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Liturgie de la Parole

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Message par Pilgrim Jeu 10 Déc - 13:27

Bonjour,

Petite lecture à partager ! Je verrais la "chose" comme un complément du jeu-questionnaire sur la Messe. 

Toujours dans l'idée de mieux saisir peut-être, ou mieux savourer si vous voulez, la raison d'être fondamentale d'une partie de la célébration par rapport à l'autre, comme ici la première partie de la messe, la Parole : quelle nécessité comme fidèle de se faire servir deux ou trois textes de la Bible avant de pouvoir enfin en arriver à la prière sur les offrandes, la Consécration, la Communion ? 

Il fut un temps pas si lointain, je m'en souviens, il m'arrivait de trouver long, insupportable, très ennuyeux le fait de devoir endurer des personnes qui vous récitent des textes que l'on peut lire chez soi. "Arrivons au fait svp ! Assez de bavardage et passez-moi le pain !" 

Oui, mais ...

Il y a une raison pour que ces lectures soient faites. On s'en douterait. Mais quelle raison au juste ? 

Voici :


"La proclamation de la Parole de Dieu dans l'Église est également la représentation d'un signe, d'une partie essentielle de l'événement rédempteur. Or, autant nous est familière l'affirmation que les sept sacrements communiquent réellement la grâce qu'ils signifient, autant sommes-nous étonnés lorsqu'on affirme que la proclamation de la Parole de Dieu dans l'Église est pourvue, elle aussi, d'une garantie divine d'efficacité.

Nous connaissons l'existence d'une garantie : lorsque l'Église, en vertu de son magistère suprême, - les évêques de l'univers entier enseignant unanimement la même doctrine  et le pape, clé de voûte de l'Église - définit et proclame une vérité révélé par Dieu, le Christ lui a promis que l'Esprit Saint la préserverait de l'erreur et susciterait en elle la véritable connaissance de sa révélation. 

Mais il est bien rare que nous assistions à semblable proclamation solennelle de la vérité divine. Quand nous rencontrons la proclamation de la Parole dans l'Église, habituellement, c'est celle d'un prédicateur qui cache, plus souvent qu'il ne manifeste le Dieu qui se communique. 

Rappelons que la proclamation ecclésiale de la Parole de Dieu ne contribue pas seulement à notre salut en raison de son contenu qui nous communique certaines connaissances et donne le branle à notre volonté. Le fait même de la proclamation, l'événement de la proclamation à lui seul, est une représentation symbolique de l'incarnation du Verbe de Dieu en Jésus-Christ. Or l'incarnation du Christ ne nous a pas seulement transmis une connaissance et un avertissement. En elle, s'accomplit le prototype de toute grâce : Dieu se communique aux hommes, pénètre dans l'histoire - celle de l'humanité lors de l'incarnation de Jésus-Christ, celle de chaque individu par la grâce. 

Dans le Nouveau Testament, l'énergie créatrice  qui, d'après toute la Bible, caractérise la Parole immédiate de Dieu, est également attribuée à cet aspect de la vie de l'Église par lequel la Parole de Dieu nous est annoncée. Il est appelé Parole de vie :

"Tenez ferme à la parole de vie. Vous me préparez ainsi un sujet de fierté pour le jour du Christ, car ma cause et ma peine n'auront pas été vaines" (Phil 2,16

Elle est aussi parole de grâce : Paul et Barnabé "prêchaient plein d'assurance dans le Seigneur, qui rendait témoignage de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains" (Ac 14,3

Paul dit encore aux presbytres d'Éphèse lors de son discours d'adieu :

"Et maintenant je vous confie à Dieu et à la Parole de sa grâce" (Ac 20. 32)

La proclamation ecclésiale est aussi la parole de la réconciliation instituée par Dieu :

"Car c'était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant sur nos lèvres la parole de la réconciliation" (2 Cor 5,19

Cela ne signifie pas uniquement que la proclamation parle de la vie, de la grâce et de la réconciliation : cela signifie surtout que la proclamation contient réellement la vie, la grâce et la réconciliation, et qu'elle les rend effectives en ceux qui l'écoutent. C'est ainsi que le prêtre prie après la lecture de l'Évangile, pour que les paroles de l'Évangile efface les péchés. 

Lors de leur ordination, les sous-diacres et les diacres reçoivent le pouvoir de lire l'épitre et l'Évangile "pour les vivants et pour les morts". La Parole proclamée est salvatrice même pour les morts dont l'intelligence ne peut plus recevoir aucun enrichissement et dont la volonté est définitivement figée. Cela ne peut que laisser supposer l'existence d'une communication objective de grâce s'exerçant dans l'Église par la proclamation de la Parole de Dieu.

Cette efficacité de la proclamation de la Parole ne dépend même pas de l'attitude personnelle du prédicateur. Saint Paul témoigne de ce fait en écrivant aux Philippiens :

"Certains proclament la Parole par envie, en esprit de rivalité, mais pour les autres, c'est vraiment dans de bons sentiments qu'ils prêchent le Christ ... mais qu'importe ? Après tout, d'une manière comme de l'autre, hypocrite ou sincère, le Christ est annoncé" (Phil 1,15-18)

Le Pape Pie XII. de même, a caractérisé la parenté existant entre l'incarnation et la prédication en disant : "La manière dont la Parole arrive aux hommes est différente, mais l'énergie opérative est la même (virtus autem eadem)". 

Ainsi donc, la prédication de la Parole ressemble beaucoup aux sacrements. Cela ne signifie nullement que la prédication serait comme un huitième sacrement, ce qui contredirait ouvertement les déterminations du Concile de Trente. Prédication et dispensation des sacrements forment une unité "dialogique"; ce sont les deux éléments d'un unique processus qui, dans sa totalité, est source de grâce. Ainsi, d'ailleurs, l'oeuvre rédemptrice du Christ, source première de toute grâce, se composait elle-même de l'incarnation et du sacrifice, de la Parole et de la réponse du don de Dieu aux hommes et du don des hommes à Dieu. Les sacrements, représentation immédiate du sacrifice du Christ, confèrent efficacement la grâce parce qu'ils contiennent aussi la Parole qui résonna d'abord dans la proclamation ecclésiale. 

Et il est légitime de concevoir que la Proclamation de la Parole de Dieu, représentation immédiate de l'incarnation, communique la grâce parce que cette proclamation est ordonnée et conduit à la réception des sacrements. 

Source : Otto Semmelroth s.j.. Le sens des sacrements, p. 43
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Message par Pilgrim Jeu 10 Déc - 15:03

Et que dit Charles Perrot, d'un point de vue historique assez large ? 


Jésus et l'histoire

par 

Charles Perrot 



Ici :

"Au vrai, désigner le repas comme un lieu de la parole n'a rien de singulier. Qui n'a pas fait quelque discours au cours d'un repas de cérémonie ? Dans le monde juif une telle liaison était évidemment connue. Selon Flavius Josèphe. les esséniens, durant le repas du soir, se donnaient la parole les uns aux autres, et dans l'ordre. Il ne s'agissait certainement pas de bavardages ! D'ailleurs, le psaume 11Q Ps col. XVIII, récemment découvert à Qûmran - mais depuis longtemps connu comme le psaume 154 du psautier syriaque - précise : "Quand ils mangent dans l'abondance, elle (la Sagesse) est citée et aussi quand ils boivent en commun, ensemble. Leur méditation porte sur la Loi du Trés-Haut". Dans le milieu des scribes d'obédience pharisienne, le repas est aussi l'occasion d'une parole religieuse. 

Le traité Mishna Abot 3,3 rapporte ce mot du rabbi Siméon ben Yohaï :


"Si trois mangent à la même table et ne parlent pas de la Torah, c'est comme s'ils mangeaient les sacrifices des morts (les viandes offertes aux idoles) ... Si trois mangent à la même table et parlent de la Torah, c'est comme s'ils mangeaient à la table de Dieu."


Un tel lien est plus fondamental encore dans le cadre communautaire chrétien, alors même que le lieu de la parole se déplace de la synagogue d'autrefois vers l'assemblée nouvelle, toujours réunie par son Seigneur. 

Dans Ac 2,42, la mention de la communion-fraction du pain est entourée de celle de l'enseignement des apôtres et de la prière. La parole reçue (la didachè) comme la parole adressée à Dieu (la prière) sont liées au repas chrétien; et de même dans Ac 20,7-11; 1 Tm 4,3-5 et He 6,4. Mais sans doute la première lettre aux Corinthiens nous présente-t-elle le plus ancien témoignage d'une telle liaison entre le pain et la parole ou, plus exactement, entre le pain du repas chrétien (1 Co 8,1 à 11,34) et les ministères de la parole (12,1 à 14,40). 

S'il fallait encore partir d'une comparaison avec la pratique synagogale, nous dirions que le rôle des prophètes chrétiens s'apparente à celui des homéliastes du matin de sabbat, alors que le rôle des docteurs chrétiens est assez analogue à celui des scribes dans le cadre d'une synagogue fonctionnant comme maison d'étude. Mais hâtons-nous d'ajouter des corrections fondamentales, pour souligner la grande distance entre la pratique synagogale et le "service de la parole" dans la communauté nouvelle (Ac 6,4).

En premier lieu, l'homéliaste et le scribe de la synagogue parlent de la révélation scripturaire pour mieux la déployer, alors que le prophète et le docteur chrétiens veulent d'abord dire Jésus, en utilisant le cas échéant le dictionnaire sacré de l'Écriture. Car il n'y a plus de midrash à proprement parler - c'est à dire une écriture sur une écriture - mais seulement un discours sur Jésus portant la parole de Jésus, à l'aide des mots d'une Écriture désormais christianisée. Ce renversement radical est à la base de l'écriture évangélique. 

En deuxième lieu, à la synagogue, la recherche du rabbi en matière halakhite (touchant les règles du comportement) prévaut sur le discours d'exhortation ou les expansions de l'homéliaste (touchant les hommes et les événements de la Torah) : le langage du droit prime le récit de l'événement. Au contraire, la proclamation de la parole et de l'événement de Jésus, par l'apôtre ou le prophète l'emporte désormais sur la catéchèse du docteur. La personne de Jésus a maintenant toute la place. 

En troisième lieu, dans la synagogue, les lecteurs, les traducteurs et l'homéliaste font résonner la parole de Dieu dans sa continuelle actualité, car Dieu parle toujours à son peuple. Or, maintenant, l'apôtre et le prophète chrétien font résonner la parole de Jésus dans son actualité vivante. Car Jésus, aussi, continue de parler. Tel le prophète d'autrefois lançant l'oracle de Yavhé, le prophète chrétien "profère" la parole de Jésus à sa communauté pascale toujours rassemblée. Il ne fait pas alors de l'histoire pour répondre à la curiosité du passé à l'aide de quelques souvenirs d'autrefois. Et cependant il n'invente rien. Bien au contraire ! Car rien n'est plus exigeant que l'anamnèse de la parole d'un maître, quand ce maître est désigné comme présent et comme celui qui le fait maintenant parler. 

Au demeurant, les "interprètes" du prophète chrétien, chargés du discernement de la parole, aussi bien que les anciens témoins de l'activité de Jésus, se seraient opposés aux fantaisies individuelles. Les interprètes en question sont cités dans 1 Co 14,26. Leur rôle est capital dans tout le travail de discernement de la parole. Car, si le prophète chrétien re-dit les paroles normatives de Jésus, à la communauté présente, le contrôle de ses paroles reste absolument nécessaire. 

On en trouve bien des exemples dans les "discours" synoptiques de Jésus, lorsque le rassemblement des logia par paquets postule un tri préalable, et donc le discernement communautaire. De nos jours, pour vérifier l'authenticité d'un événement, nous en appelons aux témoins oculaires. Aux premiers temps de l'Église, et avec plus de sagesse assurément, c'était la valeur du discernement de la parole qui portait. L'Évangile en est issu.

L'Évangile est une écriture triée, passé au crible du discernement ecclésial. Certes, le rôle des témoins oculaires - les autoptai dont parle Lc 1,2 - n'est pas minimisé. Plus les années passeront et plus l'Église insistera sur leur importance - ainsi justement chez Luc au seuil de la seconde génération chrétienne. Mais durant les premières années de l'Église, le problème était surtout de trier les témoignages présentés : les témoins étaient trop nombreux, tels ces cinq cent frères dont parle Paul  dans 1 Co 15,6 ! Il y aurait trop de choses à écrire, déclare saint Jean (Jn 21,25) De ce tri naîtra la tradition ecclésiale, et les évangiles ensuite."

p. 264

(à suivre)
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Message par Pilgrim Sam 12 Déc - 21:55

(suite)

Je voudrais poursuivre ici en donnant quelques lignes supplémentaires, toujours dans l'idée de mettre en lumière la raison d'être de la parole (le lecture des textes, l'interprétation dans le cadre de l'homélie qui suit) dans le cade du repas du Seigneur. 



Ainsi, Charles Perrot :

"...l'Évangile engrange tout le travail historique de la parole, de la parole proclamée à la parole sur la parole, de la proclamation prophétique à la catéchèse dûment classée et mémorisée, en passant par la réflexion sur les Écritures, pour en faire jaillir ce que Dieu lui-même disait de Jésus. L'Église a pour fondations les apôtres et les prophètes, comme il est dit dans l'Épitre aux Éphésiens (1,20). L'Évangile aussi, en y ajoutant les docteurs et les évangélistes. 


S'il faut en croire E. Kasemann en particulier, le discours historique serait apparu tardivement dans l'Église. Dans l'attente fiévreuse de la Parousie, la communauté première n'aurait guère pensé raconter la vie passée du Seigneur. Mais devant un fin qui n'en finissait pas d'arriver, et alors que certains chrétiens étaient saisis par l'enthousiasme religieux qui sévissait dans le monde hellénistique, le besoin d'une écriture biographique s'imposa pour ne point voir diluer la personne terrestre de Jésus. A force d'insister sur l'intériorité de l'expérience spirituelle, les déviationnistes de Corinthe voilaient finalement l'altérité, et donc l'existence même, du Nazaréen. 

Cette hypothèse a sa valeur, du moins au niveau de l'écriture d'un Marc et plus encore d'un Luc. La proclamation anamnétique, doublée d'une catéchèse progressivement menée, prend chez Marc la forme biographique de l'histoire. Chez Luc, l'oeuvre d'histoire est menée plus loin encore, à l'encontre des docétismes naissants et au risque parfois de sombrer un peu dans l'historicisme. Chez Marc, l'Esprit descend sur Jésus "comme une colombe"; Luc précise "sous une forme corporelle comme une colombe" et tout le peuple est là pour voir et entendre  le phénomène (Lc 3,22)

L'hypothèse de Kasemann a toutefois l'inconvénient de rejeter le langage de l'histoire - et ses avatars - dans la dernière phase du développement littéraire de la tradition. Or, est-ce bien exact ? Les traits majeurs de l'histoire de la Passion ne sont-ils pas connus par Paul, avant la parution de l'évangile de Marc ? Nous voudrions donc, dans les pages qui achèvent ce livre, suggérer comment ce langage de l'histoire est apparu en fait dès le départ de la tradition chrétienne. 

Au reste, le langage de l'histoire sainte était celui de la synagogue au matin du sabbat, quand le geste des hommes de la Bible se déployait magnifiquement grâce aux ressources de la tradition orale. Plus encore, dans le cadre de l'assemblée nouvelle, le langage de l'histoire était nécessaire pour désigner le Seigneur du repas chrétien.

Au coeur du repas-parole communautaire, l'anamnèse de la Passion opère le passage fondateur de la mort à la vie, par la Croix qui sauve le croyant. Il n'y a pas de repas chrétien sans la croix en son centre. Mais le Sauveur du récit de la Passion est aussi celui qui maintenant nous parle et que nous confessons d'abord en rapportant sa parole vivante. Disons un mot sur ce dernier point. 

Une parole, quelle qu'elle soit, dès qu'elle a été prononcée par son locuteur, devient irréversiblement une parole du passé - à la différence du geste, telle l'action symbolique du repas chrétien, toujours posé sous le signe du présent. Comment dès lors dire au présent la parole ancienne de Jésus dans le geste actuel d'un Christ qui rassemble sa communauté ? Comment "re-présenter" cette parole dans le présent continué du repas ? Une telle question est fondamentale. Si les docteurs chrétiens n'avaient fait que ramasser les paroles du Seigneur dans quelques recueils à la manière de l'Évangile de Thomas, le repas-parole chrétien n'aurait plus été qu'une assemblée morte, arrachée à la présence d celui qui parle encore. Un recueil de logia ne peut que sombrer dans la gnose, comme c'est justement le cas du texte di de Thomas. Et l'assemblée chrétienne n'aurait fait que rappeler des mots d'autrefois, dans un savoir anhistorique. Or, cela, la foi chrétienne en l'Absent-présent du repas communautaire ne pouvait s'y résoudre, sinon elle aurait abouti à nier cette présence. Ici encore, la Résurrection est au départ du déploiement de la tradition. Dès lors, la proclamation du Ressuscité et l'anamnèse de sa parole appellent une énonciation-récit qui puisse toujours remettre cette parole au niveau du présent. Au Christ ressuscité, il faut une parole ressuscitée.

Le repas chrétien est toujours le souper du Ressuscité, c'est à dire le repas ou le Christ se fait voir, dans la foi d'aujourd'hui, et pas seulement celui ou Jésus s'est fait voir dans le passé des repas d'autrefois. L'Évangile est aussi le sacrement de la présence du Christ, dans son lieu privilégié qui est le corps du Christ. 

Nous insistons beaucoup sur tous ces points, car c'est là, croyons-nous, que se situe réellement le différend entre une exégèse chrétienne patristique du Nouveau Testament, et une lecture fondamentaliste de la Bible. A la base d'un fondamentalisme de type historiciste, il y a l'oubli pratique de la Résurrection du Christ. Cet étrange oubli entraîne alors la hantise de l'originaire et fait croire arbitrairement que celui-ci est touché sans intermédiaire dans les textes  eux-mêmes. 

(Raison d'être du récit de la Passion)

Un motif purement historique paraît improbable, du moins si l'on y voit la simple satisfaction de répondre à la curiosité du passé; la première communauté chrétienne n'avait pas besoin d'historiens ! Et même après vingt siècles de lecture, un tel récit engage trop celui qui le lit pour n'être que la page d'un manuel d'histoire. Aussi plusieurs exégètes s'orientent-ils plutôt dans une direction dite "cultuelle". Le récit de la Passion aurait eu quelques liens avec la première liturgie chrétienne. 

Comment ne pas penser d'abord au repas communautaire, sans oublier combien le geste baptismal lui était probablement lié dès la plus haute époque ? Ce n'est pas là une pure hypothèse, si du moins on prend au sérieux le mot de Paul déjà cité :"Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur ..." (1 Co 11,26) Or, l'annonce en question évoque la proclamation évangélique : on retrouve le même verbe dans 1 Co 2,1 et 9,14 ("ceux qui annoncent l'évangile"). On pourrait presque traduire la phrase de Paul : "à chacun des repas du Seigneur ... vous annoncez l'évangile de la mort du Seigneur." Au demeurant, si le repas chrétien est bien le souper du Ressuscité, comment est-il possible de ne pas évoquer la tradition de sa mort ? La confession de la Résurrection reste liée au continuel rappel de la Passion."

(à suivre)
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Message par Pilgrim Dim 13 Déc - 13:43

( et pour terminer ici) 

 Peut-on préciser davantage le contexte concret du mémorial de la Passion ? 

[...]

Si le récit de la Passion s'achève au tombeau fermé. il faut alors conclure qu'un tel récit de mort est proprement non chrétien ... à moins de le situer dans le contexte résurrectionnel du repas du Seigneur. Ici encore, c'est le souper du Ressuscité qui rend possible l'anamnèse chrétienne de la mort de Jésus. Et, inversement, c'est l'anamnèse de la Passion qui donne au repas chrétien sa dimension sacrificielle et sotériologique.

[...]

Parmi les archétypes du repas chrétien, on se gardera d'oublier le repas pascal juif. 

Or, ce repas avait des caractéristiques propres qui semblent bien avoir eu leur influence sur le repas chrétien. Le repas pascal juif n'est-il pas aussi le lieu d'une parole libératrice , dans le souvenir du "passage" sauveur (car tel est le sens du mot "pâque") ? La Haggada pascale, encore lue actuellement durant la fête juive, rappelle les grands moments du salut, et d'abord la libération d'Égypte. 

Une différence capitale sépare toutefois le repas juif du repas chrétien. Le repas pascal juif est le lieu d'une explication des Écritures dans le mémorial des actions du salut d'autrefois ou l'annonce d'une libération à venir : dans le Seder, le père de famille rappelle à ses fils la libération d'antan pour mieux chanter la libération prochaine. Or, dans le repas chrétien, l'aujourd'hui du salut est signifié dans la tradition même du récit de la Passion. Le regard ne porte plus sur hier ou sur demain, mais sur le présent de la libération en Christ; non sur le drame général de la vie et de la mort, mais sur la mort de cet homme-là, le crucifié. La parole de Paul  "Vous annoncez la mort du Seigneur" résonne comme l'annonce au présent du salut qui trouve désormais son lieu dans le repas nouveau. Dans la Pâque chrétienne, le passage s'opère de la mort à la vie dans l'anamnèse même de la Passion, qui entraîne le croyant à la confession du Ressuscité. L'évangile de la Passion ( l'évangile de Luc, Marc, etc. =  la parole est le sacrement de ce passage qui fait corps avec le sacrement du Ressuscité, ce crucifié du souper du Seigneur, toujours annoncé "jusqu'à ce qu'il vienne". L'histoire de la Croix est au coeur du repas chrétien. Et c'est l'histoire fondatrice de toute l'histoire chrétienne.

Le pain, la parole et l'histoire s'appellent l'un l'autre au sein du repas chrétien.

L'histoire par excellence de la Croix atteint de plein fouet celui qui se laisse envelopper par la foi de l'Église pour l'amener, en même temps, à viser historiquement son maître crucifié et à crier à son tour : Jésus est Seigneur !
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