Un profond mal de vivre afflige beaucoup de personnes dans les sociétés occidentales.
Je ne parle pas ici des gens avec de très sérieux problèmes de santé mentale, aux dossiers remplis de lumières rouges, dont on se demande ce qu’ils faisaient en liberté jusqu’à ce que survienne une tragédie.
Malaises
Je parle d’un autre type de mal de vivre, en fait de plusieurs types, mais je n’ai ni l’espace ni la compétence pour tous les cataloguer.
J’y vais donc à coups d’exemples.
Les «coachs de vie» font des affaires d’or. Des gens ont besoin qu’on leur dise comment vivre.
Des gens croient aux cristaux guérisseurs et à toutes sortes de pseudothérapies qui sont du pur charlatanisme.
Dans les librairies, les rayons consacrés à l’ésotérisme me semblent de plus en plus fournis.
Les émissions de télé du genre Dr. Phil, où des gens parlent de leurs «bibittes», abondent.
On n’a jamais prescrit autant d’antidépresseurs.
Les taux de suicide restent ahurissants.
Les psychologues sont débordés.
Les cas de rage au volant étaient-ils si nombreux jadis?
Le nombre d’ados mal dans leur peau, qui pensent que changer de sexe est la solution, est en croissance exponentielle.
Regardez aussi la nature de certains combats menés par ceux qui se croient éclairés.
Pouvoir mettre un «X» sur un permis de conduire? Faire avancer l’écriture «inclusive»? Traquer de vilains mots dans de vieux livres?
Le gouvernement Trudeau finance un programme qui doit s’assurer que les équipes de démineurs envoyées en Ukraine sont «inclusives».
De grandes croisades qui font avancer l’humanité ? Vraiment ?
Chacun à leur manière, Russes, Chinois et islamistes sont convaincus que nos sociétés sont entrées dans une décadence terminale.
Confort
Je retournais tout cela dans ma tête quand un lecteur que j’apprécie particulièrement m’a fait parvenir une citation du grand Emil Cioran.
«Les thérapeutiques mentales foisonnent chez les peuples opulents; l’absence d’angoisses immédiates y entretient un climat morbide. Pour conserver son bien-être nerveux, une nation a besoin d’un “objet” à ses inquiétudes, d’une terreur positive justifiant ses “complexes”. Les sociétés se consolident dans le danger et s’atrophient dans la neutralité. Là où sévissent la paix, l’hygiène et le confort, les psychoses se multiplient.»
Relisez attentivement ces phrases sans leur faire dire ce qu’elles ne disent pas.
Né dans un pays pauvre, la Roumanie, passé ensuite sous le joug communiste, Cioran essayait de comprendre ce mal de vivre dans des sociétés riches, éduquées, confortables, où voudraient vivre les pauvres du monde entier.
Selon lui, une société qui ne fait pas face à un danger tangible, qui a comblé la majorité de ses besoins vitaux, qui a perdu le sens du tragique, qui est devenue repue et indolente, verra se multiplier les angoisses individuelles.
Il ne s’agit pas d’en tirer les mauvaises conclusions. Je n’idéalise ni le passé ni les sociétés pauvres et guerrières.
Mais honnêtement, peut-on lui donner tort ?
Joseph Facal