Lorsqu’en 1979, Dieu rappela à lui son serviteur Fulton Sheen, des millions d’Américains le pleurèrent et se sentirent orphelins.Ce grand archevêque, ce géant de l’évangélisation, avait un secret. Comme tous les grands hommes, les vrais, il chérissait secrètement une rencontre, un épisode de sa vie où la grâce l’avait terrassé, et il n’en déviait pas pour tout l’or du monde. Mais pour comprendre cet épisode il nous faut partir en Chine, au temps le plus mauvais de la répression communiste, dans les années cinquante…Petits pas de chinoise…Au mois de mai, lorsque Li a fait sa première communion, elle dit à Jésus dans son cœur :
– Donne-moi toujours du pain quotidien, pour que mon âme vive et se porte bien !
Depuis lors, Li va communier tous les jours. Mais elle a conscience que ‘les méchants’ (les sans-Dieu de communistes) peuvent à tous moments l’empêcher de prendre Jésus dans la Communion. Alors elle prie ardemment que cela n’arrive jamais. Déjà, ils sont entrés un jour dans la classe et sur le champ se sont adressés aux enfants :
– Rendez-moi sur-le-champ toutes vos idoles !
Li savait bien ce qu’il voulait dire.Terrorisés, les enfants avaient dû remettre leurs images pieuses soigneusement peintes. Puis, dans un geste de colère, le commissaire avait arraché le crucifix du mur puis jeté par terre, et piétiné en criant :
– La nouvelle Chine ne tolérera plus ces grossières superstitions !
La petite Li, qui aimait tant son image du Bon Pasteur, essaya de la cacher dans son corsage, c’était l’image de sa première communion ! Une gifle sonore la fit basculer, et la voilà par terre. Le commissaire appela le père de l’enfant et s’appliqua à l’humilier avant de le ligoter.
Ce même jour, tous les gens du village raflés par la police s’entassaient dans l’église pour un nouveau type de ‘sermon’ vociféré par le Commissaire, ridiculisant les missionnaires et les ‘agents de l’impérialisme américain’… Puis, d’une voix tonitruante, il ordonna aux miliciens de défoncer le tabernacle. L’assemblée retint son souffle et pria ardemment.
Tourné vers la foule l’homme crie :
– On va voir maintenant si votre Christ sait se défendre. Voilà ce que j’en fais de votre ‘Présence Réelle’. Des trucs du Vatican, pour mieux vous exploiter !
Ce disant, il attrapa le ciboire et jeta sur les dalles toutes les hosties. Les fidèles, sidérés, reculèrent en étouffant un cri.
La petite Li reste figée sur place. Oh, qu’a-t-on fait du Pain ? Son petit cœur droit et innocent se met à saigner devant les hosties dispersées sur le sol. N’y aura-t-il personne pour défendre Jésus ? Le Commissaire se moque, un rire gras entrecoupe ses blasphèmes. Li pleure en silence.
– Et maintenant, dehors, allez-vous-en ! Hurle le Commissaire, et gare à celui qui oserait retourner dans cet antre de superstitions !
L’église se vide. Mais, outre les Anges adorateurs toujours présents autour de Jésus Hostie, un témoin se tient là, ne perdant rien de la scène qui se déroule sous ses yeux. C’est le père Luc, des Missions Étrangères. Caché par les paroissiens dans un réduit du chœur, celui-ci dispose d’une lucarne qui donne sur l’église. Il s’abîme en prière réparatrice et souffre de ne pouvoir bouger : un geste de sa part et ses paroissiens qui l’ont camouflé là sont arrêtés pour trahison.
– Seigneur Jésus, ayez pitié de vous-même, prie-t-il, avec angoisse, empêchez ce sacrilège ! Seigneur Jésus !
Tout à coup, un crissement brise le lourd silence de l’église. La porte s’ouvre doucement. C’est la petite Li ! Elle a à peine dix ans et la voilà qui s’approche de l’autel, de ses petits pas de chinoise… Le père Luc tremble pour elle : elle peut se faire tuer à tout moment ! Mais il ne peut communiquer avec elle, il ne peut que regarder et supplier tous les saints du Ciel d’épargner cette enfant. La petite se prosterne et adore en silence, comme sœur Euphrasie le lui a appris. Elle sait que l’on doit préparer son cœur avant de recevoir Jésus. Les mains jointes elle adresse une mystérieuse prière à son cher Jésus maltraité et abandonné. Puis le père Luc la voit se baisser et, à quatre pattes, happer une hostie avec sa langue. La voilà maintenant à genoux, les yeux clos et tournés à l’intérieur vers son visiteur céleste. Chaque seconde pèse lourd, le père Luc craint le pire… Si seulement il pouvait lui parler ! Mais l’enfant repart doucement comme elle était arrivée, presque en sautillant.
Les ‘épurations’ continuent et la brigade volante des services de l’ordre fouille tout le village et ses abords. Tel est le sort de la ‘Nouvelle Chine’. Parmi les paysans, personne n’ose bouger. Tapis dans leurs cabanes de bambou, ils ignorent tout de l’avenir.
Pourtant tous les matins, notre petite Li s’échappe pour retrouver son Pain Vivant dans l’église et, reproduisant exactement la scène de la veille, elle prend une hostie avec la langue et disparaît. Le père Luc rongeait son frein : Pourquoi ne les prend-elle pas toutes ? Il connaît le nombre des hosties : trente deux. Ne sait-elle donc pas qu’elle peut en ramasser plusieurs a la fois ?
Non, elle ne le sait pas. Soeur Euphrasie avait été bien claire : « Une seule hostie par jour suffit. Et on ne touche pas l’hostie, on la reçoit sur la langue ! ». La petite se conforme aux règles.
Un jour, il ne reste plus qu’une seule hostie. A l’aube l’enfant se faufile comme de coutume dans l’église et s’approche de l’autel. Elle s’agenouille et prie tout près de l’hostie. Alors le Père Luc étouffe un cri.
Un milicien, debout dans l’embrasure de la porte braque son revolver. On n’entend qu’un coup sec, suivi d’un gros éclat de rire. L’enfant s’effondre aussitôt.
Le père Luc la croit morte, mais non, il la voit ramper avec difficulté vers l’hostie et y coller la bouche. Quelques soubresauts convulsifs, suivis d’une soudaine détente. La petite Li est morte.
Elle a sauvé toutes les hosties !