Ancienne édition : Tome 6, chapitre 153.
Nouvelle édition : Tome 7, chapitre 461.
Vision du mardi 23 juillet 1946
Samedi 11 août 29
Tibériade
[Précédemment, Syntica parle et dit : ] Je parle pour les frères qui ne peuvent croire que nous aussi, les païens, nous aspirons au bien. C’est aux frères que je dis que, sous la cuirasse païenne, il y a des cœurs déçus par le vide du paganisme, qui ont la nausée de la vie qu’ils mènent, dictée par les coutumes, qui sont las de la haine, du vice, de la dureté. Il y a des âmes honnêtes, mais qui ne savent pas où s’appuyer, pour trouver un apaisement à leurs aspirations au bien. Donnez-leur une foi qui les assouvisse, ils mourront pour elle en la portant toujours plus en avant, tel un flambeau dans les ténèbres, comme les athlètes des jeux helléniques. ” »
461.15 Jésus replie la première feuille. Ceux qui l’ont écouté commentent le style, la force, les idées de Syntica, et ils se demandent pourquoi elle n’est plus à Antigonie. Pendant ce temps, Jésus déroule la deuxième feuille.
Pierre, qui jusque là était resté assis, se rapproche comme pour mieux entendre et se dresse de nouveau sur la pointe des pieds, pour voir, en se serrant contre Jésus.
« Simon, il fait si chaud, et tu te colles à moi », dit Jésus en souriant. « Retourne à ta place. N’as-tu pas entendu jusqu’à présent ?
– Entendu ? Oui. Mais je n’ai pas vu, et maintenant je veux voir, car c’est à partir de cette feuille que tu as changé et que tu as pleuré… Et ce n’est pas simplement pour Jean… On savait bien qu’il était mourant… »
Jésus sourit, mais pour empêcher Pierre de jeter un coup d’œil par derrière sur l’écrit, il s’adosse à la colonne la plus proche, sans s’inquiéter de s’éloigner du lustre qui, s’il n’éclaire plus la feuille, éclaire vivement, en revanche, le visage de Jésus.
Pierre, bien décidé à voir, à comprendre, traîne un tabouret en face de Jésus et s’y assied, en gardant les yeux fixés sur le visage du Maître.
« “ J’en suis tellement convaincue que, restée seule, j’ai quitté Antigonie pour Antioche, certaine de pouvoir mieux travailler sur ce terrain où, comme à Rome, toutes les races se fondent et se mélangent, que là où Israël est maître… Je ne puis, moi, une femme, partir à la conquête de Rome, mais si je ne peux rejoindre la Ville, je jette la semence sur la fille la plus belle de la Ville, celle qui ressemble le plus à sa mère dans tout l’Univers… Sur combien de cœurs tombera-t-elle ? En combien germera-t-elle ? En combien se trouvera-t-elle transportée ailleurs ou attendra-t-elle les apôtres pour germer ? Je ne sais, je ne cherche même pas à savoir. J’agis. J’offre mon travail au Dieu que j’ai connu et qui satisfait mon esprit et mon intelligence. C’est en ce Dieu que je crois comme à un Dieu unique et tout puissant. Je sais qu’il ne déçoit pas l’homme de bonne volonté. Cela me suffit et soutient mon effort.
461.16 Maître : Jean est mort le sixième jour avant les nones de juin selon les Romains, à peu près à la nouvelle lune de Tamuz pour les Hébreux.
Seigneur… A quoi bon te dire ce que tu sais ? Je le fais pourtant à cause des frères. Jean est mort en juste, et pour révéler la vérité sur ses souffrances, je devrais dire en martyr.
Je l’ai assisté avec toute la pitié qu’une femme peut ressentir, avec tout le respect que l’on a pour un héros, avec tout l’amour que l’on porte à un frère, mais cela n’a pas empêché une souffrance telle que moi, non par ennui ou par lassitude, mais par compassion, je priais l’Eternel de l’appeler à la paix. Lui disait : ‘A la liberté.’
Quelles paroles sortaient de sa bouche ! Comment donc un homme, qui est descendu jusque dans les bas-fonds, comme il le disait, peut-il s’élever à une sagesse si lumineuse ? Ah ! la mort est vraiment le mystère qui dévoile notre origine, et la vie est le décor qui cache le mystère. Un décor qui nous est donné vierge, sans textures, et sur lequel nous pouvons tracer ce que nous voulons. Il avait écrit beaucoup de choses, et toutes n’étaient pas belles. Mais les dernières étaient sublimes. Du ciel ténébreux d’en bas, sur lequel se trouvaient des dessins de douleur humaine et d’humaine violence, il était passé, comme un sage artiste, à des traits de plus en plus lumineux décorant de vertu la fin de sa vie chrétienne, pour terminer dans la clarté éblouissante d’une âme perdue en Dieu.
Je te l’affirme : il n’a pas parlé, mais chanté son dernier poème. Il n’est pas mort, mais il s’est élevé. Et je ne pouvais distinguer exactement quand c’était encore l’homme qui parlait ou déjà l’esprit, fils de Dieu.
Seigneur : j’ai lu, tu le sais, toutes les œuvres des philosophes afin d’y chercher une pâture pour une âme attachée par la double chaîne de l’esclavage et du paganisme. Mais c’étaient des œuvres d’hommes. Ici, ce n’étaient plus des paroles humaines, mais surnaturelles, celles d’un esprit supérieur, ou plutôt d’un esprit à demi-divin.
J’ai veillé sur le mystère, qui d’ailleurs n’aurait pas été compris par ceux qui nous logeaient : ils étaient bons avec l’homme, mais juifs dans le sens le plus large et le plus complet du mot… Et quand, dans les dernières touches de l’amour, Jean ne fut plus qu’une expression d’amour, j’ai éloigné tout le monde et j’ai recueilli, moi seule, ce que certainement tu sais…
Seigneur… cet homme est mort, il est ‘enfin sorti de sa prison pour entrer dans la liberté’, comme il le disait de son filet de voix des derniers jours, et avec un regard embrasé par l’extase, en me serrant la main et en me dévoilant, par ses paroles, le Paradis. Cet homme est mort en m’enseignant à vivre, à pardonner, à croire, à aimer. Il est mort en me préparant au dernier temps de ta vie.
Seigneur, je sais tout : au long des soirées d’hiver, il m’avait instruite sur les prophètes. Je connais le Livre comme une vraie juive, mais je sais aussi ce que le Livre ne spécifie pas…
Mon Maître et mon Seigneur… je l’imiterai ! Et je voudrais la même faveur, mais je pense qu’il est plus héroïque de ne pas la demander et de faire ta Volonté… ” »
461.17 Jésus replie la feuille et il est sur le point de prendre la troisième.
« Non, non, Maître ! » s’exclame Pierre. « Ce n’est pas possible… Il y a autre chose. La page n’a pas pu se terminer aussi vite ! Tu ne lis pas tout ! Pourquoi, Seigneur ? Allez, protestez, vous aussi ! Syntica a écrit plus pour nous que pour lui, mais lui ne lit pas.
– N’insiste pas, Pierre !
– Si, j’insiste ! Et comment, j’insiste ! J’ai vu, tu sais, que ton œil allait plus bas tout d’un coup et j’ai vu par transparence que tu n’as pas lu les dernières lignes. Je ne serai pas tranquille tant que tu n’auras pas lu la fin de cette feuille. Tu avais pleuré auparavant !… Eh quoi ? Y a-t-il par hasard de quoi pleurer dans ce que tu as lu ? C’est une peine, oui, de le savoir mort… mais une pareille mort ne fait pas pleurer ! Moi, je croyais qu’il avait eu une mauvaise mort, en perdant son âme… Au contraire… Lis, allons ! Mère ! Jean ! Vous qui obtenez tout…
– Ecoute-le, mon Fils, et même si c’est quelque chose de pénible à apprendre, nous boirons tous le calice…
– Qu’il en soit comme vous voulez…
“ Je connais le Livre comme une vraie juive. Mais je sais aussi ce que le Livre ne spécifie pas : que désormais ta Passion ne tardera pas à s’accomplir, puisque Jean est mort et que tu lui as promis un court séjour dans les limbes. C’est lui qui me l’a révélé. Et il m’a dit que tu lui avais promis de l’enlever avant qu’il connaisse comment et jusqu’où peut arriver la haine d’Israël envers toi, et cela pour empêcher que, par amour pour toi, il n’en vienne à haïr ceux qui te tortureront. Maintenant, il est mort… et tu es donc près de mourir… Non, de vivre. Vraiment de vivre avec ta Doctrine, avec toi-même en nous, avec la Divinité en nous, après que le Sacrifice nous aura rendu la vie de l’âme, la grâce, l’union avec le Père, avec le Fils, avec l’Esprit Saint.
Maître, mon Sauveur, mon Roi, mon Dieu… forte est ma tentation — ou plutôt elle a été forte — de te rejoindre, maintenant que Jean dort avec son corps dans le tombeau et qu’avec son âme il repose dans l’attente. Te rejoindre pour être avec mes sœurs disciples, près de ton autel. Mais les autels doivent être ornés non seulement de la victime, mais de guirlandes en l’honneur de Dieu, en l’honneur de qui on offre le sacrifice. Je mets ma guirlande violette de disciple lointaine au pied de ton autel. J’y joins l’obéissance, le travail, le sacrifice de ne pas te voir et de ne pas t’entendre… Ah ! Ce sera bien dur ! C’est bien dur maintenant que sont terminés tes colloques surnaturels avec Jean, et que je n’en profite plus !… Seigneur, lève ta main sur ta servante pour qu’elle sache faire ta seule volonté et qu’elle sache te servir. ” »
461.18 Jésus replie la feuille et regarde les visages de ceux qui l’écoutent. Ils sont pâles, mais Pierre murmure :
« Je ne comprends pas pourquoi tu as pleuré… Je croyais qu’il y avait autre chose…
– Je pleurais parce que je comparais l’ancien galérien, meurtrier de son épouse, et l’esclave païenne avec de trop nombreux juifs.
– J’ai compris ! Tu es angoissé de voir les Hébreux inférieurs aux païens, et les prêtres et les chefs inférieurs aux galériens. Tu as raison. J’étais stupide ! Quelle femme que cette femme-là ! Dommage qu’elle ait dû s’éloigner ! »
Jésus déplie la troisième feuille.
« “ Et sache imiter en toutes choses ton disciple et frère qui est déjà dans la paix, qui y est allé après avoir accompli toutes les purifications… en ton honneur et pour alléger tes souffrances. ”
-Ah ! non, la suite ! »
Pierre a sauté agilement sur son siège avant que Jésus puisse s’écarter, et il voit qu’il n’est pas possible que Jésus en soit déjà là où son œil regarde. Il faut préciser que le parchemin s’enroule sur lui-même à mesure qu’on le laisse libre en haut, aussi plusieurs lignes sont-elles désormais cachées au sommet de la feuille.
Jésus lève la tête, et avec le visage plus doux que triste, doux mais plein de fermeté, il repousse son apôtre et lui dit :
« Pierre, ton Maître sait ce qui te fait du bien ! Laisse-moi te donner ce qui est bon pour toi… »
Pierre est touché par ces mots, et davantage encore par le regard de Jésus, tellement implorant, et dans ses yeux brille une larme prête à tomber. Il descend de son siège en disant :
« J’obéis… Mais que pouvait-il bien y avoir à cet endroit ! »
461.19 Jésus reprend sa lecture :
« “ Et maintenant que j’ai parlé des autres, je parle de moi. J’ai quitté Antigonie après l’enterrement de Jean. Ce n’est pas que je n’y ai pas été bien traitée, mais je me rendais compte que ce n’était pas ma place. C’était plutôt une impression : je sentais qu’il me fallait le faire. Comme je te l’ai dit, j’avais connu de nombreuses familles parce que beaucoup venaient nous trouver. J’ai préféré m’installer auprès de celle de Zénon, car c’est précisément dans ce milieu que je compte travailler.
Une dame romaine voulait m’accueillir dans sa splendide maison près des colonnades d’Hérode. Une très riche Syrienne me proposait une place de directrice dans la fabrique d’étoffes que son mari, de Tyr, a installée à Séleucie. Une prosélyte, veuve, mère de sept enfants, qui habite près du pont de Séleucie voulait m’avoir en souvenir de Jean, qui avait été le maître de ses garçons. Une famille gréco-assyrienne qui possède des magasins dans une rue près du Cirque, me demandait d’aller chez elle, parce que, à l’époque des jeux, je pouvais leur être utile. Enfin un Romain, déjà centurion, je crois, certainement militaire, et resté ici avec je ne sais quelle fonction précise, guéri lui aussi par le baume [10], insistait pour que je vienne chez lui.
Non, je ne voulais pas des riches, ni des marchands. Je voulais des âmes, et des âmes grecques et romaines, car je sens que c’est par elles que doit commencer l’expansion de ta Doctrine dans le monde.
Et me voici dans la maison de Zénon, sur les pentes du mont Sulpius, près des casernes. Du sommet, la citadelle surplombe, menaçante. Cependant, malgré son aspect si peu engageant, elle vaut mieux que les riches palais de l’Onpholus et du Nimpheus, et j’y ai des amis : un soldat qui te connaît, du nom d’Alexandre. C’est un cœur simple d’enfant, enfermé dans un grand corps de soldat. Et le tribun lui-même [11], arrivé depuis peu de Césarée, qui, sous sa chlamyde [12] a un cœur droit. Dans sa rude simplicité, Alexandre est plus proche de la vérité. Mais le tribun aussi t’admire comme un rhéteur parfait, un philosophe ‘ divin ’, comme il dit. S’il ne peut encore accueillir la vérité, il n’est pas hostile à la Sagesse. Mais les conquérir, eux et leurs familles, en te faisant quelque peu connaître, cela veut dire jeter la semence de cette connaissance au septentrion et au midi, à l’orient et à l’occident, puisque les troupes sont comme des grains secoués par le van ou plutôt des balles que le tourbillon, dans notre cas le bon vouloir des Césars et les besoins de l’Empire, répand dans toutes les directions.
Un jour viendra où tes apôtres, tels des oiseaux qui prennent leur envol, se répandront sur la Terre, et ce sera pour eux une grande aide de trouver dans les lieux de leur apostolat une personne, ne serait-ce qu’une seule, qui n’ignore pas que tu as existé. C’est dans cette pensée aussi que je soigne les membres douloureux des anciens gladiateurs, et les blessures des jeunes. C’est pour cela aussi que je n’évite plus les dames romaines, et que je supporte ceux qui me faisaient souffrir… Tout cela pour toi.
Si je me trompe, donne-moi les conseils de ta sagesse. Sache seulement — mais tu le sais déjà — que mes erreurs viennent de mon incapacité, mais pas de quelque malice.
Seigneur, ta servante t’en a tant dit… c’est pourtant peu de choses de ce qu’elle a dans le cœur. Mais tu vois mon âme, Seigneur… Quand verrai-je ton visage ? Quand reverrai-je ta Mère, les frères ?… La vie est un rêve qui passe. La séparation passera. Je serai en toi et avec eux, et ce sera la joie et la liberté pour moi, pour moi aussi, comme pour Jean.
Je me prosterne à tes pieds, mon Sauveur, bénis-moi en me donnant ta paix. A Marie de Nazareth, aux disciples mes compagnes, paix et bénédiction. Aux apôtres et aux disciples, paix et bénédiction. A toi, Seigneur, gloire et amour. ”
461.20 Voici la lecture terminée. Mère, viens avec moi. Vous, attendez-moi, ou bien reposez-vous. Je ne vais pas rentrer. Je reste en prière avec ma Mère. Jeanne, si on me cherche, je suis dans le pavillon, près du lac. »
Pierre a tiré Marie à part, et il lui parle, tout excité, mais à voix basse. Marie lui sourit et murmure quelque chose, puis elle rejoint son Fils qui suit le sentier à peine visible dans la nuit.
« Que voulait Simon ?
– Savoir, mon Fils. C’est un enfant… un grand enfant… Mais il est si bon !
– Oui, il est très bon, et il t’a priée, toi qui es toute bonne, pour savoir… Il a trouvé mon point faible : toi et Jean. Je le sais, je fais semblant de ne pas le savoir, mais je le sais. Mais je ne puis toujours céder pour lui faire plaisir…
Il ne fallait pas, Jonathas. Nous serions restés même dans l’obscurité », dit-il en voyant le majordome accourir avec une lanterne en argent qu’il pose sur la table et des coussins qu’il place sur les sièges du pavillon.
« C’est Jeanne qui me l’a ordonné. Paix à toi, Maître.
– Et à toi aussi. »
Ils restent seuls.
« Je disais que je ne puis toujours lui faire plaisir. Ce soir, je ne le pouvais pas. Toi seule peux connaître les passages que j’ai tus. C’est pour cela que j’ai voulu t’avoir avec moi, et aussi pour rester avec toi, Maman… Rester avec toi, dans les dernières heures avant une séparation, c’est rassembler une grande force, très douce, pour en être riche aux nombreux moments de solitude au milieu du monde qui ne me comprend pas, ou me comprend mal. Et rester avec toi, aux premières heures d’un retour, c’est retrouver immédiatement des forces dans ta douceur, après toutes les coupes si rebutantes et si amères que je dois boire dans le monde… »
Marie le caresse en silence. Debout près de Jésus assis, c’est la Mère qui réconforte le Fils. Mais il la fait asseoir et lui dit :
« Ecoute… »
Alors Marie, attentive, assise en face de lui, devient un disciple suspendu aux lèvres de Jésus son Maître.
461.21 « Syntica écrit en parlant d’Antioche : “ Je ne sais pas toujours distinguer où cesse la volonté des hommes et où commence celle de Dieu, car je n’ai pas assez de sagesse ; mais ce qui m’a amenée ici, c’est une volonté plus forte que mon désir, et c’était peut-être la volonté de Dieu. Il est certain que, sans doute par une grâce du Ciel, j’aime désormais cette ville : avec les sommets du mont Casius et de l’Aman, qui veillent sur elle des deux côtés, et la crête verte des Montagnes Noires plus au loin, elle me rappelle beaucoup ma patrie perdue. Et il me semble que c’est le premier pas du retour vers ma terre : non pas celui d’une pèlerine épuisée qui y retourne pour y mourir, mais celui d’une messagère de vie, qui vient donner la vie à celle qui fut sa mère. J’ai l’impression que c’est d’ici, après m’être reposée comme une hirondelle qui reprendra son vol, et m’être nourrie de Sagesse, que je dois voler vers la ville où j’ai vu la lumière, et d’où je veux, je voudrais m’élever vers la Lumière lorsque je lui aurai donné la lumière que j’ai moi-même reçue.
Ceux qui sont mes frères en toi, je le sais, n’approuveraient pas cette manière de voir. Ce n’est que pour eux qu’ils veulent ta sagesse, mais ils se trompent. Un jour, ils comprendront que le monde attend, et que le monde qu’ils méprisent sera le meilleur. Moi, je leur prépare le chemin. Pas ici seulement, mais avec les gens si nombreux qui séjournent ici, puis retournent dans d’autres pays — et je ne me soucie pas de savoir si ce sont des païens ou des prosélytes, des Grecs ou des Romains, ou s’ils proviennent d’autres colonies de l’Empire ou de la Diaspora. Je parle, j’éveille le désir de te connaître… La mer n’est pas faite d’un nuage qui s’y est déversé ; elle est faite de nuées innombrables qui se déversent sur la Terre, et s’en vont à la mer. Je serai un nuage, la mer sera le christianisme. Je veux multiplier la connaissance de ta personne, pour contribuer à former la mer du christianisme. Moi qui suis grecque, je sais parler aux Grecs, non pas tant en raison de la langue que de la tournure d’esprit… Comme je suis une ancienne esclave des Romains, je sais travailler leurs esprits dont je connais les points sensibles. Et, après avoir vécu parmi les Hébreux, je sais aussi comment m’y prendre avec eux, spécialement ici où les prosélytes sont nombreux. Jean est mort pour ta gloire. Moi, je vivrai pour ta gloire. Bénis nos âmes. ”
461.22 Et plus loin, là où elle parle de la mort de Jean, là où je n’ai pas laissé Simon lire, elle a écrit : “ Jean est mort après avoir accompli toutes les purifications, même la dernière : il a pardonné à ceux qui, par leurs manières d’agir, l’ont tué et t’ont contraint à l’éloigner. Je sais leurs noms, au moins celui du principal d’entre eux. Jean me l’a révélé en me disant : ‘ Méfie-toi toujours de lui. C’est un traître. Il m’a trahi, il le trahira, Lui et ses compagnons, mais je pardonne à Judas comme Lui, il pardonnera. L’abîme où il gît est déjà si grand, que je ne veux pas l’approfondir encore en refusant de lui pardonner de m’avoir tué en me séparant de Jésus. Mon pardon ne le sauvera pas. Rien ne le sauvera, car c’est un démon. Je ne devrais pas dire cela, moi qui ai été assassin, mais j’avais du moins une offense pour me rendre fou. Lui s’attaque à quelqu’un qui ne lui a pas fait de mal, et il finira par trahir son Sauveur. Mais je lui pardonne car, de sa haine, la bonté de Dieu a tiré du bien pour moi. Tu vois ? J’ai tout expié. Le Maître me l’a dit hier soir [13]. J’ai tout expié. Maintenant je sors de prison, maintenant j’entre vraiment dans la liberté, libéré aussi du poids du souvenir du péché de Judas envers un malheureux qui avait trouvé la paix auprès de son Seigneur. ’
Moi aussi, à son exemple, je lui pardonne de m’avoir arrachée à toi, à ta Mère bénie, à mes sœurs disciples, de m’avoir empêchée de t’entendre, de te suivre jusqu’à la mort, pour être présente à ton triomphe de Rédempteur. C’est pour toi que je le fais, en ton honneur, et pour alléger tes souffrances. Sois en paix, mon Seigneur. Le nom de l’opprobre qui se trouve dans les rangs de tes disciples ne franchira jamais mes lèvres. Pareillement, rien ne sortira de ce que j’ai entendu auprès de Jean quand son moi parlait avec ton invisible et béatifiante Présence. J’ai hésité à venir te voir avant de me fixer dans ma nouvelle demeure, mais j’ai senti que je me serais trahie par la répulsion que j’éprouve à l’égard de Judas, et que je t’aurais nui auprès de tes ennemis. J’ai donc sacrifié ce réconfort… certaine que ce sacrifice ne restera pas sans fruit ni sans récompense. ”
461.23 Voilà, Mère. Pouvais-je lire cela à Simon ?
– Non. Ni à lui, ni aux autres. Dans ma douleur, j’ai la joie de cette mort sainte de Jean… Mon Fils, prions pour qu’il sente notre amour et… pour que Judas ne soit pas l’opprobre… Oh ! c’est horrible !… Et pourtant… nous pardonnerons…
– Prions… »
Ils se lèvent et prient dans la lumière tremblante de la lampe, au milieu des rideaux que forment les branches pendantes, pendant que le ressac fait entendre sa respiration syncopée contre la rive…
[10] Le "baume de Marie" déjà auteur de miracles. Cf. la guérison de Démété (cf. Tome 5, chapitre 8).
[11] Publius Quintilianus.
[12] Manteau court des soldats romains.
[13] Jésus avait promis à Jean d’Endor de lui apparaître pour accompagner ses derniers moments.
Alors qu’il apporte à Jésus une lettre de Syntyche, le grec Zénon (1) en profite pour l’interroger sur sa doctrine. « Est-il vrai que tu vis pour te préparer à la mort, pour donner au monde la sagesse de vivre en dieu et non en brute, comme le font maintenant les hommes ? Est-il vrai que tu affirmes qu'il n'y a qu'une richesse qui mérite qu'on l'atteigne : celle de la vertu ? Est-il vrai que tu es venu pour racheter, mais que la rédemption commence en nous-mêmes, quand on suit tes enseignements ? Est-il vrai que nous possédons une âme et que nous devons en prendre soin car c'est une chose divine, immortelle, incorruptible par sa nature, mais à laquelle, en vivant en brutes, nous pouvons faire perdre son caractère divin, sans pouvoir la détruire ? Réponds, ô Grand !”
“C'est vrai. Tout est vrai.”
“Par Zeus, c'est cela que disait notre très Grand. Mais cela semblait une musique à laquelle il manquait une note, une lyre à laquelle il manquait une corde. De temps à autre on sentait un vide que le philosophe ne franchissait pas. Tu l'as comblé, si réellement tu es venu non seulement pour enseigner mais encore pour mourir sans y être contraint par personne, mais par la volonté personnelle d'obéir à Dieu, ce qui change ta mort de suicide en sacrifice… » (EMV 461.
Le « très Grand » évoqué par Zénon, c’est bien sûr Socrate, dont Platon résuma ainsi l’enseignement suggéré ici : « Mon occupation est de vous persuader, jeunes et vieux, qu'avant le soin du corps et des richesses, avant tout autre soin, est celui de l'âme et de son perfectionnement. Je ne cesse de vous dire que ce n'est pas la richesse qui fait la vertu; mais, au contraire, que c'est la vertu qui fait la richesse, et que c'est de là que naissent tous les autres biens publics et particuliers » (2)
(1) Il s’agit très probablement du futur évêque de Diospolis (Lydda) mentionné par la tradition orthodoxe (Troparion Tome 3). Il montre ici avoir très bien assimilé ce que Syntyche, la disciple grecque, a pu lui rapporter de la doctrine de Jésus !
(2) Platon, Apologie de Socrate.
La disciple grecque Syntyche, exilée à Antioche, fait parvenir une lettre à Jésus. Elle y présente en quelques lignes son messager, Zénon, un grec comme elle. « Lui, avec sa finesse de grec, dit qu'il trait les vaches du Tibre pour leur faire cracher les chèvres helléniques » (EMV 461.13). Cette expression truculente, qui certainement "sonnait vrai" il y a deux mille ans, mérite peut-être quelques commentaires de nos jours...
Dans la bouche du marchand grec, « les vaches du Tibre » représentent bien sûr ses clients romains, qu’il considère avec un mépris non dissimulé. Tandis que « les chèvres helléniques » sont certainement les pièces de monnaies reçues en échange de ses services. En effet, selon la mythologie grecque, Zeus enfant fut allaité par une chèvre nommée Amalthée (1). Cette chèvre nourricière de Jupiter, ou plus symboliquement sa célèbre « corne d’abondance » furent souvent représentées sur les monnaies grecques et plus tard sur des monnaies romaines (2).
Maria Valtorta aurait-elle pu imaginer de telles expressions de sa propre initiative ?
(1) Amálê theía signifie « tendre déesse ». Le jeune Zeus ayant cassé par mégarde une des cornes d’Amalthée, en tirait tous les fruits qu’il désirait. Ovide (Fastes V,111-128) donne une version un peu différente.
(2) Comme par exemple des monnaies de bronze d’Hadrien, puis des monnaies d'or et d'argent de Domitien[/left]
https://valtorta.fr/troisieme-annee-vie-publique-de-jesus/un-complot-pour-elire-jesus-comme-roi.html
Sintica