Au moment de la mort, chaque homme reçoit dans son âme sa rétribution éternelle. Chacun se voit jugé en conscience dans la vérité de son cœur, soit à travers une purification, soit pour entrer dans la béatitude du ciel, soit pour se damner. L’Église invite à la conversion et à la confiance.
D’un point de vue purement humain, la mort est incompréhensible et scandaleuse. C’est pourquoi, naturellement, nous en refoulons l’idée même. Sans une espérance religieuse en un au-delà par la vie éternelle, la mort n’est qu’un retour au néant d’où nous fûmes tirés : elle rendrait dès lors vaine et désespérée toute existence humaine et toute action. Pourquoi aimer un être par exemple et s’engager pour lui si nous sommes destinés à ne plus jamais le revoir ?
Tout serait éphémère et vanité, nos existences absurdes consisteraient à attendre que s’écoule notre « durée de vie » plus ou moins confortablement assis dans le grand théâtre du monde et sans trop penser à la dernière scène. Notre monde occidental déchristianisé occulte la réalité de la mort. On la cache, on n’en parle pas, on n’y pense pas ou on essaie de ne pas y penser et l’on se concentre sur le traitement de la douleur. Pourtant la mort est bien l’unique événement inévitable de nos vies. Elle se rapproche de nous inexorablement, par cercles de plus en plus étroits, d’abord anonyme (la mort du « il », d’un quidam), puis plus proche (la mort d’un « tu » aimé), et enfin personnelle et inévitable : « ma » mort, la mort du « je », où plus personne ne peut aller à ma place. C’est moi qui meurs cette fois. Solitude et impuissance absolues.
Le paradoxe ultime : lucidité mais impuissance
Le philosophe Heidegger décrit ce moment où « la » mort devient « ma » mort comme un moment profondément paradoxal. Cette proximité de ma mort me donne une extraordinaire et unique lucidité sur ma vie puisqu’elle vient la clore. Un peu comme la dernière page d’un roman illumine toutes les précédentes. Mais, au même moment, de cette lucidité ultime, lucidité qu’aucun autre moment de la vie ne peut apporter, je ne peux rien faire, car je n’ai plus d’avenir, plus de possibles à explorer. J’y vois enfin clair, mais trop tard. La mort est paradoxale en ce qu’elle me donne d’une main ce qu’elle reprend de l’autre. Mes yeux s’ouvrent enfin mais je n’ai plus de mains (« je n’ai plus demain ! »). Ma course est finie et je me retrouve face au mur de la mort : essoufflé, je peux alors m’appuyer dessus pour me retourner et embrasser d’un seul regard ce qu’a été ma vie, mais au même moment ce mur m’empêche d’avancer plus loin. Le savoir est là, lumineux, mais privé de toute la fécondité du faire. Lucidité absolue mais totale impuissance : voilà le paradoxe auquel nous devrions nous préparer à l’approche de la mort. Une clairvoyance aphone.
L’homme est un être de désir, fait pour l’éternité
Si la philosophie veut nous « apprendre à mourir » (Montaigne), ses réponses restent incapables de combler le cœur de l’homme naturellement assoiffé d’éternité. Les mythologies et autres religions naturelles veulent apporter des récits plus convaincants sur l’au-delà, mais c’est la Révélation chrétienne qui — en Jésus le Christ — révèle à l’homme sa destinée ultime et son incroyable dignité. L’écrivain Gilbert Cesbron a cette réflexion remarquable : « Et si c’était cela, perdre sa vie : se poser les questions essentielles juste un peu trop tard ! » Heureusement, la vie se charge de nous déranger sans cesse, de nous rappeler régulièrement ces questions essentielles. Nous sommes des êtres de « désir », mot dont l’étymologie nous apprend qu’il est ce regard porté au-delà des étoiles « de-siderare », « mesure » de l’infini qu’aucune satisfaction n’arrête. Dé-sidérés dans un monde désenchanté, nous restons plus que jamais libres d’anticiper en partie cette lucidité finale de la mort qui vient, en nous asseyant en route, si j’ose dire, pour nous préparer à mourir. « Songez aux choses d’en-haut et non à celles de la terre » insiste saint Paul (Co 3, 2).
C’est en Dieu notre Créateur que se trouvent ces réponses et le Christ n’est pas venu sur terre pour une autre raison que celle-là : nous enseigner qui nous sommes, d’où nous venons, ce que le péché nous fit perdre, quelle est notre dignité et où nous allons.
Sans Dieu l’homme est une énigme à lui-même, un « monstre incompréhensible » disait Pascal, et c’est seulement en son origine qu’il peut trouver les réponses sur sa destinée. C’est donc en Dieu notre Créateur que se trouvent ces réponses et le Christ n’est pas venu sur terre pour une autre raison que celle-là : nous enseigner qui nous sommes, d’où nous venons, ce que le péché nous fit perdre, quelle est notre dignité et où nous allons. Sa réponse comble le cœur de l’homme au-delà de nos espérances les plus folles : il nous révèle que nous fûmes créés gratuitement par amour « à son image », et qu’ainsi nous sommes fils adoptifs de son Père céleste et destinés en lui à une éternité de joie. « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » résume parfaitement le concile Vatican II (Gaudium et Spes, 22). Éclairée par les paroles du Christ, l’Église peut poser quelques jalons prudents mais assurés sur ce qui se passe au moment de notre mort physique et après.
Lire la suite de cet article des plus intéressants et rempli d'espérance : Que se passe-t-il au moment de la mort ?