Prier sans cesse...
Voix off : En piochant au hasard dans la Bible que vous avez mise en rayon, je viens de tomber sur le passage de st Paul “prier sans cesse”...
Sr Marie : « Soyez toujours joyeux, priez sans cesse ! » (1Th 5, 17) : dit saint Paul.
Dans le Petit Larousse, on définit la prière exactement comme le ferait saint Thomas d'Aquin : « Un acte de religion par lequel on s'adresse à Dieu pour exprimer son adoration, ses demandes, son action de grâce ». Un acte de religion, c'est-à-dire un acte qui nous relie à Dieu ; un acte par lequel on s'adresse à Dieu, en lui parlant, tout fort ou mentalement : « Quand on prie, on remet à Dieu son esprit »(Denis Vasse, Le Temps du désir.), dit saint Thomas. Nous croyons que la prière est source de la vie, pour soi, et pour autrui... Cependant nous le savons, être toujours joyeux n’est pas possible. Et prier sans cesse, est-ce possible ? Non. Est-ce souhaitable ? Peut-être pas. Serait-ce juste ? Cela mérite qu'on y réfléchisse...
Prier sans cesse, en termes techniques, cela s'appelle la « prière continuelle », à laquelle les Pères du Désert se sont voués dès l'origine. Ils la recherchent comme un trésor. Ils ont inventé pour cela des techniques d'ascèse, de respiration, des prières « jaculatoires » (c'est-à-dire très courtes et qu'on lance vers le ciel), la récitation nocturne du psautier tout entier. La « prière de Jésus » des moines orthodoxes est devenue un bien commun : avec ou sans « chodki », on répète en continu « Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi, pécheur ».
Sr Julie : Prier sans cesse, cela passe bien sûr par le fait de prendre des moyens concrets pour se mettre régulièrement en présence de Dieu et se souvenir de ses œuvres. Mais ce qui est spécifique à la prière chrétienne, c’est qu’elle s’adresse au Dieu de Jésus-Christ. Ce n’est pas un Dieu impersonnel. Notre Dieu a voulu prendre notre humanité et a donné librement sa vie pour tous les hommes en mourant sur une croix. En réponse, depuis des siècles, des hommes et des femmes choisissent de Lui donner leur vie en « quittant tout » pour entrer au monastère. Ce qui est premier, c’est le don du Christ ! J’aime ces deux phrases des Constitutions dominicaines qui nous rappellent où s’enracine notre prière : « Que le Christ soit fixé dans leur cœur, lui qui pour tous a été fixé sur la croix. » (Livre des Constitutions des Moniales de l'Ordre des Prêcheurs, n°74, 1.4)
Peu à peu, la prière nous façonne, nous configure au Christ. Nous ne devenons pas une autre personne, mais tout notre être s’unifie, se simplifie au fil du temps. La vie monastique a précisément pour but cette unification. Cela passe par de nombreux combats intérieurs contre nous-mêmes (orgueil, jalousie, colère, goût pour le pouvoir, …) mais si nous laissons le Christ agir, nous en sortons vainqueurs.
Comment ne pas s’émerveiller devant ces hommes et ces femmes âgés, burinés par la vie, qui avancent avec confiance devant le grand passage de la mort ! Tout leur être est prière, tant ils sont sûrs de l’amour de Dieu.
Voix off : On voit bien que tout l'enjeu est dans la durée... Mais dans la vie courante ? En ville ? Au travail ?
Sr Marie : Écoute ce que répond saint Augustin : « Ton désir, voilà ta prière ! Si ton désir est continuel, continuelle sera ta prière. Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre dit « Priez sans cesse ». Nous faut-il sans cesse plier les genoux, prosterner le corps, lever les mains, parce qu'il a dit « Priez sans cesse » ? Je ne vois guère que nous puissions le faire sans cesse. Mais il existe dans l'âme une autre prière, intérieure, et qui n'a pas de cesse : le désir. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Ton désir continuel sera ta voix continuelle. Ta voix ne se tait que si tu cesses d'aimer. » (Commentaire sur le psaume 37)
Voix off : Ce n'est pas trop mystique ?
Sr Marie : La grande question de la mystique est toujours brûlante : ce qui nous fera toucher Dieu ultimement, est-ce plutôt l'amour, ou l'intelligence ? Deux traditions divergent. Saint Thomas nous transporte dans l'éclair de la connaissance de Dieu qui est pour lui un regard sur le vrai dans sa simplicité. Saint Augustin, de son côté, insiste sur la puissance de l'amour. Commentant l’évangile de Jean, il cite la parole du Christ : « ''Nul ne vient à moi si mon Père ne l'attire'' : Tu montres une branche verte à une brebis, tu l'attires. Offre des noix (des bonbons) à un enfant il est attiré, il est attiré et il court, il est attiré par son amour. - Donne-moi quelqu'un qui aime et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l'éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire.» (Homélies sur l'Evangile de Jean, XXVI, 5.4)
Ne nous attardons pas à de faux choix ! La prière continuelle, c'est justement demeurer dans la tension et la veille, jusqu'à découvrir en lumière rasante la grâce de Dieu illuminant le réseau de nos vies (parfois même lumière noire, devant le mystère de la Croix). L’amour ET l’intelligence concourent à ne jamais nous croire arrivés.
Sr Julie : Dans ce « prier sans cesse », il y a aussi l’appel à élargir notre cœur aux dimensions du monde : « Le monde leur tient lieu de cellule et l’océan de cloître », disait déjà frère Matthieu de Paris en 1269. Prier, ce n’est pas être dans sa bulle et vouloir être préservé des épreuves de la vie. Au contraire, cela doit nous rendre toujours plus sensible à la détresse des hommes. Toute rencontre vraie d’une personne est déjà une prière. Enfin soulignons que pour un chrétien, la prière personnelle se nourrit de la participation aux sacrements (eucharistie, sacrement de réconciliation) et de la prière de l’Eglise (liturgie des heures). C’est avec tout cela que, peu à peu, je peux regarder ma vie comme un don, découvrant que je ne suis qu’une créature ayant tout reçu de Dieu, et en même temps que je suis aimée de manière unique par Dieu. Apprendre du Christ à reconnaître Dieu comme mon Père, c’est assez extraordinaire !
Sr Marie : En conclusion, dans la prière, on s'adresse à Dieu en esprit, évidemment, mais aussi à l'aide de bien de moyens corporels – la prière continuelle cependant suppose un don de soi intégral au Christ, moyennant quoi elle façonne toute notre vie. Elle unifie notre intelligence et notre cœur jusqu'à nous simplifier au maximum. La petite Thérèse le résume ainsi : « la prière, c'est un simple regard tourné vers Dieu ». Et saint Paul nous le rappelle : c’est l’Esprit Saint qui prie en nous. « Nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. » (Rm 8, 26)
soeur Julie et soeur Marie-de-la-Croix
Sœur Marie de la Croix, moniale dominicaine à Chalais, avait donné en 2018 pour la session ThéoDom un enseignement : "Attention et Intériorité : trouver Dieu dans la prière à l'école de saint Augustin. Sœur Julie, moniale dominicaine à Chalais, assez "généraliste", peut-être parce qu'elle a été professeur des écoles, et passionnée du Christ et de l'Evangile.
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