Des mouvements de troupes suspects sont signalés près de la frontière russo-ukrainienne. Même si Poutine veut seulement agiter la menace, ce type de situation peut tout à fait partir en roue libre.
Au printemps 2021, un amiral de la marine américaine a conjecturé que la Chine pourrait envahir Taïwan avant six ans. Aujourd'hui, responsables et spécialistes avertissent que la Russie pourrait envahir l'Ukraine dans les deux ou trois prochains mois.
Un récent rapport de l'agence des renseignements du Pentagone, à tendance plutôt belliciste quand il s'agit de la Chine, minimise la plausibilité d'une guerre à court terme dont Taïwan serait l'enjeu. En revanche, les hauts responsables semblent vraiment inquiets en ce qui concerne le sort de l'Ukraine. Au début du mois, William Burns, le directeur de la CIA, s'est rendu à Moscou pour faire part au président Vladimir Poutine des appréhensions que lui inspirent les rassemblements de troupes dans la région. Avril Haines, la directrice du renseignement national, s'est rendue à Bruxelles pour briefer les alliés de l'OTAN au sujet d'une possible attaque russe qui pourrait aller bien au-delà des incursions dans la région orientale du Donbass de 2014.
La Russie et l'Ukraine –les deux plus grandes républiques de l'ex-Union soviétique et alliées pendant des siècles avant cela– sont-elles au bord du conflit? Qu'arriverait-il si la guerre éclatait? Et que doivent faire les États-Unis pour aider à empêcher une éruption ?
«Ce serait le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre»
Tout d'abord, ce qui se passe n'est pas très clair. Au cours des dernier mois, les troupes russes se sont rapprochées de la frontière ukrainienne. Le chef de l'agence des renseignements ukrainiens, le général Kyrylo Boudanov, a confié au Military Times à la mi-novembre qu'une invasion semblait possible d'ici à février 2022. Cependant, un graphique basé sur des données des renseignements ukrainiens et reproduit dans l'article montre qu'en réalité, ce regroupement de forces –soldats, tanks et autres équipements militaires– est bien loin des types de mouvements qui ont eu lieu pendant une «alerte à la guerre» en avril 2021 (après cette alerte, les soldats ont été expédiés ailleurs en Russie).
Jason Bush, analyste et spécialiste de la Russie au cabinet Eurasia Group, souligne que la plus grande partie de ce rassemblement de troupes se fait à la frontière de la Russie et de la Biélorussie. Certains analystes en déduisent que la Russie pourrait ne pas se contenter de déverser des soldats dans la région du Donbass, à l'est, mais pourrait également envoyer des troupes traverser la Biélorussie pour capturer la capitale ukrainienne, Kiev, à l'ouest du pays. «Ce scénario est très difficile à croire, m'a confié Bush au téléphone. Ce serait le plus grand conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.» On estime que les forces russes rassemblées dans le voisinage de l'Ukraine et de la Biélorussie représentent 92.000 hommes au total. «Comment occuper un pays de 50 millions de personnes avec 92.000 militaires?» demande-t-il.
En comparaison, en 1968, les Soviétiques avaient mobilisé 250.000 soldats–et cinq divisions blindées– pour envahir la Tchécoslovaquie, qui à l'époque comptait environ 10 millions d'habitants. (Prague, sa capitale, en recensait 1 million; Kiev aujourd'hui possède 2,8 millions d'habitants.) Enfin, en tant que membre du pacte de Varsovie, alliance constituée sous l'égide de l'Union soviétique, la Tchécoslovaquie ne disposait pas d'armée indépendante. L'armée ukrainienne compte 255.000 soldats –c'est probablement insuffisant pour contrer une force d'invasion russe, même de taille plus réduite, mais ce n'est pas pour autant «quantité négligeable», comme le souligne Bush.
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