Bonjour à tous,
Je me permets de vous partager un "Evangile de foi" si on veut, tel qu'on le retrouve dans Maria Valtorta.
Il s'agit de la rencontre de Cécile et de Valérien, de l'évolution de ce couple, et de leur martyr.
Cela m'a beaucoup marquée à l'époque, parce qu'on retrouvait énormément d'enseignements dans ces textes, et puis, on est happé par la beauté et la force de ces chapitres...
Je le mets dans un fil à part, parce que les trois chapitres à leur sujets font 18 pages à eux tout seuls
J'ai aussi mis en gras régulièrement des passages, pour aider la lecture. Mais si ça vous gêne, dites-le-moi et je peux enlever tout ça.
@Lucie, @Fleur, voilà les passages dont je vous parlais, je rajoute les deux chapitres restants à la suite de mon message ici
Fête de sainte Marie-Madeleine
Ce chapitre s'ouvre dans des catacombes, où des chrétiens de toutes catégories sociales se regroupent pour célébrer la Messe et prier ensemble. Parmi eux se trouvent Cécile, qui vient se recueillir avec eux avant son mariage avec Valérien, un patricien romain. Elle y prie intensément en mettant tout son espoir dans le Christ, puis vient l'heure de se retirer, de retrouver son époux, et de lui dire son voeu de virginité...
Belle et longue vision qui n'a rien à voir avec la sainte pénitente que j’ai toujours tant aimée. Je l’écris en ajoutant des feuilles à ce carnet parce que je suis seule, si bien que je prends ce que j’ai sous la main.
Je vois les catacombes. Bien que je ne sois jamais allée dans les catacombes, je comprends qu’il s’agit d’elles. J’ignore lesquelles. Je vois d’obscurs méandres de couloirs étroits creusés dans la terre, bas et humides, tout en lacets comme un labyrinthe. On marche de bout et on a beau avoir l’impression de pouvoir continuer, ou tout au moins de pouvoir tourner dans un autre couloir, on se trouve en face d’un mur en terre et il faut faire demi-tour, revenir en arrière jusqu’à ce qu’on retrouve un autre couloir qui aille plus loin.
Il s’y trouve une multitude de niches prêtes à recevoir des martyrs. Prêtes, en ce sens que chacune est légèrement creusée dans la paroi pour servir de norme pour les fossoyeurs. Au début, c’est ainsi. Mais plus l’on avance, plus les niches sont déjà profondes et achevées, toutes disposées dans le sens de la paroi, comme autant de couchettes de bateau. En revanche, d’autres sont déjà occupées par leur sainte dépouille et fermées par une pierre grossière sur laquelle le nom du martyr ou du défunt et les signes chrétiens sont maladroitement gravés, accompagnés d’un mot d’adieu ou de recommandation.
Cependant, ces niches déjà achevées et fermées se trouvent précisément dans cette zone que je suppose être la partie centrale de la catacombe, car de grandes pièces s’y ouvrent souvent, comme des salles et des chambres plus hautes, ornées de graffiti et plus lumineuses que les autres grâce à de petites lampes à huile disposées ici et là par dévotion et pour la commodité des fidèles dont la propre lampe viendrait à s’éteindre pour une raison ou une autre.
Les personnes sont elles aussi en plus grand nombre, et elles débouchent de tout côté, se saluant avec amour, à voix basse comme la sainteté du lieu l’exige. Il y a des hommes, des femmes et des enfants, de toute condition sociale, vêtus en pauvres ou en patriciens. Les femmes ont la tête couverte d’une étoffe légère semblable à de la mousseline. Il ne s’agit certes pas d’un voile de tulle, mais d’une espèce de gaze très épaisse, plus belle chez les riches, plus simple chez les pauvres, foncée chez les épouses et les veuves, blanche chez les vierges.
Certaines femmes portent leurs enfants dans les bras. Peut-être n’avaient-elles personne à qui les confier, si bien qu’elles les ont emmenés. Si les plus grands marchent à côté de leur maman, les plus petits certains sont des nouveaux-nés dorment comme des bienheureux sous le voile maternel, bercés par le pas de leur mère et par les chants lents et fervents qui s’élèvent sous les voûtes. On dirait de petits anges descendus du ciel et qui rêvent au paradis, auquel ils sourient dans leur sommeil.
La foule augmente et finit par se rassembler dans une très vaste salle semi-circulaire; au sommet du cercle se trouve l’autel, tourné vers l’assistance, et entièrement recouvert de peintures ou de mosaïques.
Je ne comprends pas bien. Je sais qu’il s’agit de représentations colorées sur lesquelles les tons les plus vifs ou les plus clairs resplendissent et les halos d’or brillent. Un grand nombre de lampes allumées luisent sur l’autel. Tout autour de l’autel, des vierges vêtues et voilées de blanc forment couronne.
Un vieillard à l’aspect bon et majestueux entre en bénissant. Je pense qu’il s’agit du Pape, car tous se prosternent respectueusement. Il est entouré de prêtres et de diacres, et passe au milieu de la haie de têtes inclinées avec un sourire d’une beauté inexprimable sur le visage. Son seul sourire suffit à dire sa sainteté. Il monte à l’autel et se prépare pour le rite pendant que les fidèles chantent.
La célébration commence. Elle est pratiquement semblable à la nôtre (*264), bien plus complexe que celle célébrée par l’apôtre Paul que j’ai vue au Tullianum, et que celle que j’ai vu célébrer dans la maison de Pétronille. (*265)
Le vieillard qui célèbre — certainement évêque, si ce n’est le Pape est assisté et servi par les diacres. Ceux-ci ont des vêtements fort différents du sien car, alors qu’il porte un vêtement de célébration qui ressemble — pour vous en donner une idée — à ces peignoirs de toilette que les femmes mettent pour se coiffer de petits manteaux ronds qui couvrent devant et derrière ainsi que les épaules et les bras presque jusqu’aux poignets , les diacres portent un vêtement de célébration presque identique à celui d’aujourd’hui, long jusqu’aux genoux, avec des manches larges mais courtes.
La messe se compose de chants, dont je comprends qu’ils sont faits de passages de psaumes ou de l’Apocalypse, de lectures d’épîtres ou de textes bibliques ou évangéliques, qui sont commentés aux fidèles parles diacres, à tour de rôle.
Après la lecture de l’Evangile, chanté par un jeune diacre, le Pape se lève. Je l’appelle comme cela parce que j’entends une mère le désigner de cette manière à son enfant, assez turbulent. Le passage choisi était la parabole des dix vierges, sages ou folles.
Le Pape dit: « Propre aux vierges, cette parabole s’adresse néanmoins à toutes les âmes, puisque les mérites du sang du Sauveur et la grâce les rendent de nouveau vierges et font d’elles des enfants en attente de l’Epoux.
Souriez, vieillards affaiblis; relevez la tête, patriciens qui étiez plongés jusqu’hier dans la fange du paganisme corrompu; ne regrettez plus votre innocence d’enfant, vous les mères et les épouses. Dans votre âme, vous n’êtes pas différents de ces lys au milieu desquels l’Epoux se promène, et qui forment maintenant une couronne autour de son autel. Votre âme a des beautés de vierge qu’aucun baiser n’a effleurée, quand vous naissez et demeurez en Christ, notre Seigneur.
Sa venue rend l’âme, qui auparavant était souillée et noircie par les vices les plus abjects, plus pure que l’aube sur une montagne enneigée. Le repentir la nettoie, la volonté la purifie, mais l’amour, l’amour de notre saint Sauveur, cet amour qui vient de son Sang qui crie d’un cri d’amour, vous rend une parfaite virginité. Non pas celle que vous possédiez à l’aube de votre vie humaine, mais celle de notre père à tous: Adam, et celle de notre mère à tous: Eve, avant que Satan ne passe sur leur innocence angélique, sur ce don divin qu’est l’innocence qui les revêtait de grâce aux yeux de Dieu et de l’univers.
O sainte virginité de la vie chrétienne! Bain de Sang, du Sang d’un Dieu qui nous renouvelle et nous purifie comme l’homme et la femme sortis des mains du Très haut! O seconde naissance de votre vie, dans la vie chrétienne, prélude à cette troisième naissance qui vous donnera le ciel lorsque vous monterez, au signal de Dieu, dans la pureté de la foi ou la pourpre du martyre, beaux comme des anges et dignes de voir et de suivre Jésus, le Fils de Dieu, notre Sauveur!
Mais plus qu’aux âmes redevenues vierges par la grâce, je m’adresse aujourd’hui à celles qui sont enfermées dans des corps vierges, avec la volonté de le rester. Je me tourne vers les vierges sages qui ont compris l’invitation d’amour de notre Seigneur et les paroles de saint Jean, demeuré vierge, et qui veulent suivre pour toujours l’Agneau dans l’armée de ceux qui ne se sont pas souillés et qui rempliront éternellement les cieux du cantique que nul ne peut prononcer, excepté ceux qui sont restés vierges par amour pour Dieu.
Je m’adresse à la femme forte dans la foi, l’espérance et la charité, qui se nourrit cette nuit des Chairs immaculées du Verbe et se fortifie par son Sang comme par un Vin céleste pour devenir plus ferme dans son entreprise.
L’une d’entre vous se lèvera de cet autel pour aller à la rencontre d’un destin dont le nom peut être "mort". Elle y va en se fiant à Dieu; sa foi n’est pas celle qui est commune à tous les chrétiens, mais elle est encore plus parfaite; elle ne se borne pas à croire pour elle-même, à croire en la protection divine pour elle-même. Mais elle croit aussi pour les autres et espère amener à cet autel celui qui demain sera aux yeux du monde son époux, mais aux yeux de Dieu son frère bien-aimé. C’est là une double virginité, une virginité parfaite qui se sent sûre de sa force au point de ne pas redouter de violation, de ne pas craindre la colère d’un époux déçu, la faiblesse sensuelle, la peur des menaces, les espoirs déçus, la peur et la quasi-certitude du martyre.
Lève-toi et souris à ton véritable Epoux, chaste vierge du Christ, toi qui vas à la rencontre de l’homme en ayant les yeux tournés vers Dieu, et qui y vas pour amener l’homme à Dieu! Dieu te regarde et te sourit, tout comme la Mère qui fut Vierge et les anges qui te font une couronne. Lève-toi et viens te désaltérer à la Source immaculée avant de partir vers ta croix, vers ta gloire.
Viens, épouse du Christ. Répète-lui ton chant d’amour sous ces voûtes qui te sont plus chères que le berceau de ta naissance au monde, et emporte-le jusqu’au moment où ton âme le chantera au ciel tandis que ton corps reposera de son dernier sommeil dans les bras de cette véritable Mère qu’est l’Eglise apostolique. »
A la fin de l’homélie du Pape, on entend quelques murmures, car les chrétiens chuchotent en regardant et en désignant la foule des vierges. Mais les autres leur enjoignent de se taire, après quoi on fait sortir les catéchumènes, et la messe continue.
Il n’y a pas de credo, du moins je ne l’entends pas. Des diacres passent parmi les fidèles pour recueillir des offrandes, tandis que d’autres chantent de leur voix virile les strophes d’un hymne en alternance avec les voix pures des vierges. Des volutes d’encens montent vers la voûte de la pièce pendant que le Pape prie à l’autel et que les diacres élèvent sur leurs paumes les offrandes recueillies sur des plateaux et dans des amphores aussi précieux les uns que les autres.
La messe se poursuit de la même façon qu’aujourd’hui. Après le dialogue qui précède la Préface et la Préface chantée par les fidèles, il se fait un grand silence pendant lequel on n’entend rien d’autre que la respiration et les sifflements du célébrant qui prie, incliné sur l’autel, puis se relève et prononce plus distinctement les paroles de la consécration.
Le Notre-Père, entonné par tous, est superbe. Lorsqu’on en vient à la distribution des saintes espèces, les diacres chantent. Les vierges communient en premier. Puis elles aussi chantent le chant que j'ai entendu à l’enterrement d’Agnès (*266): « Je vis un Agneau debout sur la montagne de Sion... » Le cantique dure aussi longtemps que la distribution des saintes espèces en alternance avec le psaume: « Comme une biche languit après l’eau vive, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu» (je crois avoir bien traduit).
La messe se termine. Les chrétiens se pressent autour du Pape pour en être bénis personnellement et vont prendre congé de la vierge à laquelle il s’est adressé. Ces salutations ont lieu, cependant, dans une salle voisine, une antichambre pourrait-on dire, de l’église à proprement parler. Ils s’en approchent quand la vierge, après avoir prié plus longuement que toutes les autres qui sont présentes, se lève de sa place, se prosterne aux pieds de l’autel et en embrasse le bord. Elle donne bien l’impression d’une biche qui ne saurait pas se détacher de sa source d’eau pure.
J’entends qu’on l’appelle: « Cécile, Cécile! », et je la vois enfin de face, car elle est maintenant debout à côté du Pape et a légèrement relevé son voile. Elle est extrêmement belle, très jeune encore. Grande, d’une silhouette gracieuse, les traits distingués, elle a une jolie voix ainsi qu'un sourire et un regard angéliques.
Des chrétiens la saluent les larmes aux yeux, d’autres en souriant. Certains lui demandent comment elle a pu se décider à un mariage terrestre, d’autres si elle ne redoute pas la colère du patricien lorsqu’il découvrira qu’elle est chrétienne.
Une vierge regrette qu’elle renonce à la virginité. Cécile lui répond pour répondre à tous: « Tu fais erreur, Balbina. Je ne renonce à aucune virginité. J’ai consacré à Dieu mon corps et mon cœur, et je lui reste fidèle. J’aime Dieu plus que mes parents. Toutefois, je les aime encore au point de ne pas vouloir les amener à la mort avant que Dieu ne les rappelle à lui.
J’aime Jésus, mon Epoux éternel, plus que tout homme. Mais j’aime les hommes au point de recourir à ce moyen pour ne pas perdre l’âme de Valérien. Il m’aime, et moi je l’aime chastement, je l’aime parfaitement, au point de vouloir qu’il m’accompagne dans la Lumière et la Vérité. Je ne crains pas ses colères. J’espère dans le Seigneur pour vaincre. J’espère en Jésus pour amener mon époux terrestre au christianisme. Si toutefois je n’obtiens pas la victoire et s’il me faut subir le martyre, je remporterai plus vite ma couronne. Mais non !... Je vois trois couronnes descendre du ciel: deux semblables, et une autre faite de trois sortes de pierres précieuses. Les deux semblables sont entièrement d’un rouge rubis. La troisième se compose de deux bandes de rubis tout autour, et d’un grand cordon de perles très pures. Elles nous attendent. Ne craignez rien pour moi. La puissance du Seigneur me défendra. Nous nous retrouverons bientôt réunis dans cette église pour saluer de nouveaux frères. Adieu. En Dieu. »
Ils sortent des catacombes. Tous se drapent d’un manteau sombre et s’esquivent dans les rues encore à demi obscures, car l’aube pointe à peine.
Je suis Cécile, qui marche en compagnie d’un diacre et de quelques vierges. Ils se quittent devant la porte d’un vaste édifice. Cécile entre, accompagnée de deux vierges seulement. Peut-être s’agit-il de servantes. Mais le portier doit être chrétien, car il lui dit en guise de salutation: « Paix à toi!»
Cécile se retire dans ses pièces, prie avec les deux femmes, puis se fait préparer pour les noces. Elles la coiffent fort bien. Elles lui passent un vêtement des plus fins de laine très blanche, orné d’une grecque en broderie blanche sur blanc. On dirait une broderie d’argent et de perles. Elles lui mettent des bijoux aux oreilles, aux doigts, au cou et aux poignets.
La maison s'anime. Des femmes entrent, ainsi que d’autres servantes. C’est un va-et-vient continuel et festif.
J’assiste ensuite à ce que je crois être des noces païennes: l’arrivée de l’époux au son des musiques et des invités; des cérémonies de salutations et d’aspersions, et d’autres choses semblables; le départ en litière vers la maison de l’époux toute décorée pour la fête. Je remarque que Cécile passe sous des arches de bandes de laine blanche et de branchages qui me paraissent être du myrte, et s’arrête devant le laraire, je crois, où ont lieu de nouvelles cérémonies d’aspersions et de formules. Je vois et j’entends les deux futurs époux se donner la main et se dire l’un à l’autre la phrase rituelle: « Là où tu es, Caïus, je suis Caïa.»
Il y a un monde tel habillés presque tous de façon identique: des toges, des toges et encore des toges que je ne comprends pas quel est le prêtre qui célèbre le rite, pour autant qu’il y en ait un. J’ai l’impression d’avoir la tête qui tourne.
Ensuite, Cécile, que son époux tient par la main, fait le tour de l’atrium (je ne sais si c’est le bon terme), autrement dit de la salle à niches et à colonnes où se trouve le laraire, et elle salue les statues des ancêtres de Valérien, je pense. Après cela, elle passe sous de nouvelles arches de myrtes et pénètre dans la maison à proprement parler. Sur le seuil, on lui présente des cadeaux dont, entre autres, une quenouille et un fuseau. C’est une vieille femme qui les lui offre. J’ignore de qui il s’agit.
La fête commence par l’habituel banquet romain et se prolonge parmi les chants et les danses. La pièce est somptueuse, comme d’ailleurs toute la maison. Il y a une cour je crois que cela s’appelle un « impluvium », mais je ne me rappelle pas bien les noms des édifices romains et je ne sais si je les emploie à bon escient , qui est un joyau de fontaines, de statues et de parterres. Le triclinium se trouve entre cette cour et le jardin, touffu et fleuri, qui s’étend de l’autre côté de la maison. Entre les buissons, il y a des statues de marbre et de superbes fontaines.
Il me semble que beaucoup de temps a dû passer, car le soir descend. On voit que les Romains ne connaissaient pas les cartes de rationnement (*267) Le banquet n’en finit pas. Il est vrai qu’il est entrecoupé de chants et de danses. Mais tout de même...
Cécile sourit à son époux, qui lui parle et la regarde avec amour
Elle me paraît un peu distraite. Valérien lui demande si elle est fatiguée et, pour lui être agréable peut-être, il se lève pour congédier les invités.
Cécile se retire dans ses nouvelles pièces. Ses servantes chrétiennes l’accompagnent. Elles prient et, pour se faire une croix, Cécile trempe un doigt dans une coupe qui doit servir à la toilette et trace une légère croix sombre sur le marbre d’un mur. Les servantes lui retirent son riche vêtement pour lui enfiler un simple habit de laine, elles lui dénouent les cheveux en lui enlevant ses précieuses épingles à cheveux, et les lui nouent en deux tresses. Sans bijoux, sans boucles, avec ses seules tresses sur les épaules, Cécile semble être une petite jeune fille, et je lui donne entre dix huit et vingt ans.
Une dernière prière et un signe aux servantes, qui sortent pour revenir avec d’autres plus âgées, sans doute de la maison de Valérien. En cortège, elles se dirigent vers une chambre magnifique, et les plus âgées accompagnent Cécile au lit, qui n’est guère différent des divans à la turque d’aujourd’hui; mais la base est en ivoire marqueté et des colonnes en ivoire s’élèvent aux quatre coins, soutenant un baldaquin pourpre. Le lit lui-même est couvert de somptueuses étoffes pourpres. On la laisse seule.
Valérien entre et, les mains tendues, s’avance vers Cécile. On voit qu’il l’aime beaucoup. Cécile répond à son sourire par un sourire, mais ne va pas à lui. Elle reste debout au centre de la pièce car, à peine sorties les servantes âgées qui l’avaient étendue sur le lit, elle s’était relevée.
Valérien s’en étonne. Il croit qu’elles n’ont pas accompli convenablement leur service et s’irrite déjà contre elles. Mais Cécile l’apaise en lui précisant qu’elle a elle-même voulu l’attendre debout.
«Alors viens, ma Cécile, dit Valérien, en essayant de l’embrasser. Viens, je t’aime tellement.
— Moi aussi. Mais ne me touche pas. Ne m’offense pas par des caresses humaines.
— Mais, Cécile ! ... tu es mon épouse.
— C’est à Dieu que j’appartiens, Valérien. Je suis chrétienne. Je t’aime, mais de mon âme qui est au ciel. Tu n’as pas épousé une femme, mais une fille de Dieu que les anges servent. Et l’ange de Dieu est à mes côtés pour me défendre. N’offense pas cette céleste créature par des actes d’amour trivial. Tu en serais châtié. »
Valérien a changé de couleur. Au début, la stupeur le paralyse mais ensuite la colère d’avoir été roulé le suffoque et il se démène, il hurle. C’est un violent,~ déçu dans ce qui lui tenait le plus à cœur. «Tu m’as trahi! Tu t’es jouée de moi. Je ne te crois pas. Je ne peux pas, je ne veux pas croire que tu es chrétienne. Tu es trop bonne, trop belle et intelligente pour appartenir à cette sale bande. Mais non !... C’est une plaisanterie. Tu veux jouer comme une enfant. C’est ta fête. Mais cette plaisanterie est trop cruelle. En voilà assez. Viens à moi.
— Je suis chrétienne. Je ne plaisante pas. Je me glorifie de l’être parce que cela signifie être grand sur terre et dans l'au-delà. Je t’aime, Valérien. Je t’aime tellement que je suis venue à toi pour t’amener à Dieu, pour t’avoir à mes côtés en Dieu.
— Tu es folle et parjure, sois maudite! Pourquoi m’as-tu trahi? N’as-tu pas peur de ma vengeance ?...
— Non, parce que tu es noble et bon, et que tu m’aimes. Non, parce que je sais que tu n’oses pas condamner sans preuve de faute. Or je ne suis coupable de rien...
— Tu mens en parlant d’anges et de dieux. Comment pourrais-je y croire? Il faudrait que je voie et, si je voyais... si je voyais, je te respecterais comme un ange. Mais, pour l’instant, tu es mon épouse. Je ne vois rien. Je ne vois que toi.
— Valérien, peux-tu croire que je mens? Peux-tu vraiment le croire, toi qui justement me connais? Les mensonges proviennent de gens vils. Crois à ce que je te dis. Si tu veux voir mon ange gardien, crois en moi et tu le verras. Crois en moi, qui t’aime. Regarde: je suis seule avec toi. Tu pourrais me tuer. Je n’ai pas peur. Je suis à ta merci. Tu pourrais me dénoncer au Préfet. Je n’ai pas peur. L’ange me protège de ses ailes. Oh! Si tu le voyais...
— Comment pourrais-je le voir?
— En croyant en ce que je crois. Regarde: sur mon cœur, il y a un petit rouleau. Sais-tu ce dont il s’agit? C’est la Parole de mon Dieu. Dieu ne ment pas, et Dieu a dit de ne pas craindre, nous qui croyons en lui, car les vipères et les scorpions resteront sans venin devant nos pieds...
— Vous mourez pourtant par milliers dans les arènes...
— Non. Nous ne mourons pas. Nous vivons éternellement. L’Olympe n’existe pas, mais le paradis, oui. On n’y trouve aucun dieu menteur, aucun qui ait des passions brutales, mais seulement des anges et des saints dans la lumière et les harmonies célestes. Je l’entends... Je le vois... O Lumière! O Voix! O Paradis! Descends! Descends! Viens faire tien mon époux, ton fils. Que ta couronne soit sur lui avant d’être sur moi. Que j’aie la douleur de rester sans son affection, mais la joie de le voir aimé de toi, en toi, avant ma propre venue. O ciel joyeux! O noces éternelles! Valérien, nous serons unis devant Dieu, en époux vierges et heureux d’un amour parfait... » Cécile est en extase.
Valérien la contemple avec admiration, tout ému. « Comment pourrais-je... comment pourrais-je obtenir cela? Je suis patricien romain. Jusqu’à hier, je faisais la noce et j’étais cruel. Comment puis-je être comme toi, un ange?
— Mon Seigneur est venu rendre vie aux morts, aux âmes mortes. Renais en lui et tu seras semblable à moi. Nous lirons sa Parole ensemble, et ton épouse sera heureuse de t’enseigner. Ensuite, je te conduirai chez le saint Pontife. Il t’apportera la lumière complète et la grâce. Comme un aveugle dont les yeux s’ouvrent, tu verras. Oh! Viens, Valérien, et écoute la Parole éternelle qui chante dans mon cœur. »
Cécile prend alors son époux par la main; il est maintenant tout humble et paisible comme un enfant. Elle s’assied auprès de lui sur deux grands sièges, et lit le premier chapitre de l’évangile selon saint Jean jusqu’au verset 14, puis l’épisode de Nicodème au chapitre 3.
A la lecture de ces pages, la voix de Cécile se fait musique de harpe; Valérien, encore un peu dubitatif et incrédule, l’écoute tout d’abord la tête posée sur les mains, les coudes appuyés sur les genoux. Puis il pose la tête sur l’épaule de son épouse et, les yeux clos, écoute attentivement; quand elle s’arrête, il supplie: « Encore, encore! » Cécile lit des passages de Matthieu et de Luc, tous propres à convaincre davantage son époux, puis elle termine en revenant à Jean, qu’elle lit à partir du lavement des pieds.
Valérien pleure maintenant. Ses larmes tombent de ses paupières closes sans soubresaut. Cécile le voit et sourit, mais elle n’en montre rien. Une fois lu l’épisode de l’incrédulité de Thomas, elle se tait...
Ils restent ainsi, l’une absorbée en Dieu et l’autre en lui-même, jusqu’à ce que Valérien s’écrie: « Je crois. Je crois, Cécile. Seul un vrai Dieu peut avoir dit de telles paroles et aimé de cette manière. Conduis-moi à ton Pape. Je veux aimer ce que tu aimes. Je veux ce que tu veux. Ne redoutes plus rien de ma part, Cécile. Nous serons comme tu le veux, des époux en Dieu et des frères ici. Allons-y, car je ne veux pas tarder à voir ce que tu vois: l’ange de ta pureté.»
Cécile se lève alors, rayonnante, ouvre la fenêtre, écarte les rideaux pour permettre à la lumière de la nouvelle journée d’entrer et se signe en récitant le Notre-Père: lentement, très lentement pour que son époux puisse la suivre; puis, de sa main, elle lui fait un signe de croix sur le front et sur le cœur, enfin, elle lui saisit la main et la lui porte au front, à la poitrine et aux épaules en signe de croix, après quoi elle sort en tenant toujours son époux par la main, et en le guidant vers la Lumière.
Je ne vois rien d’autre.
(*264) L’écrivain fait manifestement référence à la messe telle qu’elle était célébrée à son époque, avant la réforme liturgique introduite par le concile Vatican Il, même si la ressemblance entre la célébration qu’elle décrit et celle de nos jours demeure.
(*265) Le 29 février et le 4 mars.
(*266 )Le 20 janvier.
(*267) En ces jours de guerre pendant lesquels Maria Valtorta écrivait, les cartes servaient à régler le rationnement du pain et des autres aliments.
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Je me permets de vous partager un "Evangile de foi" si on veut, tel qu'on le retrouve dans Maria Valtorta.
Il s'agit de la rencontre de Cécile et de Valérien, de l'évolution de ce couple, et de leur martyr.
Cela m'a beaucoup marquée à l'époque, parce qu'on retrouvait énormément d'enseignements dans ces textes, et puis, on est happé par la beauté et la force de ces chapitres...
Je le mets dans un fil à part, parce que les trois chapitres à leur sujets font 18 pages à eux tout seuls
J'ai aussi mis en gras régulièrement des passages, pour aider la lecture. Mais si ça vous gêne, dites-le-moi et je peux enlever tout ça.
@Lucie, @Fleur, voilà les passages dont je vous parlais, je rajoute les deux chapitres restants à la suite de mon message ici
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Vision de Cécile et de Valérien dans l'oeuvre de Maria Valtorta
La prière de Cécile, les noces, le mariage, le voeu de virginité de Cécile
Fête de sainte Marie-Madeleine
Ce chapitre s'ouvre dans des catacombes, où des chrétiens de toutes catégories sociales se regroupent pour célébrer la Messe et prier ensemble. Parmi eux se trouvent Cécile, qui vient se recueillir avec eux avant son mariage avec Valérien, un patricien romain. Elle y prie intensément en mettant tout son espoir dans le Christ, puis vient l'heure de se retirer, de retrouver son époux, et de lui dire son voeu de virginité...
Belle et longue vision qui n'a rien à voir avec la sainte pénitente que j’ai toujours tant aimée. Je l’écris en ajoutant des feuilles à ce carnet parce que je suis seule, si bien que je prends ce que j’ai sous la main.
Je vois les catacombes. Bien que je ne sois jamais allée dans les catacombes, je comprends qu’il s’agit d’elles. J’ignore lesquelles. Je vois d’obscurs méandres de couloirs étroits creusés dans la terre, bas et humides, tout en lacets comme un labyrinthe. On marche de bout et on a beau avoir l’impression de pouvoir continuer, ou tout au moins de pouvoir tourner dans un autre couloir, on se trouve en face d’un mur en terre et il faut faire demi-tour, revenir en arrière jusqu’à ce qu’on retrouve un autre couloir qui aille plus loin.
Il s’y trouve une multitude de niches prêtes à recevoir des martyrs. Prêtes, en ce sens que chacune est légèrement creusée dans la paroi pour servir de norme pour les fossoyeurs. Au début, c’est ainsi. Mais plus l’on avance, plus les niches sont déjà profondes et achevées, toutes disposées dans le sens de la paroi, comme autant de couchettes de bateau. En revanche, d’autres sont déjà occupées par leur sainte dépouille et fermées par une pierre grossière sur laquelle le nom du martyr ou du défunt et les signes chrétiens sont maladroitement gravés, accompagnés d’un mot d’adieu ou de recommandation.
Cependant, ces niches déjà achevées et fermées se trouvent précisément dans cette zone que je suppose être la partie centrale de la catacombe, car de grandes pièces s’y ouvrent souvent, comme des salles et des chambres plus hautes, ornées de graffiti et plus lumineuses que les autres grâce à de petites lampes à huile disposées ici et là par dévotion et pour la commodité des fidèles dont la propre lampe viendrait à s’éteindre pour une raison ou une autre.
Les personnes sont elles aussi en plus grand nombre, et elles débouchent de tout côté, se saluant avec amour, à voix basse comme la sainteté du lieu l’exige. Il y a des hommes, des femmes et des enfants, de toute condition sociale, vêtus en pauvres ou en patriciens. Les femmes ont la tête couverte d’une étoffe légère semblable à de la mousseline. Il ne s’agit certes pas d’un voile de tulle, mais d’une espèce de gaze très épaisse, plus belle chez les riches, plus simple chez les pauvres, foncée chez les épouses et les veuves, blanche chez les vierges.
Certaines femmes portent leurs enfants dans les bras. Peut-être n’avaient-elles personne à qui les confier, si bien qu’elles les ont emmenés. Si les plus grands marchent à côté de leur maman, les plus petits certains sont des nouveaux-nés dorment comme des bienheureux sous le voile maternel, bercés par le pas de leur mère et par les chants lents et fervents qui s’élèvent sous les voûtes. On dirait de petits anges descendus du ciel et qui rêvent au paradis, auquel ils sourient dans leur sommeil.
La foule augmente et finit par se rassembler dans une très vaste salle semi-circulaire; au sommet du cercle se trouve l’autel, tourné vers l’assistance, et entièrement recouvert de peintures ou de mosaïques.
Je ne comprends pas bien. Je sais qu’il s’agit de représentations colorées sur lesquelles les tons les plus vifs ou les plus clairs resplendissent et les halos d’or brillent. Un grand nombre de lampes allumées luisent sur l’autel. Tout autour de l’autel, des vierges vêtues et voilées de blanc forment couronne.
Un vieillard à l’aspect bon et majestueux entre en bénissant. Je pense qu’il s’agit du Pape, car tous se prosternent respectueusement. Il est entouré de prêtres et de diacres, et passe au milieu de la haie de têtes inclinées avec un sourire d’une beauté inexprimable sur le visage. Son seul sourire suffit à dire sa sainteté. Il monte à l’autel et se prépare pour le rite pendant que les fidèles chantent.
La célébration commence. Elle est pratiquement semblable à la nôtre (*264), bien plus complexe que celle célébrée par l’apôtre Paul que j’ai vue au Tullianum, et que celle que j’ai vu célébrer dans la maison de Pétronille. (*265)
Le vieillard qui célèbre — certainement évêque, si ce n’est le Pape est assisté et servi par les diacres. Ceux-ci ont des vêtements fort différents du sien car, alors qu’il porte un vêtement de célébration qui ressemble — pour vous en donner une idée — à ces peignoirs de toilette que les femmes mettent pour se coiffer de petits manteaux ronds qui couvrent devant et derrière ainsi que les épaules et les bras presque jusqu’aux poignets , les diacres portent un vêtement de célébration presque identique à celui d’aujourd’hui, long jusqu’aux genoux, avec des manches larges mais courtes.
La messe se compose de chants, dont je comprends qu’ils sont faits de passages de psaumes ou de l’Apocalypse, de lectures d’épîtres ou de textes bibliques ou évangéliques, qui sont commentés aux fidèles parles diacres, à tour de rôle.
Après la lecture de l’Evangile, chanté par un jeune diacre, le Pape se lève. Je l’appelle comme cela parce que j’entends une mère le désigner de cette manière à son enfant, assez turbulent. Le passage choisi était la parabole des dix vierges, sages ou folles.
Le Pape dit: « Propre aux vierges, cette parabole s’adresse néanmoins à toutes les âmes, puisque les mérites du sang du Sauveur et la grâce les rendent de nouveau vierges et font d’elles des enfants en attente de l’Epoux.
Souriez, vieillards affaiblis; relevez la tête, patriciens qui étiez plongés jusqu’hier dans la fange du paganisme corrompu; ne regrettez plus votre innocence d’enfant, vous les mères et les épouses. Dans votre âme, vous n’êtes pas différents de ces lys au milieu desquels l’Epoux se promène, et qui forment maintenant une couronne autour de son autel. Votre âme a des beautés de vierge qu’aucun baiser n’a effleurée, quand vous naissez et demeurez en Christ, notre Seigneur.
Sa venue rend l’âme, qui auparavant était souillée et noircie par les vices les plus abjects, plus pure que l’aube sur une montagne enneigée. Le repentir la nettoie, la volonté la purifie, mais l’amour, l’amour de notre saint Sauveur, cet amour qui vient de son Sang qui crie d’un cri d’amour, vous rend une parfaite virginité. Non pas celle que vous possédiez à l’aube de votre vie humaine, mais celle de notre père à tous: Adam, et celle de notre mère à tous: Eve, avant que Satan ne passe sur leur innocence angélique, sur ce don divin qu’est l’innocence qui les revêtait de grâce aux yeux de Dieu et de l’univers.
O sainte virginité de la vie chrétienne! Bain de Sang, du Sang d’un Dieu qui nous renouvelle et nous purifie comme l’homme et la femme sortis des mains du Très haut! O seconde naissance de votre vie, dans la vie chrétienne, prélude à cette troisième naissance qui vous donnera le ciel lorsque vous monterez, au signal de Dieu, dans la pureté de la foi ou la pourpre du martyre, beaux comme des anges et dignes de voir et de suivre Jésus, le Fils de Dieu, notre Sauveur!
Mais plus qu’aux âmes redevenues vierges par la grâce, je m’adresse aujourd’hui à celles qui sont enfermées dans des corps vierges, avec la volonté de le rester. Je me tourne vers les vierges sages qui ont compris l’invitation d’amour de notre Seigneur et les paroles de saint Jean, demeuré vierge, et qui veulent suivre pour toujours l’Agneau dans l’armée de ceux qui ne se sont pas souillés et qui rempliront éternellement les cieux du cantique que nul ne peut prononcer, excepté ceux qui sont restés vierges par amour pour Dieu.
Je m’adresse à la femme forte dans la foi, l’espérance et la charité, qui se nourrit cette nuit des Chairs immaculées du Verbe et se fortifie par son Sang comme par un Vin céleste pour devenir plus ferme dans son entreprise.
L’une d’entre vous se lèvera de cet autel pour aller à la rencontre d’un destin dont le nom peut être "mort". Elle y va en se fiant à Dieu; sa foi n’est pas celle qui est commune à tous les chrétiens, mais elle est encore plus parfaite; elle ne se borne pas à croire pour elle-même, à croire en la protection divine pour elle-même. Mais elle croit aussi pour les autres et espère amener à cet autel celui qui demain sera aux yeux du monde son époux, mais aux yeux de Dieu son frère bien-aimé. C’est là une double virginité, une virginité parfaite qui se sent sûre de sa force au point de ne pas redouter de violation, de ne pas craindre la colère d’un époux déçu, la faiblesse sensuelle, la peur des menaces, les espoirs déçus, la peur et la quasi-certitude du martyre.
Lève-toi et souris à ton véritable Epoux, chaste vierge du Christ, toi qui vas à la rencontre de l’homme en ayant les yeux tournés vers Dieu, et qui y vas pour amener l’homme à Dieu! Dieu te regarde et te sourit, tout comme la Mère qui fut Vierge et les anges qui te font une couronne. Lève-toi et viens te désaltérer à la Source immaculée avant de partir vers ta croix, vers ta gloire.
Viens, épouse du Christ. Répète-lui ton chant d’amour sous ces voûtes qui te sont plus chères que le berceau de ta naissance au monde, et emporte-le jusqu’au moment où ton âme le chantera au ciel tandis que ton corps reposera de son dernier sommeil dans les bras de cette véritable Mère qu’est l’Eglise apostolique. »
A la fin de l’homélie du Pape, on entend quelques murmures, car les chrétiens chuchotent en regardant et en désignant la foule des vierges. Mais les autres leur enjoignent de se taire, après quoi on fait sortir les catéchumènes, et la messe continue.
Il n’y a pas de credo, du moins je ne l’entends pas. Des diacres passent parmi les fidèles pour recueillir des offrandes, tandis que d’autres chantent de leur voix virile les strophes d’un hymne en alternance avec les voix pures des vierges. Des volutes d’encens montent vers la voûte de la pièce pendant que le Pape prie à l’autel et que les diacres élèvent sur leurs paumes les offrandes recueillies sur des plateaux et dans des amphores aussi précieux les uns que les autres.
La messe se poursuit de la même façon qu’aujourd’hui. Après le dialogue qui précède la Préface et la Préface chantée par les fidèles, il se fait un grand silence pendant lequel on n’entend rien d’autre que la respiration et les sifflements du célébrant qui prie, incliné sur l’autel, puis se relève et prononce plus distinctement les paroles de la consécration.
Le Notre-Père, entonné par tous, est superbe. Lorsqu’on en vient à la distribution des saintes espèces, les diacres chantent. Les vierges communient en premier. Puis elles aussi chantent le chant que j'ai entendu à l’enterrement d’Agnès (*266): « Je vis un Agneau debout sur la montagne de Sion... » Le cantique dure aussi longtemps que la distribution des saintes espèces en alternance avec le psaume: « Comme une biche languit après l’eau vive, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu» (je crois avoir bien traduit).
La messe se termine. Les chrétiens se pressent autour du Pape pour en être bénis personnellement et vont prendre congé de la vierge à laquelle il s’est adressé. Ces salutations ont lieu, cependant, dans une salle voisine, une antichambre pourrait-on dire, de l’église à proprement parler. Ils s’en approchent quand la vierge, après avoir prié plus longuement que toutes les autres qui sont présentes, se lève de sa place, se prosterne aux pieds de l’autel et en embrasse le bord. Elle donne bien l’impression d’une biche qui ne saurait pas se détacher de sa source d’eau pure.
J’entends qu’on l’appelle: « Cécile, Cécile! », et je la vois enfin de face, car elle est maintenant debout à côté du Pape et a légèrement relevé son voile. Elle est extrêmement belle, très jeune encore. Grande, d’une silhouette gracieuse, les traits distingués, elle a une jolie voix ainsi qu'un sourire et un regard angéliques.
Des chrétiens la saluent les larmes aux yeux, d’autres en souriant. Certains lui demandent comment elle a pu se décider à un mariage terrestre, d’autres si elle ne redoute pas la colère du patricien lorsqu’il découvrira qu’elle est chrétienne.
Une vierge regrette qu’elle renonce à la virginité. Cécile lui répond pour répondre à tous: « Tu fais erreur, Balbina. Je ne renonce à aucune virginité. J’ai consacré à Dieu mon corps et mon cœur, et je lui reste fidèle. J’aime Dieu plus que mes parents. Toutefois, je les aime encore au point de ne pas vouloir les amener à la mort avant que Dieu ne les rappelle à lui.
J’aime Jésus, mon Epoux éternel, plus que tout homme. Mais j’aime les hommes au point de recourir à ce moyen pour ne pas perdre l’âme de Valérien. Il m’aime, et moi je l’aime chastement, je l’aime parfaitement, au point de vouloir qu’il m’accompagne dans la Lumière et la Vérité. Je ne crains pas ses colères. J’espère dans le Seigneur pour vaincre. J’espère en Jésus pour amener mon époux terrestre au christianisme. Si toutefois je n’obtiens pas la victoire et s’il me faut subir le martyre, je remporterai plus vite ma couronne. Mais non !... Je vois trois couronnes descendre du ciel: deux semblables, et une autre faite de trois sortes de pierres précieuses. Les deux semblables sont entièrement d’un rouge rubis. La troisième se compose de deux bandes de rubis tout autour, et d’un grand cordon de perles très pures. Elles nous attendent. Ne craignez rien pour moi. La puissance du Seigneur me défendra. Nous nous retrouverons bientôt réunis dans cette église pour saluer de nouveaux frères. Adieu. En Dieu. »
Ils sortent des catacombes. Tous se drapent d’un manteau sombre et s’esquivent dans les rues encore à demi obscures, car l’aube pointe à peine.
Je suis Cécile, qui marche en compagnie d’un diacre et de quelques vierges. Ils se quittent devant la porte d’un vaste édifice. Cécile entre, accompagnée de deux vierges seulement. Peut-être s’agit-il de servantes. Mais le portier doit être chrétien, car il lui dit en guise de salutation: « Paix à toi!»
Cécile se retire dans ses pièces, prie avec les deux femmes, puis se fait préparer pour les noces. Elles la coiffent fort bien. Elles lui passent un vêtement des plus fins de laine très blanche, orné d’une grecque en broderie blanche sur blanc. On dirait une broderie d’argent et de perles. Elles lui mettent des bijoux aux oreilles, aux doigts, au cou et aux poignets.
La maison s'anime. Des femmes entrent, ainsi que d’autres servantes. C’est un va-et-vient continuel et festif.
J’assiste ensuite à ce que je crois être des noces païennes: l’arrivée de l’époux au son des musiques et des invités; des cérémonies de salutations et d’aspersions, et d’autres choses semblables; le départ en litière vers la maison de l’époux toute décorée pour la fête. Je remarque que Cécile passe sous des arches de bandes de laine blanche et de branchages qui me paraissent être du myrte, et s’arrête devant le laraire, je crois, où ont lieu de nouvelles cérémonies d’aspersions et de formules. Je vois et j’entends les deux futurs époux se donner la main et se dire l’un à l’autre la phrase rituelle: « Là où tu es, Caïus, je suis Caïa.»
Il y a un monde tel habillés presque tous de façon identique: des toges, des toges et encore des toges que je ne comprends pas quel est le prêtre qui célèbre le rite, pour autant qu’il y en ait un. J’ai l’impression d’avoir la tête qui tourne.
Ensuite, Cécile, que son époux tient par la main, fait le tour de l’atrium (je ne sais si c’est le bon terme), autrement dit de la salle à niches et à colonnes où se trouve le laraire, et elle salue les statues des ancêtres de Valérien, je pense. Après cela, elle passe sous de nouvelles arches de myrtes et pénètre dans la maison à proprement parler. Sur le seuil, on lui présente des cadeaux dont, entre autres, une quenouille et un fuseau. C’est une vieille femme qui les lui offre. J’ignore de qui il s’agit.
La fête commence par l’habituel banquet romain et se prolonge parmi les chants et les danses. La pièce est somptueuse, comme d’ailleurs toute la maison. Il y a une cour je crois que cela s’appelle un « impluvium », mais je ne me rappelle pas bien les noms des édifices romains et je ne sais si je les emploie à bon escient , qui est un joyau de fontaines, de statues et de parterres. Le triclinium se trouve entre cette cour et le jardin, touffu et fleuri, qui s’étend de l’autre côté de la maison. Entre les buissons, il y a des statues de marbre et de superbes fontaines.
Il me semble que beaucoup de temps a dû passer, car le soir descend. On voit que les Romains ne connaissaient pas les cartes de rationnement (*267) Le banquet n’en finit pas. Il est vrai qu’il est entrecoupé de chants et de danses. Mais tout de même...
Cécile sourit à son époux, qui lui parle et la regarde avec amour
Elle me paraît un peu distraite. Valérien lui demande si elle est fatiguée et, pour lui être agréable peut-être, il se lève pour congédier les invités.
Cécile se retire dans ses nouvelles pièces. Ses servantes chrétiennes l’accompagnent. Elles prient et, pour se faire une croix, Cécile trempe un doigt dans une coupe qui doit servir à la toilette et trace une légère croix sombre sur le marbre d’un mur. Les servantes lui retirent son riche vêtement pour lui enfiler un simple habit de laine, elles lui dénouent les cheveux en lui enlevant ses précieuses épingles à cheveux, et les lui nouent en deux tresses. Sans bijoux, sans boucles, avec ses seules tresses sur les épaules, Cécile semble être une petite jeune fille, et je lui donne entre dix huit et vingt ans.
Une dernière prière et un signe aux servantes, qui sortent pour revenir avec d’autres plus âgées, sans doute de la maison de Valérien. En cortège, elles se dirigent vers une chambre magnifique, et les plus âgées accompagnent Cécile au lit, qui n’est guère différent des divans à la turque d’aujourd’hui; mais la base est en ivoire marqueté et des colonnes en ivoire s’élèvent aux quatre coins, soutenant un baldaquin pourpre. Le lit lui-même est couvert de somptueuses étoffes pourpres. On la laisse seule.
Valérien entre et, les mains tendues, s’avance vers Cécile. On voit qu’il l’aime beaucoup. Cécile répond à son sourire par un sourire, mais ne va pas à lui. Elle reste debout au centre de la pièce car, à peine sorties les servantes âgées qui l’avaient étendue sur le lit, elle s’était relevée.
Valérien s’en étonne. Il croit qu’elles n’ont pas accompli convenablement leur service et s’irrite déjà contre elles. Mais Cécile l’apaise en lui précisant qu’elle a elle-même voulu l’attendre debout.
«Alors viens, ma Cécile, dit Valérien, en essayant de l’embrasser. Viens, je t’aime tellement.
— Moi aussi. Mais ne me touche pas. Ne m’offense pas par des caresses humaines.
— Mais, Cécile ! ... tu es mon épouse.
— C’est à Dieu que j’appartiens, Valérien. Je suis chrétienne. Je t’aime, mais de mon âme qui est au ciel. Tu n’as pas épousé une femme, mais une fille de Dieu que les anges servent. Et l’ange de Dieu est à mes côtés pour me défendre. N’offense pas cette céleste créature par des actes d’amour trivial. Tu en serais châtié. »
Valérien a changé de couleur. Au début, la stupeur le paralyse mais ensuite la colère d’avoir été roulé le suffoque et il se démène, il hurle. C’est un violent,~ déçu dans ce qui lui tenait le plus à cœur. «Tu m’as trahi! Tu t’es jouée de moi. Je ne te crois pas. Je ne peux pas, je ne veux pas croire que tu es chrétienne. Tu es trop bonne, trop belle et intelligente pour appartenir à cette sale bande. Mais non !... C’est une plaisanterie. Tu veux jouer comme une enfant. C’est ta fête. Mais cette plaisanterie est trop cruelle. En voilà assez. Viens à moi.
— Je suis chrétienne. Je ne plaisante pas. Je me glorifie de l’être parce que cela signifie être grand sur terre et dans l'au-delà. Je t’aime, Valérien. Je t’aime tellement que je suis venue à toi pour t’amener à Dieu, pour t’avoir à mes côtés en Dieu.
— Tu es folle et parjure, sois maudite! Pourquoi m’as-tu trahi? N’as-tu pas peur de ma vengeance ?...
— Non, parce que tu es noble et bon, et que tu m’aimes. Non, parce que je sais que tu n’oses pas condamner sans preuve de faute. Or je ne suis coupable de rien...
— Tu mens en parlant d’anges et de dieux. Comment pourrais-je y croire? Il faudrait que je voie et, si je voyais... si je voyais, je te respecterais comme un ange. Mais, pour l’instant, tu es mon épouse. Je ne vois rien. Je ne vois que toi.
— Valérien, peux-tu croire que je mens? Peux-tu vraiment le croire, toi qui justement me connais? Les mensonges proviennent de gens vils. Crois à ce que je te dis. Si tu veux voir mon ange gardien, crois en moi et tu le verras. Crois en moi, qui t’aime. Regarde: je suis seule avec toi. Tu pourrais me tuer. Je n’ai pas peur. Je suis à ta merci. Tu pourrais me dénoncer au Préfet. Je n’ai pas peur. L’ange me protège de ses ailes. Oh! Si tu le voyais...
— Comment pourrais-je le voir?
— En croyant en ce que je crois. Regarde: sur mon cœur, il y a un petit rouleau. Sais-tu ce dont il s’agit? C’est la Parole de mon Dieu. Dieu ne ment pas, et Dieu a dit de ne pas craindre, nous qui croyons en lui, car les vipères et les scorpions resteront sans venin devant nos pieds...
— Vous mourez pourtant par milliers dans les arènes...
— Non. Nous ne mourons pas. Nous vivons éternellement. L’Olympe n’existe pas, mais le paradis, oui. On n’y trouve aucun dieu menteur, aucun qui ait des passions brutales, mais seulement des anges et des saints dans la lumière et les harmonies célestes. Je l’entends... Je le vois... O Lumière! O Voix! O Paradis! Descends! Descends! Viens faire tien mon époux, ton fils. Que ta couronne soit sur lui avant d’être sur moi. Que j’aie la douleur de rester sans son affection, mais la joie de le voir aimé de toi, en toi, avant ma propre venue. O ciel joyeux! O noces éternelles! Valérien, nous serons unis devant Dieu, en époux vierges et heureux d’un amour parfait... » Cécile est en extase.
Valérien la contemple avec admiration, tout ému. « Comment pourrais-je... comment pourrais-je obtenir cela? Je suis patricien romain. Jusqu’à hier, je faisais la noce et j’étais cruel. Comment puis-je être comme toi, un ange?
— Mon Seigneur est venu rendre vie aux morts, aux âmes mortes. Renais en lui et tu seras semblable à moi. Nous lirons sa Parole ensemble, et ton épouse sera heureuse de t’enseigner. Ensuite, je te conduirai chez le saint Pontife. Il t’apportera la lumière complète et la grâce. Comme un aveugle dont les yeux s’ouvrent, tu verras. Oh! Viens, Valérien, et écoute la Parole éternelle qui chante dans mon cœur. »
Cécile prend alors son époux par la main; il est maintenant tout humble et paisible comme un enfant. Elle s’assied auprès de lui sur deux grands sièges, et lit le premier chapitre de l’évangile selon saint Jean jusqu’au verset 14, puis l’épisode de Nicodème au chapitre 3.
A la lecture de ces pages, la voix de Cécile se fait musique de harpe; Valérien, encore un peu dubitatif et incrédule, l’écoute tout d’abord la tête posée sur les mains, les coudes appuyés sur les genoux. Puis il pose la tête sur l’épaule de son épouse et, les yeux clos, écoute attentivement; quand elle s’arrête, il supplie: « Encore, encore! » Cécile lit des passages de Matthieu et de Luc, tous propres à convaincre davantage son époux, puis elle termine en revenant à Jean, qu’elle lit à partir du lavement des pieds.
Valérien pleure maintenant. Ses larmes tombent de ses paupières closes sans soubresaut. Cécile le voit et sourit, mais elle n’en montre rien. Une fois lu l’épisode de l’incrédulité de Thomas, elle se tait...
Ils restent ainsi, l’une absorbée en Dieu et l’autre en lui-même, jusqu’à ce que Valérien s’écrie: « Je crois. Je crois, Cécile. Seul un vrai Dieu peut avoir dit de telles paroles et aimé de cette manière. Conduis-moi à ton Pape. Je veux aimer ce que tu aimes. Je veux ce que tu veux. Ne redoutes plus rien de ma part, Cécile. Nous serons comme tu le veux, des époux en Dieu et des frères ici. Allons-y, car je ne veux pas tarder à voir ce que tu vois: l’ange de ta pureté.»
Cécile se lève alors, rayonnante, ouvre la fenêtre, écarte les rideaux pour permettre à la lumière de la nouvelle journée d’entrer et se signe en récitant le Notre-Père: lentement, très lentement pour que son époux puisse la suivre; puis, de sa main, elle lui fait un signe de croix sur le front et sur le cœur, enfin, elle lui saisit la main et la lui porte au front, à la poitrine et aux épaules en signe de croix, après quoi elle sort en tenant toujours son époux par la main, et en le guidant vers la Lumière.
Je ne vois rien d’autre.
(*264) L’écrivain fait manifestement référence à la messe telle qu’elle était célébrée à son époque, avant la réforme liturgique introduite par le concile Vatican Il, même si la ressemblance entre la célébration qu’elle décrit et celle de nos jours demeure.
(*265) Le 29 février et le 4 mars.
(*266 )Le 20 janvier.
(*267) En ces jours de guerre pendant lesquels Maria Valtorta écrivait, les cartes servaient à régler le rationnement du pain et des autres aliments.
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Dernière édition par Anayel le Ven 11 Jan - 12:33, édité 1 fois