“L’ange gardien n’est pas un super héros !“Le père Pierre de Martin de Viviés, sulpicien, théologien et auteur de Ce que dit la Bible sur anges et démons (Nouvelle Cité), nous éclaire sur ces créatures célestes, présences discrètes et non moins actives dans l'histoire de l'humanité.Qu’est-ce qu’un ange gardien ?
Les anges gardiens ne sont qu’une fonction des anges, en quelque sorte, et les définir nécessite d'abord de comprendre la signification de l'ange en général. Ange, en hébreu, veut dire envoyé, messager. La croyance dans les anges puise sa source dans l'idée que l'univers ne comprend pas uniquement Dieu et l’homme : le ciel est habité par de nombreuses créatures. Les anges sont des créatures célestes, fidèles à Dieu, et intervenant dès l’Ancien Testament, notamment dans l’histoire d’Israël. L'un des points de départ d’ « ange gardien », même s’il n’est pas désigné ainsi, est que chaque nation, chaque peuple, chaque royaume, possède un ange qui lui est spécialement affecté. On le retrouve par exemple dans le Livre de Daniel. Plus largement, on a attribué un nom à l’ange protecteur d’Israël : Michel. Ainsi, lors de la sortie d'Égypte, l’ange du Seigneur marche aux côtés du peuple hébreu. Plus on va avancer dans le temps, plus cette figure intermédiaire va être mise en place. Le Livre de Tobie va ensuite marquer une évolution. C’est à partir de ce dernier que va se développer le thème d’un ange « gardien », affecté non pas à un collectif mais à une personne particulière.
Quelles sont ses caractéristiques ?
Une créature discrète et anonyme. On apprendra d'ailleurs son nom qu’à la fin du Livre de Tobie. Il va guider et protéger, donner les bons conseils, enseigner. Il faut souligner que l’ange Raphaël ne se substitue pas à Tobie : c’est ce dernier qui va faire un travail sur lui-même dans sa marche initiatique. Son ange le guide, le met sur la bonne route mais c'est à Tobie d'agir. L’ange gardien ne résout pas les problèmes « à la place de », mais aide l’intéressé à trouver les bonnes solutions, à condition bien sûr que l’on écoute ses conseils.
Il est frappant de voir ici que les plus petits se voient décerner les anges qui sont au sommet de la hiérarchie : ceux qui voient sans cesse la face de Dieu.
La figure de l'ange gardien est-elle aussi présente dans le Nouveau Testament ?
Dans le Nouveau Testament, l'Évangile selon saint Matthieu le sollicite particulièrement. Ce texte révèle clairement qu'il existe une sorte de connexion entre le monde d’en bas et le monde d’en haut, le monde céleste. Citons le verset 10 :
« Gardez vous de mépriser un seul de ces petits, car je leur dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux. »
« Leurs anges » : aurions-nous donc chacun un ange ?
C’est en tout cas ce que suggère le texte. Il est frappant de voir ici que les plus petits se voient décerner les anges qui sont au sommet de la hiérarchie : ceux qui voient sans cesse la face de Dieu. On est là dans la logique de l’évangile : les plus petits ont beaucoup de valeur aux yeux de Dieu.
Que dit l’Église catholique à propos des anges gardiens ?
La fête des anges gardiens a été instaurée par le pape Paul V en 1608. Il faut rappeler que les anges et anges gardiens font partie de la doctrine. Si on prend le catéchisme de l’Église catholique, l’enseignement est assez limité et on sent bien que la question des anges n'est pas centrale, même si beaucoup de papes, de saints et de théologiens ont affirmé leur réalité.
L’Église stipule-t-elle que chaque personne a un ange gardien ?
Oui. Mais est-ce un ange individuel ? Chaque ange n’a t-il qu’un seul « client » à protéger ? Elle ne se prononce pas précisément là-dessus. Car seules les personnes qui disent être en contact direct avec leur ange peuvent attester de cela !
L’ange gardien est parfois ramené à une sorte de majordome ou de domestique résolvant tous nos problèmes à notre place.
Certains mouvements au sein-même de l’Église sont-ils davantage familiers que d'autres avec les anges gardiens ?
Les mouvements du Renouveau charismatique ont beaucoup mis en avant les anges gardiens, avec des publications et témoignages de personnes racontant leurs expériences avec leur ange… comme le récit de la place de parking trouvée par ses soins.
Quel regard portez-vous sur ces expériences décrites ?
L’ange gardien est parfois ramené à une sorte de majordome ou de domestique résolvant tous nos problèmes à notre place. Et il me semble que c’est un peu dériver de la mission première de l’ange gardien que de penser ainsi. L’ange peut agir dans son domaine qui est spirituel. Or, on ne se place donc pas dans le même registre quand il s'agit de trouver une place de parking. Que penser s’il n’en trouve pas ? Qu’il est en grève ?
Quelle est sa mission, alors ?
On a la réponse dans une prière à l’ange gardien que l’Église recommande, puisqu’elle est présente dans le Compendium du Catéchisme de l'Église catholique :
« Ange de Dieu qui est mon gardien, et à qui j’ai été confié par la bonté divine, éclaire-moi, défend-moi, conduis-moi et dirige-moi. » Entendons-nous bien : on ne dialogue pas avec lui comme cela tous les jours. L'ange gardien est quelqu’un qui peut, de son point de vue, donner à voir, à sentir, quel est le chemin le plus profitable pour l’homme dans une dimension chrétienne. Est présente également la dimension de défense, de protection… à utiliser avec prudence : que penser si un accident arrive ? que l’ange n’aurait pas fait son travail ? ou alors qu’il était occupé à autre chose ? Le risque est, par conséquent, d’en faire une sorte de défenseur perpétuel qui laisserait penser que l’immense majorité de l’humanité ne serait pas bien protégée. L’ange gardien n’est pas un super héros ! Il est davantage un guide, en ne perdant pas de vue qu’il ne travaille pas à son propre compte : il ne fait que relayer la volonté de Dieu, et le premier directeur spirituel de l’homme est l’Esprit Saint.
L'ange gardien est quelqu’un qui peut, de son point de vue, donner à voir, à sentir, quel est le chemin le plus profitable pour l’homme dans une dimension chrétienne.
L'ange gardien et l'Esprit Saint collaborent-ils ainsi ensemble ?
L’ange gardien est en quelque sorte l’allié de l’Esprit Saint, et sa mission peut être donnée par l’Esprit lui-même. On peut citer Gabriel, l’ange de l'Annonciation : l’inspiration vient d’abord de l’Esprit Saint. L’ange gardien inspire, guide, conseille l’homme, toujours dans le cadre de l’action trinitaire. Au sein de certains courants de spiritualité, où l’homme est en contact direct avec le Seigneur, les anges n’ont d'ailleurs pratiquement aucune place. Aussi, contrairement au Christ, les anges ne sont pas des médiateurs obligatoires pour accéder à Dieu. L’Esprit Saint va peut-être répondre à notre invocation par l’invocation de notre ange gardien, mais la prière est d’abord adressée à Dieu. L’Église s’est toujours méfiée d’un culte des anges qui prendrait une importance telle qu’il pourrait reléguer le cœur de la foi – à savoir le Christ – à un second plan.
Quelle différence avec le saint patron ?
Le saint patron est le saint de notre nom de baptême. Alors, évidemment, si on s’appelle Michel, Raphaël, ou Gabriel, le saint patron se trouve être un ange... Autant il existe une littérature afin de trouver le nom des anges, autant dans l’Église catholique, on s’est limité aux trois noms dont parle la Bible. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a qu’eux, mais on s’est toujours refusé à spéculer sur le nom des anges. Hormis Michel, Raphaël, et Gabriel, les saints patrons sont des saints, des humains. On est là dans le registre de la communion des saints.
Thomas d’Aquin dit que tout homme est confié à un ange au moment de sa naissance, et que le démon essaye de contrebalancer ce pouvoir.
Y a t-il des combats spirituels entre notre ange gardien et l’adversaire ?
Il y a toujours cette perspective dans la Bible que l’homme est sollicité du côté du Bien par le Seigneur et du Mal par l’adversaire, qui appartient lui aussi au monde angélique. Ces combats entre les anges fidèles à Dieu et ceux hostiles apparaissent très nettement dans le Livre de Daniel. Dans sa
Somme théologique, Thomas d’Aquin dit que tout homme est confié à un ange au moment de sa naissance, et que le démon essaye de contrebalancer ce pouvoir. Origène avance aussi que
« le Christ qui a racheté avec son sang le baptisé à un mauvais patron, le confie désormais à un saint ange qui, grâce à sa pureté, voit continuellement le visage du Père ». Il est donc possible que cet ange qui nous est affecté soit un protecteur face à d’autres influences angéliques beaucoup moins recommandables.
L'ange gardien est-il une spécificité chrétienne ?
Absolument pas. L'ange compris comme « esprit gardien » aux côtés de chaque homme n’est pas une invention du judaïsme puis du christianisme. On retrouve cette figure dans d’autres religions, notamment dans celle des Perses. En outre, les anges gardiens ont été particulièrement sollicités dans les périodes de trouble, d’angoisse, de péril. On voit d’ailleurs aujourd'hui une abondante littérature sur les anges dans les rayons « ésotérisme » de n’importe quelle libraire... avec parfois des rayonnages intitulés « anges » ou « anges gardiens ». C’est peut-être le paradoxe de notre époque où nous sommes dans un monde à la fois « démythologisé » et dans le même temps très attiré par le merveilleux. Dans le courant New-Age, une branche nommée
« Channeling » rassemble des personnes affirmant être en contact avec des entités, qu’elles soient célestes, divines, spirituelles…
Si on tape « ange gardien » sur Internet, on tombe très vite sur des sites proposant des approches davantage magiques que spirituelles, où l’on va invoquer son ange gardien, connaître son nom… Il ne s'agit en rien de spiritualité chrétienne.