LA PLONGÉE DÉPRESSIVE...
Le chapitre 19 du premier livre des Rois nous situe au lendemain de la brillante victoire d’Élie sur Jézabel et les prêtres de Baal au sommet du mont Carmel. Au moment où Élie devrait triompher, il reçoit un message qui lui dévoile les projets meurtriers de Jézabel, et il prend peur (v. 3). Le super-prophète, le serviteur de Dieu exemplaire entre en crise – tous ses efforts, croit-il, ont été vains. Au chapitre 18, Élie accumulait les succès; au chapitre 19, il sombre dans le désespoir. Au sommet de la victoire au chapitre 18, il est au plus profond de la vallée de la défaite au chapitre 19. Exalté au chapitre 18, il est complètement dégonflé au chapitre 19.
Les sommets
Dans la première lecture (1 Rois 19, 9a.11-13a), Élie doit apprendre qu’on ne rencontre pas Dieu dans le bruit et la fureur des coups d’éclat spectaculaires. Dieu ne se laissera pas convoquer par l’activisme bouillant du prophète, qui se tient maintenant, taciturne et déprimé, au sommet de la montagne du Seigneur. Même si différents phénomènes, tels le vent, la tempête, les séismes, le feu (Exode 19,18-19) peuvent effectivement annoncer la présence divine, ils ne sont pas la présence elle-même qui, tel le murmure d’une brise légère, est imperceptible et révèle seule en profondeur le vrai visage et la présence de Dieu. L’expression hébraïque pour « le murmure d’une brise légère » dit littéralement « la voix de faibles chuchotements, le son d’un doux silence ». La redoutable Jézabel a beau tonner, elle ne contrôle pas les événements. Même si Dieu reste silencieux, il n’est pas absent. Le Dieu d’Élie et notre Dieu est le Dieu des signes et des prodiges mais il est aussi le Dieu des murmures et de la douceur. Ce n’est que lorsque la raison et le cœur d’Élie se sont finalement dépouillés de toute ambition et de toute vanité que Dieu peut finalement se faire entendre.
Élie lutte contre la dépression
Le mont Horeb est désormais associé à la source et à l’essentiel de la foi israélite. Élie arrive à la montagne sacrée; il passe la nuit dans une caverne et dans l’obscurité. La caverne et la noirceur évoquent « la nuit obscure de l’âme ». L’histoire d’Élie dans la caverne du mont Horeb est l’exemple classique d’une attaque d’épuisement et de dépression. Ce genre de crise finit par frapper tout le monde, même les élus de Dieu, ses prophètes et ses leaders étincelants, ses apôtres et ses disciples!
La dépression d’Élie n’était pas la conséquence d’une seule et unique circonstance. À la racine d’une dépression, il y a presque toujours une forme de peur. Le prophète flamboyant de la cause d’Israël est terrifié par les menaces de la terrible reine Jézabel et il prend la fuite. Combien de fois nous est-il arrivé, comme à Élie, d’appréhender l’échec, de fuir la solitude, de ne pouvoir réaliser un travail qu’on nous avait confié, de nous retrouver à bout de persévérance, de patience et d’espoir?
Le deuxième facteur de la dépression d’Élie, c’est l’échec. Son estime de soi a pris un coup. Élie se situe dans une longue lignée de prophètes qui se sont attaqués au peu de foi et à l’apostasie d’Israël, et il n’a pas mieux réussi que ses devanciers. Combien de fois avons-nous eu l’impression que nos efforts avaient été vains? Que nous n’étions pas arrivés à changer les choses, exactement comme ceux et celles qui nous ont précédés? Combien de fois en sommes-nous venus à croire que nous avions envenimé la situation au lieu de résoudre le problème? Combien de fois avons-nous tout simplement échoué : ça n’a pas marché. La relation a viré à l’aigre. Le mariage est rompu. La dépendance m’a fait perdre tous ceux et tout ce que j’avais.
Le troisième facteur, c’est la fatigue, l’épuisement physique et psychologique. Élie était physiquement à bout de forces et affectivement vidé. C’est le grand danger des expériences exaltantes, des « sommets ». C’est le risque que courent ceux et celles qui se perdent dans leur travail ou leur mission, aveuglés par leur propre zèle : ils deviennent des croisés et des sauveurs voués à l’épuisement plutôt que d’humbles disciples et de simples ministres, pauvres serviteurs qui ne font que leur devoir. Élie ne prenait pas le temps de se reposer et de se détendre, de s’arrêter pour voir ce que Dieu accomplissait autour de lui.
Le quatrième facteur, pourrait-on-dire, n’est que futilité. Élie se sent seul, à bout et il n’attend plus rien de l’avenir. Il souffre de paranoïa, soupçonne tout le monde de comploter contre lui. Il broie du noir, n’entrevoit aucune issue à cette impasse existentielle. Combien d’entre nous sont effrayés, esseulés, épuisés, à bout de ressources et d’espoir? Combien d’entre nous ont cédé au désespoir, au cynisme, à la mesquinerie et à l’étroitesse du cœur? Combien d’entre nous ont perdu la foi en un Dieu capable de réveiller les entrailles stériles et de vider les tombeaux?
La thérapie d’Élie
Pour qu’Élie retrouve ses forces et revienne à la vie, il lui fallait partir. Il avait besoin d’une cure de rajeunissement physique, affectif et spirituel. Trop occupé à subvenir aux besoins des nations, il avait négligé les besoins et les soucis d’Élie le Tishbite. Élie ventilait ses frustrations, assis dans la caverne au sommet de la montagne. Tandis qu’il s’apitoyait sur son propre sort, Dieu lui demanda de but en blanc : « Qu’est-ce que tu fais là, Élie? » Dieu savait très bien ce qu’Élie était en train de faire. En fait, c’est Dieu qui l’avait aidé à se rendre là! Patiemment et sans passer de jugement, Dieu écouta Élie déverser sa colère et son amertume et s’apitoyer sur lui-même.
Remarquez ce que Dieu ne dit pas à ce pitoyable prophète : « Élie, mes prophètes ne parlent pas comme ça! » Dieu ne le fait pas se sentir coupable d’éprouver ce qu’il ressent. Au contraire, Dieu l’accepte et l’écoute.
Ce qui est arrivé à Élie nous arrive à nous aussi, en particulier quand nous accordons plus d’attention aux événements négatifs qu’à tout ce qui se fait de bien autour de nous. Cela nous arrive quand nous sommes trop exigeants pour nous-mêmes, que nous nous prenons beaucoup trop au sérieux en ne prenant pas Dieu assez au sérieux! Dieu intervient dans la santé d’Élie et lui rappelle que son point de vue sur la vie, son interprétation des événements et sa conception de Dieu sont tout croches.
Élie avait besoin de savoir que Dieu était là et qu’il y en avait d’autres que lui qui n’avaient pas plié devant Baal. Élie se croyait seul à être resté fidèle au Seigneur. Dieu ne laisse Élie séjourner que peu de temps dans la sombre caverne de l’apitoiement sur soi. Il y avait un nouveau roi d’Israël et un nouveau prophète à consacrer. Le temps des plaintes et des récriminations était passé; Élie devait se remettre au travail. Quelle leçon tirer de cet épisode au sommet de la montagne? Peut-être que la meilleure façon de cesser de nous apitoyer sur nous-mêmes, c’est de commencer à éprouver de la compassion pour les autres.
Douleur et angoisse
La deuxième lecture d’aujourd’hui (Romains 9,1-5) nous présente Paul, qui est prêt à se sacrifier pour sauver son peuple, le peuple juif, et à un point qui défie l’imagination. Il est disposé à être maudit, séparé du Christ, si cela peut sauver les siens. Il est prêt à échanger son salut pour la damnation de ses frères si cela peut les le sauver. Paul éprouve pour son peuple les sentiments les plus profonds d’amour et de sollicitude. Et il se pose la question incontournable : comment le projet divin peut-il être enrayé par l’incroyance d’Israël?
Paul parle en termes très forts de la tristesse et de la douleur que lui cause l’incroyance de son peuple. Le scepticisme d’Israël et son rejet de Jésus comme sauveur étonnaient et déconcertaient les chrétiens. Cela leur posait un grave problème puisque Dieu avait justement préparé Israël à accueillir l’avènement du Messie. Paul est prêt à encourir la malédiction pour que le peuple élu en vienne à connaître le Christ (9,3; Lv 27,28-29). Son amour pour son peuple découle de ce que Dieu continue de le choisir et des bienfaits spirituels que Dieu répand sur lui et à travers lui sur toute l’humanité (9,4-5). L’idée de Paul est on ne peut plus claire : le Seigneur, qui est au-dessus de tout, a voulu se servir d’Israël, à qui ont été concédés tous les privilèges, afin de pouvoir rejoindre le monde entier par l’entremise du Messie.
La lecture du chapitre 9 de la lettre aux Romains soulève pour nous de graves questions. Vous rappelez-vous la dernière fois que vous avez plaidé avec une brebis perdue pour qu’elle accepte le Christ? En quoi le risque d’être rejeté affecte-t-il la conviction avec laquelle vous présentez l’Évangile? Quand vous partagez l’Évangile, êtes-vous vraiment convaincu qu’il a le pouvoir de sauver ceux et celles qui sont perdus? De son pouvoir de changer les habitudes des pécheurs? Du besoin qu’en a la société actuelle? Quels sacrifices êtes-vous disposés à faire pour voir les membres perdus de votre famille, vos amis ou les membres de votre communauté croyante revenir au Christ ou, peut-être, aller à lui pour la première fois?
« Confiance! c’est moi; n’ayez pas peur! »
Dans l’Évangile d’aujourd’hui (Matthieu 14, 22-23) qui se passe sur le lac, les disciples luttent contre une mer en furie et sont sauvés par Jésus. La puissance de Jésus s’exprime par le fait qu’il marche sur les eaux tumultueuses (Matthieu 14,25; Psaume 77,20; Job 9. Jésus met Pierre au défi de marcher, lui aussi, sur les eaux! À cause de la crainte de Pierre, et de son peu de foi, il commence à enfoncer. Quand Jésus tend la main pour rescaper Pierre, il rappelle à ses disciples et à l’Église de toutes les générations sa sollicitude constante pour nous. Il nous enseigne qu’aucune tempête ne renversera la barque dans laquelle nous naviguons, et que les eaux des ténèbres ne nous engloutirons jamais.
À certaines heures de l’histoire de l’Église contemporaine, tout semble annoncer le naufrage, la peur, la noyade et la mort. Mais soyons honnêtes et prenons conscience que l’Église poursuit sa route, qu’elle continue de sauver des âmes et de voguer vers son port d’attache. Dans ce royaume béni, par delà les mers de cette vie, tout ce qui menace l’Église de Dieu en ce monde aura disparu à tout jamais. À ces heures-là, il faut écouter le Seigneur, comme Pierre, et jeter de nouveau les filets au large – car c’est notre foi qui est mise à l’épreuve – non pour savoir si nous la professons ou non mais pour vérifier si nous sommes prêts à la mettre en œuvre.
Il apaise les tempêtes de la vie
Ne l’oublions jamais, nous sommes embarqués avec Jésus. Il est à bord avec nous, dans la nuit et dans les tempêtes. Le Seigneur n’abandonne pas ceux qui recherchent sa miséricorde et son pardon. Il marche sur les eaux. Il apaise la tempête. Il guide le navire à bon port et rapporte la grosse prise, la grande fête, à laquelle nous sommes toutes et tous invités – la fête quotidienne de son corps et de son sang, notre nourriture d’éternité. Il y a de quoi fêter !
Le Père Thomas Rosica, de l’Ordre des Basiliens, est directeur général de la Fondation Sel et Lumière et de Télévision Sel et Lumière, au Canada, et consulteur auprès du Conseil pontifical des communications sociales.