Apparition de la Sainte Vierge à Besse-en-Oisans.
APPARITION DE LA SAINTE VIERGE À BESSE-EN-OISANS
Ce récit complet de l’apparition de la Sainte-Vierge est commenté par un contemporain originaire du Bourg-d’Oisans qui apporte de nombreuses précisions sur les faits ainsi que sur les suites qui seront données à cette mystique aventure. (J’apporte quelques commentaires en fin d’article).
L’écho du Merveilleux du 15 juillet 1905. No 205
L’APPARITION DE BESSE-EN-OISANS, MONSIEUR GASTON MERY(1)
À propos des révélations et des prophéties relatives à la destruction de Paris ou aux malheurs de la France(2), que vous avez publiées dans votre Écho du Merveilleux, permettez-moi de vous signaler un fait qui a eu quelque retentissement, il y a quelque vingt ans, dans un petit coin du département, de l’Isère, et qui, à mon sens, n’a pas été suffisamment connu ailleurs. Il s’agirait d’une apparition de la Sainte-Vierge à un paysan incrédule.
Il existe dans le département de l’Isère une petite commune, Besse-en-Oisans (canton de Bourg-d’Oisans).
C’est un village perdu au milieu de montagnes couvertes de prairies exclusivement, qui lui font un décor assez ressemblant à celui de la Salette. Au mois de septembre de l’année 1886, un paysan de l’endroit, nommé Hustache, prétendit avoir vu la Sainte-Vierge.
Le récit qu’il fit (et dont je vous envoie copie ci-joint) excita la curiosité des habitants de Besse et des alentours.
Étant originaire de Bourg-d’Oisans, je me souviens assez, malgré mon jeune âge au moment des faits, du bruit que firent ces événements. Beaucoup de personnes se rendirent à Besse et de là, au hameau où eut lieu l’apparition. On y éleva même un oratoire.
J’ai entendu le voyant raconter les faits, et la copie que je vous transmets est faite d’après une copie que je possède, laquelle est la reproduction intégrale d’un écrit original du voyant, car non seulement il raconta, mais il écrivit son récit(3). Le voici ; j’y souligne quelques passages relatifs aux événements que tous nous redoutons(4).
Je rétablis la bonne orthographe et la ponctuation, mais je conserve le style simple et naïf du récit.
Le 11 septembre de l’année 1886
J’arrivais de couper du blé vers les neuf heures du matin, dans un hameau qu’on appelle Cuchet ; en arrivant tout près de ma maison (le voyant qui avait une maison à Besse, en avait une aussi au hameau de Cuchet), j’aperçois une femme assise sur le banc, devant la porte, et, en la voyant, il me semblait pas une femme en vie ; ça me donne une grande frayeur ; je m’en retournais, et elle, en me voyant, elle m’appelle.
« Approchez-vous, elle dit, je ne suis pas ici pour vous épouvanter. » Je m’approche d’elle et je lui dis que je voulais aller boire, et elle me demande s’il y avait personne dans ce hameau et où était l’eau. Je lui réponds : non, il y a personne ici et l’eau est là dernier (derrière). Elle me dit : « Asseyez-vous un petit moment, vous irez boire tout à l’heure ». Et elle me dit : « Vous portez un bâton, avez-vous mal à la jambe ? » — Je lui réponds : « Oui, madame, il y a deux ans que j’y ai mal, et ça ne veut pas se guérir ». — Mais elle me dit : « J’ai entendu dire qu’il se fait des miracles à la Salette, n’y avez-vous rien été ? » — Je lui réponds : « Non, madame. Pour la Salette. je n’y crois pas, je n’y ai pas la foi. » — Elle me répondit : « Il faut avoir la foi, car sans la foi, nous ne pouvons être sauves ; pour moi, elle me dit, je le crois bien, car il y a rien d’impossible à Dieu. Il fait tout par sa toute puissance. Il nous faut pas vivre en incrédules, car si nous n’avons pas la foi, nous ne pouvons pas nous sauver ». Mais elle me dit : « J’ai entendu dire que votre prêtre devait avoir une grande foi pour la Salette ; il doit y avoir été avec un grand nombre de ses paroissiens ». — Je lui réponds : « Oui, madame, vous vous trompez pas, il y a été deux fois avec un assez grand nombre de gens du pays.
— Mais je lui dis : J’ai pas entendu dire qu’il se soit fait bien des miracles ; pour moi je ne crois pas que la Sainte-Vierge vienne sur la terre ». — Elle me répondit : « Il faut que nous le croyons, car elle a apparu à la Salette pour faire convertir tout son peuple, et faire pénitence, et je vois que partout où je vais, j’entends que jurements et autres choses ; je crois que le Bon Dieu sera forcé de vous punir sans tarder ; on a fait un jubilé pour apaiser un peu tout le mal qui se commet dans le monde, mais je vois que le mal ne fait qu’augmenter de plus fort, et vous autres, dans les montagnes, elle me dit, vous devez avoir encore un peu de foi ». — Je lui réponds : « Ici, c’est comme partout, la foi est bien faible ». — « Vous devez, elle me dit, avoir tous fait votre jubilé et vos Pâques ». — Je lui réponds : « Ici, il y a en a un grand nombre qui l’ont fait, mais il en reste toujours qui le font pas, et s’ils avaient tous fait comme moi, qui n’ai fait ni jubilé, ni pâques, personne ne les aurait fait ».
— Et elle me répond : « Ah ! mon ami, il vous faut pas négliger notre devoir de Pâques, car Dieu nous le commande, et il faut bien observer les commandements de Dieu et ceux de l’Eglise ». — Mais je lui réponds : « Ceux de l’Eglise, ce sont les hommes qui les ont faits, nous n’avons pas besoin de les observer tant » Et elle me répond : « Ah ! mon ami, il faut tout bien observer, car j’ai toujours entendu dire que Dieu avait donné le pouvoir à ses apôtres de faire et défaire sur la terre, que ça serait fait dans le ciel. Il nous faut croire à toutes ces vérités, si nous voulons être sauvés des peines terribles de l’autre monde. » Mais je lui réponds : « Le bon Dieu fera bien ce qu'il voudra de nous autres, il nous a pas créés pour nous perdre. » — Elle me répond : « Ah ! mon ami. si nous ne faisons rien pour nous sauver, Dieu nous sauvera pas tout seul. Il nous faut pas vivre en incrédules, il faut bien prier soir et matin. Si nous pouvons pas prier longtemps, faire au moins une petite prière, faite avec grande foi et confiance en Dieu ». Après elle dit : « Il y a à penser que vous avez eu une bonne récolte cette année. » — Oui, je lui réponds, le monde se plaint pas ; il y aura pas bien des pommes de terre. » — Elle répond : « Il faut bien nous contenter de ce que Dieu nous donne ; nous devrions bien le prier, car dans ce moment, on a besoin de prier ; les personnes pieuses et tous les chrétiens devraient redoubler de prières, car on voit la jeunesse corrompue dans le vice, très mal instruite ; on voit, en beaucoup d’endroits dans les écoles, on enseigne les enfants sans religion ; oh ! quel malheur pour un père et une mère, qui seront la cause de ce mal. Je crois, elle dit, que le Bon Dieu, les punira en ce monde et bien plus en l’autre. On travaille le dimanche ; on voit en beaucoup de pays les hommes travailler le dimanche, et manquer la messe. Ah ! quel malheur ! ça attire sur nous autres les châtiments de Dieu terribles en ce monde, et après leur mort une éternité de souffrances. On voit dans des pays que l’on se confesse jamais, et, cependant, elle me dit, la confession, c’est la chose la plus nécessaire pour nous sauver ; nous confesser les hommes les grandes fêtes de l’année. » — Je lui réponds : « Pour quant à moi je me confesse pas à Pâques. Je vais pas me confesser les grandes fêtes. » — Et elle me répond : « Ah ! mon ami, si nous voulons que Dieu nous pardonne du mal que nous commettons, il faut fréquenter les sacrements quelquefois. »
Après elle continuait toujours de dire ; moi, je tourne la tête de l’autre côté et je reviens pour la regarder. Je la vois levée devant moi, toute changée, car auparavant, elle avait une robe bleue et un bonnet blanc, et nous avions toujours parlé en passant, et elle, sans se faire connaître. Mais elle a bien changé ; levée contre moi, elle avait une belle robe blanche, très brillante, et une couronne sur la tête, très brillante ; quand je l’ai vue tant belle, j’ai fait un effort pour me lever droit, mais la grande frayeur m’a pris. J’ai que pu lire sur sa couronne, ces deux mots, ça disait : « Je suis la reine du Ciel et de la Terre » ; et je me suis recouché par terre.
Après elle dit : « Mon enfant, vous ignorez pas que la Sainte-Vierge a apparu à la Salette, comme elle vous apparaît devant vous. » Après, elle répète : « Mon enfant, vous ignorez pas que la Mère de Dieu vient sur la terre par la permission de son Fils, pour donner la lumière aux incrédules et faire conserver la foi aux bons chrétiens. » — Après elle dit : « Il va arriver un accident dans votre commune, sans tarder, pour justifier les vérités au peuple, que je vous dis. – Ensuite, elle dit : « Je suis envoyée de mon Fils pour avertir mon peuple, qu’il se convertisse et qu’il fasse pénitence, pour épargner le grand châtiment, que mon Fils prépare pour punir tout mon peuple de leurs crimes, car ce sera un fléau, que de la vie, il en n’aura apparu de pareil, et malheur aux impies et aux incrédules. » Après elle dit plus rien à côté de la porte, elle part du côté de la fontaine(5), et moi, la grande frayeur que j’avais, je reste encore un petit moment après elle ; car je la voyais qui marchait par l’air environ à dix centimètres de terre et je ne voyais ni pieds, ni remuer pour marcher. Je pars aussi après elle du côté de la fontaine, elle s’assied dessus une pierre qui est un tuf et moi, il y avait encore environ dix mètres avant d’arriver auprès d’elle, car je n’osai pas approcher vers cette belle clarté. Je me couche par terre, et elle en me voyant par terre, elle m’appelle : « Mon enfant, approchez-vous, n’ayez pas crainte ; vous avez parlé de venir boire. » Je m’approche de la fontaine et je ne disais rien, et elle me dit : « Mon enfant, faites-bien attention aux paroles que je vais vous dire — ici, et elle dit : Oh ! peuples français que vous êtes malheureux ! Dans le temps, vous vous faisiez respecter par vos vertus, et aujourd’hui, par rapport à vos crimes, je serai forcée de vous abandonner et de laisser tomber la vengeance de mon fils sur vous autres ; et malheur aux impies et aux incrédules. » Après elle dit : Il y aura grande guerre en France(6) et grande persécution dans l’Eglise Chrétienne ; on va attaquer ses ministres et tous les bons chrétiens, mais ça ne durera pas longtemps. » Ensuite, elle dit : « Mon enfant dite ce que je vous ai dit ici, à la fontaine, au ministre de mon Fils et dites ce que vous avez vu et entendu au peuple et mettez en pratique et mémoire tous les discours que je vous ai dits à côté de votre porte ; car ils viennent de mon fils. Faites passer à tout mon peuple, afin qu’il les mette en pratique et qu’ils se convertissent » – Après elle se lève, fait le tour de la fontaine pour la bénir ensuite elle se lève doucement dans les airs. J’ai vu sa personne en haut environ à 20 mètres. Voilà toutes les vérités que notre bonne (mère) m'a dites, et elle a dit de dire au peuple que tous les malheurs qu’elle a dits doivent arriver vers la fin du siècle où commencement de l’autre.
HUSTACHE FRANÇOIS.
Le malheur prédit était un incendie qui a éclaté on ne sait comment, il n’y a eu qu’une maison de brûlée, malgré les ouvertures pleines de foin qui étaient, à côté ; c’était un aubergiste qui donnait à boire à la jeunesse pendant la grand’messe(7).
Mais, quel crédit faut-il accorder au récit du paysan dauphinois ? Naturellement, comme pour toutes les apparitions, ce n’est pas à nous à décider. Et je me garderai bien d’entrer dans une discussion à ce sujet.
Ce que je puis dire, c’est que le plus grand nombre des habitants de Besse a cru à l’apparition et qu’il a pris alors en aversion le curé de l’endroit qui faisait une trop forte opposition. Du reste, des manifestations, paraît-il, suivirent. Là-dessus, mes souvenirs ne sont plus assez précis. Cependant, comme mes parents avaient alors à leur service une domestique originaire de Besse, j’ai su par elle beaucoup de choses. Le 19 septembre, jour anniversaire de l’apparition de la Salette, les paysans de Besse faisaient une procession au lieu de l’apparition ; il y eut, paraît-il, des lumières vues d’un grand nombre, et beaucoup d’autres faits merveilleux(. Je ne puis m’étendre là-dessus, n’ayant aucun fait précis dans ma mémoire. Mais beaucoup de personnes de Besse pourraient avoir là-dessus des choses intéressantes à dire.
Quant au voyant, qui était incrédule, on le vit d’une piété remarquable, après son récit. Jusque-là, il avait eu besoin d’un bâton pour marcher, et depuis, il ne s’en servait plus. L’accident prédit, et qui arriva… tout cela était de notoriété publique. Le paysan en question, du reste, paraissait absolument de bonne foi, il est mort depuis quelques années.
Quelle fut l’attitude du clergé ? Je vous ai déjà dit que le curé de l’endroit fit une forte opposition, naturellement.
Mais voici ce qu’en écrivait à un de mes parents, l’archiprêtre du Bourg-d’Oisans, homme très savant et très prudent, lequel est mort aujourd’hui : « L’apparition de Besse me paraît quelque chose de sérieux ; elle a fait du bruit d’abord. En ce moment, on en parle moins et comme on a fait à Lourdes, lors des premières apparitions nous nous tenons à l’écart en attendant que la question devienne plus claire. La Sainte-Vierge se serait montrée à un paysan de cinquante ans ; elle lui aurait reproché son peu de foi et sa conduite peu chrétienne… Le voyant ne devait rien révéler avant le 19 septembre, huit jours après cette apparition et à son curé d’abord. Ce qu’il y a de certain, c’est que ; cet homme qui ne paraissait pas à l’église, a fait ses Pâques le jour de N.-D. de la Salette et depuis il va à la messe, même pendant la semaine et communie souvent »…
L’évêché s’en occupe-t il ? Il me semble me souvenir qu’il le fit discrètement. Mais là encore mes souvenirs sont trop peu précis.
Mon but, en vous envoyant le récit de cette apparition, n’est donc pas de vouloir ressusciter une vieille histoire, mais, comme on ne s’est jamais prononcé sur cette affaire il me semble que le fait a été très peu divulgué. Si vous jugez à propos de lui accorder la publicité de votre revue, je vous remercie d’avance.
Agréez, Monsieur, mes meilleures salutations.
J. V.
(1) Gaston Mery né en 1866 et mort en 1909, journaliste, s’occupait de la gérance du journal « L’écho du Merveilleux ».
(2) Des visions auraient inspirés à Marie Martel (de Tilly), des prédictions (à partir de 1897 jusqu’en 1903) de la destruction de Paris et d’autres malheurs pour la France, ces oracles seront publiés à de nombreuses occasions dans ce journal.
D’autres voyants, plus ou moins contemporains de François Hustache, annoncent aussi ces catastrophes et la destruction de Paris par le feu et par la foudre. On peut citer Mélanie Calvat de Notre-Dame-de-la-Salette dans ses nombreuses correspondances (contestées par l’Église) ou dans ses déclarations faites au curé Rigaux ; on peut citer l'une des plus connue, Marie-Julie Jahenny et ses nombreuses prophéties dont celle de 1882. (Et bien d’autres…)
(3) Ce récit connait au moins trois retranscriptions, la première est celle du témoin, François Hustache, imprimée en 1887 par les bureaux des Annales du Surnaturel ; le second est une copie de la première, elle est réalisée par André Sébastien Ougier Siècla, elle est datée du 3 mars 1905 ; la troisième, également copie de la première est celle présentée dans cet article, elle est signée J. V. et publiée dans les pages de « l’écho du Merveilleux » le 15 juillet 1905.
(4) Il est sans doute fait référence à la loi de séparation des Églises et de l'État qui sera adoptée quelques mois plus tard, le 9 décembre 1905 et aussi certainement à une prochaine guerre.
(5) La municipalité de Besse a réalisé une petite plaquette présentant le sentier des oratoires avec les indications pour accéder au site du Cuchet et sa source « miraculeuse ».
(6) En 1886, la prédiction d'une guerre prochaine n’est véritablement pas une annonce divine, mais plutôt, une idée dans l’air du temps. La victoire allemande de 1871 est encore présente dans tous les esprits, suscitant pour beaucoup une revanche à prendre.
(7) Là où la Sainte-Vierge parle d’un « accident », ou le commentateur interprète dans ses premières lignes comme un « malheur » prédit par la Sainte-Vierge, je vois pour ma part, le miracle d’un incendie circonscrit à une seule maison alors que les circonstances décrivent un risque évident de propagation. Je ne suis pas parvenu, pour l’instant, à trouver la date précise de l'incendie dont il est fait mention dans le commentaire du texte. Toutefois, ce type de sinistre est à l’époque un fléau bien connu dans les villages. Ne faut-il pas voir dans ce rapprochement, entre la prédiction et son « malheur » un simple effet de corrélation illusoire ?
( Le commentateur ne mentionne pas la deuxième apparition (le 11 septembre 1887), inscrite sur l’ex-voto, visible dans la niche du premier oratoire.
APPARITION DE LA SAINTE VIERGE À BESSE-EN-OISANS
Ce récit complet de l’apparition de la Sainte-Vierge est commenté par un contemporain originaire du Bourg-d’Oisans qui apporte de nombreuses précisions sur les faits ainsi que sur les suites qui seront données à cette mystique aventure. (J’apporte quelques commentaires en fin d’article).
L’écho du Merveilleux du 15 juillet 1905. No 205
L’APPARITION DE BESSE-EN-OISANS, MONSIEUR GASTON MERY(1)
À propos des révélations et des prophéties relatives à la destruction de Paris ou aux malheurs de la France(2), que vous avez publiées dans votre Écho du Merveilleux, permettez-moi de vous signaler un fait qui a eu quelque retentissement, il y a quelque vingt ans, dans un petit coin du département, de l’Isère, et qui, à mon sens, n’a pas été suffisamment connu ailleurs. Il s’agirait d’une apparition de la Sainte-Vierge à un paysan incrédule.
Il existe dans le département de l’Isère une petite commune, Besse-en-Oisans (canton de Bourg-d’Oisans).
C’est un village perdu au milieu de montagnes couvertes de prairies exclusivement, qui lui font un décor assez ressemblant à celui de la Salette. Au mois de septembre de l’année 1886, un paysan de l’endroit, nommé Hustache, prétendit avoir vu la Sainte-Vierge.
Le récit qu’il fit (et dont je vous envoie copie ci-joint) excita la curiosité des habitants de Besse et des alentours.
Étant originaire de Bourg-d’Oisans, je me souviens assez, malgré mon jeune âge au moment des faits, du bruit que firent ces événements. Beaucoup de personnes se rendirent à Besse et de là, au hameau où eut lieu l’apparition. On y éleva même un oratoire.
J’ai entendu le voyant raconter les faits, et la copie que je vous transmets est faite d’après une copie que je possède, laquelle est la reproduction intégrale d’un écrit original du voyant, car non seulement il raconta, mais il écrivit son récit(3). Le voici ; j’y souligne quelques passages relatifs aux événements que tous nous redoutons(4).
Je rétablis la bonne orthographe et la ponctuation, mais je conserve le style simple et naïf du récit.
Le 11 septembre de l’année 1886
J’arrivais de couper du blé vers les neuf heures du matin, dans un hameau qu’on appelle Cuchet ; en arrivant tout près de ma maison (le voyant qui avait une maison à Besse, en avait une aussi au hameau de Cuchet), j’aperçois une femme assise sur le banc, devant la porte, et, en la voyant, il me semblait pas une femme en vie ; ça me donne une grande frayeur ; je m’en retournais, et elle, en me voyant, elle m’appelle.
« Approchez-vous, elle dit, je ne suis pas ici pour vous épouvanter. » Je m’approche d’elle et je lui dis que je voulais aller boire, et elle me demande s’il y avait personne dans ce hameau et où était l’eau. Je lui réponds : non, il y a personne ici et l’eau est là dernier (derrière). Elle me dit : « Asseyez-vous un petit moment, vous irez boire tout à l’heure ». Et elle me dit : « Vous portez un bâton, avez-vous mal à la jambe ? » — Je lui réponds : « Oui, madame, il y a deux ans que j’y ai mal, et ça ne veut pas se guérir ». — Mais elle me dit : « J’ai entendu dire qu’il se fait des miracles à la Salette, n’y avez-vous rien été ? » — Je lui réponds : « Non, madame. Pour la Salette. je n’y crois pas, je n’y ai pas la foi. » — Elle me répondit : « Il faut avoir la foi, car sans la foi, nous ne pouvons être sauves ; pour moi, elle me dit, je le crois bien, car il y a rien d’impossible à Dieu. Il fait tout par sa toute puissance. Il nous faut pas vivre en incrédules, car si nous n’avons pas la foi, nous ne pouvons pas nous sauver ». Mais elle me dit : « J’ai entendu dire que votre prêtre devait avoir une grande foi pour la Salette ; il doit y avoir été avec un grand nombre de ses paroissiens ». — Je lui réponds : « Oui, madame, vous vous trompez pas, il y a été deux fois avec un assez grand nombre de gens du pays.
— Mais je lui dis : J’ai pas entendu dire qu’il se soit fait bien des miracles ; pour moi je ne crois pas que la Sainte-Vierge vienne sur la terre ». — Elle me répondit : « Il faut que nous le croyons, car elle a apparu à la Salette pour faire convertir tout son peuple, et faire pénitence, et je vois que partout où je vais, j’entends que jurements et autres choses ; je crois que le Bon Dieu sera forcé de vous punir sans tarder ; on a fait un jubilé pour apaiser un peu tout le mal qui se commet dans le monde, mais je vois que le mal ne fait qu’augmenter de plus fort, et vous autres, dans les montagnes, elle me dit, vous devez avoir encore un peu de foi ». — Je lui réponds : « Ici, c’est comme partout, la foi est bien faible ». — « Vous devez, elle me dit, avoir tous fait votre jubilé et vos Pâques ». — Je lui réponds : « Ici, il y a en a un grand nombre qui l’ont fait, mais il en reste toujours qui le font pas, et s’ils avaient tous fait comme moi, qui n’ai fait ni jubilé, ni pâques, personne ne les aurait fait ».
— Et elle me répond : « Ah ! mon ami, il vous faut pas négliger notre devoir de Pâques, car Dieu nous le commande, et il faut bien observer les commandements de Dieu et ceux de l’Eglise ». — Mais je lui réponds : « Ceux de l’Eglise, ce sont les hommes qui les ont faits, nous n’avons pas besoin de les observer tant » Et elle me répond : « Ah ! mon ami, il faut tout bien observer, car j’ai toujours entendu dire que Dieu avait donné le pouvoir à ses apôtres de faire et défaire sur la terre, que ça serait fait dans le ciel. Il nous faut croire à toutes ces vérités, si nous voulons être sauvés des peines terribles de l’autre monde. » Mais je lui réponds : « Le bon Dieu fera bien ce qu'il voudra de nous autres, il nous a pas créés pour nous perdre. » — Elle me répond : « Ah ! mon ami. si nous ne faisons rien pour nous sauver, Dieu nous sauvera pas tout seul. Il nous faut pas vivre en incrédules, il faut bien prier soir et matin. Si nous pouvons pas prier longtemps, faire au moins une petite prière, faite avec grande foi et confiance en Dieu ». Après elle dit : « Il y a à penser que vous avez eu une bonne récolte cette année. » — Oui, je lui réponds, le monde se plaint pas ; il y aura pas bien des pommes de terre. » — Elle répond : « Il faut bien nous contenter de ce que Dieu nous donne ; nous devrions bien le prier, car dans ce moment, on a besoin de prier ; les personnes pieuses et tous les chrétiens devraient redoubler de prières, car on voit la jeunesse corrompue dans le vice, très mal instruite ; on voit, en beaucoup d’endroits dans les écoles, on enseigne les enfants sans religion ; oh ! quel malheur pour un père et une mère, qui seront la cause de ce mal. Je crois, elle dit, que le Bon Dieu, les punira en ce monde et bien plus en l’autre. On travaille le dimanche ; on voit en beaucoup de pays les hommes travailler le dimanche, et manquer la messe. Ah ! quel malheur ! ça attire sur nous autres les châtiments de Dieu terribles en ce monde, et après leur mort une éternité de souffrances. On voit dans des pays que l’on se confesse jamais, et, cependant, elle me dit, la confession, c’est la chose la plus nécessaire pour nous sauver ; nous confesser les hommes les grandes fêtes de l’année. » — Je lui réponds : « Pour quant à moi je me confesse pas à Pâques. Je vais pas me confesser les grandes fêtes. » — Et elle me répond : « Ah ! mon ami, si nous voulons que Dieu nous pardonne du mal que nous commettons, il faut fréquenter les sacrements quelquefois. »
Après elle continuait toujours de dire ; moi, je tourne la tête de l’autre côté et je reviens pour la regarder. Je la vois levée devant moi, toute changée, car auparavant, elle avait une robe bleue et un bonnet blanc, et nous avions toujours parlé en passant, et elle, sans se faire connaître. Mais elle a bien changé ; levée contre moi, elle avait une belle robe blanche, très brillante, et une couronne sur la tête, très brillante ; quand je l’ai vue tant belle, j’ai fait un effort pour me lever droit, mais la grande frayeur m’a pris. J’ai que pu lire sur sa couronne, ces deux mots, ça disait : « Je suis la reine du Ciel et de la Terre » ; et je me suis recouché par terre.
Après elle dit : « Mon enfant, vous ignorez pas que la Sainte-Vierge a apparu à la Salette, comme elle vous apparaît devant vous. » Après, elle répète : « Mon enfant, vous ignorez pas que la Mère de Dieu vient sur la terre par la permission de son Fils, pour donner la lumière aux incrédules et faire conserver la foi aux bons chrétiens. » — Après elle dit : « Il va arriver un accident dans votre commune, sans tarder, pour justifier les vérités au peuple, que je vous dis. – Ensuite, elle dit : « Je suis envoyée de mon Fils pour avertir mon peuple, qu’il se convertisse et qu’il fasse pénitence, pour épargner le grand châtiment, que mon Fils prépare pour punir tout mon peuple de leurs crimes, car ce sera un fléau, que de la vie, il en n’aura apparu de pareil, et malheur aux impies et aux incrédules. » Après elle dit plus rien à côté de la porte, elle part du côté de la fontaine(5), et moi, la grande frayeur que j’avais, je reste encore un petit moment après elle ; car je la voyais qui marchait par l’air environ à dix centimètres de terre et je ne voyais ni pieds, ni remuer pour marcher. Je pars aussi après elle du côté de la fontaine, elle s’assied dessus une pierre qui est un tuf et moi, il y avait encore environ dix mètres avant d’arriver auprès d’elle, car je n’osai pas approcher vers cette belle clarté. Je me couche par terre, et elle en me voyant par terre, elle m’appelle : « Mon enfant, approchez-vous, n’ayez pas crainte ; vous avez parlé de venir boire. » Je m’approche de la fontaine et je ne disais rien, et elle me dit : « Mon enfant, faites-bien attention aux paroles que je vais vous dire — ici, et elle dit : Oh ! peuples français que vous êtes malheureux ! Dans le temps, vous vous faisiez respecter par vos vertus, et aujourd’hui, par rapport à vos crimes, je serai forcée de vous abandonner et de laisser tomber la vengeance de mon fils sur vous autres ; et malheur aux impies et aux incrédules. » Après elle dit : Il y aura grande guerre en France(6) et grande persécution dans l’Eglise Chrétienne ; on va attaquer ses ministres et tous les bons chrétiens, mais ça ne durera pas longtemps. » Ensuite, elle dit : « Mon enfant dite ce que je vous ai dit ici, à la fontaine, au ministre de mon Fils et dites ce que vous avez vu et entendu au peuple et mettez en pratique et mémoire tous les discours que je vous ai dits à côté de votre porte ; car ils viennent de mon fils. Faites passer à tout mon peuple, afin qu’il les mette en pratique et qu’ils se convertissent » – Après elle se lève, fait le tour de la fontaine pour la bénir ensuite elle se lève doucement dans les airs. J’ai vu sa personne en haut environ à 20 mètres. Voilà toutes les vérités que notre bonne (mère) m'a dites, et elle a dit de dire au peuple que tous les malheurs qu’elle a dits doivent arriver vers la fin du siècle où commencement de l’autre.
HUSTACHE FRANÇOIS.
Le malheur prédit était un incendie qui a éclaté on ne sait comment, il n’y a eu qu’une maison de brûlée, malgré les ouvertures pleines de foin qui étaient, à côté ; c’était un aubergiste qui donnait à boire à la jeunesse pendant la grand’messe(7).
Mais, quel crédit faut-il accorder au récit du paysan dauphinois ? Naturellement, comme pour toutes les apparitions, ce n’est pas à nous à décider. Et je me garderai bien d’entrer dans une discussion à ce sujet.
Ce que je puis dire, c’est que le plus grand nombre des habitants de Besse a cru à l’apparition et qu’il a pris alors en aversion le curé de l’endroit qui faisait une trop forte opposition. Du reste, des manifestations, paraît-il, suivirent. Là-dessus, mes souvenirs ne sont plus assez précis. Cependant, comme mes parents avaient alors à leur service une domestique originaire de Besse, j’ai su par elle beaucoup de choses. Le 19 septembre, jour anniversaire de l’apparition de la Salette, les paysans de Besse faisaient une procession au lieu de l’apparition ; il y eut, paraît-il, des lumières vues d’un grand nombre, et beaucoup d’autres faits merveilleux(. Je ne puis m’étendre là-dessus, n’ayant aucun fait précis dans ma mémoire. Mais beaucoup de personnes de Besse pourraient avoir là-dessus des choses intéressantes à dire.
Quant au voyant, qui était incrédule, on le vit d’une piété remarquable, après son récit. Jusque-là, il avait eu besoin d’un bâton pour marcher, et depuis, il ne s’en servait plus. L’accident prédit, et qui arriva… tout cela était de notoriété publique. Le paysan en question, du reste, paraissait absolument de bonne foi, il est mort depuis quelques années.
Quelle fut l’attitude du clergé ? Je vous ai déjà dit que le curé de l’endroit fit une forte opposition, naturellement.
Mais voici ce qu’en écrivait à un de mes parents, l’archiprêtre du Bourg-d’Oisans, homme très savant et très prudent, lequel est mort aujourd’hui : « L’apparition de Besse me paraît quelque chose de sérieux ; elle a fait du bruit d’abord. En ce moment, on en parle moins et comme on a fait à Lourdes, lors des premières apparitions nous nous tenons à l’écart en attendant que la question devienne plus claire. La Sainte-Vierge se serait montrée à un paysan de cinquante ans ; elle lui aurait reproché son peu de foi et sa conduite peu chrétienne… Le voyant ne devait rien révéler avant le 19 septembre, huit jours après cette apparition et à son curé d’abord. Ce qu’il y a de certain, c’est que ; cet homme qui ne paraissait pas à l’église, a fait ses Pâques le jour de N.-D. de la Salette et depuis il va à la messe, même pendant la semaine et communie souvent »…
L’évêché s’en occupe-t il ? Il me semble me souvenir qu’il le fit discrètement. Mais là encore mes souvenirs sont trop peu précis.
Mon but, en vous envoyant le récit de cette apparition, n’est donc pas de vouloir ressusciter une vieille histoire, mais, comme on ne s’est jamais prononcé sur cette affaire il me semble que le fait a été très peu divulgué. Si vous jugez à propos de lui accorder la publicité de votre revue, je vous remercie d’avance.
Agréez, Monsieur, mes meilleures salutations.
J. V.
(1) Gaston Mery né en 1866 et mort en 1909, journaliste, s’occupait de la gérance du journal « L’écho du Merveilleux ».
(2) Des visions auraient inspirés à Marie Martel (de Tilly), des prédictions (à partir de 1897 jusqu’en 1903) de la destruction de Paris et d’autres malheurs pour la France, ces oracles seront publiés à de nombreuses occasions dans ce journal.
D’autres voyants, plus ou moins contemporains de François Hustache, annoncent aussi ces catastrophes et la destruction de Paris par le feu et par la foudre. On peut citer Mélanie Calvat de Notre-Dame-de-la-Salette dans ses nombreuses correspondances (contestées par l’Église) ou dans ses déclarations faites au curé Rigaux ; on peut citer l'une des plus connue, Marie-Julie Jahenny et ses nombreuses prophéties dont celle de 1882. (Et bien d’autres…)
(3) Ce récit connait au moins trois retranscriptions, la première est celle du témoin, François Hustache, imprimée en 1887 par les bureaux des Annales du Surnaturel ; le second est une copie de la première, elle est réalisée par André Sébastien Ougier Siècla, elle est datée du 3 mars 1905 ; la troisième, également copie de la première est celle présentée dans cet article, elle est signée J. V. et publiée dans les pages de « l’écho du Merveilleux » le 15 juillet 1905.
(4) Il est sans doute fait référence à la loi de séparation des Églises et de l'État qui sera adoptée quelques mois plus tard, le 9 décembre 1905 et aussi certainement à une prochaine guerre.
(5) La municipalité de Besse a réalisé une petite plaquette présentant le sentier des oratoires avec les indications pour accéder au site du Cuchet et sa source « miraculeuse ».
(6) En 1886, la prédiction d'une guerre prochaine n’est véritablement pas une annonce divine, mais plutôt, une idée dans l’air du temps. La victoire allemande de 1871 est encore présente dans tous les esprits, suscitant pour beaucoup une revanche à prendre.
(7) Là où la Sainte-Vierge parle d’un « accident », ou le commentateur interprète dans ses premières lignes comme un « malheur » prédit par la Sainte-Vierge, je vois pour ma part, le miracle d’un incendie circonscrit à une seule maison alors que les circonstances décrivent un risque évident de propagation. Je ne suis pas parvenu, pour l’instant, à trouver la date précise de l'incendie dont il est fait mention dans le commentaire du texte. Toutefois, ce type de sinistre est à l’époque un fléau bien connu dans les villages. Ne faut-il pas voir dans ce rapprochement, entre la prédiction et son « malheur » un simple effet de corrélation illusoire ?
( Le commentateur ne mentionne pas la deuxième apparition (le 11 septembre 1887), inscrite sur l’ex-voto, visible dans la niche du premier oratoire.