WASHINGTON — Les banlieues ne seront plus les banlieues, l'économie implosera et les corps de police cesseront d'exister. Même les aînés devront apprendre à se débrouiller sans chauffage, sans climatisation et sans électricité.
C'est la vie apocalyptique que le président Donald Trump prédit aux Américains s'ils choisissent de confier la Maison-Blanche au démocrate Joe Biden.
«Il vont vous ensevelir sous des règles, il va démanteler vos corps de police, il va effacer nos frontières, il va confisquer vos armes, il va mettre fin aux libertés religieuses, il va détruire vos banlieues», a récemment déclaré M. Trump au sujet de M. Biden, lors d'une envolée oratoire déjantée.
M. Trump évoque habituellement le sort des banlieues du même souffle qu'il mentionne la décision de son administration d'abolir les règles qui y encadraient l'implantation de logements abordables.
Les campagnes électorales peuvent facilement déraper vers la surchauffe et les hyperboles, au moment où les candidats s'arrachent le moindre vote.
Les experts expliquent que des propos comme ceux de M. Trump visent principalement à faire peur à l'électorat, à donner aux électeurs encore indécis une raison de cocher son nom plutôt que celui de son adversaire.
«C'est tout simplement de la peur, et une peur ancrée dans un type d'ignorance qui ne fonctionne que si ceux qui vous entendent ont ce type d'ignorance», a expliqué en référence aux énoncés de M. Trump le professeur de linguistique Robin Lakoff, de l'Université de la Californie à Berkeley.
M. Trump a fait de la peur — et surtout de la peur des immigrants — un thème central de sa campagne en 2016. Il présente maintenant aux électeurs une liste des raisons les plus improbables de craindre une présidence Biden.
«Cette élection représente un choix entre une RELANCE TRUMP et une DÉPRESSION BIDEN, a lancé le président sur Twitter, répétant ce qu'il dit lors de ses événements de campagne. C'est un choix entre un BOOM TRUMP et un CONFINEMENT BIDEN. C'est un choix entre notre plan pour Tuer le virus — ou le plan de Biden de tuer le Rêve Américain.»
M. Trump a souvent attaqué M. Biden pour avoir dit qu'il écouterait les scientifiques, et il prétend que son rival démocrate fermerait le pays. Dans les faits, M. Biden ne s'est jamais prononcé au sujet d'un confinement élargi de l'économie du pays, si la situation devait se détériorer, comme cela s'est produit en mars.
«Si vous votez pour Biden, ça veut dire pas d'enfants dans les écoles, pas de cérémonies de graduation, pas de mariages, pas d'Action de grâces, pas de Noël, pas de fête du 4 juillet ensemble, a lancé M. Trump à ses partisans mercredi, dans l'Arizona. À part ça, vous aurez une vie merveilleuse.»
Le discours de M. Trump résonne principalement auprès de ceux qui sont déjà prêts à croire de telles choses au sujet de M. Biden, a estimé Kathleen Hall Jamieson, qui dirige l'Annenberg Public Policy Center à l'Université de la Pennsylvanie. Mais pour les autres, ajoute-t-elle, «c'est un signe de désespoir».
«Le problème avec une telle rhétorique, c'est qu'elle est aliénante pour ceux qui la trouvent extrême et improbable», a dit Mme Jamieson. Elle est aussi problématique, selon elle, «parce qu'on s'attend à ce qu'un président des États-Unis adapte sa rhétorique à la réalité d'une façon à tout le moins plausible.»
La semaine dernière, en Floride, M. Trump a tenté de mousser sa popularité auprès des aînés frustrés par sa réponse à la pandémie en les prévenant que c'est en réalité M. Biden dont ils devraient se méfier. Il a ainsi faussement prétendu que le plan énergétique de son rival «laisserait les aînés des États-Unis sans climatisation l'été, sans chauffage l'hiver et sans électricité aux moments de plus forte demande».
Cet été, alors que le pays était secoué par les manifestations qui ont déferlé après la mort de plusieurs hommes noirs aux mains de la police, M. Trump a tenté de dépeindre M. Biden comme étant à la solde de la «gauche radicale» qui, selon lui, était responsable des violences. Il a ajouté que M. Biden serait incapable d'empêcher les troubles de se propager aux banlieues.
Mais un examen minutieux révèle la faiblesse de l'argument de M. Trump au sujet de M. Biden et des banlieues, a dit David Zarefsky, qui enseigne la rhétorique présidentielle à l'université Northwestern.
«Je pense que la plupart des gens ne croiront pas que cet argument est solide», a estimé M. Zarefsky, l'ancien président de la Rhetoric Society of America.
Des démocrates de premier plan y vont aussi de leurs propos sombres.
En juillet, M. Biden a dit que M. Trump était le premier président raciste, faisant du coup fi des anciens présidents propriétaires d'esclaves.
«Il y a eu des racistes et ils ont existé. Ils ont essayé d'être élus président, a dit M. Biden. Il est le premier à avoir réussi.»
Lors de son discours à l'occasion de la convention nationale démocrate, l'ancien président Barack Obama a lancé que quatre années républicaines de plus à la Maison-Blanche menaceraient la démocratie des États-Unis.
«C'est ce qui est en jeu présentement. Notre démocratie», a-t-il dit.
Mme Jamieson y voit une différence, puisque cet avertissement est enraciné à même le comportement atypique du président, comme ses attaques contre le département de la Justice et la presse, ou encore ses allégations sans fondement de fraude électorale.
«Ceux qui disent ceci au sujet de Trump présentent des preuves tirées de sa rhétorique ou de ses actions», a-t-elle dit, avant d'ajouter que les attaques contre M. Biden «ne sont pas justifiées par ce qu'il a dit ou fait».
Tous les présidents finissent par utiliser une rhétorique de «nous contre eux», a dit la professeure de communication Vanessa Beasley de l'université Vanderbilt, mais une fois au pouvoir, cette rhétorique est habituellement tempérée par la réalité de devoir gouverner pour tous.
Elle a rappelé que certains partisans du président Obama, après son élection, ont été déçus que le message «d'espoir et de changement» qui l'avait propulsé au pouvoir ait été remplacé par des propos plus nuancés.
«La différence avec Trump est que le 'nous contre eux' ne cesse jamais», a-t-elle dit.
Une rhétorique hyperbolique peut aussi être optimiste, a souligné Mme Beasley, citant en exemple la campagne «Morning in America» de Ronald Reagan dans les années 1980.
«L'hyperbole n'a pas besoin de toujours dériver vers la peur», a-t-elle dit.