«Jésus est la synthèse de l’amour des Trois. Jésus est la synthèse de ce qu’est la Trinité et l’Unité de Dieu. Il est la perfection des Trois résumée en une seule Personne. C’est la perfection infinie et multiforme récapitulée en Jésus : un abîme de perfection devant laquelle se prosternent les armées célestes comme les bienheureuses multitudes du paradis, en adoration. Un abîme de perfection qui a pu être - et peut encore être - compris et accepté par ceux qui possèdent l’amour et par eux seuls.
À partir de là, il est possible d’expliquer comment l’archange qui était un esprit bienveillant et saint a pu devenir l’Esprit du Mal. Il n’était cependant pas saint au point d’être tout amour. Or c’est la mesure de l’amour que chacun porte en soi qui donne la mesure de sa perfection et de son aversion pour toute corruption. Quand l’amour est total, plus rien ne peut venir corrompre. La molécule qui n’aime pas est une brèche facile pour que s’y infiltrent des éléments qui ne sont pas amour. Ils forcent [le passage], l’élargissent, envahissent et submergent les bons éléments, jusqu’à les exterminer. Lucifer avait une mesure d’amour incomplète. L’orgueil de soi prenait de la place en lui, une place dans laquelle l’amour ne pouvait exister. Voilà la brèche par laquelle sa dépravation pénétra, destructrice. À cause d’elle, il ne put comprendre ni accepter le Christ-Amour; synthèse de l’Amour infini, unique et trine. Et le fait que, de nos jours, se répande l’hérésie qui nie l’humanité divine de la seconde Personne pour faire de lui un simple homme bon et sage, s’explique facilement grâce à cette clé : le manque d’amour dans le cœur humain, l’incapacité à aimer, la pauvreté de la possession d’amour.
Observe, mon âme, que, aussi bien à l’époque du Christ qu’à la vôtre, il y a toujours eu deux points sur lesquels bute l’intelligence arrogante de l’homme qui ne peut pas croire à moins d’être humble et plein d’amour : d’une part, que le Christ soit Dieu et Homme et qu’il accomplisse des actes uniquement spirituels pour lesquels il fut haï même par ceux qui lui étaient le plus intimes, et donc trahi; d’autre part, qu’il ait créé le sacrement de l’Amour. Il s’ensuit que, aujourd’hui comme de tout temps, les "sans amour" prétendent et prétendront encore - de façon hérétique - que Dieu ne peut être en Jésus et que Jésus ne peut se trouver dans sa sainte et adorable Eucharistie.
C’est pourquoi, mon âme, si tu devais faire inscrire une légende sous l’effigie de l’Homme-Dieu, il faudrait écrire : « Je suis la synthèse de l’Amour. »
Puis Azarias, en adoration, se tait.
Quelle paix! Quelle paix en moi, quelle lumière, quelle sensation de bien-être mental — celle d’une pensée qui s’apaise grâce à une réponse qui la convainc pleinement — pénètrent en moi pendant et après la leçon de l’ange! C’est sur ce trésor que je referme mon cahier et que je retourne à mon travail manuel, tandis que mon esprit apaisé contemple la leçon que je viens de recevoir.
Je me relis plus tard, je médite et je me concentre sur la phrase :
Lucifer n’était «pas saint au point d’être tout amour». Étant donné l’idée sublime que je me fais des anges, je n’arrive pas à comprendre comment un esprit comme celui d’un ange ait pu avoir des imperfections. Le péché des anges m’a toujours invinciblement stupéfiée ! Jamais personne ne m’en a fourni une explication convaincante : comment des êtres spirituels, créés par la volonté parfaite de Dieu dans une création dont l’élément "Mal" était absent puisqu’il ne s’était pas encore formé, comment ces êtres qui contemplaient l’éternelle Perfection et celle-là seule ont pu pécher? Je m’arrête maintenant sur la phrase : «...pas saint au point d’être tout amour», qui suscite de nouveau mon : «Comment cela est-il possible?»
Azarias me dit alors :
Les anges sont supérieurs aux hommes. J’emploie le mot "hommes" pour parler des êtres que l’on dénomme ainsi, et qui sont composés de matière et d’esprit. Nous leur sommes donc supérieurs, nous qui sommes tout esprit. Mais rappelle-toi que lorsque la grâce vit dans l’homme et que circule en lui le Sang du Corps mystique dont le Christ est le chef, tandis que les sept sacrements le confirment à chaque état et à chaque période de sa vie, alors nous reconnaissons le Seigneur en vous - qui êtes "les temples vivants du Seigneur" - et nous l’adorons en vous. Vous nous devenez alors supérieurs, vous êtes "d’autres Christ" et vous possédez ce que l’on qualifie de "Pain des anges″, qui n’est en réalité que le Pain des hommes. Quelle faim mystique et insatiable d’Eucharistie est la nôtre! Elle nous pousse à nous presser autour de vous quand vous vous en nourrissez, pour sentir le divin parfum de cette Nourriture parfaite !
Mais, pour en revenir à notre point de départ, je t’assure que chez les anges, qui diffèrent de vous par la nature et la perfection, la libre volonté existe comme en vous. Dieu n’a rien créé qui soit esclave. À l’origine, tout n’était qu’ordre, dans la création. Mais l’ordre n’exclut pas la liberté. Au contraire, la liberté parfaite se trouve dans l’ordre. Dans l’ordre, il n’est pas de contrainte due à la peur d’une invasion, d’une intrusion, d’une anarchie due à d’autres volontés qui peuvent donner lieu à des ententes secrètes et des destructions en pénétrant dans l’orbite et dans la trajectoire d’autres êtres ou choses créées. Tel était l’univers tout entier avant que Lucifer n’abuse de sa liberté pour susciter en lui-même le désordre des passions - et cela, par sa propre volonté - pour mettre du désordre dans l’ordre parfait. S’il avait été tout amour, il n’y aurait pas eu place en lui pour autre chose que l’amour. Mais il y eut place pour l’orgueil, auquel on pourrait donner ce nom: le désordre de l’intelligence.
Dieu aurait-il pu empêcher tout cela ? Oui. Mais pourquoi faire violence à la libre volonté de cet archange si beau et si intelligent ? Dans ce cas n’aurait-il pas mis lui-même — lui le Très-Juste — du désordre dans l’ordre de sa Pensée en ne voulant plus ce qu’il avait d’abord voulu, c’est-à-dire la liberté de l’archange ? Dieu n’opprime pas l’esprit troublé pour le mettre de force dans l’impossibilité de pécher. Dans ce cas, il n’aurait eu aucun mérite à ne pas pécher. Pour nous aussi, il fut nécessaire de « savoir vouloir le Bien » pour continuer à mériter de jouir de la vue de Dieu, Béatitude infinie !
Puisque Dieu avait voulu que ce sublime archange se tienne à ses côtés dès les premiers actes de la création et qu’il connaisse l’avenir de la création d’amour, il voulut de même qu’il sache quelle serait la nécessité adorable mais douloureuse que son péché allait imposer à Dieu : l’Incarnation et la Mort d’un Dieu pour contrebalancer la ruine du péché qui serait créé si Lucifer ne vainquait pas l’orgueil en lui-même. L’Amour ne pouvait tenir un autre langage. Le premier anéantissement de Dieu se trouve dans cet acte de vouloir convaincre l’orgueilleux avec douceur - presque en le suppliant, par la vision ce que son orgueil allait imposer à Dieu - de ne pas pécher pour ne pas amener d’autres êtres à pécher.
C’était un acte d’amour. Mais Lucifer, déjà satanisé, y vit de la peur, de la faiblesse et un affront, une déclaration de guerre; il engagea donc les hostilités contre le Très-Parfait en disant : « Tu es? Moi aussi, je suis. Ce que tu as fait, c’est pour moi. Il n’y a pas de Dieu. Et s’il y a en a un, c’est moi. Je m’adore. Je t’abhorre. Je me refuse à reconnaître pour Seigneur celui qui ne sait pas me vaincre. Il ne fallait pas me créer si parfait, si tu ne voulais pas que je me pose en rival. Maintenant je suis, et je m’oppose à toi. Triomphe de moi, si tu le peux. Mais je ne te crains pas. Moi aussi, je vais créer et ta création tremblera à cause de moi parce que je la secouerai comme un fin nuage pris par les vents, car je te hais et je veux détruire ce qui est tien pour créer sur ses ruines ce qui sera mien. Je ne connais et ne reconnais aucune autre puissance que moi. Et je n’adore plus, je n’adore, je n’adore plus personne d’autre que moi-même ».
Vraiment, la création, la Création tout entière jusqu’en ses profondeurs, fut alors prise d’une convulsion horrifiée devant l’infamie de ces paroles sacrilèges, une convulsion comme il n’y en aura pas de semblable à la fin de la Création. Il en naquit l’enfer; le règne de la Haine.
Mon âme, comprends-tu comment le Mal est apparu ? De la volonté libre - et respectée comme telle par Dieu - d’une personne qui n’était pas pleinement amour. Tu peux être sûre que le même jugement est porté sur toute faute commise depuis lors : «Tout n’est pas amour ici».
L’amour plénier interdit le péché, sans effort. Celui qui aime n’a pas d’effort à faire pour atteindre la justice ! L’amour l’emporte et l’élève bien au-delà de toutes fanges et dangers, il le purifie d’instant en instant des imperfections à peine visibles qui subsistent au plus haut degré de la sainteté consumée, à cet état où l’esprit a tellement progressé qu’il est vraiment roi, déjà uni par des noces spirituelles à son Seigneur, et jouit à un niveau à peine moindre de ce qui fait la vie des bienheureux au ciel, tant Dieu se donne et se dévoile à son fils béni.
Gloire au Père, au Fils et à l’Esprit Saint.