Nous étions un peuple chrétien
J’étais de passage à l’église aujourd’hui pour le mariage d’une amie proche. C’était un beau mariage, la mariée était magnifique, radieuse, éblouissante, le marié était bien dans son rôle, sûr de lui, rayonnant de bonheur, de confiance et de fierté. Évidemment, je suis bon public dans un mariage. J’aime les cérémonies religieuses et j’aime le rituel catholique, même si celui-ci, quoi qu’en disent les adorateurs de notre époque, a été passablement mutilé par sa «modernisation». Non pas qu’il faille pleurer l’Église ancienne, encore moins se réfugier dans les marges qui prétendent conserver l’intégrité du dogme contre l’époque. Mais à Rome même, on a reconnu, ces dernières années, la valeur de l’ancien rituel, au point de l’autoriser à nouveau, pour les fidèles qui s’y retrouvent davantage et qui sentaient qu’on les avait privés de leur religion. Brassens n’avait-il pas vu juste à sa manière, évidemment piquante et moqueuse? Mes amis qui s'amusent de mon catholicisme aussi incertain et approximatif, et pourtant revendiqué, vous diront même que c’est le rituel qui me conduit à la religion, que c’est l’histoire qui me conduit à l’église, comme si je me laissais éblouir par quelque chose de secondaire, alors que je ne sais trop que faire de la foi, même si je la cherche.
Qu’il en soit, il reste au cœur de chaque messe une chose: l’essentiel. C’est peut-être une question de lieu. En tant que telle, une église propose un décor favorable au questionnement spirituel. Elle rehausse ce qui s’y passe, en plus de l’embellir. Elle tire par le haut ceux qui s’y trouvent, ne serait-ce que le temps d’un bref passage. Le Québec a beau être socialement déchristianisé, nous n’entrons pas encore dans une église comme nous entrons dans un centre d’achat. J’ai souvent vu des athées convaincus respecter le rituel des croyants, en allant jusqu’à se signer lorsqu’on leur demande, probablement parce qu’ils sont admirablement courtois et respectueux, ce dont je ne doute pas, mais peut-être aussi, parce qu’ils sont intimidés par les lieux et ce qu’ils symbolisent, même s’ils ne l’avoueront jamais. Et j’ai à nouveau noté aujourd’hui une chose qui me semble fondamentale : nous ne connaissons plus du tout le langage du catholicisme. Chacun récite à peu près le Notre Père, que nous préférons tutoyer que vouvoyer, d’ailleurs, mais c’est à peu près tout. Le prêtre est obligé de donner ses consignes à ceux qui l’écoutent, parce qu’ils ne sauraient pas quoi faire sinon. «Vous pouvez vous asseoir». «Levez-vous s’il vous plait». Et ainsi de suite. Je devine qu’il y a à peine 40 ou 50 ans, la chose n’aurait pas été nécessaire – en fait, elle aurait semblé absurde.
Je ne fais la morale à personne ici. Moi-même, j’ai beau lire sur l’histoire de l’Église, j’ai beau, chaque fois que je passe dans un village québécois, visiter l’église et le cimetière, j’ai beau aussi de temps en temps me présenter à la messe (sans jamais parvenir à y revenir ensuite, je me sens comme un imposteur dans une messe qui n’est pas un baptême, un mariage ou un enterrement) j’ai beau finalement lire certains philosophes catholiques dont la pensée est absolument féconde, dans une église, je suis comme tout le monde, je ne sais pas quoi faire, alors je regarde mon voisin, qui ne le sait pas plus, et qui finalement, attend lui aussi les consignes déjà évoquées. Dans une église, je mesure chaque fois mon inculture religieuse. J’ajoute une chose : le prêtre, cet après-midi, était entouré de deux prêtres africains et l’un d’eux, si j’ai bien compris, était justement curé dans une paroisse pas très éloignée, sur la rive-nord de Montréal. Étrange retournement de l’histoire. Hier, nous étions un peuple missionnaire, aujourd’hui, nous sommes une terre de mission. Le catholicisme, à tout le moins, tisse des liens profonds, même s’ils sont souvent invisibles, entre les peuples qui en ont fait leur religion, ou qui autrefois, y appartenaient.
Mathieu Bock-Côté