Voici la deuxième partie du deuxième chapitre de la vie de saint Dominique de Savio.
Chapitre 2
Chez Don Bosco
4. Désir de sainteté
Jésus déclare dans l’évangile :
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). Saint Paul rappelle que Dieu nous veut saints (1 Th. 4,3 – Ep. 1,4). Ebloui par la grandeur et la bonté du Seigneur, Dominique éprouvait un besoin irrésistible et croissant de sainteté. Don Bosco raconte.
Dominique était depuis six mois à l’Oratoire lorsqu’on fît un sermon sur la manière de se sanctifier : c’est la volonté de Dieu que nous soyons des saints ; il est très facile de se sanctifier ; une grande récompense est réservée à ceux qui auront été des saints. Cette prédication fut pour Dominique comme une étincelle qui enflamma son cœur d’amour pour Dieu. Pendant quelques jours il n’en dit rien ; il était moins gai que de coutume. Je lui demandai de quel mal il souffrait.
« Je ne souffre d’aucun mal, mais plutôt d’un bien.
– Que veux-tu dire ?
– Je veux dire que j’éprouve le désir et le besoin d’être un saint. Je ne croyais pas que ce fût si facile, mais maintenant je sais que la sainteté n’empêche pas la gaieté. Je veux être saint : c’est pour moi un besoin impérieux, une nécessité. Dites-moi donc ce qu’il faut faire pour cela. »
Je lui dis que son désir était louable, mais qu’il ne devait pas se troubler, parce que le trouble de l’âme empêche de connaître la volonté de Dieu. Je lui dis qu’avant tout, il fallait qu’il se maintînt dans une joie modérée et constante, qu’il accomplît bien ses devoirs de piété et d’étude et qu’il ne manquât jamais de prendre part à la récréation avec ses camarades. Un jour je lui déclarai que je voulais lui faire un cadeau de son goût, mais qu’il devait le choisir lui-même.
« Le cadeau que je vous demande, dit-il, c’est que vous fassiez de moi un saint. Je veux me donner à Dieu tout entier et pour toujours : j’éprouve un vrai besoin de me sanctifier, et si je ne me sanctifie pas, je ne fais rien. Dieu me veut saint, et je dois le devenir. »
Un jour, le Directeur (Don Bosco), voulant donner une marque spéciale d’affection à ses élèves de l’Oratoire leur recommanda d’écrire sur un billet, la chose que chacun désirait. Dominique écrivit :
« Je vous demande de sauver mon âme et de faire de moi un saint. »
Un jour, nous expliquions certains mots d’après leur étymologie.
« Et Dominique, dis-je, qu’est-ce que cela signifie ? On me répondit :
– Dominique vient du mot Dominicus et signifie celui qui est du Seigneur.
– Voyez, s’exclama Dominique, si j’ai raison de vouloir être un saint. Mon nom m’en avertit, puisqu’il signifie celui qui appartient au Seigneur. Je dois donc et je veux être entièrement à Dieu. Je veux être saint et je serai malheureux tant que je ne serai pas un saint. »
Au départ, Dominique pensait que, pour être saint, il fallait s’imposer de grandes pénitences, passer de longues heures en prière… Don Bosco lui fit comprendre qu’il devait plutôt suivre la voie commune sans chercher des choses extraordinaires ; l’accomplissement parfait de la volonté de Dieu (devoir d’état…) dans la joie, le zèle mis à gagner les âmes à l’amour de Dieu…
5. Désir de sauver les âmes
Le premier conseil donné à Dominique pour se sanctifier fut de travailler à gagner des âmes à Dieu ; puisqu’il n’y a rien au monde de plus saint que de coopérer au salut des âmes pour lesquelles Jésus-Christ a versé jusqu’à la dernière goutte de son sang. Dominique l’avait compris et répétait souvent :
« Si je pouvais gagner à Dieu tous mes condisciples, que je serais heureux ! »
II ne laissait passer aucune occasion de donner de pieux avis et d’avertir ceux qui, en paroles ou en actions, transgressaient la sainte loi de Dieu. Une chose qui lui inspirait une vive horreur et qui contribua même à altérer sa santé, était d’entendre blasphémer ou prononcer en vain le saint nom de Dieu. Si parfois il entendait de semblables paroles, il baissait la tête tout centriste et disait pieusement au fond de son cœur :
« Loué soit Jésus-Christ ! »
Un jour qu’il traversait une place, son compagnon le vit ôter son chapeau et murmurer des paroles à voix basse.
« Que fais-tu ? Que dis-tu ? demanda ce dernier.
– N’as-tu pas entendu ce charretier qui vient de prononcer en vain le saint nom de Dieu, répondit Dominique ? J’aurais voulu l’avertir de ne plus recommencer, mais j’ai craint de lui faire proférer des paroles encore plus mauvaises et je me suis contenté de dire : « Loué soit Jésus-Christ ! » Ainsi, j’ai réparé quelque peu l’outrage fait au saint nom de Dieu »
Un jour qu’il revenait de classe, il entendit un homme d’un certain âge proférer un horrible blasphème. Dominique en fut saisi d’horreur. Il bénit Dieu intérieurement. Puis il s’avança vers le blasphémateur :
« Pourriez-vous, Monsieur, m’indiquer où se trouve l’Oratoire Saint-François-de-Sales ?
– Je ne connais pas l’Oratoire, mon petit ami et je le regrette. Tu as l’air si gentil et j’aurais été heureux de te faire plaisir. »
Dominique lui dit alors à l’oreille :
« Vous me feriez un grand plaisir si dans votre colère vous vous vouliez bien ne plus blasphémer le saint nom de Dieu.
– Bravo, mon enfant, reprit l’homme, tu as raison, c’est une mauvaise habitude et je veux m’en corriger a tout prix. »
Dans une dispute, un enfant de neuf ans avait proféré le nom adorable de Jésus. Dominique fut saisi d’une sainte indignation ; il s’interposa entre les deux combattants et finit par les calmer. Puis s’adressant à celui qui avait blasphémé le saint nom de Jésus.
« Viens avec moi, lui dit-il, tu seras content. »
II le prit par la main, le conduisit à l’église le fit agenouiller devant l’autel et lui dit :
« Demande pardon à Dieu du péché que tu viens de commettre en proférant en vain Son saint nom. »
Puis il ajouta :
« Pour réparer l’outrage que tu as fait à Notre Seigneur dis avec moi : Loué soit Jésus-Christ, qu’à jamais son nom soit loué ! »
Dominique lisait de préférence la Vie des Saints qui avaient travaillé d’une manière plus spéciale au salut des âmes. Il parlait volontiers des missionnaires, qui se donnent tant de peine, dans les pays lointains, pour étendre le règne de Dieu. Ne pouvant leur envoyer des secours matériels, il offrait à Dieu, chaque jour, quelques prières, et communiait au moins une fois par semaine à leur intention. Plusieurs fois je l’ai entendu s’écrier :
« Combien d’âmes en Angleterre implorent notre secours. Si j’avais assez de santé et de vertu, je voudrais y aller immédiatement et par la prédication et l’exemple, les gagner toutes à Notre Seigneur. »
Il gémissait en lui-même et parlait souvent du peu de zèle qu’on mettait à faire le catéchisme aux enfants et à les instruire des vérités de la religion.
« Aussitôt que j’aurai la soutane, disait-il, j’irai à Mondonio, je rassemblerai les enfants dans une salle et je leur ferai le catéchisme. Je leur raconterai de belles histoires pour les intéresser et les rendre sages. Combien de pauvres enfants se perdent pour n’avoir personne qui les instruise des vérités de la foi ! »
Et Dominique joignait les actes aux paroles. Il faisait tous les dimanches le catéchisme à l’église de l’Oratoire. Et il était toujours prêt à l’expliquer à n’importe qui. Il aimait tant parler des choses spirituelles et faire connaître aux autres l’importance du salut de l’âme. Un jour, un de ses condisciples l’interrompit dans le récit d’une histoire édifiante :
« À quoi bon raconter ces histoires ?
– À quoi bon, répliqua Dominique ? Je les raconte parce que l’âme de mes camarades a été rachetée par le sang de Jésus-Christ ; je les raconte parce que nous sommes tous frères et que nous devons nous entraider dans l’affaire du salut ; je les raconte parce que Dieu nous ordonne de nous aimer les uns les autres ; je les raconte parce que si je réussis à sauver une seule âme, je suis sûr de sauver la mienne. »
Ce zèle des âmes ne se ralentissait pas en Dominique pendant les vacances. Tout ce qu’on lui donnait en classe, au catéchisme, en fait d’images, de médailles, crucifix, il le mettait de côté pour les vacances. De plus, avant de quitter l’Oratoire, il demandait à ses supérieurs tout ce qu’ils pouvaient lui donner pour ses petits amis. Puis, aussitôt arrivé dans son pays natal il se voyait entouré d’enfants de son âge et d’autres encore plus jeunes ou plus âgés, qui tous se faisaient un plaisir de s’entretenir avec lui. Quant aux récompenses, il les leur donnait en temps opportun, pour les rendre attentifs aux questions qu’il leur posait, soit sur le catéchisme, soit sur l’accomplissement de leurs devoirs. Par ces petites industries, il trouvait ainsi moyen de mener avec lui quelques enfants, soit au catéchisme, soit aux offices religieux. Il lui arriva de consacrer un temps considérable à instruire un de ses petits compatriotes :
« Si tu fais bien le signe de la croix, lui disait-il, je te donnerai une médaille et je te conduirai vers un prêtre qui te fera cadeau d’un beau livre. Mais je voudrais que tu le fasses très bien et qu’à la fin, en joignant les mains, tu dises : Ainsi soit-il. »
Dominique désirait que le signe de la croix fût toujours très bien fait. Il le faisait lui-même plusieurs fois devant ses petits élèves en les engageant à faire comme lui.
Outre son exactitude à remplir ses moindres devoirs, il donnait encore ses soins à deux frères à qui il apprenait à lire et à écrire, à qui il faisait le catéchisme, et qu’il aidait à réciter leurs prières du matin et du soir. Il les menait à l’église, leur donnait de l’eau bénite et leur enseignait à bien faire le signe de la croix. Il racontait aussi des histoires à ses parents et à d’autres personnes qui l’écoutaient volontiers. Il ne manquait pas de faire chaque jour la visite au Saint-Sacrement et c’était pour lui un vrai bonheur quand il pouvait y amener avec lui quelques compagnons. Aussi l’on peut dire qu’il ne laissait échapper aucune occasion de faire une bonne œuvre et de donner un conseil utile au salut.
6. Avec ses condisciples
La pensée de gagner des âmes à Dieu ne quittait pas Dominique. Il était l’âme des récréations, mais tout ce qu’il disait et faisait tendait à sa propre sanctification et à celle de ses condisciples. Souvent il entretenait la conversation sur des questions de classe et assaisonnait ses paroles de récits plaisants. Il mettait fin aux murmures par quelque bon mot, par une drôlerie et empêchait ainsi l’offense de Dieu. Son air joyeux, son caractère vif et enjoué le faisaient aimer même de ses condisciples les moins portés à la prière, qui eux aussi écoutaient ses avis. Un jour un de ses camarades parlait de se masquer : Dominique l’en dissuada.
« Voudrais-tu, lui dit-il, devenir réellement tel que tu vas te déguiser ? Pourquoi enlaidir ainsi la belle figure que Dieu t’a donnée ! »
Une autre fois, pendant la récréation, un individu s’avança dans la cour au milieu des jeunes gens… Il se mit à débiter des horreurs, tournant en dérision les choses les plus saintes et critiquant les ministres de l’Église. Quelques jeunes gens ne voulant pas entendre ces impiétés, se contentèrent de se retirer ; mais bon nombre d’étourdis continuaient à écouter. Sur ces entrefaites Dominique arrive. À peine a-t-il compris ce dont on parle qu’il se tourne sans respect humain vers ses camarades et leur dit :
« Allons-nous-en ! Ne voyez-vous pas que cet homme veut nous voler notre âme ? »
Tous suivirent Dominique. Le misérable, se voyant seul, s’en alla et ne reparut plus. Un dimanche, certains élèves voulaient aller se baigner ; Dominique, s’apercevant qu’ils y étaient absolument décidés, prit un ton d’autorité et leur dit :
« Je ne veux pas que vous y alliez… Vous désobéissez à vos supérieurs et vous vous exposez à scandaliser ou à être scandalisés, et aussi à vous noyer. Et cela ; dites-vous, n’est pas mal ?
– Mais nous avons tellement chaud que nous n’en pouvons plus.
– Si vous ne pouvez pas supporter la chaleur d’ici-bas, comment ferez-vous pour supporter le feu de l’enfer que vous allez mériter ? » Ils renoncèrent à leur projet.
Quelques élèves de l’Oratoire, voulant faire du bien à leurs condisciples, formèrent une association qui avait pour but la conversion des élèves indisciplinés. Dominique entra dans cette association et se distingua parmi les membres les plus zélés. Aussi, quand il avait une dragée, un fruit, une médaille, une image ou autre chose de ce genre, il disait :
« Je le donnerai à celui qui répondra le mieux à une demande du catéchisme. »
Alors il interrogeait les plus dissipés, et pour peu qu’ils répondissent bien, il leur faisait un petit cadeau. Parfois aussi il procédait autrement, il abordait ses clients, les engageait à se promener avec lui et les faisait causer. Si cela était nécessaire, il jouait avec eux. Mais, à un moment donné, suspendant la partie, il disait :
« Veux-tu que samedi, nous allions nous confesser ? ».
L’autre, désirant reprendre tout de suite la partie, ou bien encore pour faire plaisir à Dominique, répondait :
« Oui. »
C’était tout ce que demandait Dominique et l’on se remettait au jeu. Mais il ne perdait pas de vue son partenaire, et chaque jour, d’une manière ou d’une autre, il lui rappelait sa promesse et lui apprenait à bien se confesser. Le samedi, il le menait à l’église, se confessait le premier, avertissait le confesseur qu’il lui amenait quelqu’un et après la confession, faisait avec son ami l’action de grâces.
Les faits de ce genre se reproduisaient souvent. C’était pour Dominique le sujet d’une grande joie et pour ce condisciple, une grâce précieuse. Car il arrivait souvent que tel auditeur, resté insensible à une prédication, était gagné par le zèle amical de son condisciple. Si un compagnon manquait à sa promesse, il lui disait :
« Pauvre ami, tu as subi l’influence du démon. Aussi, en ce moment, tu es encore plus mal disposé, je m’en aperçois à ta mauvaise humeur. Allons ! Un peu de courage et va te confesser ; fais un généreux effort et tu verras comme tu seras content. »
Ceux que Dominique avait ainsi gagnés, venaient ordinairement le trouver après la confession pour lui dire la joie qu’ils éprouvaient.
« II est certain, disaient-ils, que la confession nous a fait un grand bien et à l’avenir nous irons plus souvent. »
Ceux qui étaient délaissés par les autres parce qu’ils étaient grossiers ou en proie au chagrin, devenaient les amis de Dominique. Il les recherchait et leur adressait quelque bonne parole. Ainsi, ceux qui étaient tentes de s’engager dans la voie du mal, étaient réconfortés et revenaient à de meilleurs sentiments. Les malades aussi, à l’infirmerie, réclamaient les soins de Dominique, et tous ceux qui avaient des peines, les lui confiaient pour en recevoir du soulagement.
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