Seigneur, très malade. Je ne vais peut-être pas le retrouver vivant… »

Des larmes coulent à travers les rides du visage sénile.

« Et tu es ici ?

– Oui. C’est lui qui m’a dit : “ Moi, je ne peux pas. Toi, va pour la Pâque et veille à ce que nos fils…” »

Elle redouble de larmes et sa voix s’étrangle.

« Pourquoi pleures-tu ainsi, femme ? Ton mari a bien dit : “ Veille à ce que nos fils ne soient pas contre le Christ pour leur éternelle paix. ” Jude est un juste. Plus que de sa vie et du réconfort que tes soins pourraient lui prodiguer, il se préoccupe du bien de ses enfants. Les voiles se lèvent dans les heures qui précèdent la mort des justes, et les yeux de l’âme voient la Vérité. Mais tes fils ne t’écoutent pas, femme. Et que puis-je faire, moi, s’ils me repoussent ?

– Ne les hais pas, Seigneur !

– Et pourquoi le devrais-je ? Je prierai pour eux. Et je vais imposer les mains à ces innocents qui t’accompagnent pour tenir loin d’eux la haine qui tue. Venez près de moi. Toi, qui es-tu ?

– Jude, comme le père de mon père » déclare le plus grand des garçons.

Et le plus petit, que sa sœur tient par la main, saute et s’écrie :

« Moi, c’est moi, Jude !

– Oui. Ils ont honoré leur père en donnant son nom à leurs fils, mais pas d’une autre manière… dit la vieille femme.

– Ses vertus ressusciteront en eux. Approche, toi aussi, fillette. Sois bonne et sage comme celle qui t’a conduite ici.

– Ah ! Marie l’est effectivement ! Pour ne pas être seule, je l’emmènerai avec moi en Galilée. »

Jésus bénit les enfants en laissant sa main sur la tête de la gentille fillette. Puis il demande :

« Et pour toi, tu ne demandes rien, Anne ?

– De retrouver mon Jude vivant et d’avoir la force de mentir, en disant que ses fils…

– Non, pas de mensonge, jamais. Même pas pour qu’un agonisant meure en paix. Tu rapporteras ceci à Jude : “ Le Maître a dit qu’il te bénit et qu’avec toi, il bénit ton sang. ” Ces enfants innocents sont aussi de son sang, et je les ai bénis.

– Mais s’il demande si nos fils…

– Tu répondras : “ Le Maître a prié pour eux. ” Jude reposera dans la certitude que ma prière est puissante, et la vérité sera dite sans décourager le mourant. Car je prierai également pour eux. Va en paix, toi aussi, Anne. Quand quittes-tu la ville ?

– Après-demain, pour ne pas être arrêtée en route par le sabbat.

– C’est bien. Je suis heureux que tu sois ici après le sabbat. Reste bien unie à Elise et à Nikê. Va, et sois forte et fidèle. »

La femme a déjà presque atteint la porte, quand Jésus la rappelle :

« Ecoute : tes petits-enfants passent beaucoup de temps avec toi, n’est-ce pas ?

– Toujours, pendant que je suis en ville.

– Pendant ces jours… laisse-les à la maison, si tu en sors pour me suivre.

– Pourquoi, Seigneur ? Tu crains la persécution ?

– Oui. Et il vaut mieux que l’innocence ne voie pas et n’entende pas…

– Mais… que penses-tu qu’il va arriver ?

– Va, Anne, va…

– Seigneur, si… s’ils devaient te faire ce que l’on annonce, certainement mes fils… et alors la maison sera pire que la rue…

– Ne pleure pas. Dieu pourvoira. Paix à toi. »

La vieille femme s’éloigne, en larmes.

583.12 Pendant un moment, personne n’entre, puis Jeanne et Valéria arrivent ensemble. Elles sont angoissées, Jeanne surtout. L’autre est pâle et soupire, mais elle montre plus de courage.

« Maître, Anne nous a effrayées. Tu lui as dit… mais ce n’est sûrement pas passible ! Kouza peut être indécis… calculateur, mais il n’a rien d’un menteur ! Il me certifie qu’Hérode n’a aucun désir de te nuire… Je ne sais rien de Ponce… »

Jeanne jette un coup d’œil à Valéria, qui se tait. Alors elle reprend :

« J’espérais en savoir un peu plus par Plautina, mais je n’ai pas compris grand-chose…

– Rien, devrais-tu dire, sauf qu’elle n’a pas avancé d’un pas. A moi non plus, elle n’a pas parlé. Mais, si j’ai bien compris, l’indifférence romaine, toujours forte tant qu’un fait ne peut avoir de répercussion sur la patrie ou sur la vie personnelle, a eu raison de celles qui paraissaient prêtes à changer autrefois. Ce qui nous sépare, comme un fossé s’interpose entre deux terrains auparavant unis, c’est moins le fait que je me sois approchée de la synagogue, que leur indifférence, leur paresse spirituelles, si éloignées de moi. Mais à leur manière, elles sont heureuses… Et la félicité humaine n’aide pas à tenir éveillée la pensée.

– Et à éveiller l’esprit, Valéria, dit Jésus.

– C’est exact, Maître. Pour moi… c’est autre chose… Tu as vu cette femme qui était avec nous ? Elle est de ma famille. Veuve et seule, elle m’a été envoyée par des parents pour me convaincre de retourner en Italie. Il y a là beaucoup de promesses de joies pour l’avenir ! Mais comme ce sont des joies que je n’apprécie plus, je les méprise. Je n’irai pas en Italie. Ici, je t’ai toi, ainsi que ma fillette que tu as sauvée, et que tu m’as appris à aimer pour son âme. Je ne quitterai pas ces lieux… Marcelle… Je l’ai amenée avec moi pour qu’elle te voie et comprenne que je ne reste pas ici à cause d’un amour déshonorant pour un juif — pour nous, c’est déshonorant —, mais parce que j’ai trouvé en toi un réconfort dans ma souffrance d’épouse répudiée. Marcelle n’est pas mauvaise : elle a souffert, donc elle comprend. Mais elle est encore incapable de comprendre ma nouvelle religion et, comme elle y voit des chimères, elle me rabroue un peu… Mais cela n’a guère d’importance. Si elle en éprouve le désir, elle viendra là où je suis désormais. Sinon, je resterai ici avec Tusnilde. Je suis libre, je suis riche, je peux faire ce que je veux. Et en ne faisant pas de mal, je fais ce que je veux.

583.13 – Et quand le Maître ne sera plus là ? demande Jeanne.

– Il restera ses disciples. Plautina, Lydia, Claudia elle-même qui, après moi, est celle qui suit de plus près ta doctrine et t’honore davantage, n’ont pas encore compris que je ne suis plus la femme qu’elles connaissaient et croient connaître encore. Mais je suis sûre de me connaître moi-même désormais. J’irai jusqu’à dire que, si je perds beaucoup en perdant le Maître, je ne perdrai pas tout, car ma foi restera ; or je veux rester là où elle est née. Je ne veux pas emmener Fausta dans des contrées où rien ne parle de toi. C’est ici que tout parle de toi. D’ailleurs, tu ne nous laisseras sûrement pas sans guide, nous qui avons voulu te suivre. Pourquoi est-ce à moi, une femme issue d’une nation païenne, d’avoir ces pensées alors que plusieurs d’entre vous, et toi-même, vous êtes comme perdues en pensant au jour où le Maître ne sera plus parmi nous ?

– C’est qu’elles se sont accoutumées à des siècles d’immobilisme, Valéria. Elles se représentent le Très-Haut au loin, dans sa maison, au-dessus de l’autel invisible que seul le grand-prêtre voit à des occasions solennelles. Cela les a aidées à venir vers moi. Elles pouvaient enfin s’approcher du Seigneur. Aujourd’hui, elles tremblent de ne plus avoir ni le Très-Haut dans sa gloire, ni le Verbe du Père parmi elles. Mais il faut excuser… Et t’élever spirituellement, Jeanne. Je serai en vous. Rappelle-le-toi. Je m’en irai, mais je ne vous laisserai pas orphelins. Je vous laisserai ma maison : mon Eglise, et ma parole : la Bonne Nouvelle. Mon amour habitera dans vos cœurs. Enfin, je vous laisserai un don plus grand qui vous nourrira de moi, et fera en sorte que je sois parmi vous et en vous — et pas seulement spirituellement. Je le ferai pour vous donner force et réconfort. 583.14 Mais maintenant… Anne est très affligée, à cause des enfants…

– Elle nous en a parlé avec angoisse…

– Oui. Je lui ai conseillé de les garder loin des gens. Je vous dis la même chose à vous deux.

– J’enverrai Fausta avec Tusnilde à Béther, avant le temps fixé. Elles devaient s’y rendre après la fête.

– Moi, non. Je ne me sépare pas des enfants. Je les garderai à la maison, mais je dirai à Anne d’y laisser les siens. Les fils de cette femme sont de tristes sires, mais ils seront honorés de mon invitation et ne contrediront pas leur mère. Quant à moi…

– Moi, je voudrais…

– Quoi, Maître ?

– Que vous soyez toutes très unies en ces jours. Je garderai avec moi la sœur de ma Mère, Salomé, Suzanne et les sœurs de Lazare. Mais je voudrais vous voir unies, très unies.

– Mais ne pourrons-nous pas te rejoindre là où tu seras ?

– Ces jours-ci, je serai comme un éclair qui brille rapidement et disparaît. Je monterai au Temple le matin, puis je quitterai la ville. En dehors de ce passage au Temple, chaque matin, vous ne pourrez me rencontrer.

– L’an dernier, tu es venu chez moi…

– Cette année, je ne me rendrai chez personne. Je serai un éclair fulgurant…

– Mais la Pâque…

– Je désire la consommer avec mes apôtres, Jeanne. Si c’est la volonté de ton Maître, il a certainement une bonne raison.

– C’est vrai… 583.15 Je serai donc seule… car mes frères m’ont fait savoir qu’ils souhaitaient être libres pendant ces jours, et Kouza…

– Maître, je m’en vais. Il pleut à verse. Je vais trouver les enfants qui se sont rassemblés sous le portique, intervient Valéria, qui se retire prudemment.

– Dans ton cœur aussi, il pleut bien fort, Jeanne.

– C’est vrai, Maître. Kouza est tellement… étrange. Je ne le comprends plus. C’est une contradiction continuelle. Peut-être a-t-il des amis qui l’influencent… peut-être lui a-t-on fait quelque menace… ou encore, il craint pour l’avenir.

– Il n’est pas le seul. Je puis même dire que rares sont ceux qui, comme moi, ne craignent pas le lendemain. Ils sont éparpillés çà et là, et ils seront de moins en moins nombreux. Sois très douce et très patiente avec lui. Ce n’est qu’un homme…

– Mais il a tant reçu de Dieu, de toi, qu’il devrait…

– Qu’il devrait ! Oui. Mais qui n’a pas reçu de moi en Israël ? J’ai fait du bien à mes amis et à mes ennemis, j’ai pardonné, guéri, consolé, instruit… Tu vois, et tu verras toujours plus, comme Dieu seul est immuable, comme les réactions des hommes sont diverses, et comme souvent celui qui a reçu le plus est aussi le plus prompt à frapper son bienfaiteur. Vraiment, on pourra dire que celui qui a mangé mon pain en ma compagnie, a levé contre moi son talon.

– Ce n’est pas moi qui ferai cela, Maître !

– Toi, non. Mais beaucoup, oui.

– Mon époux est-il l’un d’eux ? Si c’était le cas, je ne rentrerai pas chez moi ce soir !

– Non, pas ce soir. Mais même s’il faisait partie de leur groupe, ta place est là-bas. Car si lui pèche, toi, tu ne dois pas pécher. S’il chancelle, tu dois le soutenir. S’il te piétine, tu dois pardonner.

– Oh ! me piétiner, non ! Il m’aime, mais je le voudrais plus sûr de lui. Il a beaucoup d’influence sur Hérode. Je voudrais qu’il arrache au Tétrarque une promesse en ta faveur, comme Claudia essaie d’en obtenir une de Pilate. Mais Kouza a seulement pu me rapporter de vagues phrases d’Hérode… et m’assurer que celui-ci n’a que le désir de te voir accomplir quelque prodige, et qu’il ne te persécutera pas… Il espère de cette façon faire taire ses remords au sujet de Jean-Baptiste. Kouza dit : “ Mon roi ne cesse de répéter : ‘Même si le Ciel le commandait, je ne lèverais pas la main sur lui. J’ai trop peur !’ ”

– Il dit vrai. Il ne lèvera pas la main sur moi. Beaucoup en Israël ne le feront pas, par peur de me condamner matériellement, mais ils demanderont que d’autres s’en chargent à leur place. Comme s’il y avait une différence aux yeux de Dieu entre celui qui frappe sous la pression du peuple, et celui qui ordonne de frapper !

– Mais le peuple t’aime ! De grandes fêtes se préparent pour toi. Et Pilate ne veut pas de désordre. Il a renforcé les troupes, ces jours-ci. J’espère tant que… Je ne sais pas ce que j’espère, Seigneur… J’espère et désespère… Ma pensée est changeante comme ces jours où le soleil alterne avec la pluie…

– Prie, Jeanne, et reste en paix. Ne cesse pas de penser que tu n’as jamais causé la moindre peine à ton Maître, et qu’il s’en souvient. Va. »

Jeanne, qui est devenue pâle et s’est amaigrie pendant ces quelques jours, sort toute pensive.

583.16 C’est alors le doux visage d’Annalia qui apparaît.

« Avance. Ta compagne, où est-elle ?

– A côté, Seigneur. Elle veut s’en aller, elles vont partir. Marthe a compris mon désir, et elle me garde jusqu’au coucher du soleil de demain. Sarah retourne à la maison pour avertir que je reste. Elle voudrait ta bénédiction, car… Mais je te parlerai ensuite.

– Qu’elle vienne, je la bénirai. »

La jeune fille sort pour revenir avec sa compagne, qui se prosterne devant le Seigneur.

« Que la paix soit avec toi, et que la grâce du Seigneur te conduise sur les sentiers où t’a menée celle qui t’a précédée. Sois affectueuse envers sa mère, et bénis le Ciel qui t’a épargné les liens et les souffrances afin de t’avoir tout entière pour lui. Un jour, plus que maintenant, tu le béniras d’être restée vierge par ta volonté. Va ! »

La jeune fille repart, tout émue.

« Tu lui as dit ce qu’elle espérait entendre. Ces paroles étaient son rêve. Sarah me confiait souvent : “ Ta destinée me plaît, bien qu’elle soit nouvelle en Israël, et je la désire pour moi aussi. N’ayant plus de père, et ma mère étant douce comme une colombe, je ne crains pas de ne pouvoir la suivre. Mais pour être certaine de pouvoir l’accomplir, et afin qu’elle soit sainte pour moi comme elle l’est pour toi, je voudrais l’entendre de sa bouche. ” Son souhait vient d’être exaucé, et moi aussi, je suis en paix, car je craignais parfois d’avoir exalté un cœur…

– Depuis quand est-elle avec toi ?

– Depuis… 583.17 Quand l’ordre du Sanhédrin est arrivé, j’ai pensé : “ L’heure du Seigneur est venue, et je dois me préparer à mourir. ” Car je te l’ai demandé, Seigneur… Et maintenant je te le rappelle… Si tu vas au sacrifice, je veux t’y accompagner, et être hostie.

– Ce désir est-il toujours ferme ?

– Oui, Maître. Je ne pourrais pas vivre dans un monde où tu ne serais pas… et je ne pourrais survivre à ta torture. J’ai tellement peur pour toi ! Beaucoup d’entre nous se font des illusions… Pas moi ! Je sens que l’heure est venue. Il y a trop de haine… Et j’espère que tu accepteras mon offrande. Je n’ai que ma vie à te donner, car je suis pauvre, tu le sais. Ma vie et ma pureté. C’est pour cela que j’ai persuadé ma mère d’appeler sa sœur auprès d’elle, afin qu’elle ne reste pas seule… Sarah sera sa fille à ma place, et la mère de Sarah sera pour elle un réconfort.

Ne déçois pas mon cœur, Seigneur ! Le monde n’a aucun attrait pour moi. C’est pour moi une prison où beaucoup de choses me répugnent fortement. C’est peut-être parce que j’ai été au seuil de la mort, que j’ai compris comment ce qui, pour beaucoup, représente la joie, n’est qu’un vide qui ne rassasie pas. Je suis absolument certaine de ne désirer que le sacrifice… et de vouloir te précéder… pour ne pas voir la haine du monde lancée comme une arme de torture sur mon Seigneur, et pour te ressembler dans la souffrance…

– Dans ce cas, nous déposerons le lys coupé sur l’autel où s’immole l’Agneau, et il deviendra rouge du sang rédempteur. Les anges seront seuls à savoir que l’Amour a été le sacrificateur d’une agnelle toute blanche, et ils marqueront le nom de la première victime de l’Amour, de la première continuatrice du Christ.

– Quand, Seigneur ?

– Tiens ta lampe allumée et reste en vêtements de noces.

L’Epoux est à la porte. Tu verras son triomphe et non sa mort, mais tu triompheras avec lui en entrant dans son Royaume.

– Ah ! je suis la femme la plus heureuse d’Israël ! Je suis la reine couronnée de ton diadème ! Puis-je, comme telle, te demander une grâce ?

– Laquelle ?

– J’ai aimé un homme, tu le sais. Je ne l’ai plus aimé comme époux, car un amour plus grand est entré en moi, et dès lors cet homme ne m’a plus aimée, parce que… Mais je ne veux pas rappeler son passé. Je te demande de racheter ce cœur. Le puis-je ? Ce n’est pas pécher que de vouloir me souvenir, au moment où j’arrive au seuil de la Vie, de celui que j’aimais, pour lui obtenir la vie éternelle, n’est-ce pas ?

– Ce n’est pas pécher. Bien au contraire, c’est porter l’amour jusqu’au terme saint du sacrifice, pour le bien de l’être aimé.

– Alors bénis-moi, Maître. Absous-moi de tout mon péché. Prépare-moi pour les noces et pour ta venue. Car c’est toi qui viens, mon Dieu, pour prendre ta pauvre servante et en faire ton épouse. »

La jeune femme, radieuse de joie et de santé, s’incline pour baiser les pieds du Maître, pendant qu’il la bénit en priant sur elle. La salle, blanche comme si elle était toute de lys, est vraiment le cadre qui convient pour ce rite, et il s’harmonise bien avec ses deux protagonistes, jeunes, beaux, tout de blanc vêtus, dans la splendeur d’un amour angélique et divin.

583.18 Jésus quitte la jeune fille remplie d’allégresse, et il sort doucement pour aller bénir les enfants, qui se précipitent avec des cris de joie vers le char, où ils montent avec les femmes qui s’en vont. Elise et Nikê restent, pour reconduire Annalia en ville le lendemain. Il a cessé de pleuvoir et, une fois les nuages dispersés, le ciel bleu apparaît, et les rayons du soleil rendent étincelantes de lumière les gouttes de pluie. Un magnifique arc-en-ciel unit Béthanie à Jérusalem. Le char part en grinçant, sort par le portail et disparaît.

Lazare, qui se tient à côté de Jésus, au bout du porche, demande en observant le Maître :

« Les disciples t’ont-elles réjoui le cœur ?

– Non, Lazare. A l’exception de l’une d’elles, elles m’ont toutes confié leurs douleurs, et m’ont déçu, si du moins je pouvais me faire des illusions.

– Ce sont les Romaines qui t’ont déçu ? T’ont-elles parlé de Pilate ?

– Non.

– Dans ce cas, il me faut le faire. J’espérais qu’elles t’en parleraient. C’est pour cela que j’avais attendu. Entrons dans cette pièce isolée. Les femmes vaquent à leurs travaux avec Marthe. Marie, de son côté, est avec ta Mère dans l’autre maison. Ta Mère est longuement restée avec Judas, et maintenant elle l’a emmené avec elle… Assieds-toi, Maître… 583.19 Je suis allé chez le Proconsul… Je l’avais promis, et je l’ai fait. Mais Simon-Pierre ne serait pas très satisfait de ma mission ! Heureusement, il n’y pense plus. Le Proconsul m’a écouté et m’a répondu : “ Moi ? Moi, m’en occuper ? Mais je n’ai pas l’ombre de la plus lointaine pensée de le faire ! Je dis seulement ceci : ce n’est pas à cause de cet homme — de toi, Maître —, mais en raison de tous les ennuis qu’il me procure, que je suis bien décidé à ne plus m’en occuper, ni en bien ni en mal. Je m’en lave les mains. Je renforcerai la garde, car je ne veux pas de désordres. De cette façon, je satisferai César, mon épouse et moi-même, c’est-à-dire les seuls dont je me préoccupe d’une manière sacrée. Pour le reste, je ne lèverai pas le petit doigt. Ce sont encore des querelles de ces éternels mécontents. Ce sont eux qui les provoquent, eux qui y prennent plaisir. Moi, j’ignore cet homme aussi bien comme malfaiteur que comme vertueux ou comme sage. Je l’ignore, et je veux continuer à l’ignorer. Pourtant, malgré mon désir, je n’y arrive que difficilement, car les chefs d’Israël m’en parlent en se plaignant, Claudia en faisant son éloge, et les partisans du Galiléen en récriminant contre le Sanhédrin. Si ce n’était pas pour Claudia, je le ferais arrêter et je le leur livrerais pour qu’ils en finissent avec cette affaire, et que je n’en entende plus parler. Cet homme est le sujet le plus paisible de tout l’Empire, mais malgré cela, il m’a procuré tant d’ennuis que je voudrais une solution… ” Voilà quelle est son humeur, Maître…

– Tu veux dire qu’il n’y a pas lieu de se rassurer. Avec les hommes, on n’est jamais sûr…

– J’ai néanmoins l’impression que le Sanhédrin est plus calme. On n’a pas rappelé l’ordre d’arrestation, les disciples n’ont pas été importunés. D’ici peu, ceux qui sont allés en ville vont revenir et ils nous informeront… Te contredire, les membres du Sanhédrin le feront toujours. Mais t’attaquer ?… Les foules t’aiment trop pour pouvoir les défier imprudemment.

583.20 – Et si nous marchions à la rencontre de ceux qui reviennent ? propose Jésus.

– Allons-y. »

Ils sortent dans le jardin et sont à mi-route quand Lazare demande :

« J’y pense, quand as-tu dîné ? Et où ?

– A prime.

– Mais le soleil va bientôt se coucher. Rentrons.

– Non, je n’en sens pas le besoin. Je préfère marcher. J’aperçois là-bas un pauvre enfant agrippé à la grille. Il a probablement faim. Il est pâle et déguenillé. Je l’observe depuis un moment. Il était déjà là quand le char est sorti, et il s’est enfui pour n’être pas vu et peut-être chassé. Puis il est revenu, et il regarde avec insistance vers la maison et vers nous.

– S’il a faim, il serait bon que j’aille chercher de quoi le nourrir. Va devant, Maître. Je te rejoins tout de suite. »

Et Lazare retourne sur ses pas en courant pendant que Jésus se hâte vers la grille.

583.21 L’enfant a un visage souffreteux et ingrat, où seuls brillent de beaux yeux vifs qui le regardent.

Jésus lui sourit doucement et lui dit, tout en poussant le verrou :

« Qui cherches-tu, mon enfant ?

– Tu es le Seigneur Jésus ?

– Je le suis.

– C’est toi que je cherche.

– Qui t’envoie ?

– Personne. Mais je veux te parler. Il y a plein de monde qui vient te parler. Moi aussi. Tu en exauces tant ! Alors, moi aussi. »

Jésus a fait jouer la fermeture et il prie l’enfant de lâcher les barres qu’il serre entre ses mains décharnées afin de pouvoir ouvrir. Le garçon s’écarte et, par ce geste, il remue son petit vêtement déteint sur son corps déformé. On voit alors que c’est un pauvre enfant rachitique, à la tête enfoncée dans les épaules à cause d’un commencement de gibbosité, et aux jambes écartées par une démarche mal assurée. Vraiment un petit malheureux. Il est peut-être plus âgé que ne le laisse penser sa taille, qui est celle d’un enfant de six ans environ, alors que son petit visage est déjà celui d’un homme, un peu fané, avec le menton proéminent, presque le visage d’un vieillard.

Jésus se penche pour le caresser :

« Dis-moi donc ce que tu veux. Je suis ton ami. Je suis l’ami de tous les enfants. »

Avec quelle affectueuse douceur Jésus prend dans ses mains sa tête et dépose un baiser sur son front !

« Je le sais, c’est pour ça que je suis venu. Tu vois comme je suis ? Je voudrais mourir pour ne plus souffrir et pour ne plus appartenir à personne… Toi, qui en as tant guéri et qui as ressuscité des morts, fais-moi mourir, moi que personne n’aime et qui ne pourrai jamais travailler.

583.22 – N’as-tu pas quelque famille ? Es-tu orphelin ?

– Un père, oui, j’en ai un. Mais il ne m’aime pas, parce que je suis comme ça. Il a chassé ma mère et lui a donné un libelle de divorce, et il m’a chassé avec elle. Puis maman est morte à cause de moi, parce que je suis difforme.

– Mais avec qui vis-tu ?

– A la mort de maman, les serviteurs m’ont reconduit chez mon père, mais lui, qui s’est marié de nouveau et a de beaux enfants, m’a chassé. Il m’a donné à ses paysans, qui agissent comme leur maître pour lui plaire, et ils me font souffrir.

– Ils te frappent ?

– Non. Mais ils prennent plus soin des bêtes que de moi, et ils me méprisent. Et comme je suis souvent malade, je suis pour eux une source d’ennui. Je deviens de plus en plus difforme, alors leurs enfants se moquent de moi et me font tomber. Personne ne m’aime. Cet hiver, quand j’ai tant toussé qu’il me fallait des remèdes, mon père n’a rien voulu dépenser : il disait que ce que je pouvais faire de mieux, c’était de mourir. Depuis ce moment-là, je t’attends pour pourvoir te demander : “ Fais-moi mourir ”. »

Jésus le prend à son cou, sourd aux paroles de l’enfant qui lui dit :

« Mes pieds sont pleins de boue, et mon vêtement aussi, car je me suis assis en route. Je vais te salir.

– Tu viens de loin ?

– Des alentours de Jérusalem, car c’est là qu’habite celui qui me garde. J’ai vu passer tes apôtres. Je sais que ce sont eux, car les paysans ont commenté : “ Voilà les disciples du Rabbi galiléen. Mais lui, il est absent. ” Alors je suis venu.

– Tu es trempé, mon enfant. Pauvre garçon ! Tu vas de nouveau tomber malade.

– Si tu ne m’écoutes pas, qu’au moins la maladie me fasse mourir. Où m’emmènes-tu ?

– A la maison. Tu ne peux rester ainsi. »

583.23 Portant dans ses bras l’enfant, Jésus rentre dans le jardin. Il crie à Lazare, qui arrive :

« Referme le portail toi-même. J’ai ce gamin tout trempé dans les bras.

– Mais qui est-ce, Maître ?

– Je ne sais pas. J’ignore même son nom.

– D’ailleurs, je ne le dis pas, reprend le garçonnet. Je ne veux pas être reconnu. Je veux ce dont je t’ai parlé. Maman me confiait : “ Mon fils, mon pauvre fils, moi je meurs, mais je voudrais que tu meures avec moi, car là-haut tu ne serais plus difforme au point de souffrir dans tes os et dans ton cœur. Là-haut, on ne se moque pas de ceux qui naissent malheureux, car Dieu est bon pour les innocents et les malheureux. ” Tu m’envoies chez Dieu ?

– L’enfant veut mourir. C’est une triste histoire… »

Lazare, qui regarde fixement le petit garçon, s’exclame soudain :

« Mais ne serais-tu pas le petit-fils de Nahum ? N’est-ce pas toi qui restes assis au soleil, près du sycomore qui se trouve à la limite des oliviers de Nahum, et que ton père a confié à Josias, le gérant de son domaine ?

– C’est bien moi. Mais pourquoi l’as-tu révélé ?

– Mon pauvre enfant ! Ce n’est pas pour me moquer de toi. Maître, le sort d’un chien en Israël est moins triste que celui de cet enfant. S’il ne retournait plus à la maison d’où il est venu, personne ne partirait à sa recherche. Les serviteurs comme les maîtres sont des hyènes au cœur féroce. Joseph connaît bien l’histoire… Elle a fait grand bruit. Mais moi, à ce moment-là, j’étais tellement affligé à cause de Marie… Ensuite, après la mort de sa malheureuse épouse, ce garçon est venu chez Josias. Je le voyais en passant… On l’oubliait sur l’aire, au soleil ou au vent, car il a su marcher très tard… et toujours bien peu. Je ne sais pas comment, aujourd’hui, il a pu venir jusqu’ici. Qui sait depuis combien de temps il est en route !

– Depuis que Pierre est passé par là.

– Et maintenant, qu’en faisons-nous ?

– Moi, je ne retourne pas là-bas ! Je veux mourir, m’en aller. Grâce et pitié pour moi, Seigneur ! »

583.24 Une fois dans la maison, Lazare hèle un serviteur pour qu’il apporte une couverture et envoie Noémie pour soigner l’enfant, qui est livide de froid dans ses vêtements trempés.

« C’est le fils de l’un de tes ennemis les plus acharnés ! L’un des plus mauvais en Israël. Quel âge as-tu, mon enfant ?

– Dix ans.

– Dix ans ! Dix ans de souffrance !

– Et c’est assez ! » s’exclame Jésus en posant l’enfant par terre.

Il est bien difforme ! L’épaule droite est plus haute que la gauche, la poitrine ressort excessivement, le cou étroit s’enfonce dans les clavicules, les jambes sont torses…

Jésus le regarde avec pitié, pendant que Noémie le déshabille et l’essuie, avant de l’envelopper dans une chaude couverture. Lazare aussi l’observe avec commisération.

« Je vais le coucher dans mon lit, Seigneur, après lui avoir donné du lait chaud, dit Noémie.

– Mais tu ne me fais pas mourir ? Aie pitié de moi ! Pourquoi me laisser vivre pour être ainsi et tant souffrir ? » et il achève : « J’avais espéré en toi, Seigneur. »

On sent dans sa voix un reproche, une déception.

« Sois gentil, obéis, et le Ciel te consolera » répond Jésus

Et il se penche pour passer sa main sur les pauvres membres déformés en un geste de caresse.

« Porte-le au lit et veille-le. Ensuite… on pourvoira. »

On emmène l’enfant, en larmes.

« Et ce sont ces gens-là qui se croient saints ! » s’écrie Lazare en pensant à Nahum.

583.25 On entend Pierre qui appelle son Maître…

« Oh ! Maître ! Tu es ici ? Tout va bien. Pas d’ennuis. Beaucoup de calme, au contraire. Au Temple, personne ne nous a dérangés. Jean a eu de bonnes nouvelles. On laisse les disciples en paix. Les gens t’attendent joyeusement. Je suis content. Et toi, Maître, qu’as-tu fait ? »

Ils s’éloignent en devisant, tandis que Lazare se rend là où Maximin l’appelle.



SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-044.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/l-adieu-aux-femmes-disciples.html
Anayel
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Ven 21 Mai - 10:14

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

584. Le sabbat qui précède l'entrée à Jérusalem. La parabole des deux lampes et celle de l'enfant difforme guéri. La souffrance de l'humanité dans les siècles futurs.

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 45.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 584.

Vision du mercredi 26 mars 1947

Samedi 30 mars 30
Béthanie


      584.1 Après les pluies des jours précédents, le temps s’est rétabli, et le soleil luit dans un ciel très pur. La terre, nettoyée par les pluies, est aussi claire et fraîche que l’atmosphère, au point de sembler créée depuis quelques heures. Tout resplendit et tout chante dans la sérénité du matin.

      Jésus se promène lentement le long des sentiers les plus écartés du jardin. Seuls quelques jardiniers observent cette promenade solitaire aux premières heures du jour, mais personne ne trouble le Maître. Au contraire, ils se retirent silencieusement pour le laisser en paix,

      Du reste, c’est le sabbat, jour de repos, et les jardiniers ne travaillent pas. Mais par suite d’une accoutumance aussi longue que leur vie, ils sont dehors pour examiner les fleurs, les plantes, les ruches, pour lesquels il n’y a pas de sabbat, et qui parfument, se balancent et bourdonnent au soleil et au petit vent d’avril.

      Peu à peu, le jardin s’anime : voici d’abord les serviteurs de la maison et les servantes, puis les apôtres et les femmes disciples, et en dernier lieu Lazare. Jésus les rejoint et les salue.

      « Depuis quand es-tu ici, Maître ? demande Lazare en secouant les gouttes de rosée des boucles de cheveux de Jésus.

      – Depuis l’aurore. Tes oiseaux m’ont appelé pour louer Dieu, et je suis sorti. Contempler Dieu dans les beautés de la Création, c’est l’honorer et prier avec l’émotion de l’esprit. La terre est belle. Et, à ces premières heures du jour, d’un jour comme celui-ci, elle nous apparaît fraîche comme aux premières heures de sa vie.

      – C’est vraiment un temps de Pâque. Le beau temps durera [1], car il s’est installé au début de la lune avec un vent favorable, assure Pierre.

      – Cela me réjouit. La Pâque sous l’eau, c’est bien triste !

      – Davantage encore : elle est nuisible aux moissons. Le grain demande plus de soleil au fur et à mesure qu’il s’approche de la récolte, déclare Barthélemy.

      – Je suis heureux d’être ici en paix. 584.2 C’est aujourd’hui jour de sabbat, et il ne viendra personne, pas d’étranger parmi nous, se réjouit André.

      – Tu te trompes : il y a un hôte [2], un petit hôte. Il dort encore, Maître. Avoir un lit mœlleux et l’estomac repu permet un bon sommeil. Je suis passé le voir. Noémie veille sur lui, dit Lazare.

      – De qui s’agit-il ? Quand est-il venu ? Qui l’a amené ? Pourquoi en parles-tu comme si c’était un enfant ? demandent hommes et femmes.

      – C’est un enfant, un pauvre enfant. C’est sa souffrance qui l’a conduit ici. Il était là, appuyé contre les barreaux de la grille, regardant vers la maison. Et le Maître l’a accueilli.

      – Nous ne savions rien… Pourquoi ?

      – Parce que ce petit garçon avait besoin de paix » répond Jésus, et son visage s’absorbe en une pensée profonde avant d’achever : « Et, dans la maison de Lazare, on sait se taire. »

      Un serviteur vient dire quelques mots à Marthe, puis il se retire pour revenir avec les autres, qui apportent des plateaux garnis de bols et d’amphores de lait, et du pain avec du beurre et du miel. Tous se servent en s’asseyant çà et là sur les sièges épars.

      584.3 Mais peu après, ils décident de se grouper de nouveau autour du Maître et de lui demander une parabole, “ une belle parabole ”, précisent-ils, “ sereine comme ce jour de Nisan. ”

      « Je ne vais pas vous en raconter une, mais deux : écoutez donc.

      Un homme voulut un jour allumer deux lampes pour honorer le Seigneur à l’occasion d’une fête. Il prit donc deux vases d’égale largeur, y versa la même quantité et la même qualité d’huile, et une mèche identique. Il les alluma à la même heure afin qu’elles prient à sa place pendant que lui travaillerait, selon ce qui lui était permis.

      A son retour, après un certain temps, il vit que de l’une des lampes s’élançait une vive flamme, alors que sur l’autre brillait une petite lueur bien tranquille, qui mettait tout juste un peu de lumière dans le coin où brûlaient les lampes. L’homme pensa que sa mèche était mal faite. Il l’observa : non, tout allait bien. Mais cette lampe ne voulait pas brûler aussi joyeusement que l’autre. Cette dernière faisait jaillir sa flamme comme une langue de feu et paraissait vraiment s’exprimer, tant elle était joyeuse et tant, dans la vivacité de son mouvement, elle laissait entendre un léger frou-frou.

      “ Cette lampe chante vraiment les louanges du Très-Haut ! ” pensa-t-il. “ Alors que celle-là ! Regarde-la, mon âme ! On dirait qu’il lui pèse d’honorer le Seigneur, tant elle le fait avec peu d’ardeur ! ”

      Il repartit travailler, et revint après un moment : la première flamme s’élevait encore plus haut et vibrait avec toujours plus de splendeur, alors que l’autre avait encore baissé et brûlait de plus en plus tranquillement. Il pouvait le vérifier à chacun de ses retours. Mais quand il rentra beaucoup plus tard, il trouva la pièce remplie d’une épaisse fumée nauséabonde, au travers de laquelle une seule petite flamme brillait. Il s’approcha de l’étagère où étaient placées les lampes, et il vit que celle qui flamboyait auparavant avec tant d’ardeur, s’était totalement consumée et noircie ; elle avait même souillé de sa langue la blancheur du mur. L’autre, au contraire, continuait à honorer le Seigneur de sa lumière toujours égale.

      Il était sur le point de réparer l’incident lorsqu’une voix se fit entendre près de lui :

      “ Ne change pas l’état des choses, mais médite sur elles, car c’est un symbole. Je suis le Seigneur. ”

      L’homme se jeta face contre terre pour adorer et, avec une grande crainte, il osa reconnaître :

      “ Je suis sot. Explique-moi, ô Sagesse, le symbole des lampes, dont celle qui paraissait t’honorer le plus activement a causé des dégâts, alors que l’autre continue à briller. ”

      “ Bien, je vais le faire : il en est du cœur de l’homme comme de ces deux lampes. Certaines ont, pour honorer le Seigneur, un doux éclat qui n’attire pas l’attention et peut passer pour de la tiédeur. D’autres commencent par brûler si vivement qu’elles font l’admiration des hommes, tant leur ardeur semble parfaite et constante. Mais passées les premières flambées, elles commencent à faire des dégâts, puis s’éteignent non sans dommages ; c’est que leur lumière n’était pas sûre. Ces lampes ont voulu briller davantage pour les hommes que pour le Seigneur, et l’orgueil les a consumées en peu de temps en une fumée noire et lourde, qui a même obscurci l’air. Les autres ont eu une volonté unique et constante : honorer Dieu seul et, sans se soucier des louanges de l’homme, elles ont brûlé en gardant une flamme durable et pure, sans fumée ni mauvaise odeur. Sache en imiter la lumière constante, car elle seule est agréable au Seigneur. ”

      L’homme releva la tête… L’air s’était libéré de la fumée, et la fidèle étoile de lumière était maintenant seule à briller, douce et droite, en l’honneur de Dieu, en faisant luire le métal de la lampe comme si c’était de l’or pur. Pendant des heures, il la regarda resplendir, toujours égale, jusqu’au moment où, doucement, sans fumée ni mauvaise odeur, sans salir son vêtement, la flamme s’éteignit sur un dernier éclat : elle parut s’élever au ciel pour se fixer parmi les étoiles, après avoir dignement honoré le Seigneur jusqu’à sa dernière goutte d’huile et jusqu’à son dernier instant de vie.

      En vérité, en vérité, je vous dis que nombreux sont ceux qui au début produisent une grande flamme et s’attirent l’admiration du monde — qui ne voit que l’extérieur des actions humaines —, mais qui périssent ensuite en se carbonisant et en répandant leurs âcres fumées. Et en vérité, je vous dis que Dieu ne fait guère attention à leur flamme, car il voit qu’elle brûle orgueilleusement, pour une fin humaine.

      Bienheureux ceux qui savent imiter la seconde lampe et ne pas se carboniser, mais monter au Ciel par la dernière palpitation de leur constant amour.

      584.4 – Quelle étrange parabole! Mais comme elle est vraie ! Et belle ! Elle me plaît ! Je voudrais savoir si nous sommes les lumières qui montent vers le Ciel. »

      Les apôtres échangent leurs impressions.

      Judas trouve moyen de mordre. Il s’attaque à Marie de Magdala et à Jean :

      « Attention à vous, Marie et Jean. Vous êtes parmi nous les lumières flamboyantes… Qu’il ne vous arrive pas malheur ! »

      Sur le point de répliquer, Marie de Magdala se mord les lèvres pour contenir son indignation. Elle se borne à regarder Judas, mais ce regard est si ardent que Judas cesse de rire et de la toiser.

      Jean, au cœur doux bien que brûlant de charité, répond posément :

      « A cause de mon manque de capacité, cela pourrait bien arriver. Mais je me fie à l’aide du Seigneur, et j’espère pouvoir me consumer jusqu’à la dernière goutte et jusqu’au dernier instant pour honorer le Seigneur notre Dieu.

      584.5 – Et l’autre parabole ? Tu en as promis deux, intervient Jacques, fils d’Alphée.

      – Elle ne va pas tarder… »

      Et il montre la porte de la maison, fermée par le rideau que le vent remue lentement. Ce rideau s’écarte tout à coup, sous la main d’un serviteur, pour céder le passage à la vieille Noémie qui se précipite aux pieds de Jésus en s’écriant :

      « L’enfant est redevenu normal ! Il n’est plus difforme ! Tu l’as guéri pendant la nuit. Il s’était réveillé, et je préparais le bain pour le laver avant de lui passer sa tunique et l’habit que j’avais cousu pendant la nuit en utilisant un vêtement que Lazare ne porte plus. Mais quand je lui ai dit : “ Viens, mon enfant ” et que j’ai soulevé les couvertures, j’ai vu que son petit corps, si déformé hier, n’était plus le même. Et j’ai crié. Sarah et Marcelle, qui ne savaient même pas qu’un enfant dormait dans mon lit, sont arrivées, et je les ai quittées pour courir te le dire… »

      Tous cèdent à la curiosité, questionnent, expriment leur impatience de se rendre compte par eux-mêmes de la réalité du miracle…

      Jésus apaise le brouhaha d’un geste. Il ordonne à Noémi :

      « Retourne auprès de l’enfant. Lave-le, passe-lui son vêtement et amène-le-moi ici. »

      Puis il se tourne vers ses disciples :

      « Voici la seconde parabole, qu’on peut intituler : “ La vraie justice n’agit ni par vengeance ni avec partialité. ”

      Un homme, ou plutôt l’Homme, le Fils de l’homme, a des ennemis et des amis. Peu d’amis, beaucoup d’ennemis, et des ennemis dont il n’ignore pas la haine ni les pensées, et dont il connaît la volonté, qui ne reculera devant aucun acte, si horrible qu’il soit. En cela, ils sont plus forts que ses amis, dont la peur, la déception, ou encore une confiance excessive, font des béliers qui dissipent inutilement leurs forces. Ce Fils de l’homme, aux ennemis nombreux, et à qui on reproche tant de fautes qui ne sont pas vraies, a rencontré hier un pauvre enfant, le plus désolé des enfants, le fils d’un homme qui est son ennemi. Cet enfant était difforme et estropié, et il sollicitait une grâce étrange : celle de mourir. Tous demandent des honneurs et des joies au Fils de l’homme, la santé, ou encore la vie. Ce pauvre enfant demandait à mourir pour ne plus souffrir. Il a déjà connu toutes les souffrances de la chair et du cœur, car celui qui l’a engendré et qui me hait sans raison, hait aussi l’innocent malheureux qu’il a engendré. Je l’ai guéri afin qu’il ne souffre plus, et pour que, au-delà de la santé physique, il puisse parvenir à la santé spirituelle. Sa petite âme aussi est malade. La haine de son père et le mépris des hommes l’ont blessée et privée d’amour. Il lui est seulement resté la foi dans le Ciel et dans le Fils de l’homme a qui, ou plutôt auxquels, il demande de mourir. Le voilà : vous allez l’entendre. »

      584.6 L’enfant, peigné et lavé dans son petit vêtement de laine blanche que Noémie lui a cousu rapidement pendant la nuit, s’avance, tenu par la main de la vieille nourrice. Il est de petite taille, même si, n’étant plus courbé ni boîteux, il semble déjà plus grand qu’hier. Il a le visage irrégulier et un peu fané d’un enfant que la souffrance a rendu précocement adulte. Mais il n’est plus difforme. Ses petits pieds nus foulent le sol avec l’assurance d’un pas qui n’a plus trace de claudication ; ses épaules sont bien droites en dépit de leur maigreur; le cou effilé les dépasse et semble long quand on le compare à hier, quand il s’enfonçait dans les clavicules asymétriques.

      « Mais… mais c’est le fils d’Hanne, lui-même fils de Nahum ! C’est un miracle gaspillé ! Tu crois que cela te suffira pour obtenir l’amitié de son père et de Nahum ? Tu les rendras plus haineux ! Ils souhaitaient seulement la mort de cet enfant, fruit d’un mariage malheureux, s’écrie Judas.

      – Je n’opère pas des miracles pour me gagner des amis, mais par pitié pour les créatures et pour rendre gloire à mon Père. Je ne fais pas de distinction ni de calcul, jamais, quand je me penche avec pitié sur une misère humaine. Je ne me venge pas de celui qui me persécute…

      – Nahum y verra un acte de vengeance.

      – Je ne savais rien de cet enfant. J’ignore encore son nom.

      – On l’appelle par mépris Mathusala ou Mathusalem [3].

      – Maman m’appelait Chalem. Elle m’aimait, maman. Elle n’était pas méchante comme toi et comme ceux qui me haïssent, lance l’enfant avec un éclair dans les yeux, l’éclair de colère impuissante des hommes et des animaux trop longtemps torturés.

      584.7 – Viens ici, Chalem, avec moi. Es-tu content d’être guéri ?

      – Oui… mais j’aurais préféré mourir. D’une façon ou d’une autre, je ne serai pas aimé. Si maman vivait encore, ce serait beau. Mais maintenant… je serai toujours malheureux.

      – Il a raison. Hier, nous avons rencontré cet enfant. Il nous a demandé si tu étais à Béthanie, chez Lazare. Nous voulions lui donner une obole, car nous pensions que c’était un mendiant, mais il n’en a pas voulu. Il était au bord d’un champ, dit Simon le Zélote.

      – Toi non plus, tu ne le connaissais pas ? C’est étrange ! s’exclame Judas.

      – Il est bien plus étrange que, toi, tu sois au courant de tout cela. Oublies-tu que j’ai été parmi les persécutés et ensuite parmi les lépreux, jusqu’au moment où je suis venu avec le Maître ?

      – Et toi, oublies-tu que je suis l’ami de Nahum, l’homme de confiance d’Hanne ? Je ne vous l’ai jamais caché.

      – Bien ! Bien ! Cela n’a guère d’importance. Ce qui compte, c’est ce que nous allons faire de cet enfant. Son père ne l’aime pas, c’est vrai. Mais il a toujours des droits sur lui. Nous ne pouvons pas lui enlever ainsi son fils sans le prévenir. Il faut être prudents et ne pas les heurter, puisqu’ils semblent mieux disposés envers nous » expose Nathanaël.

      Judas a un grand rire sarcastique, sans en donner la raison.

      584.8 Jésus, qui a placé l’enfant entre ses genoux, dit lentement :

      « J’affronterai Nahum… Je n’en serai pas détesté davantage. Sa haine ne peut grandir. C’est impossible : elle est déjà à son comble. »

      Annalia était jusqu’ici plongée dans une réflexion qui la réjouissait, de sorte qu’elle n’a rien dit. Mais elle intervient maintenant :

      « Si j’étais restée, il m’aurait plu de le prendre avec moi. Je suis jeune, mais j’ai un cœur de mère…

      – Tu t’en vas ? Quand ? demandent les femmes.

      – Bientôt.

      – Pour toujours ? Et où vas-tu ? Hors de la Judée ?

      – Oui : loin, très loin, pour toujours. Et j’en suis extrêmement heureuse [4].

      – Ce que tu ne peux faire, d’autres le pourront, si le père du petit garçon le cède.

      – J’en parlerai à Nahum, si vous y tenez. C’est lui qui compte, plus que le vrai père. J’en parlerai demain, promet Judas.

      – Si ce n’était pas le sabbat… je serais allé trouver ce Josias qui en avait la garde, dit André.

      – Pour voir s’ils sont tristes de l’avoir perdu ? demande Matthieu.

      – Je crois que si l’une de leurs abeilles s’égarait, ils en seraient plus affectés » bougonne entre ses dents Maximin, qui s’est approché depuis un moment.

      584.9 L’enfant garle le silence. Il reste serré contre Jésus, étudiant les visages qui l’entourent, avec cette acuité de regard qu’ont souvent les enfants maladifs qui ont connu la souffrance. Il semble scruter les âmes plutôt que les visages et, quand Pierre l’interroge : “ Que penses-tu de nous ? ”, le garçonnet répond en glissant sa main dans celle de Pierre : “ Tu es bon ”, puis il corrige : “ Tous bons. Mais… je voudrais ne pas avoir été reconnu. J’ai peur… »

      Et il regarde Judas.

      « … de moi, n’est-ce pas ? Tu redoutes que je parle à ton père ? Il me faudra assurément le faire, si je dois lui demander de te laisser à nous. Mais il ne te reprendra pas !

      – Je le sais. Mais il y a une autre chose… Je voudrais être loin, loin, là où va cette femme… Dans le pays de ma mère, il y a une mer bleue, au milieu de montagnes vertes. On l’aperçoit tout en bas, avec plein de voiles blanches qui volent sur elle, et de belles villes autour. Et sur les monts, il y a des grottes, où les abeilles sauvages font leur miel, sucré, si sucré. Je n’ai plus mangé de miel depuis que maman est morte et que j’ai été donné à Josias. Philippe, Joseph, Elise et les autres enfants, eux s’en régalent, mais moi, non. S’ils avaient rangé le pot de miel en bas, je l’aurais pris, tant j’en avais envie. Mais ils le mettaient sur de hautes étagères et je ne pouvais monter sur les tables comme le faisait Philippe. Moi, j’ai tant envie de miel !

      – Oh ! mon pauvre enfant ! Je vais t’en chercher autant que tu veux ! » lance Marthe avec émotion.

      Et elle s’éloigne rapidement.

      584.10 « Mais d’où était sa mère ? demande Pierre.

      – Elle avait des maisons et des propriétés près de Séphet. Fille unique, orpheline et héritière, déjà vieille, laide et légèrement boîteuse, elle était très riche. Par l’intermédiaire du vieux Sadoq, le fils du bien-aimé d’Hanne l’obtint en mariage… Ce contrat fut un véritable marché indigne, qui devait tout au calcul et rien à l’amour. Il vendit les biens de sa femme qu’il disait être trop éloignés d’ici, hormis une maisonnette qui appartenait auparavant à l’intendant, et que ce dernier avait reçue en cadeau de son ancien maître pour toute sa vie et celle de ses héritiers jusqu’à la quatrième génération. Il perdit tout en spéculations malheureuses. Néanmoins… pour ma part, je n’y crois pas. Je sais en effet qu’il possède, du côté de la rive, de belles terres… qu’il n’avait pas avant… Puis, après quelques années de mariage, alors que l’état de santé de son épouse déclinait déjà fortement, ce fils naquit… et ce fut un bon prétexte pour renvoyer la femme et en prendre une autre de la plaine de Saron, jeune, belle et riche… La divorcée se réfugia chez le vieil intendant et y mourut. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas gardé cet enfant. Son père le considérait comme mort, explique Judas.

      – Parce que Jean était mort et aussi Marie, et les enfants furent envoyés comme serviteurs autre part. Et qui devait me garder, puisque je n’étais pas fils et ne pouvais travailler ? Pourtant Michel et Isaac, et aussi Esther et Judith étaient bons, et ils le sont toujours. Quand ils viennent pour les fêtes, ils m’apportent des cadeaux, mais Josias me les prend pour ses propres fils.

      – Cependant, ils ne veulent pas de toi ! lui rétorque Judas.

      – Maintenant que je suis droit et fort, ils accepteront. Ce sont des serviteurs, eux ! Ils ne pouvaient pas, comme je l’ai dit, suggérer à leur propre maître : “ Prends cet estropié malade. ” Maintenant, ils le peuvent.

      584.11 – Mais comme tu t’es enfui de chez Josias, comment leur serait-il possible de te retrouver ? » lui demande Barthélemy pour le faire réfléchir.

      L’enfant est frappé par la justesse de l’observation, et il réfléchit — car son infirmité l’a fait mûrir tôt, comme elle a rendu précocement adulte son visage —, et c’est sur un ton désespéré qu’il s’exclame :

      « C’est vrai ! Je n’y avais pas pensé.

      – Retourne là-bas. Ils vont venir ces jours-ci…

      – Là-bas ? Non. Je n’y retourne pas. Je le refuse absolument. Plutôt me tuer ! »

      Il entre dans une furie sauvage qui le bouleverse, puis il se jette, en larmes, sur les genoux de Jésus, en s’écriant :

      « Pourquoi ne m’as-tu pas fait mourir ? »

      Marthe, qui revient avec un vase de miel, reste interdite devant cette désolation. Barthélemy, lui, est peiné de l’avoir provoquée et il s’en excuse :

      « Je croyais donner un bon conseil, bon pour tous : pour l’enfant, pour toi, Maître, pour Lazare… Aucun de vous ni de nous n’a besoin d’une nouvelle haine…

      – C’est vrai ! C’est un véritable ennui ! » s’écrie Pierre

      Et, méditant sur la situation, il en tire pour lui-même des conclusions qui aboutissent à son léger sifflement habituel qui lui sert à exprimer son état d’âme en face de problèmes ardus, si difficiles à résoudre.

      Les uns et les autres font diverses propositions, comme aller trouver Nahum, se rendre chez Josias et lui demander d’envoyer Michel et Isaac chez Lazare, ou dans un autre endroit où sera l’enfant, car il est prudent de ne pas faire haïr Lazare, plus qu’il ne l’est déjà à cause de son amitié avec Jésus. Ou encore ne rien dire à personne, et faire disparaître l’enfant en le confiant à quelque disciple sûr.

      Judas ne parle pas. Il semble même étranger au débat. Il joue avec les houppes de son vêtement qu’il peigne et dépeigne du bout des doigts.

      Jésus aussi se tait. Il caresse et calme l’enfant, et il lui relève la tête, en lui mettant dans les mains le petit pot de miel.

      584.12 Chalem est un enfant, un pauvre enfant de dix ans qui a toujours souffert, mais il reste un enfant, même si la douleur lui a donné une certaine maturité, et devant un pareil trésor de miel, les dernières larmes font place à une stupeur extatique. Levant les yeux — des yeux noisette, grands, intelligents, qui constituent son unique beauté — et fixant alternativement Jésus et Marthe, il demande :

      « Combien puis-je en prendre ? Une cuillère ou deux ? »

      Et il montre la cuillère ronde en argent qu’il plonge lentement dans le miel blond.

      « Autant que tu veux, mon enfant. Le reste, tu le prendras demain, ou plus tard. Tout est pour toi ! dit Marthe en le caressant.

      – Tout est pour moi ! Oh ! je n’ai jamais eu autant de miel ! Tout est pour moi ! Oh ! »

      Et il serre respectueusement le vase contre sa poitrine comme si c’était un trésor.

      Mais ensuite, il sent que, ce qui est plus précieux que le miel, c’est l’amour qui le lui offre, alors il pose le petit pot sur les genoux de Jésus, puis lève les bras pour enlacer le cou de Marthe penchée sur lui et l’embrasser. C’est tout ce que peut faire sa reconnaissance, tout ce qu’il peut donner, lui, l’enfant abandonné qui n’a rien à lui.

      584.13 Les autres cessent d’imaginer des projets pour observer la scène, et Pierre constate :

      « Il est encore plus malheureux que Marziam, qui avait au moins l’amour de son grand-père et des autres paysans ! C’est bien vrai qu’il y a toujours des souffrances plus grandes que celles que nous avons déjà jugées immenses !

      – Oui, l’abîme de la douleur humaine n’a pas encore découvert son fond. Qui sait combien de secrets il recèle encore… et qu’il cachera pour les siècles futurs ! dit Barthélemy, d’un air songeur.

      – Tu n’as pas foi dans la Bonne Nouvelle, alors ? Tu ne crois pas qu’elle changera le monde ? Les prophètes l’annoncent, et le Maître le répète. Tu es un incrédule, Barthélemy ! » lance Judas avec une légère ironie.

      Simon le Zélote lui rétorque :

      « Je ne vois pas en quoi Barthélemy serait incrédule. La doctrine du Maître procurera du réconfort à tous les malheurs, elle modifiera aussi la férocité des us et coutumes, mais elle n’éliminera pas la souffrance. Les divines promesses des joies futures la rendront plus supportable. Il faudrait que tous aient le cœur que possède le Christ pour que la douleur soit abolie, ou du moins une grande partie de la douleur — car les maladies, les morts et les cataclysmes naturels demeureront —, mais… »

      Judas l’interrompt :

      « C’est en effet ce qui devrait se produire, sinon à quoi aurait servi la venue du Messie sur la terre ?

      – C’est ce qui devrait se produire, disons-nous. Mais, dis-moi, Judas : est-ce que c’est le cas parmi nous ? Nous sommes douze, et depuis trois ans nous vivons avec lui, nous absorbons sa doctrine comme l’air que nous respirons. Eh bien ? Sommes-nous tous saints ? Que faisons-nous de différent de ce que fait Lazare, de ce que font Etienne, Nicolaï, Isaac, Manahen, et même Joseph et Nicodème, ou encore les femmes, et les enfants ? Je parle des justes de notre patrie. Tous ceux-ci, sages et riches, ou pauvres et ignorants, agissent comme nous : parfois bien, parfois mal, mais sans se renouveler complètement. Je t’affirme même que beaucoup nous sont supérieurs. Oui, beaucoup de ceux qui le suivent nous sont supérieurs, à nous, les apôtres… Et tu prétendrais que le monde entier prenne le cœur que possède le Christ, alors que nous, nous les apôtres, ne l’avons pas pris ? Nous sommes devenus plus ou moins meilleurs… Espérons du moins qu’il en est ainsi, car l’homme a du mal à se connaître et à connaître le frère qui vit à ses côtés. Le voile de la chair est trop opaque et épais, et la pensée de l’homme est trop attentive à ne pas se laisser pénétrer, pour que l’homme comprenne l’homme. Que ce soit en s’examinant soi-même ou en observant les autres, on reste toujours à la surface. La cause en est, dans le premier cas, que nous ne voulons pas nous connaître, pour ne pas souffrir dans notre orgueil ni devoir constater la nécessité de changer. Et dans le second cas, vis-à-vis d’autrui, notre orgueil d’examinateur fait de nous des juges injustes, et l’orgueil de celui que l’on examine le fait se fermer, comme une huître, sur ce qu’il est profondément, expose Simon le Zélote.

      – Bien parlé ! Simon, tu as vraiment prononcé des paroles de sagesse ! » approuve Jude.

      Les autres font chorus.

      584.14 « Alors, pourquoi est-il venu, s’il ne doit rien changer ? » réplique Judas.

      Jésus prend la parole :

      « Beaucoup de choses changeront, mais pas tout. A l’avenir, ma doctrine aura toujours à se confronter à ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, la haine de ceux qui n’aiment pas la Lumière. A la force de mes disciples s’opposera celle des disciples de Satan. Or ces derniers sont nombreux, et leur action revêt des aspects très divers. A ma doctrine immuable, parce que parfaite, combien de doctrines hérétiques, toujours nouvelles, seront opposées ! Que d’afflictions elles provoqueront ! Vous ne connaissez pas l’avenir. Vous avez l’impression que la souffrance que connaît le monde actuel est grande… Mais Celui qui sait voit des horreurs que vous ne seriez pas à même de comprendre si je vous les expliquais… Malheur, si je n’étais pas venu ! Venu pour donner aux hommes du futur un code qui réfrène les instincts chez les meilleurs, et une promesse de paix future ! Malheur, si l’homme n’avait pas, grâce à ma venue, des éléments spirituels capables de garder son âme en vie, avec la certitude d’obtenir une récompense !… Si je n’étais pas venu, avec la succession des siècles, la terre serait devenue un vaste enfer terrestre, l’espèce humaine se serait déchirée, et aurait péri en maudissant le Créateur…

      – Le Très-Haut a promis de ne plus envoyer de châtiments universels comme le Déluge [5]. La promesse de Dieu ne peut pas être prise en défaut ! dit Judas.

      – Oui, Judas, c’est vrai. Et le Très-Haut n’enverra plus de fléaux universels comme le Déluge, mais les hommes se créeront eux-mêmes des fléaux de plus en plus atroces, par rapport auxquels le Déluge et la pluie de feu qui détruisit Sodome et Gomorrhe paraîtraient des châtiments dérisoires. Ah !… »

      Jésus se lève en esquissant un geste de pitié angoissée pour les générations à venir.

      584.15 « D’accord ! Tu sais… mais, en attendant, qu’allons-nous faire pour lui ? demande Judas en montrant l’enfant, qui déguste son miel à petites doses et semble tout à fait heureux.

      – A chaque jour suffit sa peine [6]. Demain le dira. Il est vain de se préoccuper du lendemain, alors que l’on ne sait même pas si on sera encore en vie.

      – Je ne suis pas du même avis. Je soutiens qu’il nous faudrait savoir où nous allons loger, où nous consommerons la cène. Il y a beaucoup de problèmes à résoudre. Pendant que nous attendons, la ville se remplit. Et où irons-nous ? Pas à Gethsémani, pas chez Joseph de Sephoris, ni chez Jeanne. Chez Nikê ? Pas non plus ; ni chez Lazare. Où, alors ?

      – Là où le Père préparera un refuge pour son Verbe.

      – Tu crois que je veux savoir cela pour le rapporter à d’autres ?

      – C’est toi qui en parles. Moi, je n’ai rien dit. Viens, Chalem. Ma Mère sait que tu es là, mais elle ne t’a pas encore vu. Viens, que je te conduise à elle.

      – Mais elle est malade, ta Mère ? demande Thomas.

      – Non. Elle prie. Elle a un grand besoin de prier.

      – Oui, elle souffre beaucoup, elle pleure beaucoup, et elle n’a que la prière pour la consoler. Je l’ai toujours vue prier longuement. Dans les moments de plus grande douleur, elle vit de prière, pourrais-je dire… » explique Marie, femme d’Alphée, pendant que Jésus s’éloigne en tenant l’enfant par la main. Il est accompagné par Annalia, qu’il a invitée à aller avec lui voir Marie.




[1] Jusqu’ici, le temps était anormalement froid et la nature en retard pour la saison.

[2] Voir l’arrivée de l’enfant rachitique au chapitre précédent.

[3] Mathusala est la forme grecque de Mathusalem. Chalem se rapproche phonétiquement de shalom (la paix). Matha est sans doute à traduire par don, comme dans Matthias, don de Dieu. Le jeu de mot cruel serait alors Matha Chalem, un don de paix, pour celui qui n’est que source d’ennuis.

[4] Annalia (AnnaLéa) a reçu de Jésus la promesse qu’elle mourrait avant de voir la Passion du Christ (cf. EMV 156).

[5] Genèse 8,21-22.

[6] Cf. Matthieu 6, 34.





SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-045.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/la-parabole-des-deux-lampes-et-celle-de-l-enfant-difforme-gueri.html
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Sam 22 Mai - 21:53

Doublon Colombe


Dernière édition par Anayel le Sam 22 Mai - 21:55, édité 1 fois
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ÉTQMÉR de M.V. Re: Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10

Message par Anayel Sam 22 Mai - 21:54

Partage de "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta, tomes 1 à 10 - Page 22 Maria_28

585. Le sabbat qui précède l'entrée à Jérusalem. Les pèlerins et les juifs à Béthanie. Le Sanhédrin prend sa décision

Ancienne édition : Tome 8, chapitre 46.
Nouvelle édition : Tome 9, chapitre 585.

Vision du jeudi 27 mars 1947

Samedi 30 mars 30
Béthanie


      585.1 L’amour, tout comme la haine, incitent nombre de pèlerins réunis à Jérusalem, et même des habitants de Jérusalem, à prendre la route de Béthanie sans même attendre que le soleil soit tout à fait couché. Le crépuscule commence à peine lorsque les premiers arrivent à la maison de Lazare. Or il se trouve que ce sont les juifs les plus connus pour leur intransigeance. Mais quand Lazare, prévenu par ses serviteurs, s’étonne de cette violation du sabbat, il s’attire cette réponse pour le moins pharisaïque :

      « De la Porte du Troupeau [1], on ne voit déjà plus le disque du soleil, donc nous avons pris la route en pensant que nous n’aurions sûrement pas dépassé la distance prescrite avant que le soleil ne disparaisse derrière les dômes du Temple. »

      Un petit sourire ironique passe sur le visage plutôt sec de Lazare (car s’il est en bonne santé, s’il a bonne mine, il n’est vraiment pas gros). Et il leur répond poliment, mais d’un ton légèrement sarcastique:

      « Et que voulez-vous voir ? Le Maître respecte le sabbat, et il se repose. Il ne se borne pas à ne plus voir le disque du soleil pour estimer que le sabbat est terminé, mais il attend que le dernier rayon ait disparu pour cela.

      – Nous savons qu’il est parfait ! Nous le savons bien ! Mais si nous nous sommes trompés, raison de plus pour le voir. Quelques minutes seulement, le temps qu’il nous absolve.

      – Je regrette, mais je ne puis. Le Maître est fatigué, et il se repose. Je ne vais pas le déranger. »

      585.2 Mais d’autres personnes arrivent, des pèlerins de partout qui prient, qui insistent pour voir Jésus. Aux Hébreux se mêlent des non-juifs et des prosélytes. Ils observent Lazare, ils le dévisagent comme si c’était un être irréel. Lazare supporte les désagréments d’une célébrité qu’il n’a pas recherchée, en répondant patiemment à ceux qui l’interrogent. Mais il n’enjoint pas aux serviteurs d’ouvrir le portail.

      « Es-tu celui qui est revenu de la mort ? » demande un homme.

      Il doit s’agit d’un sang mêlé car, du juif, il n’a que le gros nez aquilin caractéristique, alors que son accent et la forme de ses vêtements indiquent qu’il est étranger.

      « Je le suis pour rendre gloire à Dieu, qui m’a tiré de la mort pour faire de moi un serviteur de son Messie.

      – Mais était-ce une vraie mort ? s’interrogent d’autres.

      – Demandez-le à ces notables juifs. Ils sont venus à mes funérailles et plusieurs furent présents à ma résurrection.

      – Mais qu’as-tu ressenti ? Où étais-tu ? Que te rappelles-tu ? Quand tu es redevenu vivant, que t’est-il arrivé ? Comment t’a-t-il ressuscité ? Pourrions-nous voir le tombeau ? De quoi es-tu mort ? Es-tu vraiment en bonne santé, désormais ? N’as-tu plus aucune marque de tes plaies ? »

      Lazare, patiemment, essaie de répondre à tout le monde. Mais s’il lui est facile de dire qu’il se porte très bien et que les marques des plaies ont disparu au cours des mois qui ont suivi sa résurrection, il ne peut décrire ce qu’il a ressenti ni comment il est ressuscité. Il répond:

      « Je ne sais pas. Je me suis retrouvé vivant dans mon jardin, parmi mes serviteurs et mes sœurs. Dépouillé du suaire, j’ai vu le soleil, la lumière, j’ai eu faim, j’ai mangé, j’ai profité de la vie et du grand amour du Rabbi pour moi. Pour le reste, ceux qui étaient présents le savent mieux que moi. En voici trois qui parlent, et là-bas deux qui arrivent. »

      (Ces deux derniers sont Jean et Eléazar, membres du Sanhédrin, alors que les trois qui discutent sont deux scribes et un pharisien que j’ai effectivement vus à la résurrection de Lazare, mais dont je ne me rappelle pas les noms).

      « Ils refusent de parler à des gens comme nous, qui ne sommes pas juifs ! Allez les interroger, vous qui êtes juifs… 585.3 Mais toi, fais-nous voir le tombeau où tu te trouvais. »

      On ne saurait se montrer plus insistant, de sorte que Lazare se décide. Il glisse un mot aux serviteurs, puis se tourne vers le petit groupe :

      « Prenez la route qui passe entre cette demeure et mon autre maison. Je viendrai à votre rencontre pour vous conduire au tombeau, bien qu’il n’y ait à voir qu’une cavité ouverte dans une strate de roche.

      – Peu importe ! Allons ! Allons-y !

      – Lazare ! Arrête-toi ! Pouvons-nous venir, nous aussi ? A moins qu’on ne nous défende ce qui est permis aux étrangers ? demande un scribe.

      – Non, Archélaüs. Accompagne-nous, si tu ne te sens pas contaminé d’approcher d’un tombeau.

      – Ce n’est plus un tombeau, puisqu’il ne contient pas la mort.

      – Mais il l’a contenue quatre jours durant. On est, pour beaucoup moins, réputé impur en Israël ! Celui qui effleure de son vêtement quelqu’un qui a touché un cadavre, vous dites qu’il est impur, or mon tombeau dégage encore des relents de mort bien qu’étant ouvert depuis si longtemps.

      – Peu importe. Nous nous purifierons. »

      Lazare regarde les deux pharisiens Jean et Eléazar, et leur dit:

      « Vous aussi, vous venez ?

      – Oui, nous venons. »

      585.4 Lazare se dirige rapidement vers le côté bordé par des haies hautes et épaisses comme des murs, il ouvre un portail inséré dans l’une d’entre elles, et il se présente sur la route qui mène à la maison de Simon. Il fait alors signe d’avancer à ceux qui attendent, et il les conduit au tombeau. Un rosier en fleurs en contourne l’entrée, mais il ne suffit pas pour supprimer l’horreur qui émane d’une tombe ouverte. Sur la roche inclinée, sous l’arc fleuri, on peut lire : “ Lazare, sors ! ”

      Les malveillants le remarquent aussitôt et ils s’offusquent :

      « Pourquoi as-tu fait graver là ces mots ? Tu n’aurais pas dû !

      – Pourquoi ? Chez moi, je peux faire ce que je veux, et personne ne peut m’accuser de péché si j’ai voulu fixer sur la roche, afin qu’ils soient ineffaçables, les mots du cri divin qui m’a rendu la vie. Quand je serai à l’intérieur, et que je ne pourrai plus célébrer la puissance du Rabbi, je veux que le soleil les lise encore sur la pierre, et que les vents les apprennent aux arbres, que les oiseaux et les fleurs les caressent, en continuant à ma place de bénir le cri du Messie, qui m’a tiré de la mort.

      – Tu es un païen ! Tu es sacrilège ! Tu blasphèmes notre Dieu. Tu célèbres le sortilège du fils de Belzébuth. Gare à toi, Lazare !

      – Je vous rappelle que vous êtes chez moi, venus sans y avoir été invités et dans une intention indigne. Vous êtes pires qu’eux, qui sont païens, mais reconnaissent un Dieu en celui qui m’a ressuscité.

      – Anathème ! Tel Maître, tel disciple. Quelle horreur ! Eloignons-nous ! Fuyons loin de ce cloaque impur. Corrupteur d’Israël, le Sanhédrin se souviendra de tes paroles.

      – Et Rome de vos complots. Sortez ! »

      Lazare, qui est habituellement si doux, se rappelle soudain qu’il est le fils de Théophile, et il les chasse comme une bande de vauriens. 585.5 Il reste les pèlerins de toutes les régions, qui regardent, qui demandent, qui implorent de voir le Christ.

      « Vous le verrez en ville, mais pas maintenant. Cela m’est impossible.

      – Ah ! il vient en ville ? Vraiment ? Tu ne mens pas ? Il vient malgré leur haine ?

      – Oui. Partez maintenant, et soyez dans la paix. Vous voyez la tranquilité de la maison ? On ne voit personne, on n’entend pas le moindre mot. Vous avez vu ce que vous vouliez : le ressuscité et le lieu de sa sépulture. Maintenant, partez, mais ne rendez pas votre curiosité stérile. Que le fait de m’avoir vu, moi, vivante preuve de la puissance de Jésus Christ, l’Agneau de Dieu et le Messie très saint, puisse vous amener tous sur son chemin. C’est à cause de cette espérance que je suis content d’être ressuscité : car j’espère que ce miracle pourra toucher ceux qui doutent et convertir les païens, en les persuadant tous qu’un seul est le vrai Dieu et un seul le vrai Messie : Jésus de Nazareth, le Maître. »

      Le groupe se sépare de mauvais gré. Pour une personne qui part, il en arrive dix, et la foule continue à grossir. Mais Lazare, avec l’aide de quelques serviteurs, réussit à repousser tout le monde dehors et à fermer les grilles.

      585.6 Il est sur le point de se retirer en ordonnant : “ Surveillez l’endroit, pour qu’on ne force pas la clôture ou qu’on ne la saute pas. Le soir va bientôt descendre, et ils vont s’en aller à leurs abris ”, quand il voit sortir d’un massif de myrte Eléazar et Jean.

      « Quoi ? Je ne vous avais pas vus, et je croyais…

      – Ne nous chasse pas. Nous sommes entrés dans un massif pour ne pas être vus. Nous devons parler au Maître. C’est nous qui sommes venus, car nous sommes moins suspects que Joseph et Nicodème. Mais nous souhaitons n’être vus de personne, excepté de toi et du Maître… Tes serviteurs sont-ils sûrs ?

      – Dans la maison de Lazare, c’est la coutume de ne voir et n’entendre que ce qui plaît au maître, et de ne rien savoir pour les étrangers. Mais prenons ce chemin, entre ces deux murs de verdure plus épais qu’un mur. »

      Il les conduit dans un sentier qui passe entre la double barrière impénétrable des buis et des lauriers.

      « Restez ici, je vous amènerai Jésus.

      – Que personne ne s’en aperçoive !…

      – Ne craignez rien. »

      585.7 L’attente dure peu. Bientôt, sur le sentier que l’entrelacement des branches plonge dans une semi-obscurité, Jésus apparaît, tout de blanc vêtu. Lazare reste en bordure comme s’il était de garde, ou par prudence. Mais Eléazar lui dit, ou plutôt lui fait signe d’approcher.

      Lazare s’avance donc, pendant que Jésus salue les deux hommes qui lui adressent de profonds hommages.

      « Maître, et toi, Lazare, écoutez. Dès que s’est répandue la nouvelle que tu es venu et que tu te trouves à Béthanie, le Sanhédrin s’est réuni chez Caïphe. Tout ce qui se fait est abusif… Et il a décidé… Ne te berce pas de faux espoirs, Maître ! Sois circonspect, Lazare ! Ne vous laissez pas séduire par une paix qui n’est que feinte ! L’apparente somnolence du Sanhédrin, c’est une feinte, Maître. Une feinte pour t’attirer et te capturer sans que la foule s’agite et se prépare à te défendre. Ton sort est fixé, et le décret ne changera pas. Que ce soit demain ou dans un an, il s’accomplira. Le Sanhédrin n’oublie jamais ses vengeances. Il sait attendre l’occasion favorable, mais ensuite… Toi aussi, Lazare, ils veulent te faire disparaître, te prendre, te supprimer parce qu’à cause de toi, il y en a trop qui les abandonnent pour suivre le Maître. Tu as employé toi-même le mot juste, tu es le témoignage de son pouvoir. Or ils veulent le détruire. Les foules oublieront vite, ils le savent. Après ta disparition et celle du Rabbi, beaucoup d’ardeurs s’éteindront.

      – Non, Eléazar ! Elles flamberont ! s’exclame Jésus.

      – Oh ! Maître ! Mais qu’y aura-t-il, si tu es mort ? Qu’est-ce qui fera flamber la foi en toi, en supposant qu’elle existe, si tu es éteint ? J’espérais n’avoir qu’une agréable nouvelle à t’annoncer et te faire une invitation : mon épouse va bientôt donner le jour au fils que ta justice a fait fleurir, en restaurant la paix entre deux cœurs en tempête. Il naîtra pour la Pentecôte. Je voudrais te prier de venir le bénir [2]. Si tu entres sous mon toit, tout malheur en sera pour toujours éloigné, dit le pharisien Jean.

      – Je te donne dès maintenant ma bénédiction…

      – Ah ! tu ne veux pas venir chez moi ! Tu ne me crois pas loyal ! Je le suis, Maître ! Dieu me voit !

      – Je le sais. C’est que… je ne serai plus parmi vous à la Pentecôte.

      – Mais l’enfant naîtra dans ma maison de campagne…

      – Je le sais, mais je n’y serai pas. Et pourtant toi, ton épouse, celui qui va naître et les enfants que tu as déjà, ont ma bénédiction. Merci d’être venus. Maintenant, partez. Conduis-les par le sentier qui passe de l’autre côté de la maison de Simon, afin qu’on ne puisse les voir… Pour ma part, je retourne à la maison. Paix à vous… »



[1] La porte du troupeau ou porte des brebis, est située au nord. C’est par là qu’entraient les troupeaux menés à l’abattoir. Voir le plan schématique de Jérusalem. Si la délégation est sortie par cette porte, c’est que la salle où ils se réunissaient devait en être proche où qu’ils ne voulaient pas se mêler à la foule des pèlerins transitant par la porte dorée, à l’ouest.

[2] Le petit garçon que les parents veulent prénommer Emmanuel. "Ce nom te dit ce que je pense. Car mon fils, bienheureux sera-t-il, n'aura pas à lutter pour croire, comme nous le devons. Il grandira dans le temps messianique, et il lui sera facile d'en accepter l'idée" confie Jean à son ami Lazare (EMV 566.22).




SOURCE :
http://www.maria-valtorta.org/Publication/TOME%2008/08-046.htm
https://valtorta.fr/preparation-a-la-passion-de-jesus/le-sanhedrin-prend-sa-decision.html
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