Voici un article majeur qui complète les autres. L’abbé de Broglié avait, en son temps, rédigé une œuvre catholique qui semble prophétique. En effet, toutes les tares qu’il dénonce se retrouvent dans notre époque. Le XIXe siècle semble prouver que la religion catholique atteignait son apogée avant le grand déclin du XXe siècle, avec ses terribles guerres mondiales. Le XXIe siècle, quant à lui, pauvres de nous, semble toucher le fond de la benne à ordures avec d’innombrables fléaux spirituels.
La grande apostasie est là, devant nous, avec les zombies du pokemon go, les orgueilleux qui ne pensent qu’à se photographier avec des perches selfies pendant de graves événements, les individus qui sont littéralement scotchés à leur téléphone portable au point d’être seul pendant les réunions familiales, les oublieux du passé qui ne souhaitent se consacrer qu’à une technologie invasive et despotique comme s’ils étaient eux-mêmes des robots sans besoins physiologiques, etc… !
Pendant ce temps mystérieux où la majorité semble dormir d’un sommeil hypnotique, la barbarie commence son œuvre de destruction. Lorsque la violence atteindra son apogée, il sera temps de réagir et de remettre de l’ordre. Mais ceci ne sera pas possible avant 2017. Pour l’instant, découvrons le formidable article de l’abbé de Broglié, les passages importants étant placés en italiques.
Extraits de « Des faux systèmes de morale » tirés de « Dieu, la conscience, le devoir », page 109 à 124
«
I. Morale du devoir pur
Nous entendons par morale du devoir pur celle qui prend pour principe l’obligation morale sans la rattacher à Dieu et sans admettre la sanction de la vie future.Les partisans de cette morale partent du même principe qui nous a servi de point de départ, c’est-à-dire du sentiment de l’obligation morale.
L’homme, disent-ils, se sent obligé à faire le bien et à éviter le mal. Il sent qu’il doit être honnête.
Cette règle unique lui suffit pour se conduire. Il n’a pas besoin de savoir sur quoi se fonde le devoir, ni s’il y a un principe supérieur qui commande de le faire. La conscience commande et cela suffit.
Quant à la sanction, elle est également inutile. On doit faire le devoir parce que c’est le devoir, et non pour une récompense, ni par la crainte d’un châtiment.
Bien plus, disent ces philosophes, l’idée de la sanction telle qu’elle est énoncée dans la morale religieuse nuirait à l’idée du devoir et l’affaiblirait. L’homme qui croit en Dieu et à la vie future ferait le bien pour gagner le ciel et éviter l’enfer, il agirait d’une manière intéressée. Au contraire, l’homme qui n’a pas ces croyances fait le bien par pur sentiment du devoir, sans intérêt. Il sait qu’il n’a ni récompense à espérer ni châtiment à craindre, il n’en fait pas moins son devoir. Cette manière d’agir est donc plus noble et plus généreuse que la première.
Il y a dans ce système une certaine grandeur; il y a aussi une vérité partielle. Néanmoins, il suffit de l’examiner pour reconnaître qu’il est insuffisant, souvent illusoire et toujours dangereux.
Et d’abord, il importe de bien distinguer en quoi ce système du devoir pur diffère de la morale spiritualiste que nous avons exposée.
Lorsque les moralistes qui admettent le devoir sans sanction disent que le devoir oblige par lui-même, ils ont raison. La loi est gravée dans notre conscience et ne cesse pas d’obliger parce que nous ignorons le législateur. Ce n’est pas pour produire l’obligation, c’est pour l’expliquer qu’un principe supérieur est nécessaire.
Un homme qui serait sincèrement athée ne serait pas pour cela dispensé de faire son devoir.
Quelle est donc, au point de vue de l’obligation, la différence entre les moralistes que nous combattons et ceux qui soutiennent la morale religieuse ? Les uns et les autres sentent en eux-mêmes l’obligation du devoir ; les uns et les autres la reconnaissent, la respectent et veulent s’y soumettre ; mais les uns, ceux qui croient en Dieu, comprennent pourquoi cette obligation leur est imposée. Cette obligation se rattache dans leur intelligence d’une manière logique à la condition de l’homme, créature qui doit obéir à son créateur et tendre vers la fin qui lui est assignée. Pour les autres, ceux qui croient au devoir en étant athées, cette obligation qu’ils sentent, et qu’ils acceptent, est inexplicable ; le sentiment du devoir qui est en eux, au lieu de s’unir harmonieusement à une conception rationnelle du monde qui lui soit conforme est un sentiment aveugle et un instinct dont la source est inconnue. Aussi quelques-uns de ceux qui soutiennent cette doctrine ont-ils dit que l’honnêteté est une espèce de folie, une folie noble et généreuse. Nous n’irons pas jusque-là, mais nous dirons que le sentiment du devoir, séparé de l’idée de Dieu, est une notion incomplète et tronquée qui s’impose à la conscience sans satisfaire la raison.
Au point de vue de la sanction, l’opposition est plus complète entre la morale du devoir pur et la morale religieuse. Le partisan du devoir pur ne croit pas à la sanction ; il y renonce et prétend s’en passer. L’homme religieux croit à la sanction, l’espère et se fait même un devoir de l’espérer.
S’ensuit-il que la morale religieuse puisse être qualifiée de morale intéressée et réprouvée à ce titre comme une morale basse et sans générosité ?
S’ensuit-il que la morale du devoir séparée de l’idée de la sanction soit réellement plus noble et plus élevée que la morale spiritualiste ?
Il va nous être facile de répondre à ces deux questions.
La réponse à la première résulte de ce que nous avons dit plus haut en expliquant la nature de l’obligation et de la sanction.
L’homme qui fait le bien et évite le mal, en pensant à la récompense et au châtiment, n’agit pas exclusivement ni principalement pour obtenir une jouissance ou éviter une souffrance. Il agit principalement et d’abord eu vue du devoir, en vue du bien absolu, puis, conséquemment, accessoirement, il croit que la bonne action sera récompensée et la mauvaise action punie.
Supposons un homme qui ne veuille pas commettre un vol, parce qu’il sait que le vol est une faute et sera puni. Si cet homme était disposé de telle sorte qu’il fut prêt à commettre ce vol, dans le cas où cette action devrait lui procurer une jouissance et non un châtiment, cet homme agirait d’une manière purement intéressée, il ne ferait pas un acte moral.
Mais si sa résolution principale est de ne pas commettre le vol parce que le vol est un mal, et qu’il se serve de la crainte du châtiment pour fortifier sa résolution, pour détester davantage le mal et résister à l’attrait de la cupidité, il fait alors un acte moral, mais il fait aussi un acte désintéressé, puisque son intention principale porte sur le devoir.
Observons, en second lieu, que bien que le spiritualiste ne renonce pas à la récompense parce qu’elle est la conséquence naturelle du bien, il n’est pas nécessaire qu’il y pense toujours. Il agira souvent par la seule vue du devoir, par pur dévouement, en s’oubliant lui-même. Néanmoins, quand il réfléchira aux conséquences de son acte, il sentira qu’il a droit à la récompense et quand son attention se portera sur le désir inné de bonheur qui est dans notre nature, il sentira que ce bonheur peut légitimement être mérité par la vertu.
Ainsi la morale spiritualiste n’est nullement une morale basse ; elle n’est une morale intéressée que dans la mesure où cela est nécessaire, par l’effet de l’amour naturel de l’homme pour lui-même et du désir de bonheur qui est dans le fond de notre être.
Elle place les motifs désintéressés à la première place, et le mobile intéressé ne vient qu’après et n’est que secondaire.
Ajoutons que la morale spiritualiste nous représente le principe du bien, l’auteur de la loi, comme une personne, comme un père qui nous aime.
De cette idée naissent des sentiments de reconnaissance et d’amour qui élèvent l’âme au-dessus de l’intérêt personnel. L’homme religieux, sans doute, désire être uni au Dieu qu’il aime, mais il veut aussi se dévouer pour Dieu ; la récompense ou l’union avec l’être aimé se confond avec l’amour même.
Les basses idées d’un calcul ou d’un salaire disparaissent devant ces sentiments élevés.
Que dirons-nous maintenant de la morale du devoir pur, sans Dieu et sans vie future ?
Est-elle réellement, à cause de sa prétention au désintéressement absolu, supérieure à la morale religieuse ?
Non, elle est simplement une morale irrationnelle et contre nature.
Que demande-t-elle en effet ?
Que l’homme qui a l’instinct inné de chercher son propre bonheur renonce à cette recherche et accepte d’être absolument malheureux ;
Que l’homme fasse de bonnes actions, en renonçant à attribuer à ces actions leur caractère méritoire, qu’il fasse des actions essentiellement dignes de récompense et ne croie pas à l’existence de cette récompense ;
Que l’homme soit parfaitement juste, qu’il le soit jusqu’au sacrifice, et que cependant il croie vivre dans un monde où la justice ne règne pas, où le mal peut triompher et le bien être vaincu ; qu’il se sacrifice pour l’ordre universel, sachant que cet ordre est injuste à son égard ; qu’il rende à chacun ce qui lui est dû, sachant qu’à lui-même justice ne sera pas rendue.
Sans doute, un homme qui est convaincu qu’il n’y a pas de Dieu ni de vie future, est obligé de se réfugier dans cette morale du devoir pur ; il doit obéir à cette loi si étrange qui lui impose la justice et ne la lui rend pas.
Mais cet état est un désordre et un malheur, et non un état moral supérieur.
Nous pouvons expliquer notre pensée par une comparaison.
Deux hommes ont chacun un poids égal à transporter d’un endroit à un autre. L’un a l’usage de ses deux jambes ; l’autre est boiteux et s’appuie sur une béquille. Le second fera en transportant son poids une œuvre plus difficile, peut-être même plus méritoire que le premier. Mais, néanmoins, l’état du premier est préférable à celui du second.
De même, dans l’accomplissement du devoir, celui qui ne s’appuie que sur l’obligation et ne connaît pas la sanction a plus de peine à remplir son devoir. Mais celui qui, obéissant à sa nature, poursuit à la fois le devoir et la récompense, le bien général d’abord et son propre bien comme conséquence, est évidemment dans un état plus sain, plus harmonieux, plus normal que le premier.
Ajoutons une dernière considération. Si l’homme qui croit à la vie future est exposé à s’attacher trop à la récompense, l’homme qui n’y croit pas est exposé au péril de faire reposer sa vertu sur l’orgueil. Ne reconnaissant pas Dieu, ne croyant pas à une rétribution, c’est en lui-même seul qu’il trouve le type et la règle de la justice. C’est sa propre dignité, sa propre excellence qu’il poursuit en restant vertueux. Lorsqu’il est juste, il se sent supérieur à l’ordre du monde où l’injustice règne, puisque, selon sa croyance, tout finit à la mort. Or, l’orgueil est une forme de l’égoïsme ; être vertueux par orgueil, c’est tout aussi bien être égoïste que de l’être par amour de la récompense.
Ne demandons pas à l’homme plus que sa nature ne le veut et ne le permet. Qu’il connaisse et cherche d’abord le devoir, c’est-à-dire le bien en soi, le bien désintéressé. Qu’il ne cherche le bonheur que comme récompense, c’est-à-dire comme conséquence du devoir accompli, mais qu’il puisse aimer et chercher le bonheur de cette manière, qu’il ait le droit et le devoir d’espérer qu’il l’obtiendra par la justice de Dieu. Qu’il soit juste lui-même, mais qu’en même temps il croie à la justice universelle. Une telle morale, mieux adaptée aux besoins de l’humanité, praticable pour tous les hommes, est supérieure à la morale exagérée des stoïciens, qui poursuivent le devoir sans vouloir être récompensés.
II. Morale de l’intérêt ou morale utilitaire
La morale de l’intérêt est diamétralement opposée à celle du devoir pur. L’une exclut tout mobile intéressé, l’autre au contraire prétend que ce qu’on appelle vulgairement devoir n’est que l’intérêt bien entendu.
Nous pouvons considérer comme un signe évident de la vérité de la morale religieuse ce fait, que ceux qui s’en écartent se contredisent ainsi nécessairement, chacune des deux opinions choisissant pour seul principe l’un des deux mobiles qui sont harmonieusement unis dans la vraie morale.
La prétention des moralistes utilitaires (dont le plus connu est l’Anglais Bentham) est d’identifier en fait et en principe le devoir et l’intérêt.
En fait, ils prétendent que les actes qui sont ordonnés ou prescrits par la loi morale sont tous des actes utiles ou nuisibles. Ils disent qu’en cherchant avec prudence et sagesse leur propre intérêt, les hommes arriveraient à suivre les mêmes règles de conduite qui sont, dans l’opinion vulgaire, pratiquées au nom du devoir.
En principe, ils prétendent identifier le devoir même avec l’intérêt bien entendu. Au lieu de dire, comme la morale vulgaire, que les actions honnêtes sont utiles parce qu’elles sont honnêtes, c’est-à-dire que Dieu les récompensera, ils disent que les actions utiles sont honnêtes parce qu’elles sont utiles, que c’est leur utilité qui fait leur bonté et leur mérite.
Les utilitaires peuvent être convaincus d’erreur en fait et en principe.
En fait, il n’est nullement vrai que l’homme doive être conduit par son intérêt bien entendu à faire ou à omettre les actions qui lui sont prescrites ou défendues par la loi du devoir. Si l’on n’admet pas de vie future, il arrive très souvent que l’intérêt, même bien entendu, d’un homme est contraire à son devoir. Il arrive quelquefois que l’homme qui fait une mauvaise action peut raisonnablement espérer qu’elle ne sera pas punie ici-bas. Les exemples sont nombreux de gens parvenus à la richesse par des voies illicites, qui ont joui jusqu’à leur mort du bien mal acquis. Aussi nombreux peut-être sont ceux des hommes qui, avant fait leur devoir, n’ont pas été récompensés, ou qui, après s’être dévoués, n’ont rencontré que l’ingratitude de leurs semblables. Nier ces faits palpables, prétendre que l’ordre social est tellement juste qu’il y ait toujours accord entre le devoir et l’intérêt, c’est soutenir une thèse chimérique.
Le seul moyen de remettre dans ce cas l’accord entre le devoir et l’intérêt serait de dire que le méchant est rendu malheureux par le remords et que l’homme de bien jouit par le témoignage de sa conscience.
Mais le remords et la satisfaction de conscience sont très faibles quand ils sont séparés de l’idée d’un juge et d’une rétribution.
De plus, ces sentiments sont contraires au principe de la morale de l’intérêt. D’après cette doctrine, une action est honnête parce qu’elle est utile. L’homme qui a réussi à s’enrichir par le vol a donc fait une action utile, par conséquent une action honnête ; il n’a donc pas à s’en repentir. Celui qui est dans la misère pour avoir voulu faire du bien aux autres a fait un mauvais calcul ; il n’a pas suivi son intérêt, donc, selon la doctrine, il n’a pas fait son devoir ; c’est lui qui doit se repentir. (Première note du blog la France Chrétienne : voilà l’un des nombreux fléaux du XXIe siècle prophétisé par l’abbé de Broglié)
Le remords et la joie de la conscience appartiennent à la doctrine du devoir, et non à celle de l’intérêt. Un utilitaire conséquent doit les considérer comme des préjugés que la science doit dissiper.
A défaut de cette ressource, les utilitaires ont eu recours, pour soutenir leur système, à une autre idée.
Ils se sont appuyés sur le sentiment de sympathie qui existe entre les hommes. Chaque homme, disent-ils, jouit de voir les autres hommes heureux, et souffre de voir souffrir son prochain.
Dès lors, les hommes sont intéressés à se faire du bien les uns aux autres. En rendant les autres heureux, ils travaillent à leur propre bonheur.
L’erreur de ce raisonnement consiste à croire que le sentiment de sympathie est l‘unique sentiment du cœur humain ou même le sentiment prédominant.
Il y en a d’autres : l’intérêt privé, le désir égoïste de sa propre jouissance, qui agissent puissamment sur le cœur de l’homme. Il y a souvent, en outre, des sentiments contraires, des haines, des rancunes, des antipathies.
Pour juger de la valeur de l’argument des utilitaires, plaçons nous dans un cas particulier.
Proposez à un voleur qui va dépouiller un passant de s’arrêter parce qu’il va perdre ce sentiment de plaisir sympathique qu’il pourrait éprouver en pensant que ce passant a de l’argent dans sa bourse. Proposez à un homme qui poursuit sa vengeance le sentiment naturel de sympathie qui doit l’unir à son ennemi comme motif pour ne pas lui faire de mal. (Deuxième note du blog la France Chrétienne : voilà encore une autre hérésie dans laquelle l’humanité est actuellement embourbée)
Évidemment ce seraient des motifs impuissants et chimériques.
C’est donc aller contre l’évidence que de prétendre qu’il y ait en fait un accord universel entre l’intérêt bien entendu et le devoir. Cet accord existe dans un grand nombre de cas ; en principe général, il est avantageux d’être honnête. Mais le nombre des exceptions est si grand, l’écart entre l’idéal social et la réalité est si considérable que la morale de l’intérêt serait sans aucune efficacité contre le véritable mal moral.
Une autre considération, qui montre combien la morale de l’intérêt serait insuffisante, se tire des passions qui émeuvent le cœur humain.
Considérez un homme animé d’une passion qui le porte à désirer ou à haïr un certain objet. Pendant que, la passion dure, son objet devient prédominant dans l’imagination ; tout autre objet disparaît à côté. Allez dire à cet homme que son intérêt bien entendu est de renoncer à l’objet de sa passion, il ne vous écoutera même pas. Il n’a d’autre intérêt, d’autre fin, d’autre but que d’assouvir sa passion.
Parlez-lui, au contraire, au nom du devoir (troisième note du blog la France Chrétienne : voilà pourquoi les ennemis de Dieu ont effacé la notion du devoir, Voltaire en tête de liste), dites-lui que son acte est coupable ; parlez-lui de Dieu qui le jugera ; montrez-lui non pas des inconvénients ou des souffrances passagères, mais le danger de perdre sa fin absolue et éternelle et vous pourrez agir sur son âme.
Ainsi, en fait, la morale de l’intérêt est illusoire et inefficace.
En principe, elle est fausse ; elle est même immorale.
Elle supprime le dévouement, le désintéressement, la générosité. Toutes ces grandes idées sont ramenées à des calculs égoïstes, ou sont déclarées de nobles folies.
Elle fait plus encore. Elle supprime le devoir même ; elle en anéantit le caractère obligatoire,
Vainement, en effet, m’aurez-vous montré que mon intérêt bien entendu est de ne pas voler, ou de faire la charité. Est-ce que je suis obligé de suivre mon intérêt ? Si je vais contre la règle que vous me posez, que ferais-je ? un faux calcul ; je préférerai un bien actuel à un bien futur plus grand. Mais faire un faux calcul ne rend pas coupable. J’aurai été imprudent, j’aurai été maladroit ; je n’aurai pas pour cela été criminel.
Il n’y a rien dans l’utilité pure qui contienne l’idée de l’obligation. La source de cette idée doit être cherchée ailleurs et plus haut.
C’est un fait bien singulier, qu’un grand nombre de philosophes et de moralistes, qui sont des esprits distingués, qui ont voulu enseigner une morale pure, qui se sont efforcés de revenir par divers artifices aux idées de la morale vulgaire, aient soutenu une morale aussi évidemment fausse, et, malgré tous les efforts de ses défenseurs pour la rendre élevée, aussi basse et aussi grossière dans son principe.
La seule explication de cette aberration d’esprit nous paraît celle-ci : Ces moralistes ont voulu écarter l’idée de Dieu et de la vie future de la morale ; la conséquence a été de rendre la notion du devoir si peu rationnelle, si étrange et si contraire aux instincts de l’humanité, qu’ils ont été forcés de chercher dans l’intérêt bien entendu un autre principe de moralité qui ne se rattachât pas comme le devoir aux régions supérieures de Dieu et de l’immortalité.
III. Morale du sentiment
Une autre solution adoptée par certains moralistes consiste à substituer à l’obligation, aperçue et constatée par la raison, certains sentiments du cœur humain.
Selon cette doctrine, les actes bons sont ceux qui sont inspirés par de bons sentiments ; les actes mauvais, ceux qui sont l’expression de mauvais sentiments.
Immédiatement se pose cette question : Comment et à quel signe distinguera-t-on les sentiments bons des mauvais sentiments ?
Sur ce point, les partisans de la morale du sentiment ont émis diverses opinions qu’il serait trop long d’exposer et de réfuter.
Nous nous arrêterons à celle qui est la plus plausible et qui a été soutenue par le plus grand nombre d’entre eux.
Elle consiste à dire que les mauvais sentiments sont les sentiments égoïstes qui se rapportent à notre bonheur personnel, et que les bons sentiments sont les affections bienveillantes qui nous portent à faire du bien aux autres. Certains auteurs ont appelé ces sentiments, sentiments altruistes, par opposition aux sentiments égoïstes.
Faire le bien, ce serait donc agir conformément aux affections bienveillantes et contrairement à l’intérêt personnel, ce serait faire prédominer l’altruisme sur l’égoïsme.
On remarquera que cette formule est directement opposée à celle du système que nous avons étudié, celui de l’intérêt bien entendu.
Cette formule a sans doute une vérité partielle. Dans un grand nombre de cas, la règle de se sacrifier pour autrui et de préférer le bien des autres au sien propre serait une règle salutaire.
Mais il est facile de voir que cette règle ne suffit pas pour constituer un code complet et exact de morale.
Les sentiments égoïstes sont dangereux par leurs excès, mais ils sont bons dans une certaine mesure. Bien des vertus, par exemple la tempérance, l’économie, la prudence, ont pour principe un amour bien entendu de soi-même.
Au contraire, les affections bienveillantes peuvent inspirer des actes coupables ; la bonté peut dégénérer en complaisance pour le mal et en faiblesse. (quatrième note du blog la France Chrétienne : la faiblesse est le plus grand tort de la France de 2016. On peut le constater avec les attentats qui frappent notre nation. Au lieu de contrer le mal, la masse affaiblie dépose des bougies et des mots doux. Voilà un grave sentiment de faiblesse que dénonce à juste titre l’abbé de Broglié !)
La société a besoin, sans doute, de personnes qui se dévouent, mais elle a aussi besoin que les hommes veillent à leurs propres intérêts : l’intérêt privé est un des moteurs de la machine sociale, et il serait impossible de pourvoir aux besoins du commerce et de l’industrie par le seul dévouement, à moins que la mesure de dévouement qui existe dans le cœur humain ne fût beaucoup augmentée.
La morale du sentiment a un autre défaut : elle supprime l’idée de l’obligation. Sans doute il est beau de se dévouer, mais cela est-il obligatoire ? Pourquoi serions-nous obligés de sacrifier notre propre bonheur à celui des autres ? Pourquoi, parmi les sentiments que la nature a gravés dans notre cœur, devons-nous suivre les uns et réprimer les autres, Est-ce en vertu d’une loi gravée dans la conscience ? Nous revenons alors à la morale du devoir.
Est-ce parce que nous serons plus heureux en nous dévouant ? C’est alors un retour à la morale de l’intérêt. En nous dévouant, nous travaillons pour nous-même.
Il resterait de plus à prouver que les hommes sont toujours plus heureux en se dévouant. Or, cette thèse (en écartant l’idée de la récompense future) est encore mal fondée. Tous les hommes ne sont pas sensibles aux joies pures du dévouement. Il y en a qui ne les comprennent pas. Bien des hommes, en se dévouant, rencontreront l’ingratitude et seront affligés au point d’être tentés de regretter ce qu’ils ont fait. D’autres seront frappés par la mort avant d’avoir pu jouir du fruit de leurs efforts.
La morale du sentiment est donc incapable de rendre compte de l’idée de devoir. Elle est de plus souverainement inefficace en présence des passions. La passion prédomine sur tout autre sentiment altruiste ou égoïste. Elle ne peut être combattue que par la raison et la conscience. Le devoir peut lutter contre la passion, parce que c’est un motif d’un autre ordre. Mais, sentiments contre sentiments, la passion sera toujours la plus forte.
Ainsi la morale fondée sur le sentiment pur est aussi incomplète et aussi inefficace que la morale de l’intérêt.
Pour lire la suite, à cause de la longueur de l'article : https://lafrancechretienne.wordpress.com/2016/08/09/les-incalculables-erreurs-de-l-atheisme/