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Anna et Mister God

Pilgrim
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Message par Pilgrim Mer 20 Jan - 1:34



Fynn, Anna et Mister God, Paris, Seuil, 1974

Incroyable comme une histoire vraie

Fynn rôde dans le quartier des docks de l'East End londonien
et découvre une petite fille sale et terrifiée. Anna a pour intérêt
principal dans l'existence sa familiarité avec Dieu. "Mister God".
Elle comprend le sens de la vie et la signification de l'amour.
A six ans, elle est théologienne, mathématicienne, philosophe,
poète et jardinière. A sept ans, elle meurt dans un accident.
Ce livre ressemble à un conte, il est frais et plein de philosophie.

(quatrième de couverture)


Chapitre un

"La différence qu'il y a entre un ange et une personne ? Facile. Un ange, c'est presque tout en dedans, une personne, presque tout en dehors." Ainsi parlait, à six ans, Anna, également connue sous les noms de Pompom, Souris ou La Joie.  A cinq ans, Anna connaissait parfaitement le but de l'existence, la signification de l'amour et elle était l'amie intime et le bras droit de Mister God. 

Quand on lui posait une question, la réponse venait toujours, en temps utile. Parfois, il fallait patienter des semaines ou des mois, mais alors, à son rythme et en son temps, la réponse venait, simple, directe, et parfaitement à propos. Ses huit ans, elle ne les eut jamais. Un accident l'emporta. Son visage souriait. Elle mourut en disant :"J'parie qu'Mister God m'laissera entrer au ciel à cause de ça." Je parie qu'il l'a fait. 

[...] 

Je m'appelle Fynn. Enfin, ce n'est pas mon vrai nom, mais quelle importance ? Tous les amis n'appellent Fynn, ça m'est resté. Fynn est un personnage de la mythologie irlandaise. Un géant. Quant à moi, je mesure un mètre quatre-vingt-cinq. Je pèse cent deux kilos. J'adore la gymnastique. Ma mère est irlandaise, mon père Gallois. J'ai un faible pour les hot-dogs et le chocolat aux raisins, dégustés séparément bien sûr. Mon passe-temps favori ? Me ballader dans le quartier des docks, la nuit, par temps de brouillard. Ma vie avec Anna commença un de ces soirs-là. J'avais dix-neuf ans.

Les réverbères ouvraient dans la brume des halos, des silhouetes bizarres sortaient de l'ombre pour y retourner. Un peu plus bas, la vitrine d'un boulanger adoucissait l'âpreté de la nuit et la réchauffait sous ses becs de gaz.

Sur la grille du soupirail, une petite fille. Rien d'inhabituel, en ce temps-là, à voir des enfants courir les rues le soir. Mais là, c'était autre chose. 

En m'asseyant, je dis : "Pousses-toi, môme."

Elle se poussa sans répliquer. J'ajoutai : "Tiens, un hot-dog." Elle secoua la tête.
"C'est à toi.

- J'en ai plein. Et puis, j'ai plus faim."

Comme elle ne bougeait pas, je posai le sachet entre nous sur la grille. La lumière de la vitrine n'était pas très forte, la gosse était dans l'ombre et je ne discernais pas son visage. Mais je voyais qu'elle était crasseuse, qu'elle serrait sous son bras une poupée de chiffon, et contre sa poitrine une vieille boîte de couleurs cabossée. La demi-heure suivante s'écoula dans un silence complet. Je crus sentir sa main glisser vers le hot-dog mais je me retins de tourner la tête ou de parler, pour ne pas l'effaroucher.

Je me souviens encore du plaisir que j'ai eu à entendre la peau tendue de la saucisse crevée sous son coup de dent. Une minute après, elle prit une seconde bouchée, puis une troisième. 

J'extirpai de ma poche un paquet de Woodbines.
- ¨ca ne te gêne pas que je fume pendant que tu mange, môme ?
- Quoi ? Sa voix était tout inquiète.

Je peux fumer une clope ?
Elle roula sur elle-même, se mit à genou et me dévisagea.
Mais pourquoi ... ? demanda-t-elle. 

- J'ai une vieille très à cheval sur les manières. Et c'est vrai qu'on ne souffle pas la fumée dans la figure d'une dame pendant qu'elle mange.

Un instant, elle contempla sa saucisse entamée, puis elle me regarda bien en face et demanda : "Pourquoi ? Tu m'aimes bien ?"

Je hochai la tête.

"Alors fume ta clope." Et elle me sourit en enfournant dans sa bouche le reste de sa saucisse.

Je sortis une cigarette, l'allumai, et lui tendis la flamme de l'allumette à souffler. Elle gonfla ses joues, et je reçus une grêle de bouts de saucisse.

Ce petit malheur eut sur elle un effet si violent que j'en eus le souffle coupé. Un chien recroquevillé, la queue entre les jambes, attendant la raclée. Jamais un enfant n'avait eu devant moi cette peur panique, ces yeux béants d'angoisse. Elle attendait, dents serrées, que je lui cogne dessus.

[...]

Ai-je alors fait le lien entre cette vision et l'image qui s'impose à moi aujourd'hui ?

Désemparé d'horreur devant la violence : le crucifié. La terrible plainte de l'enfant était plus que je ne pouvais supporter. Je ne voudrais plus jamais l'entendre. Mais on ne supporte pas longtemps une telle tension dans l'angoisse. Les plombs sautent.

C'est ce qui se passa pour moi : mes plombs sautèrent, et je me mis à rire, jusqu'à m'apercevoir que la gosse, elle aussi, riait. Le petit ballot craintif était dénoué - elle riait comme une folle, à genoux sur le trottoir, sa tête venant toucher la mienne - elle riait de ce rire si souvent entendu les trois années suivantes - ni carillon de cristal, ni cascade poétique, mais hurlement de joie d'une môme de cinq ans, un jappement, une pétarade, un pouffement sans fin. je posai mes mains sur ses épaules et, la maintenant à bout de bras, je découvris qui était Anna : bouche grande ouverte, yeux immense, comme un chien courant impatient de sa laisse. Chaque fibre de son petit corps vibrait sur une note claire. Des bras aux jambes, de la tête aux pieds, son petit être tremblait et trépidait comme le fait notre Mère la Terre quand elle donne le jour à un volcan. Et quel volcan était à l'oeuvre dans cette enfant !



(extrait 1)
Pilgrim
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Message par Pilgrim Mer 20 Jan - 15:51

(plus tard dans le texte) 


Cette nuit-là, j'ouvris la porte et hurlai dans le couloir : "M'man, viens voir ce que j'ai trouvé !"

Il faut dire que Maman ne faisait jamais d'histoires, elle prenait tout comme ça venait. Bossy, le chat que j'ai ramené un soir, le chien Patch, Carol, le fille de dix-huit ans qui est restée deux ans, et Danny qui venait du Canada, et a passé trois ans chez nous. Certains font collection de timbres ou d'étiquettes, Maman collectionnait les épaves, chats, chiens, grenouilles et gens, sans compter la pléiade de petites créatures auxquelles elle croyait. Si je lui avais ramené un lion ce soir-là, sa réaction aurait été la même. 

- Pauvre chou ! A peine passé le seuil, un regard lui suffit : "Pauvre chou, s'écria-t-elle, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?" 

[...]

Au bout de quelques minutes de "Ooh !" et de "Aah !" les choses commencèrent à s'organiser. Maman se rétablit sur ses pieds, me lança : "Enlèves-moi ces nippes trempées à c't enfant !", et d'ouvrir d'une bourrade la porte de la cuisine en criant : Stan, Carol, venez tout de suite ! Stan est mon frère, de deux ans plus jeune, et Carol, une des épaves de passage. 

La cuisine et le cellier entrèrent en éruption : une baignoire apparut, des bouilloires d'eau sur le gaz, des serviettes, du savon. La cuisinière bourrée de charbon jusqu'à la gueule; et moi, m'escrimant à tirer de leurs oeillets les agrafes des habits d'Anna. Soudain, la voici, nue comme un nouveau-né, assise, jambes croisées, sur la table.

 "Les salauds !", dit Stan, et Carol cria : "Mon Dieu !", Maman serra les lèvres. Un instant, la petite cuisine bouillit de haine contre X : ce petit corps était bourré de bleus, meurtri. Nous autres, les vieux, serions les poings, envoûtés par notre colère. Mais Anna restait assise-là, et souriait d'un immense sourire. Comme une apparition merveilleuse, elle était là, et pour la première fois de sa vie, je crois, parfaitement heureuse. 

p. 29 




[...]

Maman et Anna avaient beaucoup de choses en commun, la principale et la plus belle étant, à mon avis, leur attitude envers Mister God. La plupart des gens que je connaissais évoquaient Dieu pour chercher une excuse à leurs échecs. "Il aurait dû faire ci !" ou "Pourquoi Dieu m'a t-il fait ça ?"

 Mais Maman et Anna voyaient dans les épreuves une occasion d'agir. La laideur ? Une occasion de faire de la beauté. La tristesse ? Une occasion de susciter la joie. Mister God était ainsi toujours de leur côté. Un étranger aurait été excusé de croire que Mister God habitait chez nous, mais Maman et Anna, quant à elles, en étaient sûres; d'ailleurs, il était rare que nous ne faisions pas participer Mister God à nos conversations. 

Après souper, quand tout était rangé, Anna et moi nous asseyions pour faire ce qu'elle avait choisi. Pas question de contes de fées, la vie était une réalité [...]

- Crois-tu en Dieu ?
Oui.
- Sais-tu ce qu'est Dieu ?
Oui,
- Qu'est-ce que c'est alors ?
Il est Dieu. 
- Vas-tu à l'église ?
Non.
- Pourquoi pas ?
Parce que je sais tout ça.
- Qu'est-ce que tu sais ?
Je sais aimer Mister God, aimer les gens, et les chats et les chiens, et les araignées et les fleurs, et les arbres ..." Le catalogue n'avait pas de fin. "... de tout mon coeur". 

Carole me sourit, Stan fit la grimace, et moi, je me piquai vite une cigarette aux lèvres en déguisant mon rire en une quinte de toux. Anna avait dépassé tout l'accessoire et résumé l'essence de toute connaissance en une phrase. "Et Dieu dit : "Aime-moi, aime-les, aime tout, et n'oublie pas de t'aimer toi-même."

p. 40

Fynn, Anna et Mister God, Éditions du Seuil, 1974 (1976 pour la traduction française), 250 p.

(extrait 2)
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Message par Pilgrim Jeu 21 Jan - 14:26

La mort d'Anna

C'était une journée ensoleillée, splendide. La rue retentissait des jeux d'enfants. Ici au moins les rires couvaient le bruit des armées en marche.

 Quand soudain le monde tomba en miettes. Un seul crie tua le rire.  C'était Jackie. Je me retournai à temps pour la rattraper comme elle se précipitait sur moi. Son visage était un masque livide de terreur.

"Fynn ! Mon Dieu. C'est Anna. Elle est morte ! Elle est morte !"

Ses ongles me rentraient dans la chair des épaules. Une vague de peur, glacée, passa sur moi. Je descendis la rue en courant. Anna gisait sur la rambarde, agrippant de ses mains le sommet du mur. Je la soulevai dans mes bras. Ses yeux se rétrécirent sous le coup de la douleur. 

"J'ai glissé de l'arbre, murmura-t-elle. 
- D'accord, Pitch'. Tiens bon. Je m'occupe de toi." 

Et tout à coup une terrible nausée me saisit. Du coin de l'oeil j'avais vu quelque chose, une chose qui me parut, par une étrange distorsion, plus horrible encore que l'enfant blessée que j'avais dans mes bras. Sa chute avait cassé le sommet d'un balustre. Moignon de fer brisé. Quelques années plus tôt, personne ne l'avait vu, et maintenant il crevait les yeux. Le moignon métallique, les montagnes cristallines rougissaient à présent de honte, de dégoût, du rôle qu'ils avaient ici tenu. 

Je transportai Anna à la maison et la couchai dans son lit. Le médecin vint la panser  et me laissa seul avec elle. 

Je lui tenais les mains, scrutais son visage. La souffrance qui la faisait ciller céda sous le sourire qui, lentement, envahit ses traits. Le sourire triomphait. La souffrance s'était retranchée quelque part à l'intérieur. Dieu merci, elle guérirait. Dieu merci. 

"Fynn, Princesse va bien ? chuchota Anna.
- Très bien, répondis-je. 

Je n'en savais bougre rien.
 
"Elle était dans l'arbre, elle pouvait pas redescendre. Moi, j'ai glissé, dit Anna. 
- Elle va bien.

- Elle avait très peur. C'est un tout petit chaton. 
- Elle va très bien, très bien. Repose-toi. Je reste avec toi. N'aie pas peur, dis-je à Anna.

J'ai pas peur, Fynn. J'ai pas peur. 
- Dors, Pitch'. Dors un petit peu. Je suis là. 

Ses yeux se fermèrent et elle s'endormit. Elle guérirait. Je le savais au fond de moi-même. Pendant deux jours, le sentiment que tout allait s'arranger domina ma peur. Son sourire, ses conversations passionnées au sujet de Mister God me le confirmaient.

 En moi l'angoisse se dénouait. J'étais à la fenêtre quand elle m'appela :
"Fynn !"

- Oui, Pitch, qu'est-ce que tu veux ? J'allai à elle. 

"Fynn, c'est comme si je me retournais à l'envers !" Elle semblait frappée d'un immense étonnement.
Une poignée glacée m'aggripa le coeur et le serra. Je me souvins de Mémé Harding.

"Pitch ..." ma voix était trop forte "Pitch', réponds-moi !"
Son regard réapparut. Elle sourit. Je courus à la fenêtre, l'ouvris. Cory était dehors. 
"Va chercher le docteur, vite." 

Elle fit oui de la tête et parti en courant. D'un seul coup, je sus ce qui allait arriver. Je retournai à Anna. Ce n'était pas le moment de pleurer. Ce n'est jamais le moment. Autour de mon coeur, le froid gelait mes larmes. Je pris la main d'Anna. Dans mon esprit tournait l'idée que "quoi que vous demandiez en mon nom ..." Je demandai, je suppliai. 

"Fynn, murmura-t-elle, le sourire l'illuminant, Fynn, je t'aime. 
- Moi aussi, je t'aime, Pitch' 

- Fynn, j'parie que Mister God m'laissera entre au Ciel à cause de ça. 
- Tu parles, je parie qu'il t'attend. 

J'aurais voulu en dire plus, beaucoup plus, mais elle n'écoutait plus. Il ne restait d'elle que son sourire. 

Les jours se consumèrent comme des cierges, le temps fondit, coula et se figea en caillots hideux et vains. Deux jours après l'enterrement, je retrouvai le sac à semences d'Anna. Au moins, cela m'occupa. J'allai au cimetière et m'y attardai un peu. Cela aggravait les choses, elles étaient plus vides encore. Si seulement j'avais été plus près d'elle ce jour-là ... si seulement j'avais su ce qu'elle faisait ... si seulement ... si seulement ... Je vidai les graines sur la terre nouvellement fouillée et jetai la sacoche loin de moi. 

J'aurais voulu haïr Dieu, le bannir de mon univers, mais il ne voulait pas. Je le trouvais plus réel, étrangement plus réel qu'avant. La haine ne venait pas, mais le mépris. Dieu était un crétin, un pauvre type. Il aurait pu sauver Anna, mais rien. Il avait laissé faire la pire absurdité. Cette enfant, cette merveilleuse enfant, cueillie, coupée, retranchée, alors qu'elle n'avait même pas huit ans ... et juste au moment où ... Saloperie ! 

[...]

Les années de guerre m'arrachèrent à l'East End. La guerre traîna ses bottes sanglantes sur la face du monde jusqu'à la fin de l'accès de folie. Des milliers d'autres enfants étaient morts, des milliers mutilés, sans foyers. La démence guerrière se métamorphosa en folie victorieuse. La Victoire ? Cette nuit-là, je me saoulai à mort. Meilleure manière de s'évader.

On m'avait donné, quelque temps auparavant, un paquet de livres, mais je ne les avais même pas déballés. A quoi bon ? Je me sentais désoeuvré, encombré de moi-même. Ils n'avaient pas l'air bien intéressants. Rien n'avait l'air bien intéressant. Je feuilletai, et ne retins la page qu'en tombant sur le nom de Coleridge. Pour moi, c'était un très grand poète. Je lus :

"J'adhère d'une foi entière à la théorie d'Aristote  selon laquelle la poésie, en tant que poésie, est essentiellement idéale, elle échappe et se soustrait à tout ce qui est accidentel, c'est à dire ..."

Je revins quelques pages en arrière et me remis à lire. Voici qu'entre les lignes réapparaissaient le vieux Woody. 

Le procédé du mécanisme poétique est illustré par Coleridge à l'aide des vers suivants :

C'est ainsi que, des particulières,
Par abstraction, elle monte aux essences, 
Qui, déguisées de mille noms et manières,
En nos esprits s'insinuent par les sens.
 

Je nous revoyais : le vieux Woody, Bill le forçat, Anna et moi. Quelques lignes plus loin, un mot m'accrocha l'oeil, le mot "violence".

"Le jeune poète, dit Goethe, doit se faire une sorte de violence pour échapper à la banale idée générale. Sans doute est-ce difficile, mais c'est l'art même de la vie." 

Voilà que les choses prenaient un sens, tout se mettait en place. Ce qui se produisait en moi me donnait envie de pleurer et, pour la première fois depuis longtemps, je pleurai. Les nuages semblaient s'écarter. Une idée, doucement, entrait dans ma tête. On n'avait pas coupé court à la vie d'Anna; loin de là, elle était pleine, parfaitement accomplie. 

Le lendemain, je retournai au cimetière. Je mis du temps à retrouver la tombe. Je me souvenais qu'elle était tout au fond, qu'il n'y avait pas de pierre tombale, mais une simple croix de bois avec un nom dessus : Anna. Au bout d'une heure, je la trouvai. J'étais venu dans une sensation de paix, comme si, le livre refermé, l'histoire avait été celle d'un triomphe. Mais je ne m'attendis pas à ce que je vis. C'était là. La petite croix penchée, comme un peu saoule, sa peinture écaillée, et le nom : Anna

J'aurais voulu rire, mais ça ne se fait pas dans un cimetière. Non seulement j'aurais voulu, mais je ne pus m'en empêcher. Je ne pouvais me contenir. Les larmes me coulaient sur les joues. 

"D'accord, Mister God, dis-je en riant toujours, je suis convaincu. Bon vieux Mister God. Vous êtes quelque fois un peu lambin, mais pour finir, vous réussissez quand même pas mal. "

La tombe d'Anna était un tapis rutilant de coquelicots. Derrière, il y avait des lupins. Deux arbres se penchaient l'un vers l'autre pour chuchoter, et une famille de souris courait dans l'herbe haute. Anna était bien chez elle. Elle n'aurait pas eu besoin d'une stèle. Que lui apporterait un fourmillion de tonnes de marbre fin ? Je restai encore un peu, puis je lui dis au revoir, pour la première fois depuis cinq ans. 

En retournant à la grille principale, je croisai des légions d'angelots, de chérubins de pierre [...] Quant à l'ange de quatre mètres, après tant d'années, il essayait toujours de déposer sa gerbe de fleurs de marbre. 

"Salut, mon pote ! lui fis-je. Tu n'y arrivera pas, tu sais." 

En repoussant la grille, je criai dans le cimetière :
- La réponse est "Au milieu de moi !"

Un frisson me parcourut l'échine. J'avais cru entendre sa voix dire :
"De quoi est-ce la réponse, Fynn ?" 

- Facile. La question est : "Où est Anna ?" 

Je l'avais retrouvée. Au milieu de moi. 

Et j'étais sûr que, quelque part, Anna et Mister God riaient aux éclats. 

Quand je mourrai
(par Anna)

Quand je mourrai,
Je ferai ça moi-même.
Personne à ma place,
Quand je serai prête,
Je dirai :
Fynn, redresse-moi.
Et je rirai
De joie
Si je retombe,
C'est que je suis morte.
Anayel
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Message par Anayel Jeu 21 Jan - 20:25

C'était une très belle histoire (elle est triste, bien sûr, mais elle est belle quand même). J'aime beaucoup le personnage d'Anna, notamment ^^
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Message par Pilgrim Sam 23 Jan - 0:42

Merci, Anayel, pour le petit retour. 

C'est le père Molinié qui parlait de ce livre, un moment donné, dans un de ses cycles de conférences. Il disait que le personnage d'Anna correspondait à une vraie personne qui avait existé. L'auteur avait bien sûr crée un récit romancé, mais comme pour traduire son interprétation de la personnalité réelle d'Anna, la petite héroïne de son roman. 

Théologienne à l'âge de six ans !

Wink

C'est amusant.
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