Heureux les pauvres
Marcel Domergue, jésuite, commente les Béatitudes rapportées dans l’Évangile selon saint Matthieu. Un commentaire des lectures bibliques du 4e dimanche ordinaire, année A : Sophonie 2.3 ;3.12-13, psaume 145, 1 Corinthiens 1,26-31 et Matthieu 5,1-12a. Les huit béatitudes sont des «parallélismes synonymiques» : pauvres, doux, ceux qui pleurent, etc. sont des expressions équivalentes ; idem pour obtenir le royaume, posséder la terre promise, être consolé, etc. En d'autres termes, si vous voulez savoir ce que signifie « être pauvre de cœur », méditez les huit formulations. Vous apprendrez aussi ce qu'est le « Royaume des cieux », expression qui encadre les béatitudes et se détaille en « terre promise, être consolé, être rassasié, obtenir miséricorde, voir Dieu ». Jésus nous met ainsi en face de deux sagesses, deux manières de concevoir et d'aborder la vie. Chaque béatitude renvoie en effet à son contraire : riches de cœur, violents, satisfaits, etc. Ce texte, qui ressemble au Magnificat, ne nous parle pas de la pauvreté matérielle, qui n'est pas une « vertu » mais un mal qu'il faut supporter quelquefois, combattre toujours.
«Que cherchez-vous ?»
C'est la première question que Jésus pose à ses disciples, en Jean 1, 38. Question fondamentale. Où va réellement notre désir ? Sous son apparence «morale», cette question recouvre en réalité un enjeu de foi : celui qui ne croit pas vraiment que Dieu est amour ne peut se sentir en sécurité que s'il accumule autour de lui des assurances. Plus il possède, plus il se fortifie dans l'illusion de sa propre valeur. Plus il domine les autres, s'il le faut par la violence avouée ou cachée, moins il a besoin de Dieu, qu'il se rend incapable de «voir». La richesse peut prendre diverses formes : on peut mettre au-dessus de tout sa compétence professionnelle, sa beauté, sa force physique... et même ses vertus morales, sa «vie spirituelle», en laquelle on peut prétendre trouver sa sécurité. Tout ce que nous croyons posséder devient aussitôt idole et remplace pour nous le « Royaume de Dieu ». Le pauvre n'est pas celui qui a peu mais celui qui sait qu'il n'est propriétaire de rien.
Le Christ pauvre
C'est le 4e évangile qui nous fait le mieux découvrir la pauvreté du Christ. Celui-ci dispose de beaucoup de choses qui sont des richesses étonnantes : son autorité en paroles et en actes, son pouvoir sur tout ce qui est hostile à l'homme, une sagesse indépassable, etc. Mais il ne possède rien de tout cela. Ses œuvres ? Ce sont celles du Père. Ses paroles ? Elles ne sont pas de lui mais de celui qui l'a envoyé. Il n'a rien à lui. Il est comme traversé par Dieu et c'est bien pour cela qu'il est transparent et qu'en lui nous pouvons découvrir la présence et l'action du Père. Cela vaut pour nous. Paul dira : « Possédant comme ne possédant pas » (1 Corinthiens 7,30-31). Là se trouve le secret de la vraie pauvreté évangélique : nous ne possédons pas parce que notre trésor est ailleurs, dans la miséricorde qui nous fait partager, dans la douceur qui surmonte notre violence, dans la faim et la soif de la justice.