Jean a écrit:Ce serait bien ce s'intéresser à l'Histoire des différentes formes de la Sainte Communion à travers les siècles. Quelqu'un a de bonnes sources qui remontent aux premiers siècles ?
Alors voici...Source, histoire et compréhension de l’Eucharistie Introduction
- Savez-vous que les hosties rondes sont confectionnées de cette façon seulement depuis le 12e siècle ?
Auparavant on prenait du pain ordinaire pour célébrer l’Eucharistie. Même si Jésus a sans doute pris du pain sans levain, selon la coutume juive pour la Pâque.
- Savez-vous que le vin blanc pour la messe n’est adopté qu’au 16ème siècle ?
Avant c’était le vin rouge, dont les taches se voient beaucoup plus.
- Savez-vous que si l’homélie existe dans les premiers siècles, elle disparaît ensuite, pour laisser la place à des commentaires en dehors de la messe ?
- Savez-vous que les églises bâtiments n’existent pas jusqu’au début du 4ème siècle, l’Eucharistie étant célébrée chez l’habitant ?
- Savez-vous qu’à partir du Moyen Âge, et jusqu’au début du 20ème siècle, on a très peu communié, et quand on le faisait ce n’était pas au cours de la messe à laquelle on assistait ?
Vous le voyez, les manières de célébrer l’Eucharistie ont changé au fil des siècles. Mais au-delà de ces évolutions, l’Eglise a toujours voulu exprimer le même Mystère : ce don merveilleux que Jésus fait de lui-même, pour que nous vivions « par lui, avec lui et en lui ». A partir de l’expérience initiale, fondatrice, irremplaçable, celle de ce Jésus qui a vécu au milieu des siens, qui est mort et qui est ressuscité, l’Eglise va sans cesse tenter d’actualiser ce cadeau de Dieu aux hommes. Comme dans bien d’autres domaines, les traditions vont parfois mettre en lumière l’essentiel, et parfois devenir pesantes. Sans cesse il nous faut redécouvrir la nouveauté de l’Eucharistie, qui pourtant n’est pas à inventer mais à recevoir.
Ce petit exposé voudrait simplement, sans doute schématiquement, donner des repères pour que nous ravivions notre foi et notre pratique de l’Eucharistie. En approfondissant le Mystère de l’Eucharistie, il s’agit de mieux accorder nos vies à celle de Jésus, qui envoie ses disciples sur les chemins du monde, à la rencontre de tous, pour que la force de la communion devienne semence d’Amour au cœur de l’existence.
Je vous propose trois parties dans cette petite catéchèse : tout d’abord un repérage des sources premières et essentielles de la célébration eucharistique ; ensuite une brève histoire de la messe au fil des siècles passés ; enfin quelques pistes pour comprendre et vivre aujourd’hui l’Eucharistie.
1. Les sources premières et essentielles de l’Eucharistie
Par cette expression je reviens à ce qui s’est passé à l’origine : c’est à dire ce qui s’est passé avec Jésus et ses disciples, au cours de la vie terrestre du Maître ; et ce qui s’est passé avec ceux et celles qui ont poursuivi l’aventure de la foi après la mort et la résurrection de cet homme reconnu comme Fils de Dieu, Messie, Seigneur et Christ dans les années 30 de notre ère.
Le mot même de « Eucharistie » signifie « action de grâce », « rendre grâce ». C’est un mot grec qui vient de l’Ecriture Sainte et signifie une attitude profonde de l’homme tourné vers son Dieu, reconnaissant ce Dieu comme source de toute bénédiction. Ce mot « eucharistie » est employé chez St Paul et St Luc lorsqu’ils écrivent ce qui s’est passé lors du dernier repas, avant la mort de Jésus : « la nuit même où il fut livré, le Seigneur Jésus ayant pris du pain, après avoir rendu grâce... » (1 Co 11,23) ; « Jésus prit la coupe, il rendit grâce (...) Puis il prit le pain, après avoir rendu grâce... » (Lc 22,14-16).
Ce n’est pas le Nouveau Testament qui invente l’action de grâce, cette sorte de remerciement, de bénédiction adressée à Dieu pour ce qu’Il fait dans la vie de ses fidèles. L’Ancien Testament en parle souvent, en particulier par la mise en valeur des « sacrifices » que l’homme peut offrir à son Dieu pour lui manifester cette reconnaissance. La Bible évoque fréquemment en ce sens les « sacrifices d’action de grâce », qui consistaient d’abord à immoler des animaux, dont le sang répandu, symbole de vie, manifestait cette alliance vitale que Dieu scellait avec un peuple. Mais la pratique des sacrifices pouvait être hypocrite : on risquait d’oublier l’offrande du cœur. C’est pourquoi les psaumes et les prophètes insistent pour orienter ces fameux sacrifices non plus comme des offrandes d’animaux, mais plutôt comme l’offrande de soi-même. Présenter à Dieu le plus profond de son cœur, son désir, sa joie, sa peine, et reconnaître la présence de ce Dieu dans sa vie.
Ainsi, la liturgie sacrificielle du Temple de Jérusalem inspire l’Eucharistie chrétienne, mais en étant déjà convertie, purifiée par la parole prophétique. Quand Jésus parle de l’offrande de lui-même, le vocabulaire de sacrifice apparaît, dans cette optique de don intérieur et radical, spécialement quand il s’agit des paroles sur la coupe de vin : « cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » (1 Co 11 et Luc), « ceci est mon sang, le sang de l’alliance, répandu pour la multitude » (Marc), « ceci est mon sang, le sang de l’alliance, répandu pour la multitude en rémission des péchés » (Matthieu). L’Eucharistie est « sacrifice » dans la mesure où elle manifeste le don de l’Amour, l’acte de Jésus qui est fidèle au Père jusque dans sa Passion et sa mort. Ce sacrifice est accompli une fois pour toutes : on ne refait pas la Passion lorsqu’on célèbre l’Eucharistie. On la rend simplement actuelle, parce que le don de l’Amour de Jésus est actuel, pour nous et pour le monde.
La liturgie plus habituelle et hebdomadaire à la synagogue est aussi source pour la liturgie chrétienne dans l’ensemble de son déroulement, qui permet à l’Eucharistie de se vivre dans un déroulement structuré et cohérent, où la parole de Dieu proclamée et expliquée tient sa place, où les intervenants ont leurs rôles. On sait que cette liturgie synagogale, à laquelle Jésus a du souvent participer, puisqu’on voit qu’il peut assurer la lecture d’Isaïe (voir par ex. Luc 4), comportait au premier siècle de notre ère des psaumes et des prières d’introduction, la prière du
Kaddish (« Que le nom du Seigneur soit glorifié... ») dont le Notre Père s’inspire en partie, une profession de foi, le
Shema Israël (Ecoute Israël) tiré du livre du Deutéronome, la prière des « Dix huit bénédictions », à laquelle ressemble les Préfaces de nos Prières Eucharistiques, et bien sûr la lecture de la Loi et des Prophètes, suivie d’un commentaire ou homélie. Tout cela existait et a servi de cadre à la messe.
Le repas cultuel juif est une source essentielle pour l’Eucharistie. A plusieurs occasions au cours de l’année les juifs faisaient mémoire d’événements importants de leur Histoire avec Dieu, et cela au cours de repas qui prenaient donc un caractère sacré, religieux. La bénédiction de coupes de vin (il y en avaient plusieurs) et du pain non fermenté se faisait ainsi pour la Pâque, de même que la manducation de l’agneau. On faisait mémoire de la libération d’Egypte, de la sortie de l’esclavage, en l’actualisant. Au début du repas une coupe était bénie, de même qu’à la fin. Jésus reprend ce déroulement pour vivre son ultime repas avec ses proches. Et c’est au cours d’un tel repas qu’il ajoute des paroles inédites, à partir du pain qui est béni : « ceci est mon corps donné pour vous... » (Luc). Il y a là une nouveauté radicale, une personnalisation qui surprend les disciples, sans qu’ils comprennent tout. Ils referont ces gestes, ils rediront ces paroles, dès les jours qui suivront la mort et la résurrection de Jésus. « Rompre le pain », vivre « la fraction du pain », comme cela est si souvent mentionné dans les Actes des Apôtres, ce sera cette Tradition reprise, suivant l’ordre même de Jésus : « Faites cela en mémoire de moi » (1 Co et Luc). Notons que St Jean, qui ne rapporte pas cette institution de l’Eucharistie, parle bien du repas dans ce contexte de la Pâque juive, et avec le lavement des pieds signifie aussi ce que Jésus va vivre : le don de lui-même, et ce que les disciples sont invités à refaire : « pour que vous fassiez vous aussi comme moi j’ai fait pour vous » (Jn 13,15).
Enfin, la résurrection elle-même est source pour la célébration de l’Eucharistie, parce que c’est ce jour là que les disciples vont se retrouver, et vivre le repas de la Pâque nouvelle ! Jésus est ressuscité le « premier jour de la semaine », c’est à dire le lendemain du Sabbat juif. Dès le Nouveau testament, ce « premier jour de la semaine » (Mt 28,1 ; Mc 16,2.9 ; Lc 24,1 ; Jn 20,1) est celui des grandes rencontres : la découverte du tombeau vide, les apparitions, le cheminement des deux disciples d’Emmaüs. St Jean dit bien que les disciples étaient rassemblés ce jour là, sans Thomas, mais que « huit jours plus tard » (Jn 20,26) ce même Jésus revient alors que Thomas est présent. C’est une attestation forte des retrouvailles chrétiennes ce jour là, dès les premières années de l’aventure des disciples du Ressuscité ! Les Actes des Apôtres disent bien à plusieurs reprises que le repas, la « fraction du pain », se déroule ce « premier jour de la semaine » jour de la Résurrection, point de départ de la foi chrétienne : « le premier jour de la semaine, alors que nous étions réunis pour la fraction du pain » (Ac 20,7). L’Eucharistie est la Pâque du Christ, sa victoire sur la mort !
2. Brève histoire de la messe au fil des siècles
On peut distinguer
grosso modo 4 grandes périodes, avant la période présente que nous vivons depuis le Concile Vatican II : du 1er au 4e siècle, du 4e au 8e siècle, le Moyen Âge, du Concile de Trente (16e siècle) jusqu’au début du 20e siècle.
Du 1er au 4e siècleLes tout premiers temps, l’Eucharistie est donc célébrée à la maison. Elle rassemble les disciples du Christ dans la mémoire de ce qu’il a fait, et surtout pour rappeler et actualiser sa mort et sa résurrection. Cela se passe d’abord dans le cadre des repas, puis on distingue (St Paul y fait allusion en 1 Co 11) le culte eucharistique de ces repas habituels pour éviter sans doute à la fois les abus (voire les ivresses) et les inégalités, pour donner au repas eucharistique son caractère unique. C’est au cours du 2ème siècle que les récits évangéliques et les diverses lettres sont constitués dans ce qu’on appellera le Nouveau Testament, sont lus et commentés à l’Eucharistie au même titre que les textes du Premier ou Ancien Testament.
Jusqu’au début du 4e siècle il n’y a pas d’églises. Le christianisme se répand dans tout le bassin méditerranéen, mais il n’a pas toujours droit de cité dans cet Empire Romain. C’est la période des martyrs, celle des premières grandes réflexions sur la foi chrétienne, celle de la mise en place de la vie de l’Eglise avec ses évêques, les épiscopes, ses prêtres, les presbytres ou anciens, ses diacres.
Seul l’évêque préside l’Eucharistie. Mais tous y participent, du moins ceux qui sont baptisés, car les catéchumènes sont introduits progressivement à ce Mystère : ils ne participent qu’à la liturgie de la Parole, de même que les pénitents. Dès ces premiers temps on trouve l’essentiel du déroulement de la messe : le rassemblement, la proclamation de la Parole et son explication, une grande prière universelle, où beaucoup peuvent intervenir, le baiser de paix à ce moment là, puis l’apport du pain et du vin, ensuite la prière d’action de grâce, dans laquelle se situe le récit de l’institution de l’Eucharistie, sans y être déconnecté. C’est le président de la célébration qui dit cette grande prière eucharistique : elle est de sa libre inspiration, dans la tradition juive de la prière synagogale, et avec bien sûr l’événement central où l’on fait mémoire de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus Christ. Dans la prière eucharistique, on remercie Dieu le Père pour la vie donnée en son Fils, dans l’Esprit Saint. Peu à peu certaines de ces prières deviendront des références (St Justin, Hippolyte de Rome). L’assemblée répond à la fin par un AMEN fort et vigoureux ! Les diacres assurent le service de la communion. Cette communion sera portée aux absents dès la fin du rassemblement. Il n’ y a pas de réserve eucharistique.
Du 4e au 8e siècleLa construction des églises va de pair avec l’augmentation des chrétiens dans l’Empire, où non seulement ils sont tolérés (Edit de Milan en 313) mais où bientôt ils deviendront les plus influents. Il est intéressant de voir que c’est le modèle de la basilique qui est pris pour construire les premières grandes églises, et non pas le modèle du temple, qu’il soit celui de Jérusalem ou le temple païen, très présent à Rome. Le temple était réservé à la caste des prêtres, le peuple attendant dehors ou sur le parvis, alors que la basilique abrite tous ceux qui viennent y faire des affaires, discuter, échanger, et même rencontre l’empereur, puisque c’est la signification du terme (maison de l’empereur). Il a une place réservée, qui deviendra, dans la basilique chrétienne, la place du président de l’assemblée, représentant le seul Roi, le Christ, au-dessus duquel souvent prend place une mosaïque avec un Agneau ou un Trône.
Le grand nombre de chrétiens change les pratiques : l’Eucharistie n’est plus uniquement présidée par l’évêque, mais aussi par des prêtres, dans les églises qui se construisent en dépendance des grandes basiliques. La liturgie est plus grandiose, se ritualise progressivement, mais avec une diversité de rites admis, suivant les villes et les langues.
C’est à cette période que les vêtements liturgiques se généralisent, empruntés aux habitudes impériales. Dans le contexte du déclin de l’empire romain, l’évêque de Rome acquiert une autorité importante, sans pour autant revendiquer une primauté absolue sur toutes les Eglises. On développe la partie pénitentielle de la liturgie, introduisant des chants (le
kyrie chez les grecs). Le latin, adopté à Rome vers le 3e siècle, est utilisé par l’Eglise d’Occident de façon plus générale dans la liturgie, alors qu’en Orient plusieurs langues demeurent : araméen, copte, grec, syriaque.... On ajoute quelques prières ou “ oraisons ” : avant les lectures, au moment des offrandes, et après la communion. La prédication se raréfie. Le pain consacré est du pain ordinaire.
Au Moyen ÂgeAu Moyen Âge c’est un accent vers une « action sacerdotale » que l’on remarque. La liturgie reflète en effet le rôle même de l’Eglise qui structure la société et distingue nettement les clercs du peuple chrétien. Le Réforme de Grégoire VII au 11ème siècle marque en effet un tournant (d’après Y. Congar c’est « le plus grand tournant que l’ecclésiologie catholique ait connu ») en ce sens, déjà amorcé les siècles passés.
En effet, depuis Charlemagne en particulier il y avait une tendance à l’unité liturgique, surtout dans l’Eglise latine, dans un contexte de séparation entre Orient et Occident. Cet empereur (vers 800) avait imposé des réformes, développant une liturgie grégorienne (dont l’origine vient de Grégoire Le Grand à la fin du 6e siècle) pour donner des règles générales. C’est lui qui impose le
Filioque dans le Credo en Occident (l’Esprit Saint qui procède du Père « et du Fils »).
On assiste au développement des prières « privées » du président et de ses acolytes, faites à voix basse, à certains moments de la messe. C’est l’utilisation généralisée du pain azyme à cette époque. On reçoit la communion dans la bouche, comme les malades la recevaient. Mais on communie moins souvent. La réserve eucharistique se généralise.
Le prêtre devient celui qui a le pouvoir de « consacrer ». L’accent est mis sur le Mystère de l’Eucharistie, le sacrifice, la valeur de la messe comme acte du Salut. On ordonne des prêtres rien que pour célébrer des messes. C’est à cette époque que l’on associe une offrande matérielle, et bientôt pécuniaire, à la célébration du sacrifice eucharistique.
L’influence des grandes abbayes, dans une société où elles rayonnent de plusieurs façons, se fait sentir aussi d’un point de vue liturgique, ce qui relativise la participation des uns et des autres au Mystère, puisque dans le chœur prennent place les clercs, puis les moines non-prêtres, reléguant les laïcs à une tout autre place, au fond de l’église abbatiale... C’est au Moyen Âge que la messe se célèbre ainsi dos au peuple : puisqu’on recule l’autel au fond du chœur, voulant laisser un large espace pour les autres clercs.
L’influence de la vie monastique et les questions de clarté par rapport aux biens d’Eglise (que les familles des prêtres pouvaient s’approprier parfois au détriment de la paroisse) oriente l’adoption du célibat sacerdotal comme règle pour tous les prêtres. Les « missels » apparaissent pour les clercs, où tout ce qui est à dire par le prêtre est mis. La langue latine utilisée dans la liturgie et pour la lecture de la Bible, devient non comprise des gens, car les langues européennes prennent leur essor.
C’est alors l’époque de la dévotion eucharistique, avec adoration de la « Présence réelle ». Ceci est d’autant plus marqué que l’on assiste à la messe sans la suivre vraiment, sinon de loin. La théologie de la transsubstantiation donne un éclairage intellectuel à ce Mystère de la Présence du Corps et du Sang du Christ sous les espèces du pain et du vin. On donne une grande importance au récit de la consécration en lui-même, comme moment précis où cette Présence se manifeste. Le Salut étant obtenu dans ce saint Sacrifice, on voit le développement des messes, non seulement quotidiennement mais pour des motifs de célébration précis, des « messes votives », considérées dans leur efficacité pour telle ou telle intention particulière.
Pour tempérer cette prise de distance du peuple chrétien avec l’Eucharistie, qui devient un si grand Mystère que l’on s’y éloigne d’une certaine manière, il faut comprendre que la foi chrétienne passait tout au long de ces siècles dans tous les domaines de la vie. Et la catéchèse s’effectuait par les cathédrales, leurs tympans et leurs vitraux, par les églises, avec leurs fresques et leurs sculptures. Les pèlerinages et autres actes pénitentiels constituent une manière active de participer à la vie de l’Eglise. Pour autant, la communion n’est finalement pas au centre de la vie chrétienne.
Du Concile de Trente au début du 20e siècleLa réforme du Concile de Trente affirmait qu’« Il fallait revenir aux normes et aux rites des anciens Pères » (St Pie V). Le Missel de ce pape en 1570, qui ne supprime pas les rites anciens encore en vigueur parfois (Milan, Trèves, Cologne...) est modifié en 1604, 1634 et plusieurs fois jusqu’en 1960 par Jean XXIII. Dans ce missel il y avait une toilette des rites et une remise en valeur de l’essentiel. Mais le rôle de l’assemblée restait passif. Peu de dialogues ! C’est par le chant que le peuple participait à la « messe chantée », alors que pour la « messe basse » seul le choriste répondait au prêtre.
La Réforme protestante pousse l’Eglise catholique à réaffirmer sa théologie du sacrifice eucharistique. Pourtant, il y a aussi un effort de renouveau pour que cette foi se vive et change les comportements : qu’elle soit bien reçue et comprise par le peuple chrétien. C’est dans un contexte de renouveau spirituel fort (Ecole française, spiritualité du cœur de Jésus, missions d’évangélisation des campagnes...) que la « piété eucharistique » se développe, en réaction contre le culte protestant et la seule célébration de la Cène désacralisée. Voici des caractéristiques de cette piété eucharistique catholique qui, à sa manière, cherche à revaloriser la messe :
- la prédication a lieu en dehors de la messe pour ne pas l’interrompre
- la communion est un peu plus fréquente, mais a lieu aussi en dehors de la messe. Ce n’est qu’une manière d’honorer le Seigneur, avec d’autres pratiques mises au même plan, comme les processions ou les “ Saluts ” du Saint Sacrement.
- la musique liturgique est plus de l’ordre du concert dans les grandes églises, et le peuple n’y participe pas.
- l’autel prend une forme plus grandiose, avec une construction qui le surmonte parfois, et la mise en valeur du tabernacle juste devant, voire dedans.
Pourtant, il y a des essais de faire évoluer ces pratiques, dès le 18ème siècle : pour que les fidèles s’unissent au Mystère qui est célébré on publie des livres, on crée des cantiques, on demande que le peuple réponde par des « AMEN ». La reprise du chant grégorien y compris par l’assemblée, sous l’influence de Dom Guéranger à Solesmes au 19ème siècle, va dans ce sens. Don Bosco pousse les enfants à communier plus tôt et plus fréquemment.
C’est le Pape Pie X en 1905 qui officiellement décrète que cette communion peut se faire dès l’âge de raison. Il développe d’ailleurs pour tous la communion plus fréquente, même si celle-ci est donnée avant ou après la messe, donc dissociée de la célébration elle-même, qui reste un Mystère inaccessible pour beaucoup, toujours accentué par la barrière de la langue. Des revues liturgiques voient le jour, avec un effort de traduction. Des messes dialoguées commencent vers 1930, toujours en latin.
Plusieurs éléments permettent de comprendre la grande réforme de Vatican II pour la liturgie et le sens de la messe. Il y a le mouvement œcuménique, la redécouverte de la Bible et des diverses manières de la lire, de l’interpréter, les créations de mouvements catholiques de jeunesse (scoutisme, Action Catholique en particulier) qui appellent des façons nouvelles de faire, de célébrer (en pleine nature par exemple), de parler de la foi pour être susceptibles de rejoindre les défis de la société du 20ème siècle. D’autant que la déchristianisation est forte dans les grandes villes. Les travaux théologiques et liturgiques, la redécouverte de la Tradition des premiers siècles, de la force des grands symboles chrétiens, de la place centrale de Pâques spécialement, tout cela va conduire à des évolutions qui préparent le Concile Vatican II. Pie XII crée une Commission liturgique pour la réforme en 1948. Il y a des rencontres liturgiques internationales. Le chant en langue vernaculaire se développe et suit les divers moments de la messe. Bref, avec le Concile Vatican II, l’Eglise catholique donnera corps à tous ces efforts.
Ensuite, l’histoire de la mise en place des changements, dans le fond et la forme, a donné lieu à de grandes joies et aussi à de nombreux malentendus, dans un contexte de déchristianisation accélérée pour notre Occident du moins. Ce n’est pas ici le lieu d’en parler, puisque nous sommes encore dans ce temps, et que d’autres en feront l’Histoire.
3. Pour comprendre et vivre l’Eucharistie aujourd’hui
L’Eucharistie : célébration du Mystère pascalOn ne se trompe pas lorsqu’on reprend cette expression pour parler de l’Eucharistie. C’est bien d’abord une célébration, avec un mouvement, une participation de tous, chacun à sa place, mais tous célébrants ! La liturgie est un « acte » (
ergon : travail en grec), non pas un spectacle. Célébration : cela signifie aujourd’hui sens du beau, du « Mystère », quelque chose qui nous est donné, dont nous avons la responsabilité, que nous n’inventons pas. Créativité et Tradition ne doivent pas s’opposer. Les grands symboles de la foi sont sans cesse à mettre en œuvre dans la célébration eucharistique : l’eau, la Parole, le feu, le peuple en marche (processions)...etc.
Mystère donc, et « pascal » : c’est une manière d’associer les deux dimensions souvent récupérées et excessivement valorisées que sont le sacrifice d’une part, le repas de l’autre. Les « progressistes » mettraient en avant l’Eucharistie comme repas, au risque d’en faire un pique nique sympa mais vidé de son sens profond ; les « traditionalistes » insisteraient tellement sur le sacrifice qu’on aurait l’impression de refaire la Passion du Christ, et de penser que plus Jésus souffre, plus on est sauvé. C’est le don qui sauve, l’Amour du Christ qui va jusqu’au bout, et non la souffrance en tant que telle. Le Mystère pascal montre que c’est véritablement un passage qui s’effectue dans l’Eucharistie, où l’Esprit Saint agit. C’est pourquoi on invoque cet Esprit à la fois sur les offrandes et sur le peuple rassemblé (ce sont les « épiclèses ») au cours de la Prière Eucharistique. En considérant le Mystère pascal, on passe du Jeudi Saint au Vendredi Saint, puis de la Croix à la Résurrection, qui éclaire et oriente vers le retour du Christ.
L’Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienneC’est Vatican II qui affirme cela (le « sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne » Lumen Gentium 11). Et c’est pour nous capital : un appel à ne pas dissocier l’Eucharistie de toute notre vie, de la vie du monde et de notre relation aux autres.
Source, parce qu’on y rencontre le Seigneur ressuscité, le même qui prend l’initiative de rencontrer ses disciples sur le chemin de leur vie marquée par la mort ! Source, parce que c’est le point de départ d’une semaine nouvelle, d’une action, d’un changement : en préfigurant le Royaume à venir, l’Eucharistie nous invite à l’annoncer en paroles et en actes là où nous vivons. L’Eucharistie va donc de pair avec la mission !
Sommet, parce qu’on y apporte tout ce qu’on vit. On s’associe à l’offrande de la vie du Christ, on présente la vie du monde et de nos frères. On anticipe le Royaume qui vient, dans ce banquet fraternel, autour de Celui qui nous rassemble et comblera toutes nos faims.
Les modes de présence du ChristVoir l’Instruction romaine
Eucharisticum Mysterium de 1967,
Quatre modes de présence du Christ ressuscité sont mentionnés, lors de la célébration eucharistique : et c’est d’abord « l’assemblée des fidèles réunis en son nom » que le texte mentionne ; puis la présence du Christ dans la Parole proclamée ; sa présence aussi dans le ministre qui préside l’Eucharistie, et enfin bien sûr présence du Christ sous le mode du pain et le vin consacrés. Le Christ est en effet particulièrement présent sous l’apparence de ce pain et de ce vin. On dit que c’est le “ grand sacrement ” en ce sens. Mais nous ne pouvons pas concevoir cette présence sous forme magique, comme si une formule du prêtre réalisait d’un coup, sans lien avec le reste, une transformation. Il n’y a pas de transformation visible, démontrable ! L’Eglise parle pour cela de transsubstantiation, c’est un peu compliqué. C’est une manière de dire que fondamentalement, au-delà des apparences, et au fond de tout, le pain est devenu Corps du Christ, le vin, Sang du Christ. Mais c’est dans la foi que nous croyons cela. Et c’est toute la Prière Eucharistique, l’invocation de l’Esprit, le fait même d’être rassemblés tous ensemble (« quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là », dit Jésus) qui permet d’accueillir cette présence réelle du Christ dans l’Eucharistie.
Ainsi, l’adoration eucharistique, est aujourd’hui en plein essor, après avoir été délaissée, car trop liée à la pratique d’avant le Concile où l’on regardait de loin ce Mystère de la Présence réelle à défaut d’y communier concrètement. La manière trop réaliste parfois de considérer cette Présence du Christ (comme s’Il se cachait dans l’hostie : une vieille dame me disait récemment qu’elle n’osait pas croquer cette hostie de peur de faire couler du sang... comme si elle mangeait la chair humaine de Jésus) a marqué et lassé beaucoup de chrétiens. Pour autant, un regard nouveau sur ce Mystère eucharistique permet de redécouvrir d’une façon riche ce que la prière d’adoration peut apporter. Ainsi, des jeunes et des chrétiens qui n’ont pas vécu l’avant Concile éprouvent une grande soif, sans a priori, de cette forme de prière. Le pape Jean-Paul II encourageait cette adoration. C’est en effet une manière de prier qui nous décentre de nous-mêmes pour nous centrer en Dieu. C’est finalement une prière pauvre, contemplant quelque chose de pauvre, ce morceau de Pain consacré, que nous reconnaissons comme le Christ Vivant. De même que Celui qui était suspendu à la Croix, malgré sa pauvreté, était reconnu par le centurion romain : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39).