mardi 18 juillet 2017
Peinture de Jean-Georges Cornelius (1880 - 1963) Jésus sur la croix
La souffrance au sein de la Trinité
La souffrance au sein de la Trinité
Note: J’aime cette peinture de Cornelius car elle laisse suggérer que Dieu le Père souffrait en même temps que son Fils quand celui-ci était sur la croix. Il est beau de voir le bras gauche de Jésus et le bras gauche du Père, attachés ensemble.
Dans mon blogue du 23 juin dernier, je vous disais qu’il y a un problème avec lequel je me bats depuis des années:
« Si Dieu et les saints et saintes qui sont au ciel, sont parfaitement heureux, comment ce que nous vivons ici-bas peut-il les attrister, les inquiéter ou même les blesser? J'aborderai ce problème dans un futur blogue, sans avoir la prétention toutefois de le résoudre. » (1)
J’ai abordé cette question dans quelques blogues, dont celui du 15 février 2013, intitulé: « Peut-on causer de la peine à Dieu? » (2)
Il ne s’agit pas de savoir si Dieu a déjà souffert. Car la réponse à cette question est pour moi évidente: oui Dieu a souffert pour nous en Jésus Christ son Fils, pour nous sauver. Mais le Père et l’Esprit Saint souffraient-ils quand Jésus souffrait sur terre? Et en ce moment, Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu l’Esprit Saint souffre-t-il (je pense que le verbe au singulier est de mise ici) de voir ses enfants souffrir sur notre belle planète?
Pourquoi ces interrogations ont-elles surgi en moi ces jours-ci? C’est en raison d’un livre de madame Odile Haumonté dont je viens tout juste de terminer la lecture. Il s’agit du livre intitulé: Élisabeth de la Trinité et sa sœur Guite. Dans ce livre, il est question d’une trinité humaine, d’un trio de personnes: Marie Rolland Catez et ses deux filles Élisabeth et Marguerite, surnommée Guite. Ces trois personnes occupent une grande place dans le livre car Marie la mère, a toujours été opposée au fait que sa fille aînée Sabeth (diminutif d’Élisabeth) désire entrer au Carmel. Cette opposition ferme et durable a été un grand motif de souffrance dans la famille, et en particulier pour les deux sœurs qui s’aimaient tellement. Mais un jour la mère a cédé, quoique à grand-peine. Voici comment l’auteure décrit la veille du départ de Sabeth pour le Carmel :
« Le 1er août, veille du départ, est la plus horrible journée. Élisabeth redouble de tendresse envers sa mère et sa sœur. Guite s’efforce de montrer un visage heureux, au moment où sa sœur va réaliser son plus grand désir, mais elle se cache pour pleurer. Marie, elle, ne se cache pas et sa souffrance devient plus aiguë quand elle voit le chagrin marquer le visage de Guite. Petite trinité d’amour où chacune saigne de voir souffrir les deux autres ! » (3)
Une fois Élisabeth entrée au couvent, Marie Catez met au courant du départ de sa fille un ami de la famille, le chanoine Angles, qui s’empresse d’écrire ceci à madame Catez:
« J’étais ahuri de désolation quand je me figurais la terrible agonie que vous enduriez toutes les trois, l’affreux déchirement de ces trois cœurs qui n’en formaient qu’un. » (4)
Vous comprendrez assez facilement, je pense, pourquoi de telles phrases m’ont touché et ont fait se réveiller en moi un combat qui m’agite toujours. Ce combat consiste en l’opposition qui existe entre une vision traditionnelle de Dieu qui fait de lui un Être impassible, c’est-à-dire incapable de souffrir et une vision assez moderne de Dieu (cette vision existait depuis longtemps, mais je l’appelle moderne parce que davantage de théologiens de nos jours, prônent cette façon de voir) selon laquelle Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu l’Esprit Saint souffrent en ce moment au ciel.
Il est vrai que des auteurs tels que l’abbé Pierre Descouvemont prônent simultanément les deux visions: ils croient que Dieu est à la fois impassible et compatissant: « Les chrétiens n’oublient jamais en effet que, pour respecter le mystère de Dieu, il faut affirmer simultanément que Dieu est infiniment heureux et infiniment compatissant. » (5)
L’abbé Descouvemont base sa vision des choses sur une phrase de saint Bernard: « Impassiblis est Deus, sed non incompassibilis (Sermon 26, 5). Dieu est impassible mais non incompassible. » Le pape Benoît XVI, dans son encyclique sur l’espérance, intitulée « Spe salvi », au numéro 39, nous dit qu’il aime beaucoup cette phrase de saint Bernard: « Bernard de Clairvaux a forgé l’expression merveilleuse: Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis, Dieu ne peut pas souffrir, mais il peut compatir. »
J’avoue pour ma part, que j’ai beaucoup de difficulté avec cette affirmation de saint Bernard. Je suis plutôt de l’avis de saint Anselme:
« Mais comment êtes-vous à la fois miséricordieux (Benoît XVI dirait: compatissant) et impassible? Car si vous êtes impassible, vous n’êtes point compatissant; si vous n’êtes point compatissant, votre cœur n’éprouve point de pitié pour ceux qui souffrent; vous n’êtes donc point miséricordieux. »(7)
dieumajoie.blogspot.com/2017/06/consolons-le-coeur-de-jesus.html
dieumajoie.blogspot.com/2013/02/peut-on-causer-de-la-peine-dieu.html
(3) Odile Haumonté, Élisabeth de la Trinité et sa soeur Guite, Éditions des Béatiudes, 2016, p. 58.
(4) Ibid, p. 66.
(6) Pierre Descouvemont, Dieu souffre-t-il ?, Éditions de l'Emmanuel, Paris, 2008, pp. 176 -177.
(7) Proslogion seu Alloquium de Dei existentia et attributis, Cap VIII, Quomodo sit misericors et impassibilis.