Bonjour,
Je veux transcrire ici le contenu d'un de ces documents, pour qu'on puisse mieux juger de l'intérêt qu'ils peuvent représenter. En tout cas, moi je trouve que ça m'aide énormément à goûter davantage divers aspects de notre foi chrétienne. C'est un stimulant incroyable.
Le prix de la croix (24 minutes)
https://archive.org/details/podcast_pere-marie-dominique-molinie-o_1774-le-prix-de-la-croix-3_1000392982592On fait un sacrifice pour obtenir la conversion d'une âme. Pourquoi, ça ? J'ai compris brusquement, que Dieu attachait plus d'importance à la prière et au sacrifice fait pour l'âme du pécheur si vous voulez, mais qu'à sa conversion elle-même.
Quand on prie pour quelqu'un, on prie et fait des sacrifices pour quelqu'un : Dieu veut bien sûr que cette personne soit sauvée mais en passant par notre prière ou notre sacrifice. Et cette prière et ce sacrifice ont plus d'importance ou de prix aux yeux de Dieu que son fruit. Voilà !
Imaginez un instant tout le noviciat, dans un élan rédempteur pour convertir les familles ou les amis, qui pratiquerait un silence de manière insolite jusqu'à la fin du Carême. Eh bien, imaginez ensuite qu'on y obtiendrait des résultats spectaculaires du côté des conversions et des vocations. Ça, c'est moins important que l'effort de silence que chacun aura fait, et lequel ne doit pas être dissocié de son fruit
Parmi beaucoup d'aspects de cette question [...] la conversion du pécheur suppose des choses que justement j'ai découvert dans Lewis, qui est admirablement thérèsien dans ce chapitre que je vais vous lire, - et alors justement cette folie, comme chez Thérèse quand elle dit :"Jésus, permets-moi de te dire que tu m'as aimé jusqu'à la folie", elle est liée au mystère de la liberté. C'est justement parce que ce petit acte libre, cet acte par lequel on fait une prière ou un sacrifice, est peut-être plus difficile à obtenir pour Dieu, que la conversion de quelqu'un qui est dans les ténèbres et converti parce qu'il reçoit une lumière. Dieu a peut-être moins de mal à convertir le pécheur [qu'à Dieu de nous arracher l'acte même de prier au départ], parce que la liberté du pécheur à convertir joue peut-être moins que la vôtre dans cette histoire-là.
La croix de Jésus : nous sommes tous rachetés par la croix de Jésus, et la croix de Jésus a plus de prix que notre rachat, à condition d'être envisagé l'un en lien avec l'autre. Le mouvement par lequel Jésus a offert au Père de nous sauver : c'est cela qui a du prix. Mais le plus précieux est la souffrance et la prière de Jésus, bien que notre salut reste indispensable et parce que c'est ce qui donne sens à cette prière du Christ.
Quel rapport entre notre petite prière et le fruit qui est la conversion d'une âme ? Il n'est pas du tout exclu que l'acte libre que vous avez à faire pour produire le petit sacrifice en question soit plus difficile à obtenir pour Dieu que la conversion du pécheur.
Un passage de C.S. Lewis met particulièrement en relief le prix que Dieu attache à la liberté. Je vais vous lire ce passage de Lewis peut-être le plus thérèsien qu'il aura écrit. Alors il évoque pour nous une grenouille de bénitier. Je ne sais pas si vous savez ce qu'est une grenouille de bénitier. Je dis ça pour celles ici qui ont fait de la zoologie, qui ont étudié les animaux. C'est un animal très spécial qui vit près des bénitiers et qui a généralement une langue de vipère, n'est-ce pas. Et qui possède naturellement la foi chrétienne. Puis à côté de ça, il met un brave homme - [faisons un petit aparté]encore récemment une vieille fille qui a vécu dans une communauté plutôt carmélitaine, et qui a eu des problèmes spirituels toute sa vie, m'a écrit ses malheurs. Et elle m'a dit que son père qui n'était pas croyant aura été pour elle la révélation de la bonté. J'ai vu ça récemment dans mes papiers : "... la bonté, l'amour m'ont été révélés par mon père qui était incrédule mais qui était tellement bon. C'est lui qui m'a révélé la bonté."
Alors vous avez d'un côté la langue de vipère qui a la voie, n'est-ce pas. Puis Roger Bontemps l'incrédule de Lewis, lui, qui est bon, foncièrement bon. Il évoque alors l'incroyant qui ricane et qui dit :"Le christianisme ne rend pas les gens meilleurs, il n'y a qu'à voir la grenouille de bénitier."
Lewis dira qu'au regard de Dieu la demoiselle de bénitier et l'incrédule ont tout autant besoin d'être sauvés. Il ne s'agit pas de devenir des gens convenables mais d'être sauvés ! Et je vous dirai bientôt en quel sens "devenir convenable" n'a rien à voir avec la question.
N'allez pas vous imaginer que Dieu considère le tempérament calme et le bon coeur de cet incrédule de la même façon que nous. Pourquoi ? Parce que le tempérament calme et le bon coeur procèdent de causes naturelles dont Dieu est l'auteur. Ça relève du tempérament, Et cela disparaîtra chez cet homme très bon, s'il se met à mal digérer, dit Lewis. Si on est doté d'un tempérament atrabilaire au contraire, ce n'est quand même pas si facile d'être aimable, gentil, doux, etc. Pas aussi facile chez ce dernier que pour l'autre qui a une bonne digestion. Ce qu'il y a de bon en lui est un don de Dieu. Ce n'est pas un don qu'il fait à Dieu. Et, là, on arrive chez Thérèse de l'Enfant-Jésus.
On arrive du côté de la métaphysique vertigineuse que je commence à entrevoir. Parce que je commencer à voir, au sujet de ce don que nous pouvons faire à Dieu ou pas, comment Dieu a vraiment fait des folies. Et, pour vous montrer dans quel abîme on arrive tout de suite, pour que Jésus, qui avait la vision face à face, - et qui, par conséquent, ne pouvait pas donner à Dieu quelque chose de difficile, en vertu même de cette vision face à face (il ne pouvait pas pécher). Comment voulez-vous que Jésus puisse faire un don à Dieu ? La vision face à face correspond à don que le Père a fait à Jésus-Christ. Ce n'est pas un don que les hommes font à Dieu, ni même Jésus. Il n'a rien fait pour cela, Jésus. Il est vrai homme-vrai Dieu, vrai roi de l'univers. Il est dans la béatitude et il dit merci. Que voulez-vous qu'il fasse d'autre ? - mais pour que Jésus puisse quand même faire un don réellement libre, un don qui est difficile à obtenir, eh bien Dieu a laissé se dérouler la Passion, les horreurs, le mal.
Il fallait ça. Quand on nage dans la béatitude, il fallait quelque chose de terrible, d'extravagant, pour que le Christ puisse dire :"Éloigne de moi cette coupe" mais qu'il se reprenne "non pas ma volonté mais la tienne". Ça, c'est un cadeau qu'il a fait. Cela a coûté tout le mystère du mal, Pour obtenir ce petit "oui'" libre de Jésus, Dieu dans sa folie a permis toutes les horreurs d'Auschwitz, tout, tout, pour obtenir ce "oui". Parce que s'Il n'y avait pas Ça, Jésus n'aurait fait aucun cadeau à son Père. Dieu a tellement soif de ce cadeau.
De même que pour les anges : s'Il n'y avait pas le risque du démon, saint Michel n'aurait pas pu dire "oui". Dans sa folie d'amour, Dieu a préféré cela.
Donc, ce que ce brave homme a reçu comme don, ce n'est pas un don qu'il fait à Dieu. Et ce qui intéresse Dieu n'est pas le don qu'il nous fait mais le don que
nous lui faisons.
Dieu a laissé les causes naturelles qui sont à l'oeuvre depuis des siècles, dans un monde corrompu par le péché, produire chez la demoiselle (grenouille de bénitier qui a une langue de vipère) des nerfs à vif, qui expliquent en grande partie sa méchanceté. Il veut d'ailleurs la corriger, mais en prenant le temps qu'il lui plaira. Cette partie du travail [la correction] ne présente aucune difficulté pour Dieu. Ce n'est pas cela qui le préoccupe. L'objet de sa vigilance, de son attente, de son travail : c'est quelque chose qui n'est pas facile même pour Lui. Parce que Dieu ne peut l'obtenir uniquement par sa puissance. Il faut que l'intéressé puisse y mettre du sien. On entre alors dans ce vertige qui est que Dieu est à genou devant notre liberté. Il attend avec vigilance que ce "oui' lui soit donné. Vont-ils oui ou non se tourner vers Lui, et accomplir la seule chose pour laquelle ils ont été crées ? Leur libre-arbitre oscille en eux comme l'aiguille de la boussole. Elle peut indiquer le vrai nord mais ce n'est pas nécessaire. L'aiguille va-t-elle osciller puis se stabiliser et indiquer "Dieu" ? Or Dieu peut y aider, mais non forcer. Il ne peut pas avancer la main et placer lui-même l'aiguille dans la bonne direction. Il n'y aurait plus de liberté pour nous.
L'incrédule et la langue de vipère vont-ils offrir leur nature à Dieu ? La question de savoir si ce qu'ils offrent est bon ou mauvais ne présente ici aucun intérêt. C'est secondaire. Dieu s'occupera de ce cette question. Comprenez-moi bien, dit Lewis, Dieu préfère le bien au mal. Il préfère les bonnes natures aux mauvaises. Il peut considérer une mauvaise nature comme très regrettable et une bonne nature comme excellente; aussi bonne que du pain blanc, que le soleil ou de l'eau pure.
Mais toutes ces choses-là nous sont données par Lui. Il a crée des nerfs bien portant et la bonne digestion de l'incrédule. Et il tient encore bien d'autres choses excellentes en réserve. Tout ça ne lui coûte rien.
Mais la Croix ... elle a été le prix de la conversion des volontés humaines rebelles. Ça, c'est autre chose. Obtenir notre liberté lui a coûté la croix, à lui, Dieu. Parce que ce sont des libertés. Chez les bons comme chez les mauvais : tous peuvent rejeter son désir.
Parce que cette bonté de l'incrédule repose seulement sur son tempérament, ajoute Lewis, elle finira par se dissoudre, par se corrompre. La nature passera. Les causes naturelles produisent en ce moment un heureux assemblage, comme elles le groupent dans un coucher de soleil pour produire un assemblage de couleurs. Mais comme la nature travaille : tout disparaîtra.
L'occasion a été offerte à cet homme [plutôt à Dieu] de communiquer à cet assemblage la beauté d'un esprit éternel, mais est-ce qu'il va la saisir ?
On a reprocher au Christ d'aller vers les pécheurs. Et ça continue maintenant, dit-il. Vous ne comprenez pas pourquoi ? Parce que le Christ a dit :"Heureux les pauvres !" C'est difficile à un riche d'entrer dans le royaume. Évidemment, le Christ pensait sur le plan matériel. Mais ces paroles s'appliquent aussi à une pauvreté et une richesse d'un autre ordre que matériel.
Quand on a beaucoup d'argent, on risque de se contenter du bonheur que donne l'argent et d'oublier Dieu. Ça semble simple, la vie, quand on a qu'à signer des chèques. De toute évidence, les dons naturels nous font courir le même danger.
Si vos nerfs sont bons, avec une intelligence éclairée; si vous avez une bonne santé, de la popularité, une bonne éducation : eh bien, vous vous contenterez de ce que vous êtes. "Pourquoi mêlez Dieu à nos affaires ?" Il vous est alors facile de parvenir à un certain niveau de vie moral, même de vie religieuse. Vous n'êtes pas de ces malheureuses créatures toujours prises au piège par les tentations du sexe, l'ivrognerie, la nervosité, la colère. Chacun s'accorde à dire que vous êtes quelqu'un de bien. Et, entre nous, vous êtes d'accord avec ça. Vous croyez être l'auteur de votre belle nature. Et vous n'éprouvez pas du coup le besoin d'un progrès dans le bien.
Souvent ceux qui possèdent cette bonté naturelle ne peuvent pas être amenés à reconnaître qu'ils ont besoin d'être sauvés, jusqu'au jour ou cette bonté leur fait défaut. Et alors leur contentement de soi s'écroule.
C'est très différent pour les mauvais, les petites natures médiocres, timides, pervertis, solitaires, qui n'ont pas de sang dans les veines, les natures sensibles, passionnées, déséquilibrées. Si ces gens-là essaient d'êtres bons, ils s'aperçoivent très vite qu'ils ont besoin d'être aidés et même d'être sauvés. Pour eux, ce sera le Christ ou rien ! Adoration ou désespoir. Ce sont les brebis perdues. Ce sont les pauvres. Ce sont ces brebis qu'il est venu chercher.
Les pharisiens disent encore aujourd'hui : "S'il y aurait du bon dans le christianisme, ces gens-là ne seraient pas chrétiens."
Il y a ici un avertissement et un encouragement pour chacun de nous. Si vous n'avez pas de mal à être vertueux : attention ! On attend beaucoup de celui qui a beaucoup reçu. Si vous vous attribuez le mérite de ce qui est en réalité un don de Dieu et quant à votre heureuse nature, si vous vous contentez d'être quelqu'un de bien, vous êtes encore un rebelle. Et tous ces dons rendront votre chute plus terrible encore, votre corruption plus embrouillée et votre mauvais exemple plus désastreux. Il arrive la même chose aux anges. Le diable était un archange. Ses dons naturels étaient bien supérieurs aux vôtres, comme les vôtres sont bien supérieurs à ceux d'un chimpanzé.
Si vous êtes une misérable créature empoisonnée par une éducation pitoyable, dans une maison remplie de basses querelles et de stupides jalousies, si vous êtes possédé contre votre gré par quelque odieuse perversion sexuelle, harcelé par quelque complexe d'infériorité qui vous rend hargneux même envers vos meilleurs amis, ne désespérez pas. Dieu est au courant. Vous êtes de ces pauvres qu'il a bénis. Et il sait quelle machine impossible vous avez à conduire. Tâchez d'avancer, faites ce que vous pouvez. Un jour dans un autre monde peut-être, ou plus tôt peut-être aussi, il jettera la machine sur un tas de ferrailles et il vous en donnera une nouvelle. Et alors vous étonnerez le monde et autant vous-même. Car vous aurez appris à conduire à rude école. Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers.
C'est très bien d'avoir une bonne personnalité convenable et équilibrée. Nous devons essayer par tous les moyens de faire en sorte que tout aille mieux au point de vue matériel et moral, comme il faut essayer de faire un monde dans lequel tout le monde puisse avoir de quoi manger. Mais quand nous aurons fait ça, nous n'aurons pas sauvé les âmes.
Un monde de braves gens qui ne voient pas plus loin que le bout de son nez et leur petit horizon de bonne moralité, détourné de Dieu, aurait aussi désespérément besoin du salut qu'un monde misérable, et il pourrait être plus difficile à sauver !
Améliorer les gens, ce n'est pas les racheter. Bien que la Rédemption améliore toujours les gens et pour finir à un point qu'on n'imagine pas. Mais Dieu ne s'est pas fait homme pour améliorer les créatures, mais pour les transformer, pour en faire des fils et des hommes nouveaux.
Il ne s'agit pas d'améliorer un cheval, pour l'amener à mieux sauter. Mais de lui donner des ailes ! Une fois qu'il aura des ailes, il s'élancera au-dessus des haies qu'il n'aurait jamais pu sauter, et ainsi il battra le cheval naturel à son propre jeu. Mais au début quand les ailes commencent à pousser, non seulement il n'y arrive pas - mais c'est l'histoire de l'albatros - ça le gêne encore plus que chez les autres pour avancer. Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Voilà !