Le Carême est un temps de combat spirituel où les grandes questions existentielles ressurgissent, en communion avec notre prochain. Parmi ces interrogations intimes cruciales, figure celle de la vie après la mort. Pourquoi l’homme d’aujourd’hui s’intéresse si peu aux fins dernières ? Faut-il laisser les sectes traiter seules le sujet ?
Rien ne signale plus l’influence inconsciente du démon dans nos sociétés que le désintérêt d’une grande majorité envers sa destinée post mortem. Comment expliquer autrement que par une emprise spirituelle maléfique la légèreté et l’insouciance avec lesquelles beaucoup envisagent leur possible immortalité ? Pourtant, toutes les civilisations, malgré leurs différences de croyances, ont toujours eu à cœur d’appréhender avec le plus grand sérieux la perspective de vivre éternellement après la mort. C’est d’ailleurs une question de bon sens : si l’immortalité nous attend, forcément l’éternité sera plus longue que la finitude inhérente à notre vie ici-bas, et l’examen de notre propre bien nous commande de ne pas prendre la chose à la légère ! Or, malgré ces considérations, il semble que nos contemporains aient décidé de faire l’impasse sur la question. Comment expliquer pareille inconséquence ?
Cette folie est sous-tendue d’abord par un nietzschéisme élémentaire. « Rien que la terre ! » et « Non aux arrière-mondes ! » dit-on pour dénigrer les questions relatives à l’au-delà. Selon une vulgate conceptualisée par les maîtres du soupçon (Marx, Nietzsche et Freud), l’humanité aurait été tenue en minorité jusqu’à maintenant par des pouvoirs qui n’hésitaient pas à manier la carotte du paradis et le bâton de l’enfer afin de la faire marcher droit et dans les clous. Aussi, l’heure serait-elle venue désormais pour l’homme de se libérer de ce chantage à l’immortalité punitive afin de prendre son destin en main, au lieu d’en laisser le soin à un Autre, que cet Autre ait nom Dieu, la classe dirigeante ou la morale bourgeoise. C’est ainsi que l’Occident, lieu de naissance de ces idéologies, a fini par s’intoxiquer avec ces postulats au point de considérer toute référence à la vie après la mort comme une problématique datée et périmée, indigne d’une humanité désaliénée et adulte.
Le sommeil matérialiste
À ces considérations métaphysiques sont venus s’ajouter des traits psychologiques issus de la maîtrise technicienne du monde : une hubris qui, s’élevant de l’autosatisfaction jusqu’à l’orgueil, traite par-dessus la jambe les inquiétudes des hommes de jadis pour finir par s’accommoder d’un présent indéfiniment extensible auquel ne succédera aucune vie d’une nature différente dans un monde autre que celui d’ici-bas.
Car dans l’entreprise de biffer en nous le souci de l’éternité à venir, les superstructures culturelles et idéologiques de notre modernité n’ont pas trouvé de meilleurs alliés que le confort de l’american way of life et le matérialisme qui l’accompagne. L’homme postmoderne se trouve bien là où il est : dans ces conditions, pourquoi s’aviserait-il de l’existence d’un autre monde ? Celui au sein duquel il évolue, reste clos sur lui-même. Cependant, l’absence de transcendance ne dérange pas notre homme outre-mesure. Certes, il y a bien, ça et là, quelques correctifs à apporter relatifs à la redistribution des richesses. Mais dans le fond, l’homme postmoderne se console facilement qu’aucune éternité ne prenne le relais de ce monde-ci. Dans ce matérialisme pratique réside d’ailleurs le plus grand malentendu entre l’Occident et l’aire civilisationnelle musulmane.L’homme postmoderne se trouve bien là où il est : dans ces conditions, pourquoi s’aviserait-il de l’existence d’un autre monde ?
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