Maria Valtorta : Les Visions du Sacré-cœur de Jésus ♥Hier, je n’ai pas eu de dictée spéciale. J’ai seulement souffert, à tel point que j’ai cru entrer en agonie. C’est mercredi soir que la souffrance physique a commencé, du moins aussi violemment, parce que cela faisait déjà vingt-quatre heures que cela durait, mais, pour moi qui peux supporter beaucoup, c’était encore supportable. Elle est allée en augmentant à un rythme continu jusqu’à en devenir insupportable. J’ai pensé à une perforation péritonéale
[2], tant je souffrais du péritoine. J’avais tous les signes d’une péritonite aiguë. J’ai souffert jusqu’à en être hébétée. Je ne savais plus rien dire d’autre que : «
Seigneur, c’est pour mes pauvres frères désespérés ». Cela se passait encore le mercredi
[3].
Hier, comme je continuais à souffrir, j’ai offert toute cette douleur atroce pour les idolâtres. Je n’avais que cela à offrir car je n’avais vraiment aucune force pour quoi que ce soit d’autre, et il m’a fallu accomplir un réel effort pour faire mes pénitences habituelles. Puis j’ai perdu connaissance, ne sentant que la souffrance physique. Mais peu importe. Mon âme était paisible, dans les mains de Jésus… et alors rien ne fait mal !
En fin d’après-midi, le prêtre d’ici est venu
[4]. Il a trouvé que j’avais l’air d’une agonisante. Il a voulu me consoler parce qu’il est bon, au fond. Mais sa « bonté » sert uniquement à Maria en tant que créature, pas à Maria en tant qu’âme.
Je ressens le manque cruel de celui qui me dirige
[5]. Il a beau prétendre qu’il « ne fait rien », je dis, moi, qu’il est l’air de mon âme. Il manque à mon âme comme l’air de la mer à mes poumons. En dépit des bontés infinies de Jésus, cette aide me manque, et j’en souffre.
Hier soir, j’ai voulu faire l’heure d’adoration nocturne. Mais ce me fut impossible. Je ne parvenais ni à lire ni à penser. Jésus m’a alors fait… adorer en m’accordant une vision appropriée. J’essaie de décrire l’environnement, mais cela m’est difficile car je suis totalement incompétente en matière d’architecture, et je n’ai jamais mis les pieds dans un monastère de clôture.
Je pense donc me trouver dans l’église intérieure d’un monastère de clôture stricte. Je vois une voûte très haute et large, qui donne du jour à l’église extérieure. Donner du jour est une façon de parler, car la grille épaisse qui la remplit entièrement est rendue encore plus impénétrable par un rideau d’étoffe rouge foncé qui descend de tout en haut jusqu’à un mètre et demie environ du sol, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit où un mur s’élève pour soutenir la grille.
Au centre, il s’y trouve une espèce de fenêtre, plus exactement une partie mobile de la grille qui tourne comme une porte sur ses gonds. Elle n’a pas de rideau rouge et laisse voir, a travers ses mailles, le tabernacle qui se trouve dans l’église extérieure. Les sœurs peuvent ainsi adorer et, je crois, recevoir la communion en s’agenouillant sur le banc qui sert de balustrade devant la petite fenêtre; il est surélevé sur une estrade haute de trois marches, pour arriver plus commodément à la hauteur de la fenêtre. On ne voit rien de l’église extérieure excepté le tabernacle. Peut-être les chœurs des monastères sont-ils ainsi faits.
La lumière est faible
[6]. C’est une lumière crépusculaire qui tombe des fenêtres hautes et étroites; je pense que ce doit être le soir ou l’aube, car il y a très peu de jour. Le chœur — je l’appelle comme cela mais je ne sais si c’est le terme exact — est vide. Il ne s’y trouve que les stalles des sœurs et le banc devant la grille. Une lampe à huile ajoute une petite étoile jaune près de cette grille.
Une sœur entre. Elle est grande et sûrement maigre, car, malgré son ample habit monacal, son corps est très svelte. Elle va s’agenouiller sur le petit banc. Elle soulève le voile qu’elle tenait baissé sur son visage, et je vois un visage jeune
[7], pas vraiment beau mais gracieux, très pâle, doux. Deux yeux clairs — ils me paraissent marrons-verts — brillent doucement quand elle les lève pour regarder le tabernacle, et sa bouche fine s’ouvre en un doux sourire. Son visage est d’un long ovale entre les bandeaux blancs, à peine plus blancs que lui. Le voile noir descend jusque sur l’habit noir, de sorte que, sur cette silhouette noire, il n’est de couleur claire que son visage délicat, ses longues mains bien faites et jointes pour prier, ainsi qu’une croix d’argent qui brille sur sa poitrine au‑delà de sa large guimpe
[8]. Elle prie avec ferveur, les yeux rivés sur le tabernacle.
Voici alors la belle partie de la vision. La grille, la grille
tout entière, brille comme si un feu vif s’était allumé derrière le rideau. La lampe qui, auparavant, semblait être une étoile rayonnante, disparaît maintenant dans la lumière qui augmente et devient peu à peu d’un blanc argenté intense, si intense que les yeux ne voient plus qu’elle. La grille disparaît sous l’effet de ce flamboiement. Dans cet éclat, Jésus apparaît, debout, revêtu de son vêtement blanc et de son manteau rouge, souriant, très beau.
Il appelle: « Marguerite ! » pour sortir la sœur de l’extase dans laquelle elle le regarde. Il l’appelle à trois reprises, de plus en plus doucement et avec un sourire d’une intensité croissante. Il s’avance en marchant haut au-dessus du sol sur le tapis de lumière qui se trouve sous lui.
« C’est moi, Jésus que tu aimes. N’aie pas peur ». Marguerite-Marie[9],
tout heureuse, le regarde et dit entre ses larmes : « Qu’attends-tu de moi, Seigneur ? Pourquoi m’apparais-tu ? » – Je suis Jésus qui t’aime, Marguerite, et je veux que tu me fasses aimer. » – Comment cela m’est-il possible, Seigneur ? » –
Regarde. Tu seras capable de tout, car ce que tu vas voir te donnera force et voix pour secouer le monde et l’amener à moi. Voici mon Cœur. Regarde. C’est le Cœur qui a tant aimé les hommes en désirant en être aimé. Mais il n’est pas aimé. C’est dans cet amour que se trouverait le salut du genre humain. Marguerite, dis au monde que
je veux que mon Cœur soit aimé. J’ai soif ! Donne-moi à boire. J’ai faim ! Donne-moi à manger. Je souffre ! Console-moi. Cette mission fera ta joie et ta souffrance. Mais je te demande de ne pas la refuser. Viens. Viens à moi. Approche-toi de moi. Embrasse mon Cœur. Tu n’auras plus peur de rien… »
Marguerite-Marie, en extase, se lève et marche vers Jésus. La grande lumière fait paraître son visage encore plus pâle. Elle se prosterne aux pieds de Jésus. Mais il la relève puis, tout en la soutenant de la main gauche, il écarte son vêtement sur son cœur et on dirait que, avec son vêtement, la chair s’ouvre elle aussi. Alors le Cœur divin apparaît, vivant; il bat entre des torrents de lumière qui embrasent le pauvre chœur et rendent le corps humain de la disciple bien-aimée resplendissant comme un corps déjà spiritualisé. Jésus l’incline vers lui puis, avec une violence amoureuse, il lui porte le visage à la hauteur de son Cœur et le serre contre lui
[10]; il soutient Marguerite-Marie, en extase, qui sinon tomberait de joie et il la soutient encore quand il l’écarte de lui, avec douceur. Il la ramène alors au sol — car Marguerite-Marie a marché sur la traînée de lumière pour aller vers Jésus — et ne la lâche pas avant de la voir en sûreté à sa place.
Il dit alors : « Je reviendrai te dire mes volontés[11].
Aime-moi toujours plus. Va en paix. » La lumière l’absorbe comme un nuage puis s’atténue progressivement pour disparaître enfin. Désormais, seule la petite étoile jaune de la lampe luit dans l’obscurité du chœur.
Voilà ce que j’ai vu. Jésus me dit alors : « Tu as fait l’adoration du jeudi, vigile du premier vendredi. Que veux-tu de mieux ? » Il sourit et me quitte. Je veux maintenant vous rapporter, car je pense que cela vous intéresse, une petite communication que j’ai reçue de Jésus le 29 mai. Un vieil entrefilet de journal m’est tombé sous les yeux, qui contient une annonce d’un livre de sainte Catherine de Sienne
[12]. Je l’ai depuis des années. Or je n’avais jamais pris ce livre que je tenais pour inutile parce que je pensais être incapable de comprendre la mystique de sainte Catherine, trop sublime pour moi. Qui plus est, je considérais comme inutile de le rechercher, étant donné que c’était un livre introuvable. Je l’avais déjà fait rechercher une fois, et il m’avait été répondu: « On ne peut l’obtenir ». Je m’étais aisément résignée à ne pas le posséder et je n’y avais plus pensé.
Le 29 juin, ce petit article de journal m’est retombé entre les mains. Je le regarde alors et le déchire avec indifférence. Mais j’entends Jésus me dire :
« Non. Prends ce livre. Cette fois, tu vas le trouver immédiatement, dans le premier magasin où on ira le chercher. Il t’aidera à te convaincre que la voix qui parle est une: celle qui te parle et celle qui a parlé à Catherine. Prends-le, car le temps est venu de le faire ».
Le 30 mai, comme Marta (Diciotti) devait aller à Lucques, je lui dis de le chercher, sans rien ajouter d’autre. Et, en effet, elle le trouve
dans la première librairie où elle entre.Je l’ai à peine lu, mais ce que j’y ai vu me répète, dans un style médiéval, les concepts que j’entends dans le style actuel. Au fur et à mesure que je les trouve, je signale les points que j’ai déjà entendus. Cela m’apaise, car j’ai toujours peur de me tromper.
Jésus est très, très bon avec moi, trop même ! Non seulement il m’instruit et me console par des paroles et des visions, mais il les dose en fonction de ma faiblesse physique et supplée à mon impossibilité de prier, comme cela a eu lieu hier soir, quand il m’a fait adorer son Cœur en compagnie de Marguerite-Marie; de plus, il m’indique ce que je dois obtenir pour me rassurer devant mes craintes.
Je reprends plus tard pour vous dire ce que j’entends en ce moment.Jésus dit : « L’effort fait pour arracher cette âme à ses idées est dû au fait qu’elle en est totalement encombrée.
Pour mettre du liquide dans un vase, il faut que celui-ci soit préparé. S’il est vide, on peut le remplir de toute l’eau qu’on veut, s’il est à moitié plein, on en mettra la moitié, et s’il en manque un doigt pour qu’il déborde, on en mettra au moins un doigt. Ce ne sera pas grand-chose, mais cela servira à y mélanger quelque chose.
Mais s’il est plein jusqu’à ras bord, on ne peut rien y mettre. Absolument rien. Il faut d’abord le vider.
C’est facile quand le vase peut être déplacé. Mais s’il est fixe et par conséquent inamovible, comment pourrait-on le vider ? Il faut l’assécher par la chaleur du soleil ou par un travail patient de notre part, en y plongeant une éponge qui aspire le liquide jusqu’à ce qu’il soit vide.
Certains cœurs sont des vases pleins jusqu’au bord et inamovibles. C’est leur volonté qui les rend ainsi. Ils se maintiennent donc dans l’eau qu’ils ont mise, mais qui n’est pas celle que toi et moi voudrions qu’ils aient. Il est alors nécessaire de les vider de leur contenu
avec une charité ardente et une persévérance patiente.Ce serait une besogne bien plus aisée s’ils se laissaient retourner par un élan d’amour. Mais il est plus méritoire pour toi de brûler d’amour pour les débarrasser du mal et de les essuyer de tout mal par des sacrifices, des sacrifices, et encore des sacrifices, puis d’y mettre Dieu, ton Dieu. Oh, Maria !… ». Il ne dit rien d’autre. Cette courte dictée commence alors que je fais mes dévotions et mes pénitences et, tandis que j’intercède pour telle ou telle personne, je pense à un cœur qui ne revient pas sur ses décisions. Il y est plus ancré qu’un bateau à un fond de mer rocheux. De tous, c’est le plus réfractaire à mes prières.
Le soir de ce premier vendredi, la vision de Jésus au Cœur rayonnant entouré d’une foule de saints se présente à moi, plus ample et plus belle. Il y a beaucoup d’hommes, mais au premier rang se tiennent trois saintes, plus radieuses que tous les autres personnages comme sous l’effet d’une lumière due à un privilège particulier.
Dans cette vision, cependant, les corps me sont montrés portant leurs vêtements terrestres – même si je comprends qu’il s’agit de corps déjà spiritualisés -, exactement comme cela se produit dans les visions de la vie de Notre-Seigneur
[13].
Je reconnais, parmi les hommes, l’apôtre saint Jean,
qui se tient presque derrière Jésus, le regarde et sourit. Je vois ensuite un franciscain qui n’est pas saint François, mais je ne sais qui[14]. Mais celles qui retiennent mon attention sont les trois saintes qui sont au premier rang. L’une d’elles est Marguerite-Marie (Alacoque). Je la reconnais bien. L’autre est une, petite et belle, sœur, toute vêtue de blanc. Son voile seul est noir. Elle a un visage très intelligent, qui rayonne d’une joie surnaturelle. La troisième est une capucine maigre et austère avec ce regard sérieux mais bon qui est le propre de ceux qui ont beaucoup souffert et pleuré: c’est la plus âgée de toutes. Elle ne pleure pas en ce moment, mais elle me regarde avec une grande compassion.
Jésus me les désigne en disant : « Voici mes hérauts. Ce sont celles qui n’ont pas gardé pour elles l’amour intense pour mon divin Cœur. Au contraire, elles l’ont fait connaître au monde, au prix de beaucoup d’efforts et de souffrances.
Celle-ci est la première chronologiquement. C’est la première voix qui ait parlé de la confiance en mon divin Cœur. Le monde entier était un roncier de férocités humaines et de restrictions religieuses, quand Gertrude
[15] a dit au monde
[16] : « Aime et espère. Jésus t’assure que nous sommes réconciliés avec le Père. C’est son Cœur transpercé qui nous le dit. Travaillons à sa gloire. Faisons sa volonté pour lui donner de la joie, et il accomplira pour nous les miracles de sa miséricorde. » Elle avait compris les paroles qui sortent de ma blessure.
La seconde, tu la connais. Tu l’as vue hier soir. La troisième est Véronique
[17], clarisse capucine. Elle est la « voix » qui disait en Italie ce que Marguerite-Marie disait en France. Toutes les deux ont vaincu le philosophisme
[18], ennemi de la Vérité, plus encore que ne l’a fait l’Église par ses condamnations; elles l’ont vaincu par la force de leur amour, qui prêchait la vérité de ce qu’elles avaient vu et entendu. C’est pourquoi elles ont été tourmentées par les hommes aveugles. Or combien qui auraient
dû voir étaient au nombre des aveugles ! Combien de consacrés parmi eux ! Mais elles, mes messagères, mes voix, avaient été créées dans ce but. Et elles ont accompli cela parce que faire ma volonté était leur joie.
Il y a plus de saintes que de saints parmi les « voix » qui parlent de mon Cœur, car la délicatesse de l’amour est une qualité essentiellement féminine. Jean, l’angélique, est au nombre des saints pour avoir eu un cœur de petite fille dans un corps de héros. C’est le premier qui ait compris mon Cœur.
Mais tous les saints sont des fruits de mon amour, de l’amour pour mon Cœur. Même ceux qui paraissent avoir été créés pour devenir les apôtres d’autres dévotions sont en réalité les fruits de mon Cœur et de l’amour pour lui.
Qui n’aime pas n’est pas sanctifié. C’est le cœur qui aime. Qu’aime-t-on chez l’être aimé ? Son cœur. Comme, chez une mère, c’est le cœur de son enfant qui se forme en premier, ainsi c’est le Cœur de leur Seigneur qui se forme en premier dans le cœur de ceux qui portent Dieu au monde. Quand il bat au-dedans de vous, Jésus est déjà né en vous, il vous parle, vous caresse et vous apporte le Père et l’Esprit, car là où se trouve l’Un, les Deux autres ne sont pas absents. Vous êtes donc un ciel où les merveilles de Dieu s’accomplissent, d’où ses splendeurs suintent et dont il sort des mots qui sont lumière et paroles du Dieu qui habite en vous.
Oh ! Bienheureux êtes-vous de comprendre à quel point je vous aime et de répéter cet amour au monde pour le convaincre de m’aimer.
Je t’ai montré cette famille de saints dont la passion fut mon Cœur, car tu es leur petite sœur. Le Cœur de ton Jésus et sa croix sont tes buts d’amour. Mais le Cœur de Jésus a été ouvert sur la croix[19]. C’est dans le plus grand opprobre qu’il vous a obtenu le refuge suprême, pour vous dire que, plus on accepte d’être vilipendé pour faire la volonté de l’Éternel, plus on devient salut et bénédiction pour ses frères coupables.
Même si le cœur se brise devant la souffrance que les hommes causent à mes hérauts, que ces bien-aimés ne tremblent pas et ne reculent pas.
Je suis avec eux et c’est ici, dans cette blessure, que mes colombes, blessées par de cruels éperviers, trouveront leur nid. Je les appelle et je leur dis: « Viens, venez, mes colombes, vous reposer auprès de celui qui vous aime. Venez dans le nid que je vous ai préparé, où j’essuierai toutes vos larmes et guérirai votre blessure, où je vous nourrirai du fruit de l’arbre de vie et vous désaltérerai au fleuve d’eau vive qui jaillit sous mon trône; alors vous porterez mon Nom sur votre front et le signe de mon Cœur sur votre cœur, et vous règnerez pour l’éternité, car vous avez conquis l’Amour par votre amour. »
http://www.maria-valtorta.org/Quaderni/440602.htm