Le respect dû aux morts se perd
(TROIS-RIVIÈRES) Le respect dû aux morts semble se perdre. Les funérailles sont de plus en plus expédiées rapidement, souvent sans cérémonie religieuse, et on sent un malaise s'installer quand vient le moment de disposer des cendres des défunts.
Au Québec, près de 70 % des dépouilles sont maintenant incinérées alors que la loi ne tient pas compte de ce changement de coutume. Or, on observe une certaine désinvolture chez des Québécois face aux cendres des défunts. Il arrive que des familles les laissent tout simplement au salon funéraire, sans se soucier de ce qu'il en adviendra. Des propriétaires de salon funéraire, un peu catastrophés, se font même dire de les jeter, tout simplement. Une attitude détachée qu'on ne voit jamais quand le corps est embaumé et enterré.
D'autres personnes traînent sur elles des cendres de leur défunt, soit dans un médaillon soit insérées dans une minuscule pyramide de polymère qu'elles n'hésitent pas à poser devant elles, pour la chance, lors d'une partie de bingo par exemple! Une attitude qualifiée de fétichisme par certains prêtres.
Selon les chiffres fournis par la Corporation des thanatologues du Québec, 58 % des gens font enterrer les cendres dans un cimetière, 4 % les laissent dans un colombarium du cimetière, 15 % dans un colombarium de maison funéraire tandis que 23 % les rapportent dans la famille.
Devant certaines dérives, la Corporation des thanatologues du Québec a exercé des pressions auprès du gouvernement pour qu'on resserre la législation adoptée en 1974. Dans ce domaine, le Québec accuse un net retard. De l'aveu même de Nathalie Samson, directrice générale de la corporation, l'intervention des thanatologues vise à protéger la dignité des morts.
Un projet de loi a été déposé par l'ex-ministre Yves Bolduc et attend toujours son adoption. Le nouveau ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a été sensibilisé à son tour et a laissé entendre qu'une adoption serait possible, peut-être dès 2015.
«Le projet de loi comprend plusieurs modifications, dont une qui concerne la disposition des cendres, confirme Mme Samson. Le débat est plus large que la crémation et les cendres, il concerne aussi le respect dû aux morts. C'est un débat éthique sur la dignité de la personne défunte qui demeure une personne même si elle est réduite en cendres.
C'est aussi avoir le respect de l'intégrité du corps (beaucoup de familles divisent les cendres) ainsi que le respect dû aux endeuillés. On est devant un débat de société finalement. C'est un dossier qui ne coûterait rien au gouvernement et qui pourrait se régler facilement, s'il y a une volonté.»
Dans son état actuel, le projet de loi prévoit que les cendres humaines ne pourront être remises par le titulaire d'un permis d'entreprise de services funéraires qu'à une seule personne et qu'elles devront l'être dans un contenant rigide qui les contient en totalité. Le titulaire d'un permis qui remettra à une personne des cendres humaines devra inscrire à son registre des activités funéraires les renseignements prévus par règlement du gouvernement.
De plus, nul ne pourra disperser des cendres humaines à tout endroit où elles pourraient constituer une nuisance ou de manière à ne pas respecter la dignité de la personne décédée. Et enfin, la personne qui dispose du contenant dans lequel ont été déposées des cendres humaines ou qui les disperse devra déclarer à l'entreprise de services funéraires, ayant pris en charge le cadavre, le lieu où ont été inhumées ou dispersées les cendres, afin qu'on l'inscrive au registre des activités funéraires de cette entreprise.
Mme Samson précise que les thanatologues ne sont pas d'accord avec toutes ces dispositions. S'ils ne s'opposent pas à la dispersion des cendres, ils mettent un bémol sur leur division entre les membres d'une famille.
«On a beau exiger qu'on remettre toutes les cendres aux familles, dans un seul contenant, rien n'empêche les familles de les diviser par la suite. Ça n'a pas de bon sens. Si le gouvernement permet la division des cendres, on pense que ce devrait être un professionnel qui le fasse, car il a le détachement nécessaire pour le faire de façon respectueuse et sécuritaire. Mais il faut que le gouvernement mette ses culottes sur cette question. Mais nous pensons qu'on ne devrait pas diviser les cendres, car on ne divise pas un corps. C'est une question de respect.»
Par ailleurs, Mme Samson juge que ce n'est pas à l'entreprise privée de tenir un registre sur la dispersion des cendres. Les thanatologues croient que la chose devrait plutôt relever d'un registre d'état civil comme les naissances, mariages et décès.
De son côté, l'Assemblée des évêques du Québec, a émis un avis dès 2010, dans lequel on soulignait que l'absence de législation relative aux cendres entraînait des situations pour le moins discutables, comme des cendres abandonnées dans une maison vendue, la découverte lors de travaux d'urnes enterrées sans identification, des demandes pour inhumer des cendres d'une personne dans deux endroits différents, le désir de se débarrasser d'objets contenant des cendres comme un médaillon, etc.
«Notre expérience dans l'accompagnement des personnes en deuil nous oblige à dire que l'on ne doit pas traiter avec autant de légèreté les dépouilles des êtres chers, écrivaient les évêques. Si des règles strictes sont faites pour ne pas profaner un cadavre, il nous apparaît tout aussi normal de vouer le même respect aux restes humains lorsqu'ils sont réduits à l'état de cendres.»
Rappelons qu'il y a quelques année encore, l'Église s'opposait à la crémation des corps, sensés ressusciter à la fin des temps.
par Louise Plante