Les catholiques fêtent le 20 mai saint Lucifer. Évêque et défenseur de la foi, Lucifer de Cagliari (+ 370) combattit l’hérésie des ariens avec un zèle jugé excessif par les autorités romaines : s’il avait du mal à pardonner, l’Église lui pardonna son intransigeance…
Voilà quelques mois, un officier d’état-civil a refusé, arguant, comme le droit le prévoit, de l’intérêt de l’enfant, d’inscrire sur les registres municipaux un petit garçon que ses parents voulaient prénommer Lucifer. Un tel prénom se serait avéré en effet difficile à porter. Reste, et c’est l’un des critères pour admettre ou pas le choix parental, qu’il existe bel et bien au calendrier un très authentique saint Lucifer, fêté au martyrologe catholique le 20 mai.
Un très beau prénom
Lucifer, la suite de l’histoire a tendance à nous le faire oublier, est un très beau prénom, qui signifie « Porteur de Lumière », en l’occurrence la lumière divine que le premier des Séraphins avait pour mission de répandre sur les autres chœurs angéliques puis sur l’humanité, rôle qu’il a refusé, ne voulant pas abaisser sa nature supérieure comblée de dons exceptionnels à servir un Dieu fait homme, prisonnier de la matière. En se rebellant contre le plan divin, en hurlant qu’il ne servira pas, Lucifer brise son alliance d’amour démesuré avec le Très Haut et se voue pour l’éternité à un malheur irréparable, incommensurable, que nous pouvons à peine imaginer. Cela fait, il perd sans retour non seulement les extraordinaires vertus qu’il possédait, désormais abîmées, faussées, mais aussi sa place au sommet de la hiérarchie angélique, passée à saint Michel. Il perd aussi son nom, qu’il ne mérite plus, pour prendre celui de Satan, ou de Diable, qui signifie en grec « Diviseur » car il s’acharnera à séparer l’homme de son Créateur.
Sous la protection de Notre Dame
En latin, Lucifer désigne aussi « l’étoile matutine », la dernière à briller tandis que le jour se lève, annonçant le lever du soleil, raison pour laquelle ce nom de Stella Matutina est porté par Marie, qui annonce et enfante le Christ, Soleil de Justice. Cela explique pourquoi, dans les premiers temps de l’Église, il a pu ne pas sembler choquant de baptiser un enfant Lucifer, ce qui revenait à le mettre, non sous la protection du Malin mais, au contraire, sous celle de Notre Dame, et c’est ainsi qu’au début du IVe siècle un futur évêque a reçu ce prénom au baptême.
Pour être franc, ce que nous savons de lui est limité et sa mémoire s’est obscurcie, non à cause d’un prénom jugé toujours plus importable, mais en raison de prises de position, courageuses mais un peu raides, qui l’ont finalement conduit à provoquer un schisme…
Contre Arius, le Credo de Nicée
La première trace de Lucifer, dont nous ignorons le lieu de naissance, peut-être l’Italie, et les origines familiales, date de 325, lorsqu’il participe au concile œcuménique de Nicée, dans les faubourgs de Constantinople. Ce concile a été réuni afin d’examiner la doctrine d’un prêtre d’Alexandrie, Arius, ancien universitaire converti au christianisme qui, pétri de philosophie grecque et trouvant les évangiles trop simples, s’est mis en tête de réécrire l’histoire du Christ dans une version plus conforme, selon lui, aux aspirations des intellectuels. Le résultat de ces spéculations, qui empoisonneront la chrétienté pendant des siècles sous diverses formes et résurgences, a été une négation pure et simple de la divinité de Jésus, « Fils de Dieu » de manière honorifique, si l’on peut dire… C’est contre ces délires que les pères conciliaires ont rédigé le Credo de Nicée, que nous disons toujours, proclamant Jésus « Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré et non pas créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. »
Sans doute Lucifer est-il alors un tout jeune prêtre, venu assister aux débats en compagnie de son évêque. L’expérience, qui aboutit à la condamnation d’Arius et de ses théories, le marque profondément. Nous le retrouvons presque trente ans après dans l’entourage du pape Libère qui lui a donné rang de légat. C’est à ce titre que Lucifer se rend à Arles où un concile s’est réuni pour arbitrer entre l’archevêque et l’évêque Hilaire de Poitiers. Hélas, dans l’intervalle, et malgré la mort d’Arius, ses idées l’ont emporté, du moins à la cour impériale de Constantinople. L’empereur Constance II est arien militant et entend éradiquer le catholicisme de l’Empire. Par la force. Athanase, qui, en 325, alors assistant du patriarche Alexandre d’Alexandrie, a rédigé le Credo nicéen et n’a cessé depuis de défendre la foi catholique, en a été la principale victime, chassé de son siège épiscopal, exilé à Trêves, rappelé en Égypte, chassé de nouveau, au gré des fluctuations politiques de l’heure. Lucifer et Athanase se connaissent bien et sont probablement amis.
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