Le suisse d’un Prince avait un neveu qui vint un jour à Paris pour voir cet oncle, dont il espérait tirer quelque secours. Il était tard lorsqu’il arriva. Le suisse le fit souper avec lui, et s’apercevant que ce jeune homme, qui ne connaissait que les montagnes de son pays, brûlait d’envie de voir les beautés du palais, il le prit par la main et le conduisit dans tous les appartements. Comme le Prince et la Princesse étaient alors à Versailles, il put tout montrer à son neveu ; mais il affecta, pour s’amuser, de le promener partout sans lumière, en sorte que le pauvre jeune homme ne voyait absolument rien. Cependant le suisse lui faisait une description détaillée de toutes les belles choses qui l’environnaient. Cette galerie, lui disait-il, offre aux amateurs une riche collection de tableaux des plus grands maîtres. Elle a tant de croisées, qui donnent sur un jardin immense, décoré de statues et de jets d’eau… Cet appartement est orné des sculptures les plus délicates. Sa tenture est une tapisserie des Gobelins, de la plus grande beauté ; les meubles y sont assortis, et de la forme la plus élégante… Cette cheminée est d’un marbre rare et précieux. Elle est garnie de vases d’albâtre d’une blancheur éclatante. Ici est une pendule qui représente au naturel tous les mouvements des astres, toutes les révolutions du ciel… Là sont des glaces magnifiques, dont la bordure est d’un goût exquis… Ce cabinet est consacré à l’histoire naturelle ; on y voit ce qu’il y a de plus curieux dans la nature, en coquillages, en oiseaux, en insectes, en plantes, en pierres précieuses, en métaux, en minéraux, etc.
Le suisse dépeignait ainsi à son neveu tous les appartements qu’il lui faisait parcourir. Celui-ci lui disait de temps en temps : « Tout cela est magnifique, mon cher oncle ; je n’en vois rien, mais je le crois sur votre parole. »
Quand l’oncle eut achevé le tour du palais, il congédia son neveu, en lui demandant s’il était content.
« Je suis enchanté, répondit-il, de la description que vous m’avez faite des richesses et des beautés que renferme ce palais ; je conçois que la vue en doit être ravissante, et j’attends avec impatience que le jour paraisse pour pouvoir satisfaire ma curiosité, en contemplant à mon aise cette multitude d’objets plus admirables les uns que les autres.
– Hé bien, reprit le suisse, demain matin nous recommencerons notre promenade. »
On peut croire que le jeune homme ne se fit pas attendre : dès que le soleil fut levé il se rendit chez son oncle, et le pressa de s’acquitter de sa promesse. Celui-ci se mit aussitôt en devoir de le contenter. Qui pourrait peindre la surprise, le ravissement, l’enchantement qu’éprouva ce jeune homme quand il vit de ses yeux l’assemblage de toutes ces merveilles de la nature et de l’art ? Quelle impression fit sur lui ce brillant spectacle ! Il aurait voulu être tout yeux, pour jouir à la fois de tous les objets qui s’offraient à lui. Enfin, après un long silence d’admiration :
« Je vous avoue, dit-il, mon cher oncle, que quelque haute idée que j’eusse conçue de toutes les belles choses que vous me décriviez hier au soir, ce que je vois est infiniment au-dessus de ce que je m’imaginais ; et il y a une différence immense entre le plaisir que je goûtais à entendre vos récits, et celui que je goûte à contempler les objets mêmes. »
Nous sommes ici-bas précisément dans la situation où se trouvait notre jeune homme, lorsque son oncle lui détaillait les beautés du palais du Prince sans les lui montrer. La Religion nous fait pareillement les plus magnifiques descriptions des beautés du Ciel, et du bonheur dont nous y jouirons ; nous la croyons sur sa parole : mais quelques brillantes idées que nous puissions nous former de ces beautés et de ce bonheur, combien la réalité ne les surpasse-t-elle pas ! Et de quel étonnement, de quel ravissement, de quels transports d’admiration ne serons-nous pas saisis, lorsque nous entrerons dans ce délicieux séjour, dans ce magnifique palais du Roi des rois ! Quelle immense différence entre l’impression que fait sur nous la plus ferme croyance de ces biens ineffables, et celle que fera leur présence et leur possession !
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