Le pape bouscule les cardinaux… et la mafia
On pourrait croire que depuis l'élection du pape François à la tête de l'Église catholique, un vent de renouveau souffle sur cette institution deux fois millénaire. Mais en réalité, à l'intérieur du gouvernement de l'Église, on le craint. On s'en méfie. On lui résiste.
Le 13 mars 2013, lorsque le pape François apparaît pour la première fois au balcon de la basilique Saint-Pierre de Rome, ce qui saute aux yeux de tout le monde, c'est la simplicité et le sourire de ce personnage sympathique.
« Bonsoir », lance-t-il tout bonnement à la foule, en italien. Pour les traditionalistes, c'est déjà trop. Ce ton familier n'est pas adapté à un souverain pontife.
Seuls les cardinaux qui viennent d'élire massivement François savent que ce nouveau pape a un mandat : faire le ménage dans le gouvernement de l'Église.
Ce que ces cardinaux ne savaient pas, c'est que ce pape allait, à sa manière, entreprendre toutes les batailles de front, et bien plus encore.
Dans les jours et les semaines qui suivent son élection, le nouveau pape met sur pied des commissions et des conseils pour examiner au cent près les finances et les affaires de l'Église, pour le conseiller dans les réformes qu'on attend de lui.
François fait massivement appel à des gens de l'extérieur de l'Église : des firmes comptables, des laïcs. Comme s'il ne faisait aucunement confiance aux institutions en place pour se réformer.
Banque du Vatican et mafia
Une des priorités de François après son élection était de réformer l'Institut pour les oeuvres de religion (IOR), mieux connu comme la banque du Vatican.
Des spécialistes du monde financier considèrent que cette banque fonctionne comme une institution extraterritoriale pour ses clients. Elle est opaque, secrète et a longtemps été soupçonnée d'être une machine à laver de l'argent sale.
Benoît XVI a voulu réformer l'IOR. François entreprendra des réformes. Résultat : entre juin 2013 et décembre 2015, 4935 comptes ont été fermés. C'est le quart de tous les comptes de la banque. Difficile d'imaginer que ça ne dérange personne.
Il faut dire que François n'y va pas par quatre chemins. Il a même menacé de fermer la banque. « Saint-Pierre n'avait pas de compte en banque », a-t-il dit publiquement.
« Ce n'est pas un pape conventionnel, mais un révolutionnaire », explique le juge antimafia Nicola Gratteri. Pour lui, la banque du Vatican est associée au blanchiment d'argent du crime organisé italien. Et les réformes du pape François ne doivent pas faire l'affaire de la mafia. « Je vois un danger pour lui », laisse tomber le juge Gratteri.
On imagine que ce pape atypique ne s'est pas fait que des amis lorsqu'en juin 2014, il s'est rendu en Calabre où, devant une foule considérable, il a excommunié ceux qui participent aux activités de la 'Ndrangheta, la terrible mafia calabraise.
« Je crois qu'il est la voix la plus forte, la plus courageuse » contre la 'Ndrangheta, estime Don Luigi Ciotti, un célèbre curé italien qui lutte contre la mafia depuis des décennies.
Pour Ciotti, qui ne se déplace jamais sans ses gardes du corps, il ne faut pas sous-estimer les dangers. La mafia a déjà posé des bombes dans des églises à Rome.
Privilèges des cardinaux
Au sein du gouvernement de l'Église, la méfiance et la résistance s'installent face aux réformes du pape François.
Un exemple de cette résistance est documenté dans deux livres publiés en 2015, qui nous offrent une fenêtre ouverte sur les difficultés, les barrages et les pièges qui attendent François : Chemin de croix de Gianluigi Nuzzi et Avarice d'Emiliano Fittipaldi.
Ces deux journalistes italiens ont mis la main sur des milliers de documents confidentiels de la commission créée par François pour passer au peigne fin les finances et les structures du Vatican.
Il y est question de vols de documents, d'espionnage, de menaces, de trahison, de magouilles financières et des privilèges de certains cardinaux. Malgré l'embarras, jamais le Vatican n'a mis en doute l'authenticité de ces documents.
Grâce à ces documents secrets, on apprend que des cardinaux vivent dans des logements de plus de 450 mètres carrés (5000 pieds carrés) sans avoir à payer de loyer. Certains de ces appartements sont situés dans des quartiers prisés de Rome.
Par exemple, le cardinal québécois Marc Ouellet habite un logement de 467 mètres carrés, près de la célèbre avenue de la Conciliation, à deux pas de la place Saint-Pierre.
Le cardinal français Paul Poupard, à la retraite, a un appartement de 442 mètres carrés.
Le logement du cardinal Bertone, ex-secrétaire d'État de Benoît XVI, a pour sa part été rénové au coût de 420 000 euros (plus de 620 000 $)... par des fonds puisés à même la fondation de l'hôpital Enfant-Jésus de Rome. Une histoire qui a déclenché tout un scandale en Italie.
« Le seul qui habite un petit appartement de 50 mètres carrés, c'est François », souligne Gianluigi Nuzzi, l'auteur de Chemin de croix.
Le pape refuse aussi d'utiliser la Mercedes de service et porte lui-même ses documents, ayant décidé de ne plus avoir un secrétaire personnel à temps plein.
Le denier de Saint-Pierre
Le Denier de Saint-Pierre est une quête organisée chaque année dans toutes les églises de la planète, qui doit, en principe, servir aux bonnes œuvres du pape. Et les fidèles sont très généreux. En 2012, près de 80 millions de dollars ont été amassés.
Mais le pape François a découvert que 67 % de cette somme a été utilisée pour renflouer les coffres du gouvernement de l'Église. Moins de 20 % des fonds sont allés aux plus démunis du monde.
Peut-être encore plus révélateurs : ces documents confidentiels nous apprennent que les experts mandatés par le pape lui-même n'arrivent pas à obtenir les documents qu'ils réclament, car les fonctionnaires de l'Église font barrage.
Le 16 janvier 2014, le président de la commission créée par François pour faire la lumière sur les finances du Vatican écrit directement au pape.
« Je suis au regret de vous informer que votre Commission n'est pas en mesure de dresser un état des lieux exhaustif de la position financière consolidée du Saint-Siège, car il lui manque des données fondamentales », écrit-il. Pourquoi? Mgr Pietro Parolin, qui deviendra éventuellement secrétaire d'État, le numéro 2 du Vatican après le pape lui-même, refuse de fournir les documents demandés !
« Les loups dans le Vatican résistent aux réformes du pape François et deviennent de plus en plus agressifs », explique Marco Politi, l'un des plus fins vaticanistes qu'on puisse trouver à Rome.
M. Politi a accompagné Jean-Paul II, Benoît XVI et François aux quatre coins de la planète. Ce qu'il constate, c'est que des cardinaux de premier plan s'opposent publiquement au pape François. Du jamais vu.
« Je crois que la bataille la plus difficile de François aujourd'hui, ce n'est pas contre la corruption. Ce n'est pas contre le blanchiment d'argent ou la mafia, estime le journaliste Gianluigi Nuzzi. Je crois que la bataille la plus difficile, c'est contre les mentalités. Il doit combattre chaque jour des gens qui sont habitués à travailler non pas pour les intérêts de l'Église ni de l'Évangile, mais pour leurs propres intérêts. »
Rarement a-t-on vu un pape aussi populaire. Pourtant, dans les couloirs du gouvernement de l'Église, les batailles sont rudes. Et pour François, elles sont loin d'être gagnées.
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Dernière édition par Gilles le Lun 17 Oct - 16:43, édité 1 fois