La crémation ? Un manque de respect !
La crémation gagne du terrain. Est-ce vraiment un progrès ?
La crémation représente, aujourd'hui, en France près d'un tiers des obsèques et environ la moitié dans les grandes villes. Et elle ne cesse de progresser.
Plus écologique, plus économe en place, plus économique (encore que)...
Plus moderne, en somme, la crémation semble parée de tous les avantages.
J'avoue que j'ai longtemps souscrit à ces arguments sans y réfléchir énormément. Sans doute comme beaucoup de ceux qui ne se sentent pas encore vraiment concernés.
La question renvoie en effet à sa propre mort et bien peu s'inquiètent du traitement qui sera réservé à leur propre corps.
C'est naturel. L'âge ou des circonstances particulières (maladie...) amènent à s'interroger.
Mais la question renvoie aussi à la mort de proches ou d'amis et, peut-être, sommes-nous alors un peu moins enthousiastes.
La crémation pour soi, oui, pour sa famile, cela mérite discussion.
Cela dit, encore une fois, porté par l'évolution de l'opinion et sans approfondir le sujet, j'étais plutôt favorable à la crémation.
Aujourd'hui, j'ai changé d'avis au terme d'une réflexion sur le rapport au corps.
Nos sociétés occidentales ont développé le culte du corps... à condition qu'il soit jeune, beau et mince.
En contrepartie, s'il est vieux, moche, gros, handicapé, malade... le corps doit être caché.
Et, poussant la logique jusqu'au bout, quand le corps est inutile - n'est-ce pas le cas d'un corps mort ? - il doit être éliminé et réduit en cendres dans les plus brefs délais.
Je relève, parmi d'autres, deux réflexions d'adhérents de la Fédération crématiste que je lis, ce matin, dans Ouest-France :
"On dit "incinérer" pour des ordures, mais on préfère "crématiser" pour les êtres humains." Et "La terre appartient aux vivants."
J'y vois, dans la première, comme un parallèle inconscient entre le corps mort et un déchet, parallèle que l'on cherche à masquer par un artifice de vocabulaire.
Mais les mots sont têtus. Et je n'aime pas davantage le mot "crématiser". Personnellement, j'associe crématiser, crémation, crématorium et crématoire, comme les fours de sinistre mémoire.
Et, s'agissant de la seconde réflexion, je note cette idée de demander aux morts de s'effacer pour laisser de la place à ceux qui restent.
Je ne partage pas cette façon de voir le corps mort.
Un corps humain, même mort, n'est pas un déchet. Même mort, le corps dit encore quelque chose de la personne qui l'habitait. Il arrive que la justice procède à des exhumations pour faire "parler" un corps enterré.
Inversement, le petit tas de cendres, le résidu, qui reste d'un corps incinéré est totalement anonyme. Il ne peut plus être reconnu.
Quant à la terre, elle n'appartient à personne. Pas plus à ceux qui l'occupent aujourd'hui qu'à ceux qui l'ont occupé hier, ni à ceux qui l'occuperont demain.
La réflexion sur la place supposée demesurée des morts - autrement dit celle des cimetières - est un peu surréaliste et témoigne d'une vision utilitariste de l'espace qui laisse rêveur. Que dire plutôt de la place occupée par les grandes surfaces ou les parkings ?
Les cimetières sont souvent des lieux dignes d'intérêt et en rien de "la place perdue". Quelques exemples entre mille.
La visite du Père Lachaise, à Paris, est une plongée des plus vivantes dans l'histoire.
Une promenade au cimetière parc de Nantes, par une journée d'automne ensoleillée, au milieu des tombes fleuries, est un véritable enchantement.
Je sens bien que cet engouement pour la crémation est d'autant plus fort que l'on croit de moins en moins à une vie après la mort.
Historiquement, les libres penseurs ont été les plus ardents promoteurs de la crémation.
A contrario, les trois grandes religions monothéistes la réprouvent même si l'Eglise la tolère depuis 1963 seulement. S'il n'y a rien, en effet, après la mort pourquoi s'encombrer avec un corps qui, de toute façon, s'en retournera à la terre ?
Ce n'est qu'une question de temps. Et nous sommes devenus si pressés que nous ne prenons même plus le temps de laisser les morts s'en aller rejoindre les morts...
Le christianisme, religion de l'incarnation, considère le corps comme important. Et, vivant ou mort, le corps mérite respect.
Le réduire à néant aussi rapidement, outre la violence infligée au mort comme à ses proches (lire ci-dessous le point de vue de Damien Le Guay), est-ce véritablement une marque de respect ? Respect du mort, comme respect de ceux qui lui survivent.
Pour prolonger la réflexion sur ce thème, je reprends ci-dessous la tribune du philosophe Damien Le Guay, qui sera publiée le 1er novembre dans Ouest-France. Et je renvoie à son livre La mort en cendres - la crémation aujourd'hui, que faut-il en penser ?, paru au Cerf.
Damien LE GUAY