Soignée par une âme du purgatoire
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Le fait suivant a quelque chose de si merveilleux, que nous hésiterions, dit le chanoine Postel, à le reproduire, s'il n'avait été consigné en maint ouvrage, d'après le Père Théophile Raynaud, théologien et controversiste distingué du XVIIe siècle (1), qui le rapporte comme un événement arrivé de son temps et presque sous ses yeux. L'abbé Louvet ajoute que le vicaire général de l'archevêque de Besançon, après en avoir examiné tous les détails, en avait reconnu la vérité.
L'an 1629, à Dôle en Franche-Comté, Huguette Roy, femme de médiocre condition, était retenue au lit par une fluxion de poitrine qui faisait craindre pour sa vie. Le médecin ayant cru devoir la saigner, eut la maladresse de lui couper l'artère du bras gauche : ce qui la réduisit promptement à toute extrémité.
Le lendemain, à la pointe du jour, elle voit entrer dans sa chambre une jeune fille, toute vêtue de blanc, d'un maintien fort modeste, qui lui demande si elle consent à accepter ses services et à être soignée par elle. La malade, heureuse de cette offre, répond que rien ne lui sera plus agréable ; et aussitôt l'étrangère allume le feu, en approche Huguette, la remet doucement dans son lit ; puis continue de la veiller et de la servir comme ferait l'infirmière la plus dévouée. Chose merveilleuse ! Le contact des mains de cette inconnue était si bienfaisant, que la mourante s'en trouva grandement soulagée et se sentit bientôt entièrement guérie. Alors elle voulut absolument savoir quelle était cette aimable inconnue, et l'appela pour l'interroger, mais elle s'éloigna en disant qu'elle reviendrait le soir.
Cependant l'étonnement, la curiosité furent extrêmes, quand on eut connaissance de cette guérison soudaine, et il n'était bruit dans toute la ville de Dôle que de ce mystérieux événement.
Quand l'inconnue revint le soir, elle dit à Huguette Roy, sans plus chercher à se cacher : «Sachez, ma chère nièce, que je suis votre tante, Léonarde Collin, qui mourut il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière de son petit bien. Grâce à la bonté divine, je suis sauvée, et c'est la sainte Vierge Marie, pour laquelle j'eus une grande dévotion, qui m'a obtenu ce bonheur. Sans elle j'étais perdue. Quand la mort est venue me frapper subitement, j'étais en péché mortel ; mais la miséricordieuse Vierge m'obtint à ce moment un mouvement de contrition parfaite, et me sauva ainsi de la damnation éternelle. Depuis lors je suis au purgatoire, et le Seigneur me permet de venir achever mon expiation en vous servant pendant quarante jours. Au bout de ce temps, je serai délivrée de mes peines, si de votre côté vous avez la charité de faire pour moi trois pèlerinages à trois sanctuaires de la sainte Vierge. »
Huguette étonnée, ne sachant que penser de ce langage, ne pouvant croire à la réalité de cette apparition, et craignant quelque piège de l'esprit malin, consulta son confesseur, le père Antoine Rolland, jésuite, qui l'engagea à menacer l'inconnue des exorcismes de l'Église. Cette menace ne la troubla point ; elle dit tranquillement qu'elle ne craignait pas les prières de l'Église : « Elles n'ont de force, ajouta-t-elle, que contre les démons et les damnés, nullement contre des âmes prédestinées, et en grâce avec Dieu, comme je le suis. »
Huguette n'était pas convaincue : « Comment, dit-elle à la jeune fille, pouvez-vous être ma tante Léonarde ? Celle-ci était vieille et cassée, désagréable et quinteuse ; tandis que vous êtes jeune, douce et prévenante. — Ah ! ma nièce, répondit l'apparition, mon véritable corps est dans le tombeau, où il restera jusqu'à la résurrection ; celui que vous me voyez est un autre corps, formé miraculeusement de l'air, pour me permettre de vous parler, de vous servir et d'obtenir vos suffrages. Quant à mon caractère difficile, colérique, dix-sept ans de terribles souffrances m'ont bien appris la patience et la douceur. Sachez d'ailleurs, qu'en purgatoire on est confirmé en grâce, marqué du sceau des élus, et par là même exempt de tous les vices. »
Après de telles explications, l'incrédulité n'était plus possible. Huguette, à la fois émerveillée et reconnaissante, reçut avec bonheur les services qui lui étaient rendus, pendant les quarante jours marqués. Elle seule pouvait voir et entendre la défunte, qui venait à certaines heures et disparaissait ensuite. Dès que ses forces le lui permirent, elle accomplit pieusement les pèlerinages qu'on lui avait demandés.
Au bout des quarante jours, les apparitions cessèrent. Léonarde se montra une dernière fois pour annoncer sa délivrance : elle était alors dans l'état d'une incomparable gloire, étincelante comme un astre et portant sur son visage l'expression de la plus parfaite béatitude. Elle témoigna à son tour sa reconnaissance à sa nièce, lui promit de prier pour elle et pour toute sa famille, et l'engagea à se souvenir toujours, au milieu des peines de la vie, du but suprême de notre existence, qui est le salut de notre âme.
(1) Dans son ouvrage intitulé Heteroclita spiritualia, part. 2, sect. 3, punct. 5 (Grenoble, 1646 in-4o), alias punct. 6, quaesit. 9, Cf. Rossignoli, Merv. 99