L'être humain moderne est un être humain seul. À Paris, une personne sur quatre vit seule. En janvier 2018, le Royaume-Uni a nommé une ministre de la solitude. Les villes-gratte-ciels s'étendent et se dressent dans un anonymat total. Dans cette vie citadine, les bruyantes solidarités de village disparaissent au profit d'individus silencieux.
On se côtoie sans jamais se parler, à l'image du tableau bien connu d'Edward Hopper, Nighthawks. Pourtant, nous croisons chaque jour des milliers de visages. Dans le métro, dans la rue, nous les heurtons, nous leur tenons la porte, nous nous asseyons à côté d'eux. Et si pour une fois, nous allions leur parler?
Pourquoi voudrait-on me parler ?
Une étude réalisée par des psychologues américain·es en 2014 pose une question fondamentale: si on ne va pas vers les autres dans le métro ou dans la rue, est-ce parce qu'on est vraiment mieux seul·e ou parce qu'on sous-estime les bénéfices des interactions sociales?
Questionner les actifs de Chicago qui prennent chaque jour les transports leur a permis d'ébaucher une réponse. Toutes les personnes interrogées pensent qu'une conversation avec un·e inconnu·e les dérangerait plus que de rester seules et que l'individu d'à côté n'aurait pas envie de parler non plus, mais toutes ou presque ont aimé leur discussion a posteriori.
Ces psychologues font l'hypothèse que ce sont plutôt nos préjugés sur notre propre ressenti (vais-je aimer converser avec cet inconnu qui se tient à quelques centimètres de moi?) et la projection que nous en faisons sur les autres (vais-je le déranger si je lui parle?) qui nous tiennent à l'écart des autres dans la rue. Nos préjugés l'emportent sur les expériences que nous faisons de nos interactions.
Se sentir exister
Parler à quelqu'un qu'on ne connaît pas, c'est mettre une voix, des intérêts, des opinions, des sentiments sur un visage anonyme. C'est situer la personne dans l'espace et le temps, lui donner corps dans notre univers et par là, reconnaître son existence. Symétriquement, nous nous sentons exister à travers elle. Parler de la météo est poétique, puisque c'est sentir que nous vivons ensemble, sous le même ciel.
Dernière édition par Gilles le Mar 18 Juin - 20:28, édité 1 fois