L’art de se plaindre
Cher ami râleur, voici une bonne nouvelle : ta source d’inspiration est totalement intarissable. Parce que la vie en famille, au travail, entre amis, bref, la vie tout court, est une indéréglable machine à enquiquinement continu. Mais le problème, c’est de trouver à qui se plaindre. L’enfant pleurnicheur a déjà du mal à trouver une oreille compatissante, alors l’adulte, vous pensez…
Pas facile de s’épancher sur ses proches ; encore moins sur le très proche, son mari ou sa femme. C’est d’une efficacité limitée : on voulait juste se plaindre de l’état du jardin, et voilà l’autre parti au bout de deux secondes réparer le moteur de la tondeuse.
Or on ne cherche pas une solution à la minute, on a d’abord besoin de se plaindre, de dire ce qui ne va pas, et pourquoi et comment ça ne va pas. Et on se retrouve avec son paquet de doléances pas éclusé, son gros sac de cailloux toujours sur les bras.
Des jérémiades…
D’où l’intérêt de l’ami à l’oreille sur-entraînée à qui on peut se plaindre du dérèglement climatique sans qu’il se rue sur l’arrosage automatique. Mais se plaindre à son mari ou à sa femme, ou pire, à ses enfants, de tous leurs manquements réels ou supposés et de la marche générale du monde, ne sert pas à grand-chose. Car la plainte contient ce message : « De toi dépend mon sort. »
Or l’autre n’est pas le maître de mon sort, je n’ai pas à lui faire porter cette responsabilité, je n’ai pas à l’entretenir dans cette illusion, il n’est pas tout-puissant. En définitive, le perpétuel indigné suscite l’envie de fuir, il est déprimant et contagieux, et finit par faire le vide autour de lui. Voilà pour la mauvaise nouvelle.
… aux « Lamentations »
Alors, si j’ai besoin de me plaindre, par chance Dieu me connaît très bien : Il est tout prêt à recueillir mes insatisfactions, les petites et les grandes. Laissons tomber la jérémiade de troisième division, et osons la véritable lamentation, puisée au cœur des Psaumes.
Pleurer « Des profondeur je pleure vers Toi » (Ps 129, 1), lui dire « De Toi dépend mon sort » (Ps 15, 5b), ce n’est pas L’accabler de récriminations, mais en réalité Lui faire une déclaration d’amour. Plutôt que de saouler ma famille entière de geignements inutiles, autant faire le siège de Dieu Lui-même. Le cœur de Jésus est d’une douceur inépuisable, et Il m’écoutera jusqu’au bout sans se lever pour aller chercher le courrier pendant que je parle.
Lui qui est passé par la Croix prend au sérieux le cri de celui qui se sent impuissant, fatigué, seul ou abandonné. Ce temps passé avec Jésus ressuscité nous restaure dans la joie et nous rendra à nouveau capable de chanter « Tu as changé mon deuil en une danse » (Ps 29, 12). Quittons l’usage de la plainte pour passer au bel art des Lamentations, celles qui engendrent la louange : « La part qui me revient fait mes délices, j’ai même le plus bel héritage » (Ps 15, 6). Joie contagieuse assurée.
Source : L'art de se plaindre | Centre Jean-Paul Regimbal