Michel Salamolard·Mardi 5 mars 2019
Après la pédocriminalité des clercs, voici l’étalage des outrages atroces infligés à des religieuses au sein de l’Église catholique par des prêtres et des supérieures indignes : abus de pouvoir et de conscience, manipulations mentales, agressions sexuelles, viols, avortements forcés, dissimulation. Des catholiques sincères et convaincus m’ont dit leur indignation, leur révolte après avoir visionné le récent Temps présent sur ce sujet. Ils ont le sentiment d’être trahis par leur Église défigurée. Le même «documentaire» sera projeté ce soir sur Arte. Comment passer de la colère à une vraie réforme de soi, de l’Église et de nos sociétés? Essai de réponse.
NON À LA MAUVAISE EXCUSE DITE DU BOUC ÉMISSAIRE
Je ne suis pas d’accord avec ceux et celles qui pensent que l’Église catholique sert de bouc émissaire à la société en matière de crimes sexuels. Pour la simple raison que le bouc émissaire, le vrai, celui de la Bible, est innocent des péchés, nos péchés, dont on le charge symboliquement pour les chasser loin de nous. Or l’Église n’est pas innocente des abominations sexuelles commises en son sein et contraires à la morale qu’elle prêche. Ce sont ses propres péchés qu’elle porte et dont elle est appelée à se convertir.
OUI À L’IMAGE DE L’ÂNE COUPABLE ET «SACRIFIÉ» PAR D’AUTRES COUPABLES
Celles et ceux qui lisent cet article voudront bien relire d’abord une fable de La Fontaine, qui me servira de grille de lecture, Les Animaux malades de la peste.
La peste des crimes sexuels, sous toutes leurs formes, infecte le monde entier, y compris hélas l’Église catholique pour sa part. Une part objectivement et quantitativement limitée. Mais cette part est lourdement aggravée, à juste titre, par l’exemplarité qu’on est en droit d’attendre d’une Église qui non seulement prêche une morale exigeante, mais propose volontiers comme modèles ses prêtres célibataires et ses personnes consacrées par vœu à l’obéissance, à la pauvreté, à la chasteté et au service d’autrui.
Dans la fable citée plus haut, tous les animaux sont et se reconnaissent coupables, à commencer par leur roi, le lion, symbole de tous les pouvoirs. Mais aussitôt, l’animal qui symbolise toute ruse, le renard, non seulement excuse les meurtres du lion, mais les transfigure en bienfaits. Et tous d’applaudir. Il en ira de même avec le tigre et l’ours. Finalement, c’est l’âne, certes coupable, mais pas plus que les autres, qui sera condamné unanimement. «Haro sur le baudet !»
DÉCRYPTAGE SOUS FORME DE QUESTIONS
Comparaison n’est pas raison, mais on peut se poser quelques questions en pensant aux émissions citées au début de cet article. Sans pour autant excuser en rien les fautes commises par des membres de l’Église catholique, et pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit de ceux qui se posent en modèles !
Combien de documentaires sévères, combien d’articles de presse vengeurs, combien d’indignations et de révoltes sur les réseaux sociaux à propos des crimes sexuels commis contre les enfants au sein de leur famille ?
Combien de documentaires, d’articles de presse, d’indignations et de révoltes pour dénoncer la pornographie et les réseaux pédocriminels sévissant sur l’internet, les films de c... à portée des enfants ?
Combien de gouvernements dans le monde ont-ils pris des mesures sévères, à l’instar de l’Église catholique, pour prévenir et réprimer ces crimes? Combien sont-ils à avoir reconnu leurs insuffisances et leurs erreurs dans ce domaine ?
Combien de documentaires, combien d’articles de presse ont-ils enquêté sur ces phénomènes et sur la responsabilité des autorités civiles en place, leaders politiques et économiques ?
Combien de documentaires, quelles enquêtes et campagnes de presse pour révéler et dénoncer la prostitution organisée, au détriment de femmes en situation précaire et au bénéfice de souteneurs et de mafias? Combien d’articles pour dénoncer ce qui se cache derrière le commerce et l’industrie des «travailleuses du sexe»? Combien d’informations et de messages de prévention adressés par nos médias aux clients de ces modernes esclaves sexuelles, «librement» en vente sur le marché du sexe ?
Combien de documentaires, combien d’articles de presse pour dénoncer les avortements forcés ou fortement encouragés au sein de nos sociétés dites libérales et libérées? Combien d’émissions de télévision nous ont-elles montré comment se pratique une IVG tardive? Combien de documentaires ont-ils enquêté et recueilli des témoignages de femmes sur les traumatismes liés à une ou à des interruption(s) de grossesses mal vécues ?
Combien de documentaires et de campagnes de presse pour dénoncer l’exploitation commerciale du «ventre des femmes» pour satisfaire les envies d’enfant d’adultes égoïstes et irresponsables, qui exigent un droit à la désastreuse GPA (gestation pour autrui)?
Combien, oui combien? Sur les réalités qui viennent d’être évoquées, il y a eu, heureusement, quelques publications et émissions honnêtes et courageuses. Mais certainement pas autant ni avec la même intensité déferlante que lorsqu’il s’agit aujourd’hui de l’Église catholique. Celles et ceux qui ont vu Temps présent le 1er mars ou qui regarderont le même documentaire, amplifié semble-t-il, sur Arte ce soir feront bien de conserver leur esprit critique. Et de s’interroger sur ce qu’ils feront ensuite de leur légitime colère ou indignation.
DE LA RÉVOLTE À LA CONVERSION ET À L’ENGAGEMENT
Que faire de nos révoltes et de nos colères bien compréhensibles contre l’Église catholique? La réponse est à la fois très simple et très exigeante. Cette révolte, cette colère, nous pouvons et devons les diriger non pas contre une Église, qui a engagé un combat sans merci contre tous les crimes sexuels en son sein, mais contre les crimes eux-mêmes, que leurs auteurs soient ou non des prêtres ou des catholiques.
J’ai donné un aperçu dans des commentaires précédents de ce que l’Église catholique a déjà fait et continue de faire pour combattre toute forme d’abus sexuels. Les comportements coupables du Père Thomas, souvent cité en exemple de perversité dans les médias, ont été reconnus et ont fait l’objet d’une enquête canonique. C’est aussi le cas du Père Marie-Dominique Philippe.
En dirigeant notre sainte révolte contre les crimes, d’où qu’ils viennent et quels que soient leurs auteurs ou leurs complices, quels que soient aussi celles et ceux qui les «couvrent», nous éviterons de tomber dans le piège qui consiste à «condamner l’âne» pour mieux permettre aux «lions», aux «tigres» et aux «ours» de continuer de fermer leurs yeux, et les nôtres, sur leurs propres lâchetés et complicités.
C’est ce que nous pouvons et devons aussi exiger des médias. Et de nous-mêmes.
Quant à l’Église catholique, elle semble bien être en ce moment la seule grande institution qui reconnaît les fautes de ses membres et qui est engagée dans un combat mondial et durable pour les prévenir et les réprimer en son sein.
À lire notamment ce communiqué tout récent de la CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France): https://www.viereligieuse.fr/Communique-de-presse-5-mars-2019 (en écho à l’émission sur Arte) et cet Appel de L’Union internationale des Supérieures générales (UISG) adressé peu auparavant à toutes les religieuses du monde pour les inviter à dénoncer d’éventuels abus sexuels subis: https://www.viereligieuse.fr/UISG-Les-superieures-appellent-les-soeurs-a-denoncer-les-abus-subis
Michel Salamolard est prêtre du diocèse de Sion, titulaire d’une maîtrise en théologie de l’Institut catholique de Paris, avec formation en sociologie et en psychologie. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, conférencier, accompagnateur spirituel, il s’intéresse particulièrement à l’articulation des questions humaines et sociales avec la spiritualité et la théologie chrétienne. Le Valaisan Michel Salamolard est engagé sur tous les fronts : prêtre, mais aussi guide de montagne ou directeur de collection aux Éditions St-Augustin à St-Maurice.