LIVRE VI
CHAPITRE PREMIER.
Description de la théologie mystique, qui n'est autre chose que l'oraison.
Par celui-là nous affectionnons Dieu, et ce qu'il affectionne ; par celui-ci nous servons Dieu, et faisons ce qu'il ordonne.
Celui-là nous joint à la bonté de Dieu ; celui-ci nous fait exécuter ses volontés. L'un nous remplit de complaisance, de bienveillance, d'élans, de souhaits, de soupirs et d'ardeurs spirituelles, nous taisant pratiquer les sacrées infusions et mélanges de notre esprit avec celui de Dieu; l'autre répand en nous la solide résolution, la fermeté de courage et l'inviolable obéissance requise pour effectuer les ordonnances de la volonté de Dieu, et pour souffrir, agréer, approuver et embrasser tout ce qui provient de son bon plaisir.
L'un nous fait plaire en Dieu, l'autre nous fait plaire à Dieu. Par l'un nous concevons, par l'autre nous produisons. Par l'un nous mettons Dieu sur notre coeur, comme un étendard d'amour auquel toutes nos affections se rangent; par l'autre nous le mettons sur nos bras, comme une épée de dilection par laquelle nous faisons tous les exploits des vertus.
Or, le premier exercice consiste principalement en l'oraison, en laquelle se passent tant de divers mouvements intérieurs, qu'il est impossible de les exprimer tous, non seulement à cause de leur quantité. Mais aussi à raison de leur nature et qualité, laquelle étant spirituelle ne peut être que grandement déliée et presque imperceptible à nos entendements.
Les chiens les plus sages et mieux dressés tombent souvent en défaut, perdant la piste et le sentiment pour la variété des ruses dont les cerfs usent, faisant les horvaris (Ce mot, qui désigne certain cri des chasseurs pour ramener les chiens en défaut, se dit, par extension, des ruses des animaux chassés.), donnant le change et pratiquant mille malices pour s'échapper devant la meute, et nous perdons souvent de vue et de connaissance notre propre coeur en linfinie diversité des mouvements par lesquels il se tourne en tant de façons et avec une si grande promptitude qu'on ne peut discerner ses erres (errements, détours).
Dieu seul est celui qui, par son infinie science, voit, sonde et pénètre tous les tours et contours de nos esprits ; il entend nos pensées de loin, il trouve tous nos sentiers, faufilans et détours :
sa science est admirable, elle prévaut au-dessus de notre capacité, et nous n'y pouvons atteindre. Certes, si nos esprits voulaient faire retour sur eux-mêmes par les réfléchissements (réfexions) et replis de leurs actions, ils entreraient en des labyrinthes esquels ils perdraient sans doute lissue, et ce serait une attention insupportable de penser quelles sont nos pensées, considérer nos considérations, voir toutes nos vues spirituelles, discerner que nous discernons, nous ressouvenir que nous nous ressouvenons :
ce seraient des entortillements que nous ne pourrions défaire. Ce traité est donc difficile, surtout à qui n'est pas homme de grande oraison.
Nous ne prenons pas ici le mot d'oraison pour la seule prière ou demande de quelque bien, répandue devant Dieu par les fidèles, comme saint Basile la nomme, mais comme saint Bonaventure, quand il dit que l'oraison, à parler généralement, comprend tous les actes de contemplation ; ou comme saint Grégoire Nyssène (De Nysse), quand il enseignait que L'oraison est un entretien et conversation de l'âme avec Dieu ; ou bien comme saint Chrysostome, quand il assure que l'oraison est un devis avec la divine majesté; ou enfin comme saint Augustin et saint Damascène, quand ils disent que l'oraison est une montée on élèvement de l'esprit en Dieu.
Que si l'oraison est un colloque, un devis, ou une conversation de l'âme avec Dieu, par icelle donc nous parlons à Dieu, et Dieu réciproquement parle à nous; nous aspirons à lui et respirons en lui; et mutuellement il inspire en nous et respire sur nous.
Source : Livres-mystiques.com
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde