Voici la troisième partie du troisième chapitre de la vie de saint Dominique de Savio.
Chapitre 3
Le couronnement
7. Dominique revient
Un mois après sa mort, Dominique Savio apparaît à son père. Celui-ci ne peut en croire ses yeux :
« Je rêve sans doute. »
Dominique, le visage inondé de joie, lui répond :
« Non, tu ne rêves pas : c’est bien moi, Dominique.
– Dominique. Où es-tu ? Es-tu déjà au Paradis ?
– Oui, père, je suis au ciel ; je suis au comble de la joie. On ne pourrait rien ajouter à mon bonheur.
– Oh alors, prie pour nous tous pour que nous y soyons tous réunis un jour.
– Je prierai. »
Et il disparaît.
La nuit du 6 décembre 1876, Dominique visita en songe Don Bosco (ce ne fut pas la seule fois). Les « songes » de Don Bosco sont célèbres. Il en eut par centaines. On peut les considérer comme de véritables visions, que le ciel lui envoyait pendant son sommeil. Elles lui apportèrent toute sa vie de précieuses leçons concernant la manière de diriger enfants et jeunes gens. Souvent, elles lui traçaient son chemin, lui apportaient des assurances réconfortantes ou encore des annonces prophétiques : tout se réalisa toujours à la lettre. C’est sur l’ordre formel du Pape Pie IX que Don Bosco en écrivit lui-même un certain nombre.
Nous résumons ici le récit de Don Bosco concernant le songe du 6 décembre 1876, tout en laissant tout de même la parole à Don Bosco lui-même.
Il me semblait être sur une petite hauteur, à proximité d’une immense plaine vaste comme l’océan. Cette plaine était bleue comme une mer parfaitement calme. Elle était divisée par de larges et gigantesques boulevards en vastes jardins où l’on voyait des parterres de fleurs aux couleurs variées et des bosquets de toutes sortes. Tout cela était d’une beauté ineffable, vraiment céleste… Les feuilles des arbres étaient d’or, le tronc et les branches de diamant. Je voyais des palais sans nombre disséminés à travers ces jardins, mais si bien alignés et si beaux que je me disais :
« Si nos jeunes gens avaient un seul de ces palais, comme ils seraient heureux de l’habiter ! »
Et je pensais à la beauté intérieure de ces palais qui devait être beaucoup plus grande encore. Tandis que j’admirais ces magnificences, j’entendis tout à coup une musique d’une harmonie incomparable. Il y avait des milliers d’instruments qui, tous, donnaient un son différent l’un de l’autre. Une multitude de personnes se tenaient dans ces jardins. Les unes jouaient d’un instrument, les autres chantaient ; et l’on entendait simultanément tous les sons de la gamme musicale du plus bas au plus élevé dans un accord parfait. Ils chantaient :
« Salut, honneur, gloire à Dieu le Père tout-puissant. Auteur du monde, qui était, qui est, et qui viendra juger les vivants et les morts dans les siècles des siècles. »
J’écoutais extasié, lorsque je vis venir à moi une foule innombrable de jeunes gens, de prêtres et d’abbés. J’en reconnus beaucoup qui avaient fréquenté l’Oratoire et d’autres collèges, mais le plus grand nombre m’étaient complètement inconnus. À leur tête s’avançait Dominique Savio. Je battais des mains pour m’assurer si je rêvais ou si j’étais éveillé. Cette foule s’arrêta à huit ou dix pas de moi. Alors je vis briller un éclair, la musique cessa, et un grand silence se fit. Tous ces jeunes gens paraissaient remplis d’une joie extrême qui brillait dans leurs yeux et sur leurs visages. Dominique s’avança seul de quelques pas. J’aurais pu le toucher de la main. Il se taisait et me regardait en souriant. Qu’il était beau ! Rien de merveilleux comme ses vêtements. Une tunique plus blanche que la neige et toute parsemée de diamants lui descendait jusqu’aux pieds. Autour des reins une large ceinture rouge ornée de perles ; au cou, un collier de fleurs exotiques brillant d’un éclat merveilleux dont la lumière se reflétait sur son visage frais et vermeil. Sur la tête une couronne de rosés. Sa chevelure ondoyante descendait sur ses épaules et lui donnait un aspect si beau, si aimable, si attrayant qu’il ressemblait vraiment à un ange. Ses compagnons, tout resplendissants de lumière, portaient des costumes différents, mais tous superbes ; tous avaient la ceinture de pourpre. Hors de moi et tremblant, je continuais à regarder, ne sachant pas où je me trouvais. Enfin Dominique rompit le silence :
« Eh quoi, me dit-il, n’êtes-vous donc plus cet homme intrépide qui ne craignait ni la calomnie ni la persécution ? Pourquoi me paraissez-vous troublé et ne me parlez-vous pas ?
– Je ne sais vraiment quoi te dire. Tu es donc bien Dominique Savio ? Comment te trouves-tu ici ? »
Et Dominique Savio me répondit d’un ton affectueux :
« Je suis venu vous parler. Nous nous sommes parlé tant de fois sur la terre !… Ne vous ai-je pas donné toute ma confiance ? Pourquoi donc avez-vous peur ?
– Je suis tout effrayé, lui dis-je, parce que je ne sais pas où je me trouve.
– Vous êtes dans le séjour de la béatitude.
– C’est donc ici que Dieu récompense les justes ?
– Ici nous ne goûtons pas les biens éternels mais seulement des biens temporels. Ce n’est pas le Paradis. Aucun œil mortel ne peut voir l’éternelle Beauté. Et cette lumière extraordinaire n’est qu’une lumière naturelle multipliée par la puissance de Dieu… Le moindre rayon de lumière surnaturelle suffirait pour faire mourir un homme à l’instant.
– Et ne pourrait-on pas voir une lumière naturelle encore plus belle que celle-ci ?
– Si, évidemment. Regardez. »
Alors apparut subitement dans le lointain un petit rayon de lumière tellement vive que je fermai les yeux et lançai un grand cri. Cette lumière était cent millions de fois plus éclatante que celle du soleil et son éclat suffisait pour éclairer tout l’univers. Après quelques instants, je rouvris les yeux et je dis à Savio :
« Qu’est-ce que cette lumière ? N’est-ce pas la lumière divine ?
– Non, c’est une lumière naturelle multipliée par la puissance de Dieu, mais, quand bien même un cercle immense de cette lumière envelopperait le monde, elle ne donnerait pas encore une idée de la splendeur du Paradis.
– Mais quel est donc votre bonheur en Paradis ?
– Vous le dire est impossible. Il faut avoir quitté la vie pour le savoir. Nous jouissons de Dieu, c’est tout dire. »
Alors, pleinement revenu à moi-même, je contemplai avec admiration la beauté de Dominique Savio et de ses compagnons. Je lui dis :
« Pourquoi as-tu une robe si blanche et si brillante ? »
Le chœur répondit, accompagné de tous les instruments :
« Ils ceignirent leurs reins et blanchirent leur robe dans le sang de l’Agneau.
– Pourquoi portes-tu autour des reins cette ceinture de pourpre ? »
Don Alassonati, prêtre ayant secondé Don Bosco, se mit à chanter :
« Ils sont vierges et accompagnent l’Agneau partout où il va. »
Je compris que cette ceinture était le symbole des sacrifices que Dominique avait faits pour garder la chasteté, sacrifices si grands qu’on peut les comparer au martyre. Cependant, voyant la foule de jeunes gens derrière Dominique :
« Et ceux-ci, demandai-je, qui sont-ils ? »
Ils se mirent tous à chanter :
« Ils sont comme les anges de Dieu dans le ciel. »
Or, Savio avait évidemment la prééminence sur tous les autres. Je lui dis :
« Comment se fait-il que toi, le plus jeune de ceux qui moururent dans nos maisons, tu es le premier ? Pourquoi parles-tu tandis qu’ils se taisent ?
– C’est que je suis le plus âgé de tous ceux-ci… Et puis, je m’acquitte d’une ambassade de la part de Dieu.
– Eh bien ! dis-je résolument, parle-moi du passé, du présent et de l’avenir de notre Oratoire. Dis-moi quelque chose de mes chers fils, parle-moi de la Congrégation salésienne.
– Sur tous ces points j’aurais beaucoup de choses à vous révéler.
– Dis-moi donc ce que tu sais : parle-moi du passé.
– Dans le passé, la Congrégation a fait beaucoup de bien. Voyez-vous cette foule innombrable de jeunes gens ?… Regardez l’inscription qui se trouve sur la porte de ce jardin : « Jardin Salésien ». Eh bien ! Ceux que vous voyez là sont tous Salésiens ou sauvés grâce aux Salésiens. Comptez-les si vous pouvez. Or, il y en aurait cent millions de fois plus si vous aviez eu plus de foi et de confiance dans le Seigneur. »
Je soupirai profondément en entendant ce reproche, et je me promis d’avoir plus de foi à l’avenir.
« Et le présent » demandai-je.
Savio me montra alors un magnifique bouquet qu’il tenait à la main. Il était fait de violettes, de roses, de tournesols, de gentianes, de lis et d’immortelles avec, çà et là, quelques épis de blé. Il me le présenta en disant :
« Ce bouquet, présentez-le à vos fils ; faites en sorte que tous l’aient et que personne ne le leur enlève. Il fera leur bonheur… Ces fleurs symbolisent les vertus qui plaisent le plus au Seigneur.
– Et quelles sont ces vertus ?
– La rose est le symbole de la charité, la violette de l’humilité, le tournesol de l’obéissance, la gentiane de la pénitence et de la mortification, les épis de blé, de la communion fréquente et les lis, de cette belle vertu dont il est écrit : « Ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel » ; enfin l’immortelle signifie que ces vertus doivent durer toujours, elle est le symbole de la persévérance.
– Eh bien ! Mon cher Dominique, toi qui as pratiqué toutes ces vertus, dis-moi ce qui t’a le plus consolé à l’heure de la mort ?
– Et vous, qu’en pensez-vous ? me dit Savio.
– C’est peut-être d’avoir conservé sans tache la vertu de pureté…, ou la paix d’une bonne conscience…, ou l’espérance du Paradis… ou le trésor de tes bonnes œuvres ?
– Non, non. Il y a mieux… Ce fut l’assistance de l’aimable et puissante Mère de Dieu. Et cela, dites-le à vos fils, afin qu’ils ne cessent de la prier jusqu’à la fin de leur vie.
– Parlons donc de l’avenir.
– L’année prochaine (1877), vous éprouverez une grande douleur. Six de vos plus chers fils seront appelés par Dieu dans l’éternité. Mais Dieu vous aidera et vous enverra d’autres fils également vertueux.
– Et pour ce qui regarde la Congrégation ?
– L’année prochaine lui réserve une aurore si brillante, qu’elle illuminera comme un soleil les quatre coins du globe. Si vos prêtres se montrent dignes de leur haute mission, l’avenir sera magnifique et apportera le salut à un grand nombre d’âmes, à condition cependant que vos fils soient fidèles à la dévotion à Marie et qu’ils gardent la chasteté, cette vertu si belle aux yeux de Dieu.
– Voudrais-tu me dire maintenant quelque chose de l’Église, de Pie IX ?
– Pie IX n’a plus désormais que quelques batailles à soutenir et il sera couronné. Quant à l’Église, elle est inébranlable.
– Et pour ce qui me concerne ?
– Oh ! Si vous saviez quelles luttes vous avez encore à soutenir ! Mais hâtez-vous, car je n’ai plus guère de temps à vous consacrer. »
Alors j’étendis le bras pour saisir ce cher fils mais, comme si ses mains eussent été d’air, je ne saisis rien. Dominique expliqua :
« Par la volonté divine, l’âme, séparée du corps, en conserve les apparences quoiqu’elle ne lui soit plus unie. Voilà pourquoi il vous semble que j’ai des mains et une tête, mais vous ne pouvez me saisir parce que je suis un pur esprit. C’est cette forme extérieure qui me fait reconnaître.
– Encore une question. Mes jeunes gens sont-ils dans la voie du salut ?
– On peut les distribuer en trois classes. Voyez-vous ces trois billets ?… Regardez. »
J’ouvris le premier billet et je vis écrit invulnerati (sans blessure). Il contenait le nom de ceux qui avaient conservé sans tache leur innocence. Ils étaient nombreux et je les vis tous. J’en connaissais un grand nombre. Ils marchaient le corps droit malgré les flèches lancées contre eux.
Dominique me donna le second billet sur lequel je lus le mot vulnerati (blessés). Il contenait les noms de ceux qui avaient perdu la grâce de Dieu, mais qui avaient été guéris par le repentir et la confession. Ils étaient plus nombreux que les précédents. Je lus le billet et je vis tous ces jeunes gens.
Savio tenait encore le troisième billet ; on y lisait lassati in via iniquitatis (ceux qui ont persévéré dans la voie de l’iniquité). Là devaient figurer les noms de tous ceux qui vivaient dans le péché mortel. J’étais impatient de les connaître.
Mais Savio me dit avec une certaine vivacité :
« Attendez un moment. Quand vous ouvrirez ce billet, il en sortira une puanteur que vous ne pourrez supporter. Les anges et l’Esprit-Saint lui-même sentent la puanteur du péché et l’ont en horreur. »
Il me donna le troisième billet et me dit :
« Prenez-le et sachez en profiter pour vos jeunes gens ; mais n’oubliez pas le bouquet que je vous ai montré. Ayez soin que tous l’aient et le conservent. »
J’ouvris le billet. Il ne portait aucun nom, mais à l’instant je vis tous ceux qui s’y trouvaient comme s’ils eussent été présents sous mes yeux. Je les vis avec une grande amertume de cœur, car j’en reconnus la plus grande partie. J’en vis beaucoup qui passaient pour bons ou étaient même considérés comme des meilleurs. À peine eus-je ouvert le billet qu’il s’en exhala une puanteur tellement insupportable que je crus en mourir. L’air s’obscurcit et la merveilleuse vision disparut. J’entendis un grand coup de tonnerre et je m’éveillai rempli d’épouvante. Cette puanteur pénétra jusqu’aux murailles et s’attacha si bien à mes vêtements que, longtemps après, je croyais encore la sentir. Même aujourd’hui, rien qu’en y pensant, j’ai des nausées et j’éprouve une envie de vomir. Dans mes entretiens avec beaucoup d’intéressés, j’ai constaté que les indications du songe étaient tout à fait exactes.
8. Les reliques de Dominique Savio
Dominique fut enterré au cimetière de Mondonio, où ses restes furent entourés de plus en plus de précautions et de respect. On en fit déjà plusieurs reconnaissances. Lorsque fut ouvert le procès en vue de la béatification (1908), on jugea qu’il convenait de les transférer dans la Basilique de Marie-Auxiliatrice, à Turin, auprès de ceux de Don Bosco.
En 1950, une dernière reconnaissance eut lieu en présence de l’Archevêque de Turin. Aux regards émus des assistants apparut, en parfait état de conservation, ce qui restait du jeune saint : le crâne, les vertèbres, une omoplate, les os principaux des bras et des jambes. Ces ossements étaient contenus dans une précieuse châsse exposée à la vénération des pèlerins.
Dans la nuit du 19 au 20 février 1971, un sacrilège fut perpétré à l’égard de ces reliques. La châsse fut profanée, saccagée. Certains ossements avaient été parsemés dans la basilique. D’autres avaient disparu.
Près de dix ans plus tard, le Père Supérieur des Salésiens français recevait un paquet qui fit l’effet d’une bombe. Il contenait les reliques de Dominique Savio qui avaient disparu depuis 1971. Elles ont été officiellement identifiées et ont regagné leur place dans l’urne sous l’autel du jeune saint. Une lettre anonyme accompagnait le paquet : elle disait la joie de la restitution et demandait une messe en l’honneur de Dominique Savio pour le voleur. Des questions restées sans réponse : Qui est le voleur ? Ses intentions lors du vol et lors de la restitution ?
9. Miracles
Dans les causes de béatification et de canonisation, l’Église tient grand compte des miracles réalisés par l’intercession des Serviteurs de Dieu et dans lesquels elle trouve une confirmation définitive de leur sainteté par Dieu lui-même. Elle en exige en principe deux irréfutables pour la béatification et deux pour la canonisation. Dominique Savio avait à peine quitté cette terre que déjà les faveurs temporelles et spirituelles attribuées à son intercession se multipliaient avec une étonnante rapidité. Relevons seulement les quatre miracles retenus pour le procès et dont l’authenticité a été officiellement reconnue par la Sacrée Congrégation des Rites.
En vue de la béatification, deux miracles en faveur de jeunes. En 1927, Albano Sabatino, âgé de 7 ans, de Siano (Saleme-Italie), souffre de divers maux très graves (septicémie, bronchopneumonie, néphrite aiguë, hémorragie, méningite). Le médecin ne laisse aucun espoir. La maman prie Dominique avec toute l’ardeur de sa foi. Le lendemain, Albano se lève complètement guéri. En 1935, à Barcelone, une fille du Patronage des Filles de Marie-Auxiliatrice, Maria Consuelo Adelantado, âgée de 16 ans, fit une chute malencontreuse : double fracture du coude gauche avec dislocation des fragments osseux. Dans un songe, le Cardinal Cagliero l’invite à faire avec foi une neuvaine à Dominique Savio et lui promet par ce moyen sa guérison pour un jour tout proche. Elle fit la neuvaine et le jour indiqué, elle était guérie.
En vue de la canonisation, deux miracles en faveur de mamans de famille nombreuse. Madame Micelli, de Lecce (Italie) était atteinte d’une sinusite maxillaire et frontale. L’état général était alarmant, l’opération s’avérait délicate. Un fait banal lui rappela le souvenir de Dominique Savio. Elle le pria. Le lendemain, elle était guérie : c’était le 9 mars 1950, jour anniversaire de la mort du saint. En 1950 encore, Madame Procelli était atteinte d’une anémie aiguë causée par une hémorragie interne. La famille s’opposa à une opération immédiate à laquelle la malade ne pouvait normalement que succomber. Pensant aux six petits enfants, le médecin, tout ému, se mit à prier Dominique Savio, y invitant aussi la famille. La nuit suivante, la patiente était hors de danger et bientôt la guérison se révéla complète. Dans la suite, le médecin se recommanda régulièrement à Dominique Savio qui, selon son témoignage, l’éclaira et l’aida beaucoup dans ses diagnostics.
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