Il lui a fallu cinq ans pour se libérer des liens occultes. Propos recueillis par Luc Adrian
Mon corps, brutalement paralysé, coulé dans le plâtre. J’ai 15 ans et me voilà paraplégique pour la vie, à cause d’une rechute de tuberculose. Je suis révolté. Je n’ai plus de jambes et l’aumônier vient me parler du Bon Dieu … Le Bon Dieu, tu parles !
Après plusieurs mois d’hôpital, j’ai rejoint un centre de rééducation dans la Brie, très loin de mon Alsace natale. Nous étions deux cent cinquante garçons. J’étais humilié, agressé en permanence. Comment me défendre ? J’ai repéré un garçon solitaire et mystérieux, il se prénommait Alain. Un jour, je me suis assis à ses côtés, et je lui ai dit :
– Toi, tu as un secret qui m’attire.
Il a plongé ses yeux froids dans les miens et a répondu
– Ça ne m’étonne pas. Tu es un médium.
– Alors, travaillons ensemble
Alain m’a fourni toute la panoplie du parfait spirite : les livres, le pendule. J’ai tout dévoré et j’ai commencé à pratiquer le magnétisme, l’hypnose, les voyages astraux, la télépathie… Ça marchait très bien. Je me suis jeté dans le spiritisme à corps et âme perdus. Je tenais enfin ma revanche. J’avais une cour, des disciples, je ne craignais personne. Un jour, Barbès, un Antillais très baraqué qui faisait régner la terreur, m’a défié :
– Bastian, minus, si j’éternue, tu t’envoles ! a-t-il dit devant tout le monde.
– C’est vrai, Barbès, ai-je répondu. Mais moi, je n’ai même pas besoin de te toucher pour te faire tomber.
Tout le monde s’est esclaffé. Barbès a ricané :
– Eh bien vas-y, essaie !
Je me suis concentré et je l’ai magnétisé à distance. Il s’est écroulé. Après un grand silence, il s’est relevé, très impressionné. J’ai eu Barbès dans ma poche, et sa bande, et tout le Centre. Je régnais enfin ! Mais au fond de moi j’avais peur. Le spiritisme et l’occultisme me procuraient une puissance extraordinaire, mais je sursautais dès qu’un meuble craquait : « Mince, je n’ai pas dit les bonnes formules pour renvoyer les esprits mauvais. Ils rôdent ! » Et je me précipitais sur mes rituels magiques. J’étais pris dans un engrenage où je devais être le plus fort, sinon j’étais menacé de mort.
En janvier 1974, je tombe en arrêt devant une double page dans un magazine : elle représentait des gens debout, les yeux fermés, les mains levées. Son titre : « Ils parlent dans d’autres langues ». « Super, me suis-je dit, c’est une assemblée de médiums. J’y vais ! »
Quelques jours plus tard, un soir, me voilà à l’église Saint-Bernard, sous la tour Montparnasse à Paris. On me dit à l’entrée : « C’est la communauté d’Emmanuelle ». L’animatrice étant une ravissante jeune fille prénommée Emmanuelle, j’ai cru que c’était sa communauté. Toute ma conversion est partie de ce quiproquo : je pensais assister à une réunion spirite – c’était en fait l’une des premières assemblées de prière de l’Emmanuel !
Il y avait quatre cents personnes environ. Les gens priaient, louaient, chantaient. C’était joyeux et fraternel. Je goûtais, pour la première fois depuis longtemps, un délicieux sentiment de paix. À la sortie, j’ai posé la question qui me tracassait : « Vous êtes bien des médiums, n’est-ce pas ? » – « Non seulement nous ne sommes pas médiums, mais notre spiritualité est à l’inverse du spiritisme », m’a répondu Emmanuelle.
Coup de poignard ! J’avais vu une puissance extraordinaire se manifester, j’avais goûté la paix, or cela ne venait pas des esprits ! Durant le retour, j’ai pensé deux choses : « Primo, j’arrête toutes les expériences occultes car je fais fausse route ; secundo, il y a quand même quelque chose pour moi du côté de chez Dieu… »
Après mon bac, en 1975, j’ai commencé des études de médecine à Strasbourg. C’était la jungle. À la fin d’un cours, devant mille étudiants, un type se lève et dit : « Groupe de prière charismatique à 18 h ». Il fallait du courage. J’y suis allé, pour voir. C’était un petit groupe d’une quinzaine de personnes baptisé « Puits de Jacob », fondé par un jésuite, Bertrand Lepesant.
J’ai commencé à y participer. Mais à chaque Eucharistie, j’étais rongé par des angoisses horribles. Un jour, n’en pouvant plus, j’ai quitté l’assemblée et je suis rentré comme un zombie à la Cité universitaire avec une idée fixe : « Je vais extirper l’angoisse au fond de mon ventre avec un couteau ». Dans ma chambre, j’ai saisi un couteau, mon regard a croisé mon regard dans un miroir… et mes yeux se sont ouverts. J’allais me suicider sans même le vouloir !
Effrayé, j’ai jeté le couteau, j’ai foncé vers la chapelle et j’ai raconté tout mon itinéraire à Bertrand. Il a fallu une après-midi de prière pour que je sois délivré des liens occultes qui m’attachaient encore au monde des ténèbres, et pour que j’accepte de donner entièrement ma vie au Christ. Un combat épuisant !
Mais j’étais tellement fragilisé – j’avais livré ma liberté et ma volonté aux puissances adverses durant cinq ans – que plusieurs mois de prière fraternelle, de travail psychologique et d’accompagnement spirituel ont été nécessaires pour que je retrouve une paix entière.
Le Christ a converti cette volonté de puissance qu’avait développée l’occultisme en abandon, en acceptation de ma faiblesse, en amour de ma pauvreté. Pour pouvoir enfin me combler de Sa force. La petite voie de la confiance, c’est tout l’inverse du spiritisme ».
Bernard Bastian, prêtre et médecin, appartient à la Communauté du Puits de Jacob. Pour aller plus loin : Conversation sur l’au-delà par Bernard Bastian, éd. des Béatitudes. En préface, l’extraordinaire témoignage de l’auteur.
Famille Chrétienne, « Les chrétiens et l’au-delà », numéro hors série, janvier 2004. www.edifa.com